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Les corpus visuels des politistes : stratégies de composition et de mobilisation de bases de données visuelles dans l’analyse

Political science and visual data mining : Composing and using visual databases for analysis

Section du Groupe de recherche Images du politique, politiques de l’image (IPPI)

Responsables scientifiques :

Philippe Aldrin (Sciences Po Aix / MESOPOLHIS) philippe.aldrin@sciencespo-aix.fr
Julien O’Miel (Université de Lille / CERAPS) julien.o-miel2@univ-lille.fr

 

L’usage des images en sciences sociales connait un nouvel essor grâce à la démocratisation des outils audiovisuels (Gehin ; Giglio-Jacquemot, 2013). De fait, de plus en plus d’enquêtes sociologiques se font au moyen de la photographie (Cuny & al., 2020), du dessin (Nocerino, 2016) ou du film (Durand et Sebag, 2020). Néanmoins, depuis le développement d’une « sociologie visuelle » aux États-Unis (Harper, 2012) ou en France (Naville, 1966), les objets de la sociologie politique demeurent comparativement moins investis à partir des outils de l’approche visuelle (Mattioli, 2007 ; Aldrin & O’Miel, 2023) que les domaines du travail, de la famille ou de l’urbain. Le Groupe de recherche IPPI de l’AFSP propose dans le cadre de sa section de mettre trois enjeux au travail. Tout d’abord, ce que nous avons convenu d’appeler les gisements visuels du politique, c’est-à-dire à la façon dont les images peuvent constituer des sources potentielles pour les politistes. Si les historiens ont de longue date constitué l’image en source pour l’enquête (faute le plus souvent d’accès à d’autres types de sources), les politistes ont pour une grande part ignoré les productions audio-visuelles de leurs enquêté·es faute en partie d’une réflexion sur les enjeux méthodologiques d’une analyse de l’image. Le paradoxe est grand dans une période où l’usage politique de l’image s’intensifie et où le contrôle des moyens de production audiovisuels apparaît central dans le jeu politique. Les institutions produisent en effet des images comme dispositifs de communication politique charriant leur lot de symboles et renvoyant aux pratiques légitimes en démocratie. Néanmoins, les institutions n’ont pas le monopole de la pratique de l’image : tant le détournement d’images institutionnelles (par exemple, les dégradations des affiches de campagnes) que les productions visant à inscrire des messages contestataires dans l’espace public numérique ou urbain (affiches, tracts, tags, mèmes, etc.) démontrent des formes subversives d’usages de l’image.

Ensuite, la section de groupe reviendra sur l’image comme outil de collecte de données, c’est-à-dire sur les façons d’appréhender l’image en situation d’enquête comme un outil de collecte de données. L’usage d’une caméra ou d’un appareil photo conduit le chercheur à réinterroger les implicites de méthodes devenues banales (l’entretien ou l’observation) (Becker, 2001). Il s’agira notamment d’interroger si enquêter visuellement sur le politique produit (ou non) un gain de réflexivité spécifique en s’intéressant tout particulièrement aux enjeux de la relation d’enquête. En outre, la section visera à questionner les objets relevant de la sociologie politique et à la façon dont ils peuvent constituer un défi pour les chercheurs utilisant les images. Car, s’il est admis que la caméra ou l’appareil photo sont pertinents pour observer les interactions (Lallier, 2009), les gestes, l’espace (Desaleux & Martinais, 2011) ou les corps (Hasque, 2014), il apparait plus complexe de rendre compte par l’image de l’abstrait des rapports de force et de domination souvent masqués dans les scènes de vie « ordinaires ». On interrogera ici la façon dont les outils visuels – comme la photo-élicitation (Collier, 1957) – peuvent faire émerger une parole parfois « empêchée » (Bonnet, 2012), en particulier sur des objets sensibles comme le vote (Moualek, 2018) ou les migrations (Marsaud, Dahdah & Roto, 2023).

Enfin, il s’agira de saisir l’image comme moyen de présenter des résultats, c’est-à-dire, sur les manières de questionner l’emploi de ces techniques dans le cadre de la réalisation d’un film de recherche, d’un livre-photo, d’une exposition ou d’un webdocumentaire. L’image peut en effet constituer en elle-même un mode privilégié d’argumentation et de production de connaissances. Cet usage demeure cependant rare (Aldrin & Grégory, 2018 ; Moualek, 2018) et peu légitime en science politique tant il implique de nombreuses interrogations. Il s’agira d’interroger les façons de penser « sociologiquement » par l’image sans réduire celle-ci à la vulgarisation d’une enquête réalisée au préalable. Plus qu’un simple enregistrement du réel, le recours à l’image met le chercheur en position de construire un récit et un point de vue (Buob & Géhin, 2020). Il s’agira dès lors de questionner le statut du produit fini entre film sur le politique et film politique.

 

The use of images in the social sciences is enjoying a new boom thanks to the democratisation of audiovisual tools (Gehin ; Giglio-Jacquemot, 2013). Indeed, more and more sociological surveys are being conducted using photography (Cuny et al., 2020), drawing (Nocerino, 2016) or film (Durand & Sebag, 2020). Nevertheless, since the development of a ‘visual sociology’ in the United States (Harper, 2012) or in France (Naville, 1966), the subjects of political sociology have been comparatively less explored using the tools of the visual approach (Mattioli, 2007; Aldrin & O’Miel, 2023) than the fields of work, the family or the urban environment. The IPPI research group of the AFSP is proposing to focus on three issues. Firstly, what we have agreed to call the visual deposits of politics, i.e. the way in which images can constitute potential sources for political scientists. While historians have long used images as a source for their research (usually because they lack access to other types of source), political scientists have largely ignored the audio-visual productions of their respondents, partly because they have not through the methodological issues involved in analysing images. This is a major paradox at a time when the political use of images is intensifying and control of audiovisual production appears to be central to the political game. Institutions produce images as a means of political communication, carrying their share of symbols and referring to legitimate practices in a democracy. Nevertheless, institutions do not have a monopoly on the use of images: both the hijacking of institutional images (for example, the defacement of campaign posters) and productions designed to inscribe protest messages in digital or urban public space (posters, leaflets, tags, memes, etc.) demonstrate subversive forms of image use.

Next, the group section will look again at the image as a data collection tool, i.e. the ways in which the image can be understood in a survey situation as a data collection tool. The use of a camera or a still camera leads the researcher to re-examine the implicit aspects of methods that have become commonplace (interviews or observation) (Becker, 2001). In particular, the aim will be to examine whether visual enquiry into politics does (or does not) produce a specific gain in reflexivity, with a particular focus on the issues at stake in the enquiry relationship. In addition, the section will look at the objects of political sociology and at the way in which they can constitute a challenge for researchers using images. While it is accepted that the camera or the still camera are relevant for observing interactions (Lallier, 2009), gestures, space (Desaleux & Martinais, 2011) or bodies (Hasque, 2014), it seems more complex to use abstract images to account for the relationships of power and domination that are often masked in ‘ordinary’ scenes of life. We will be looking here at how visual tools – such as photo-elicitation (Collier, 1957) – can help to bring out a voice that is sometimes ‘prevented’ (Bonnet, 2012), particularly on sensitive issues such as voting (Moualek, 2018) or migration (Marsaud, Dahdah & Roto, 2023).

Finally, we will be looking at images as a means of presenting results, in other words, at ways of questioning the use of these techniques in the production of a research film, a photobook, an exhibition or a webdocumentary. Images can in themselves be a privileged means of argumentation and knowledge production. However, this use is still rare (Aldrin & Grégory, 2018; Moualek, 2018) and has little legitimacy in political science, since it raises so many questions. The aim is to examine the ways in which images can be used to think ‘sociologically’, without reducing them to the popularisation of a survey carried out beforehand. More than simply recording reality, the use of images puts the researcher in a position to construct a narrative and a point of view (Buob & Géhin, 2020). This raises questions about the status of the finished product, between a film about politics and a political film.

 

REFERENCES

ALDRIN, Philippe & GRÉGORY, Marie-Ange, inconnue(s) dans la 6e. Brignoles, chroniques électorales, Pixel Plume Production, France, 2018 (film documentaire).

ALDRIN, Philippe & O’MIEL, Julien, « Pour une approche visuelle du politique. Imaginer le visual turn de la science politique », MagAFSP, n°4, juin 2023.

BECKER, Howard S. « Sociologie visuelle, photographie documentaire et photojournalisme ». Communications, vol. 71, n°1, 2001.

BONNET, Agathe. Dire et faire dire l’indicible : Entre secret et stigmate, l’analyse d’un processus d’enquête sociologique sur le ballonnement, thèse de doctorat, Université Paris 5, 2012.

BUOB, Baptiste & GÉHIN, Jean-Paul. « Du travail filmé au travail du film », Images du travail, travail des images, n°8, 2020.

DESALEUX, David, LANGUMIER, Julien & MARTINAIS, Emmanuel. « Enquêter sur la fonction publique d’État. Une approche photosociologique des lieux de travail de l’administration ». ethnographiques.org, n°23, 2011.

DE HASQUE, Jean-Frédéric. « Corps filmant, corps dansant », Parcours anthropologiques, n°9, 2014.

GIGLIO-JACQUEMOT, Armelle & GÉHIN, Jean-Paul. « Filmer le travail : chercher, montrer, démontrer », ethnographiques.org, n°25, 2012.

HARPER, Douglas. Visual Sociology, New York, Routledge, 2012

LE HOUÉROU, Fabienne. « Filmer le désarroi : ce que révèle l’usage de la caméra dans les situations sensibles » in LASSAILLY-JACOB, Véronique & LEGOUX, Luc (dir.), Immigrés, illégaux, réfugiés : questions sur les enquêtes et les catégories, e-Migrinter, Poitiers, n°9, 2012.

LENDARO, Annalisa. « Filmer, enquêter, montrer : allers et retours », Images du travail, travail des images, (en ligne), n°8, 2020.

MARSAUD, Gaël, DAHDAH, Assaf & ROTO, Burhan. Autour du Tanur, 50mn, VOSTF, 2023 (film documentaire).

MATTIOLI, Francesco. La sociologia visuale: che cosa è, come si fa, Bonanno, Rome, 2007.

MOUALEK, Jérémie. À la recherche des » voix perdues »: contribution à une sociologie des usages pluriels du vote blanc et nul. 2018. Thèse de doctorat. Université Paris-Saclay (ComUE).

NOCERINO, Pierre. « Ce que la bande dessinée nous apprend de l’écriture sociologique ». Sociologie et sociétés, vol. 48, n°2, 2016.

Session 1

Introduction : (Que) faire des corpus visuels ?

Méthodes et réflexivité autour d’une pratique centrale de la sociologie visuelle du politique
Philippe ALDRIN (Sciences Po Aix, MESOPOLHIS) et Julien O’MIEL (Université de Lille, CERAPS) : 

Axe 1 / Retracer les imaginaires de l’image politique
Analyser la mise en circulation et les usages sociopolitiques des images

Le photomontage et l’impact paysager des éoliennes.
Des tonnes d’images trafiquées pour réguler objectivement un impact subjectif ?
Leny PATINAUX (Université de Limoges, Géolab)

Les cadrages politiques de la communication publique
Analyse du corpus visuel d’une politique agroécologique et alimentaire locale.
Jeanne PAHUN (INRAE, LISIS)

L’image pour exister, exister par l’image : le cas djihadiste
Thomas RICHARD (Université de Lille, Centre Michel de l’Hospital)

Placer le champ de la sécurité dans le champ visuel
Une analyse par les images du salon Milipol 2023
Audrey FREYERMUTH (Sciences Po Aix, MESOPOLHIS)

Session 2

Axe 2 / Construire et déconstruire le politique par l’image
Rendre compte par l’image/des images de la domination

Donner à voir la prédation extractive
Usages des images dans une ethnographie de la mine andalouse
Doris BUU-SAO (Université de Lille, CERAPS)

Objectivation de la statistique coloniale, mise en scène du droit ou figuration des luttes ?
Les « populations » de l’Algérie coloniale par l’image
Éric SAVARESE (Université de Montpellier, CEPEL)

Axe 3 / Faire la sociologie visuelle du politique
Enquêter par l’image : enjeux méthodologiques et théoriques

La démarche filmique en science politique, une originalité ?
Grégory GIBERT (Université de Lille, CERAPS)

Photographier des ateliers d’artistes en exil
Collecte de données et valorisations muséographiques de parcours migratoires
Adélie CHEVÉE (Aix-Marseille Université, MESOPOLHIS / European University Institute)

ALDRIN Philippe philippe.aldrin@sciencespo-aix.fr

BUU-SAO Doris doris.buusao@univ-lille.fr

CHEVÉE Adélie adelie.chevee@eui.eu

FREYERMUTH Audrey audrey.freyermuth@hotmail.fr

GIBERT Grégory gibert.greg@gmail.com

O’MIEL Julien julien.o-miel2@univ-lille.fr

PATINAUX Leny leny.patinaux@univ-lille.fr

PAHUN Jeanne jeanne.pahun@gmail.com

RICHARD Thomas Thomas.RICHARD@uca.fr

SAVARESE Éric eric.savarese@umontpellier.fr