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ST 16

Diplomatie et gouvernement transnational des ressources minières

Diplomacy and transnational governance of mining resources

Responsables scientifiques : 

Quentin Deforge (FNRS/Université libre de Bruxelles (ULB), REPI et SONYA) quentin.deforge@ulb.be
Sébastien Chailleux (Sciences Po Bordeaux, Centre Émile Durkheim) s.chailleux@sciencespobordeaux.fr

 

En Europe ou en Amérique du Nord, les transitions énergétiques reposent principalement sur le développement d’industries “vertes”, comme les filières éoliennes et solaires, ou la production de batteries pour véhicules électriques. Celles-ci nécessitent des matières premières jusqu’ici extraites en faibles quantités, comme le lithium, le cobalt ou les “terres rares”, dont la demande croissante encourage l’ouverture de nouvelles mines. Mais derrière ce premier problème d’approvisionnement, un ensemble d’acteurs publics et privés alertent depuis plusieurs années sur un second problème de “souveraineté” que soulève la croissance, voire l’hégémonie, de la Chine dans l’industrie comme dans la production de matières premières (Boudia, 2019).

Si la sécurisation des approvisionnements n’est pas une activité gouvernementale nouvelle, la plupart des pays occidentaux a largement délégué cette activité aux marchés, notamment depuis les années 1990, qui signent le déclin de nombreuses activités d’extraction dans les pays occidentaux et un désintérêt croissant pour les ressources du sous-sol (Chailleux et al., 2022). Les nouvelles dépendances bas carbone ont tendance à éroder ces dispositifs plus anciens de tradition libérale et à questionner les modalités et les dispositifs d’approvisionnement qui semblent désormais fonctionner au détriment des circuits économiques occidentaux. La décarbonation entraîne ainsi une redéfinition des dépendances inter-étatiques et une certaine redistribution des cartes. Au niveau européen, le Critical raw material act prévoit ainsi, par exemple, de mettre en place des partenariats “stratégiques” avec certains pays producteurs. Ces derniers, dans la continuité des projets néo-extravistes nationaux (Riofrancos, 2020), profitent de ce nouveau “boom” minier pour faire de leurs ressources non seulement un levier de développement économique, mais aussi un levier diplomatique (Hecht, 2012). Ces activités diplomatiques donnent lieu à des conflits, comme c’est le cas par exemple au sein de l’Organisation mondiale du commerce. Ces enjeux sont également discutés dans des arènes comme l’Agence internationale de l’énergie et le G7, où le gouvernement des États-Unis a initié le projet d’une zone de libre-échange de matières premières « critiques » avec ses principaux alliés. Les pays producteurs s’organisent également, dans la continuité d’initiatives anciennes (Frozel-Barros, 2019), par exemple à travers le projet de création d’une “OPEP du lithium”.

Cette section thématique s’appuie sur l’hypothèse selon laquelle cette question de la « sécurisation des approvisionnements » est un point d’entrée original et pertinent pour interroger la recomposition de la souveraineté des États, et pour apporter un regard neuf sur le rôle de l’État dans la mondialisation (Lecler, 2019). Ce faisant, elle propose de contribuer à deux débats en cours de développement en science politique. D’abord, un ensemble de travaux récents cherche à la fois à comprendre la nature de la crise actuelle de l’ordre international dit « libéral » (Mearsheimer, 2019), et la façon dont celui-ci est en train de se recomposer (Babic, 2020). Ces travaux ont pour point commun de montrer l’imbrication croissante des rivalités politiques et militaires avec les rivalités d’ordre économique (Gertz et Evers, 2020). En parallèle, en France, certains travaux s’intéressent de façon comparable à l’imbrication des enjeux militaires et politiques avec les enjeux énergétiques pour formuler l’hypothèse d’une « écologie de guerre » (Charbonnier, 2022). Ensuite, un second ensemble de travaux s’intéresse au renouvellement du rôle de l’État dans l’économie en formulant l’hypothèse d’un « nouveau capitalisme d’état » (Alami et al., 2022), ou encore d’un « new economic statecraft », qui se matérialisent par une redéfinition des politiques que mènent les États dans les domaines industriels, commerciaux, et d’investissement (Aggarwal et Reddie, 2020), au point de voir dans l’augmentation croissante des investissements publics à l’étranger l’apparition d’un ordre « post-néolibéral » (Babic, 2021).

 

In Europe and North America, energy transitions are mainly based on the development of « green » industries, such as wind and solar power, or the production of batteries for electric vehicles. These require raw materials that have hitherto been extracted in small quantities, such as lithium, cobalt, or « rare earth, » whose growing demand is encouraging the opening of new mines. But behind this first supply problem, several public and private players have been warning for several years about a second « sovereignty » issue raised by China’s growth, or even hegemony, in industry and raw materials production (Boudia, 2019).

While securing supplies is not a new government activity, most Western countries have mainly delegated this activity to the markets, particularly since the 1990s, which saw the decline of many extraction activities in Western countries and a growing disinterest in subsoil resources (Chailleux et al., 2022). New low-carbon dependencies tend to erode these older, traditionally liberal arrangements and call into question supply modalities and arrangements that now seem to work to the detriment of Western economic circuits. Decarbonization is thus leading to a redefinition of inter-state dependencies and a redistribution of the cards. At the European level, for example, the Critical Raw Material Act establishes « strategic » partnerships with certain producer countries in the Global South. The latter, following in the footsteps of national neo-extractive projects (Riofrancos, 2020), are taking advantage of this new mining « boom » to turn their resources not only into a lever for economic development but also a diplomatic lever (Hecht, 2012). These diplomatic activities give rise to conflicts, as is the case, for example, within the World Trade Organization. These issues are also discussed in arenas such as the International Energy Agency and the G7, where the US government has initiated the project of a free trade zone for « critical » raw materials with its main allies. Producing countries are also getting organized, following on from long-standing initiatives (Frozel-Barros, 2019), for example, through the project to create a « lithium OPEC ».

This panel is based on the hypothesis that this issue of « securing supplies » is an original and relevant entry point for questioning the recomposition of state sovereignty and for taking a fresh look at the state’s role in globalization (Lecler, 2019). In so doing, it will contribute to two developing debates in political science. Firstly, a body of recent work seeks both to understand the nature of the current crisis of the so-called « liberal » international order (Mearsheimer, 2019), and the way in which it is being recomposed (Babic, 2020). What these works have in common is the growing interweaving of political and military rivalries with economic ones (Gertz and Evers, 2020). At the same time, in France, a number of works are taking a similar interest in the interweaving of military and political issues with energy issues to formulate the hypothesis of an « ecology of war » (Charbonnier, 2022). Then, a second body of work looks at the renewed role of the state in the economy, formulating the hypothesis of a « new state capitalism » (Alami et al., 2022), or a « new economic statecraft », which materializes in a redefinition of the policies pursued by states in the industrial, trade and investment fields (Aggarwal and Reddie, 2020), to the point of seeing in the growing increase in public investment abroad the emergence of a « post-neoliberal » order (Babic, 2021).

 

REFERENCES

Alami, Ilias et al. 2022. “Geopolitics and the ‘New’ State Capitalism.” Geopolitics 27(3): 995–1023.

Aggarwal, Vinod K., and Andrew W. Reddie. 2020. “New Economic Statecraft: Industrial Policy in an Era of Strategic Competition.” Issues & Studies 56(02): 2040006.

Boudia, Soraya. 2019. “Quand une crise en cache une autre : la « crise des terres rares » entre géopolitique, finance et dégâts environnementaux.” Critique internationale N° 85(4): 85–103.

Babic, Milan. 2020. “Let’s Talk about the Interregnum: Gramsci and the Crisis of the Liberal World Order.” International Affairs 96(3): 767–86.

Babic, Milan. 2021. “State Capital in a Geoeconomic World: Mapping State-Led Foreign Investment in the Global Political Economy.” Review of International Political Economy 0(0): 1–28.

Charbonnier, Pierre. « La naissance de l’écologie de guerre ». GREEN 2, no 1 (2022): 76‑83.

Chailleux, Sébastien, Sylvain Le Berre, et Yann Gunzburger. Ressources minérales et transitions: Trajectoires politiques du sous-sol français au 21ème siècle. 1er édition. P.I.E-Peter Lang S.A., Éditions Scientifiques Internationales, 2022.

Frozel Barros, Natália. « Un océan d’incertitudes : problématisations et mise en forme légale des fonds marins par le travail diplomatique ». These de doctorat, Paris 1, 2019.

Gertz, Geoffrey, and Miles M. Evers. 2020. “Geoeconomic Competition: Will State Capitalism Win?” The Washington Quarterly 43(2): 117–36.

Hecht, Gabrielle. Being Nuclear: Africans and the Global Uranium Trade. Cambridge, MA, USA: MIT Press, 2012.

Lecler, Romain. Une contre-mondialisation audiovisuelle. Ou comment la France exporte la diversité culturelle. Sorbonne Université Presses, 2019.

Mearsheimer, John J. 2019. “Bound to Fail: The Rise and Fall of the Liberal International Order.” International Security 43(4): 7–50.

Riofrancos, Thea. 2020. Resource Radicals: From Petro-Nationalism to Post-Extractivism in Ecuador. Durham, NC: Duke University Press.

Léo Corbel (SAGE, Université de Strasbourg), Éléments sur le gouvernement européen des matières premières minérales

Tiago Pires da Cruz (Centre Émile Durkheim, Sciences Po Bordeaux), Diplomatie transnationale des ressources minières des grands fonds marins : la mobilité interinstitutionnelle, une ressource dans la controverse ?

Vincent Arpoulet (CREDA, Université Paris-3 Sorbonne Nouvelle), Géopolitique des ressources minières : secteur public, intérêts privés et enjeux internationaux au Pérou et en Bolivie.

Sara Dezalay (ESPOL, Université catholique de Lille), Diplomatie extractive et intermédiaires du droit : Le barreau « africain » de Paris entre État régulateur et redéploiement de la Françafrique

ARPOULET Vincent vincent.arpoulet@sorbonne-nouvelle.fr

CHAILLEUX Sébastien s.chailleux@sciencespobordeaux.fr

CORBEL Léo l.corbel@unistra.fr

DEFORGE Quentin quentin.deforge@ulb.be

DEZALAY Sara sara.dezalay@univ-catholille.fr

PIRES DA CRUZ Tiago tiago.piresdacruz@scpobx.fr