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ST 03

Gouverner (par) les publics. La mise à contribution des administré·es dans la production de l’action publique

Governing (through) the governed. Involving recipients in the production of public policy

Responsables scientifiques :

Agnès Aubry (HESTS, HES-SO Valais-Wallis) agnes.aubry@hes-so.ch 
Maureen Clappe (PACTE, Sciences Po Grenoble)  maureen.clappe@umrpacte.fr

 

Cette section thématique s’intéresse à la mise en œuvre de l’action publique par ses publics et interroge les enjeux que recouvre cette modalité néolibérale de gouvernement des conduites des administré·es. Dans le sillage des travaux qui portent une attention renouvelée aux publics de l’action publique (Gourgues et Mazeaud, 2018), à ses relais (Frau et Taiclet, 2021), et au modelage des comportements de ses ressortissant·es (Borraz et Guiraudon, 2010), nous envisageons la production de l’action publique par ses publics comme un instrument de gouvernement. Cet angle de recherche permet de dépasser la dichotomie gouverné·es/gouvernant·es qui caractérise la littérature sur les street level bureaucrats et l’analyse des relations de guichet, en concevant certain·es administré·es comme des agent·es (dominé·es) de l’État.

L’objectif de cette section thématique est de dresser un nouvel état des lieux du rôle des publics dans la mise en œuvre des politiques publiques et de renouveler l’analyse des publics dans la conduite de l’action publique. La mise à contribution des publics s’insère dans un contexte de sophistication du gouvernement des conduites individuelles (Dubuisson-Quellier 2016), marqué par l’avènement de politiques visant à gouverner les publics « pour qu’ils se gouvernent eux-mêmes » (Chelle, 2012 :147). En produisant une partie de l’action publique qui leur est déléguée, des administré·es se font les « intermédiaires » (Hassenteufel 2008 ; Nay et Smith, 2002), les « courtiers » (De Sardan, Bierschenk, Chauveau, 2013) ou les « passeurs » (Jobard et al., 2020) de différentes politiques publiques. Ils et elles sont dès lors amené·es à intégrer et diffuser des pratiques, normes et valeurs produites par les pouvoirs publics. Ainsi, des personnes migrantes et précarisées sont conduites à porter assistance à leurs homologues en échange de l’aide reçue (Drif, 2018 ; Aubry, 2019) ou à effectuer un travail d’interprétariat pour d’autres demandeur·ses d’asile (Pian 2017 ; Clappe, 2019). La mobilisation des destinataires des politiques sociales ou migratoires s’appuie sur la réception et la diffusion d’une « pédagogie de la citoyenneté active et éthique » (Di Cecco, 2021 : 36 ; Muehlebach, 2012) qui favorise l’autodiscipline des publics. Ces logiques se retrouvent dans d’autres domaines liés au « gouvernement des corps » (Fassin et Memmi, 2004), des personnes incarcérées étant par exemple conduites à participer aux soins de leurs codétenus (Bessin et Lechien, 2004).

Nous attendons des travaux qui interrogent les modalités actuelles du gouvernement par les publics, selon deux axes principaux. Un premier axe entend rassembler des contributions qui interrogent la mise en œuvre quotidienne de l’action publique (Dubois, 2010) et le rôle actif qu’y jouent les publics (Warin, 1999 ; Gourgues et Mazeaud, 2018). Alors qu’actuellement, l’État « “fait faire” plutôt qu’il ne fait » (Frau et Taiclet, 2021 :11), il s’agit ici de questionner les formes prises concrètement par la délégation de certains pans de l’action publique à ses publics. Comment sont-ils mis à contribution et transformés en agents de l’État ? Quelles tâches leur sont assignées et comment contribuent-ils à produire l’action publique au quotidien ? Comment les publics travaillent-ils aux côtés d’autres agent·es de l’État censé·es les encadrer ? Un deuxième axe se penchera sur les rapports ordinaires des individus à l’action publique (Barrault-Stella 2013 ; Spire 2016), en questionnant les réappropriations des contenus des politiques publiques. En particulier, l’on peut interroger le rapport qu’entretiennent les « gouverné·es gouvernant·es » à l’action publique, à leur gouvernement et à celui des autres. Quelles sont les marges de manœuvre des personnes poussées à mettre en œuvre une partie de l’action publique les concernant ? Il s’agit d’interroger les formes d’acceptation ou les stratégies d’évitement des normes et pratiques prescrites par les politiques publiques. L’on se demandera ainsi comment les publics adhèrent, négocient ou s’opposent à l’action publique qui les ciblent et qu’ils sont censés mettre en œuvre.

This panel proposes to reflect on the implementation of public policy by its target population, and to examine the issues related to this neoliberal way of governing the conducts. Following recent research that pays renewed attention to the role played by public policy recipients (Gourgues and Mazeaud, 2018), to the shaping of their behaviours (Borraz and Guiraudon, 2010), and to relays of political regulation (Frau and Taiclet, 2021), we consider the production of public policy by its recipients as an instrument of government. This perspective enables us to go beyond the governed/governor dichotomy that characterizes the literature on street-level bureaucrats and the analysis of administrative relations, by conceiving some recipients as (dominated) agents of the state. 

The aim of this panel is to draw up a new inventory of the role of recipients in the implementation of public policies, and to renew the analysis of the public in the conduct of public action. The involvement of the target population in the making of public policy echoes the sophistication of the government of individual conducts (Dubuisson-Quellier 2016) and is marked by policies aimed at pushing precarious people to govern themselves (Chelle, 2012:147). By producing part of public policies, recipients become “intermediaries” (Hassenteufel 2008; Nay and Smith, 2002), “brokers” (De Sardan, Bierschenk, Chauveau, 2013) or “smugglers” (Jobard et al., 2020) of different public policies. They are led to integrate and disseminate practices, norms and values produced by governments. For instance, precarious migrants provide supply services to their counterparts in exchange for the assistance they received (Drif, 2018; Aubry, 2019), or perform interpreting work for other asylum seekers (Pian 2017; Clappe, 2019). The enrolment of migratory policies’ recipients is based on the dissemination of a « pedagogy of active and ethical citizenship » (Di Cecco, 2021: 36; Muehlebach, 2012) that fosters self-discipline. This logic can also be found in other policy field linked to the “government of bodies” (Fassin and Memmi, 2004), with incarcerated people having to participate in the care of their fellow inmates (Bessin and Lechien, 2004) for example. 

We look forward to works that question the current modalities of government by the public, along two main lines. First, we would like to bring together contributions that question the implementation of public action on a daily basis (Dubois, 2010) and the active role played by its target population (Warin, 1999; Gourgues and Mazeaud, 2018). While State action is more and more externalized (Frau and Taiclet, 2021), which forms takes the delegation of public policy to its recipients? How are they “put to work” and transformed into state agents? What tasks are they assigned to, and how do they contribute to the day-to-day production of public action? How do they work alongside other public servants who are supposed to supervise them? Second, panelists can investigate individuals’ ordinary relationships to public action (Barrault-Stella 2013; Spire 2016), questioning the reappropriation of public policy contents. What sort of relationship the « governed governors » entertain with public action, with their own government and that of others ? Do recipients who implement public policy have some room for manoeuvre? Our aim is to examine the acceptance or avoidance of the norms and practices prescribed by public policy. Thus, this second axis will examine how the target population adheres to, negotiates, or opposes public policy they are supposed to implement.

 

REFERENCES

Aubry A., 2019, Le bénévolat d’hommes migrants en Suisse : travail gratuit et mise à l’épreuve civique, Critique internationale, 84 (3), pp. 147‑164.

Barrault-Stella L., 2013, Gouverner par accommodements. Stratégies autour de la carte scolaire, Paris, Dalloz.

Bessin M. et Lechien M.-H., 2004, « Proximité avec le corps malade des détenus. La participation des prisonniers aux soins », dans D. Fassin & D. Memmi (eds.). Le gouvernement des corps, Paris, Éditions de l’EHESS.

Bierschenk T., Chauveau J.-P. et Olivier de Sardan, J.-P., 2000, Courtiers en développement. Les villages africains en quête de projets, Paris, Karthala ; Mayence, APAD.

Borraz O. et Guiraudon V., 2010, « Introduction / Les publics des politiques », dans O. Borraz (éd.), Politiques publiques 2: Changer la société, Paris, Presses de Sciences Po, p. 11-27.

Chelle E., 2012, Gouverner les pauvres. Politiques sociales et administration du mérite, Rennes, Presses Universitaires de Rennes.

Clappe M., 2019, « Interpréter les récits de demande d’asile : une perspective légitimiste et militante du statut de réfugié », Lien social et Politiques, no 83, p. 167‑183.

Di Cecco S., 2021, Le « sale boulot » de l’intégration. Travail et racisme dans les programmes de bénévolat pour personnes demandeuses d’asile en Italie, Thèse de doctorat en sociologie, Université Paris Diderot.

Drif L., 2018, « Être réfugié et “volontaire”: les travailleurs invisibles des dispositifs d’aide internationale », Critique internationale, 81(4), pp. 21‐42.

Dubois V., 2010, La vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misère, 3ème édition, Paris, Economica.

Dubuisson-Quellier S., 2016, Gouverner les conduites, Paris, Presses de Sciences Po.

Fassin D. et Memmi D.(eds.), 2004, Le gouvernement des corps, Paris, Éditions de l’EHESS.

Foucault M., 1994, « La technologie politique des individus », Dits et Écrits 1954-1988, Volume IV, Paris, Gallimard.

Frau C. et Taiclet A., 2021, « Dans les marges de l’action publique : Enquêter sur les activités de(s) relais de la régulation politique ». Gouvernement et action publique, 10(4), p.9-37.

Gourgues G. et Mazeaud A. (dir.), 2018, L’action publique saisie par ses “publics”. Gouvernement et (dés)ordre politique, Presses universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq.

Hassenteufel, P., 2011, « Les acteurs intermédiaires des politiques publiques », dans P. Hassenteufel, Sociologie politique : l’action publique, Paris, Armand Colin, pp. 213-242.

Jobard F., Laumond B., Geeraert J., Mützelburg I., Zeigermann, U., 2020, « Sociologie politique des passeurs : Acteurs dans la circulation de savoirs, de normes et de politiques publiques », Revue Française de Science Politique, 70 (5), pp.557-573.

Morel S., 2000, Les logiques de la réciprocité. Les transformations de la relation d’assistance aux États-Unis et en France, Paris, Presses Universitaires de France.

Muehlebach A., 2012, The moral neoliberal: welfare and citizenship in Italy, Chicago, University of Chicago Press.

Nay O. et Smith A., 2012, « Les intermédiaires en politique : médiations et jeux d’institutions », dans O. Nay et A. Smith (dir.), Le gouvernement du compromis : courtiers et généralistes dans l’action publique, Paris, Economica, pp. 1-21.

Pian A., 2017, « Devenir interprète bénévole dans des associations de solidarité pour demandeurs d’asile et sans‐papiers. Temporalités biographiques et institutionnelles », Sociologie, 8(40), pp. 351‐368.

Spire, A., 2016, « État des lieux. Les policy feedbacks et le rapport ordinaire à l’État », Gouvernement et action publique, 5(4), pp. 141-156.

Warin P., 1999, « Les « ressortissants » dans les analyses des politiques publiques », Revue française de science politique, 49(1), pp.103-121.

Session 1 / Les publics de l’action publique : un instrument de gouvernement des conduites
Présentation et animation de la ST : Agnès Aubry et Maureen Clappe
Discussion : Guillaume Gourgues (Triangle, Université Lumière Lyon 2)

Corentin Durand (FNRS, CRID&P, Université catholique de Louvain), Gouverner par la plainte : Concurrences institutionnelles pour la mise au travail des gouverné∙e∙s dans le champ pénitentiaire

Magda Boutros (CRIS, Sciences Po Paris) et Charlotte Corchete (CRSI, Sciences Po), Riverains à protéger ou indésirables à évincer ? Le rôle des publics dans l’action policière à Paris

Marion Lang (Triangle, Université Jean Monnet Saint-Etienne), À qui s’adressent les dispositifs participatifs dans les quartiers populaires ? Les entrepreneur·es de participation comme destinataires de l’action publique participative à Marseille et Barcelone

Bérangère Rocalve (CESSP, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne), Déléguer la sélection aux sélectionné.e.s : quand des SDF participent au tri des usagers pour l’accès à des centres d’hébergement d’urgence 

Session 2 / Prendre part au gouvernement des publics : entre adhésions et résistances
Animation de la ST : Agnès Aubry et Maureen Clappe
Discussion : Caroline Frau (Triangle, Université Lumière Lyon 2) 

Tom Beurois (CITERES, Université de Tours) : Un public peut en encadrer un autre. L’enrôlement des classes populaires précarisées dans l’aide alimentaire en France et en Belgique

Alice Daquin (IHEID, Geneva Graduate Institute) : L’intermédiation dans et autour du guichet : vers un maternalisme politique au sein des quartiers populaires ?

Ouassim Hamzaoui (LBNC, Avignon Université) : Gouverner par la dématérialisation des démarches administratives. Bricolages et pédagogies de conformation du travail administratif des usagers aux guichets « France services »

Magali Nonjon (MESOPOLHIS, Sciences Po Aix) et Camille Floderer (ART-Dev, Université Paul Valéry Montpellier), Dispositifs d’ouverture sociale et effets socialisateurs de l’action publique éducative sur ses publics cibles

Elsa Guillalot et Léo Vennin (PACTE, Sciences Po Grenoble) : L’action publique éducative saisie par ses publics. Quand les enseignants gouvernent les transformations des pratiques enseignantes

AUBRY Agnès agnes.aubry@hes-so.ch

BEUROIS Tom tom.beurois@gmail.com

BOUTROS Magda magda.boutros@sciencespo.fr

CLAPPE Maureen maureen.clappe@umrpacte.fr

CORCHETE Charlotte charlotte.corchete@sciencespo.fr

DAQUIN Alice alice.daquin@graduateinstitute.ch

DURAND Corentin corentin.durand@sciencespo.fr

FLODERER Camille camille.floderer@gmail.com

FRAU Caroline caroline.frau@univ-lyon2.fr

GOURGUES Guillaume guillaume.gourgues@univ-lyon2.fr

GUILLALOT Elsa elsa.guillalot@umrpacte.fr

HAMZAOUI Ouassim ouassim.hamzaoui@univ-avignon.fr

LANG Marion marion.lang@univ-st-etienne.fr

NONJON Magali magali.nonjon@sciencespo-aix.fr

ROCALVE Bérengère berangere.rocalve@orange.fr

VENNIN Léo leo.vennin@iepg.fr