le portail de la science politique française

rechercher

ST 26

Étudier et enseigner les rapports de genre aujourd’hui : nouveaux défis et paradoxes 

Studying and Teaching Gender Relations Today: New Challenges and Paradoxes

Responsables scientifiques : 

Delphine Dulong (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Sorbonne) Delphine.Dulong@univ-paris1.fr
Christine Guionnet (Université de Rennes) christine.guionnet@univ-rennes.fr

 

Recherches et enseignements sur le genre ont explosé en France, contribuant en partie à rattraper le retard par rapport au monde anglosaxon. Dans nos cours, les étudiant·e·s ne réagissent plus de la même façon qu’il y a quinze ans, face à l’invitation à déconstruire les stéréotypes de genre ; de plus en plus sensibles à l’inconfort des binarités, ils et elles manifestent une « conscience de genre » entretenue par les réseaux sociaux (Varikas, 1991), par l’installation dans le paysage intellectuel d’une série de concepts et auteurs (telle « l’intersectionnalité »), sur fonds de vifs débats et panique « woke » (Mahoudeau, 2022). Partant du sentiment paradoxal d’enfoncer de plus en plus de portes ouvertes auprès de certain·e·s étudiant·e·s, de rencontrer des injonctions sociales croissantes à produire un savoir « utile », tout en étant menacé d’être délégitimé scientifiquement par des objets « impurs », cette ST se propose d’analyser de manière comparative les tensions et défis des études sur le genre. Il s’agit de repenser les difficultés qui s’étaient posées hier (TGS 31, 2014), en se demandant notamment ce que les succès relatifs font à une pensée scientifique du genre et quelles formes de défis nouveaux (backlash) ou récurrents elle rencontre, ici ou là.

Les communications porteront porter sur trois questionnements en lien avec cette problématique :

  1. En premier lieu la question de l’institutionnalisation : difficultés et formes nationales spécifiques ou non, rôle de la circulation internationale des idées :

Comment les chercheur·se·s, travaillant sur le genre parviennent-ils/elles à s’insérer dans le monde académique et à développer leurs enseignements selon les pays, disciplines ou établissements ? Si la circulation internationale des catégories d’analyse a favorisé l’essor des Gender Studies (Cîrstocea et alii, 2018), travailler sur le genre signifie-t-il la même chose selon les contextes politiques nationaux (Roumanie, Brésil…) ? Comment circulent théories et auteurs et quid des réappropriations, quand on sait combien les concepts franchissent souvent les frontières en se délestant des contextes et rapports sociaux leur ayant donné sens (le « Theory travels better » de Morley) ? Existe-t-il des barrières culturelles (cf. Saguy, 2003, sur l’impensable « harcèlement » dans une France aux mœurs courtoises) à la circulation des concepts/recherches ? Est-il pertinent d’opposer un modèle à l’anglosaxonne (parfois idéalisé – Poulin-Deltour, 2014) et un à la française, quant à l’articulation entre science et militantisme ?

  1. Le développement des enseignements sur le genre : quels enjeux et conséquences (professionnalisation, diffusion des connaissances) ?

Lorsqu’existent des cursus complets en études sur le genre, que deviennent les diplomé·e·s ? Que font aux études de genre le flux croissant de professionnel·le·s en lien direct avec elles, lui-même nourri des politiques de « gender mainstreaming » (chargé·e·s de mission égalité, campagnes contre le harcèlement) ? En quoi les études de genre sont-elles au principe de l’essaimage de nouveaux métiers, d’un nouveau sens commun dans l’espace public ? En quoi ces fonctions et professions inédites ont-elles des effets sur la valorisation ou la redéfinition d’auteur·rice·s et de concepts ?

  1. Comment affronter les critiques adressées aux études sur le genre ?

Qu’advient-il d’une pensée critique, quand elle a la « bonne » fortune de se voir vulgarisée, mais peut du fait de ses usages sociaux se trouver formulée en rhétoriques d’autant plus difficiles à déconstruire qu’elles reposent sur la certitude d’être « du bon côté » ? Comment, dans un contexte si polémique, gérer les courts circuits analytiques (se satisfaire de la mesure comptable des inégalités), les objets tenus pour suspects (coûts de la masculinité hégémonique pour les hommes – Dulong et alii, 2012-), les débats relatifs à la légitimité d’une parole savante (peut-on travailler sur les trans sans l’être ?) ?

Et d’un autre côté, quelles incidences sur nos activités des critiques parfois contradictoires émanant du champ académique lui-même, allant de la dénonciation des impensés occidentalo-centrés et du manque d’intersectionnalité à la stigmatisation de recherches présentées comme « woke » – voire « totalitaires » (Heinich, 2023)- : moindres ressources et reconnaissance institutionnelle, pressions à justifier sans cesse de la « scientificité » de nos travaux et de leur « bon » positionnement entre science et engagement (Raisons politiques, 89, 2023) ?

 

Research and teaching on gender have exploded in France, allowing it to partly catch up with the English-speaking world. In our courses, students no longer react in the same way as they did fifteen years ago when asked to deconstruct gender stereotypes. They are increasingly sensitive to the discomfort arising out of binarism, and display a ‘gender consciousness’ nurtured by social networks (Varikas, 1991), by the establishment in the intellectual landscape of a series of concepts and authors (such as ‘intersectionality’), and against a backdrop of heated debate and ‘woke’ panic (Mahoudeau, 2022). This ST proposes a comparative analysis of the tensions and challenges facing gender studies, based on the paradoxical feeling that some students are increasingly pushing open doors, that they are encountering increasing social injunctions to produce ‘useful’ knowledge, while at the same time being threatened with being scientifically delegitimised by ‘impure’ objects. The aim is to rethink the difficulties that have arisen in the recent past (TGS 31, 2014), asking in particular what relative successes are doing to scientific thinking on gender and what forms of new (backlash) or recurring challenges it is encountering across countries and different social settings. 

            Papers may focus on three related issues:

  1. Firstly, the question of institutionalisation: difficulties and specific national forms, and the role of the international circulation of ideas:

            How do gender researchers find their place in the academic world and develop their teaching, depending on the country, discipline or institution? While the international circulation of analytical categories has encouraged the growth of Gender Studies (Cîrstocea et alii, 2018), does working on gender mean the same thing in different national political contexts (Romania, Brazil, etc.)? How do theories and authors circulate, and what about re-appropriations, when we know how often concepts cross borders by shedding the social contexts and relationships that gave them meaning (Morley’s ‘Theory travels better’)? Are there cultural barriers (cf. Saguy, 2003, on the unthinkable ‘harassment’ in polite France) to the circulation of concepts/research? Is it relevant to contrast an Anglo-Saxon model (sometimes idealised – Poulin-Deltour, 2014) and a French model, in terms of the relationship between science and activism?

  1. The development of gender teaching: what are the issues and consequences (professionalisation, dissemination of knowledge)?

            Where comprehensive courses in gender studies exist, what happens to the graduates? What is the role of the growing number of professionals directly involved in gender studies, which is in turn fuelled by gender mainstreaming policies (equality officers, anti-harassment campaigns)? How are gender studies at the root of the spread of new professions and a new common sense in the public arena? How do these new functions and professions affect the development or redefinition of authors and concepts?

  1. How can we deal with the criticisms levelled at gender studies?

            What happens to critical thinking when it has the ‘good’ fortune to be popularised, but because of its social uses may find itself formulated in rhetoric that is all the more difficult to deconstruct because it is based on the certainty of being ‘on the right side’? In such a polemical context, how can we manage analytical shortcuts (e.g. being satisfied with measuring inequalities), suspect objects (e.g. the costs of hegemonic masculinity for men – Dulong et al., 2012), and debates about the legitimacy of a scholarly discourse (e.g. can we work on trans issues without being trans?)?

            On the other hand, what is the impact on our activities of the sometimes contradictory criticisms emanating from the academic field itself, ranging from the denunciation of Western-centric unthinking and the lack of intersectionality to the stigmatisation of research presented as ‘woke’ – or even ‘totalitarian’ (Heinich, 2023): fewer resources and institutional recognition, pressure to constantly justify the ‘scientificity’ of our work and its ‘proper’ positioning between science and commitment (Raisons politiques, 89, 2023) ?

 

REFERENCES

Cîrstocea I., Lacombe D., Marteu E., La globalisation du genre. Mobilisations, cadres d’actions, savoirs. Presses universitaires de Rennes, 2018.

Dulong D., Guionnet C., Neveu É. (dir.), Boys Don’t Cry ! Les coûts de la domination masculine, Rennes, PUR, 2012.

Heinich N., Le Wokisme serait-il un totalitarisme ?, Paris, A. Michel, 2023.

Mahoudeau A., La Panique woke. Anatomie d’une offensive réactionnaire, Paris, Éditions Textuel, 2022.

Poulin-Deltour W., « Que reste-t-il de nos cours sur le genre ? Témoignage d’un enseignant américain en French studies sur un campus américain », Travail, genre et sociétés, vol. 31, no. 1, 2014, p. 35-49.

Saguy A. C., What Is Sexual Harassment?: From Capitol Hill to the Sorbonne, University of California Press , 2003.

Varikas E., « Subjectivité et identité de genre. L’univers de l’éducation féminine dans la Grèce du XIXe siècle », Genèses, n° 6, 1991, p. 29‐51.

La ST sera organisée en deux créneaux de 2h, le principe général est que les papiers seront lus avant la ST, afin que les sessions soient avant tout consacrées à la discussion.

Session 1

1/ Introduction générale de la ST : retours sur expériences (synthèse des capsules vidéo et retours sur l’idée de la ST ) : Christine Guionnet (Arènes, Univ. Rennes) (15 à 20 mn)

2/ Intervention d’un premier discutant : Alban Jacquemart (IRISSO, Université Paris Dauphine) : discussion sur l’introduction générale et le texte de Michèle Riot-Sarcey (Pr. Emérite, historienne) (15 mn)

  • Christine Guionnet, « Introduction générale. Comment enseigner le genre hier et aujourd’hui ? »
  • Michèle Riot-Sarcey: « Comment est-on passé du genre comme concept pour interroger les savoirs établis, au genre comme mode d’être ?»

3/ Questions de la salle/réponses des auteures : 30 mn

4/ Intervention d’une deuxième discutante (Marianne Blidon, Institut de démographie, Université Paris 1) : discussion des deux papiers de Rachel Colombe (LEGS, Paris 8) puis Christelle Dormoy (Université/INSPE de Lille, CIREL-RECIFES, CRESPPA-CSU) et Emilie Saunier (Université/INSPE de Franche-Comté, ELLIADD, IREDU) (en 15 à 20 mn)

  • Rachel Colombe: « Enseigner les rapports de genre en formation de travail social : à chacun·e sa « bonne distance » ? »
  • Emilie Saunier: « Offre et réception des enseignements sur le genre dans une formation professionnalisante : le cas de la formation des enseignant.e.s et conseillers.ères principaux.les d’éducation (CPE) en INSPE »

5/ Questions de la salle/réponses des auteures : 40 mn

Session 2

1/ Intervention d’une troisième discutante : Bleuwenn Lechaux (Arènes, Univ. Rennes 2) : discussion des deux papiers de Sarah Perrin (Centre Émile Durkheim, Université de Bordeaux) et Blanche Plaquevent (INED) (en 15 à 20 mn)

  • Sarah Perrin, « Étudier les rapports de genre dans les mondes de la drogue. Enjeux autour de la traduction et de la légitimation d’une posture et d’un concept. » (NB : si elle ne parvient pas à obtenir un billet de train, S. Perrin pourrait être en visio)
  • Blanche Plaquevent, « Enseigner l’histoire du genre et des sexualités dans les formations médicales »

2/ Questions de la salle/réponses des auteures : 40 mn

3/ Intervention d’une quatrième discutante : Delphine Dulong (CESSP, Paris 1) : discussion des deux papiers de Jeanne Thiriat (LAVUE, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-La Villette/ CNAM) et Lucile David (Triangle/CESSP, Université Lyon 2) (en 15 à 20 mn)

  • Jeanne Thiriat, « L’enseignement des questions de genre dans les écoles d’architecture en France : stratégies et positionnements des enseignant·es ».
  • Lucile David, « Comment les savoirs écoféministes entrent à l’université. Une institutionnalisation en train de se faire ? »

4/ Questions de la salle/réponses des auteurs : 30 mn

5/ 10 mn de conclusion générale

BLIDON Marianne Marianne.Blidon@univ-paris1.fr

COLOMBE Rachel rachel.colombe@gmail.com

DAVID Lucile lucile.david@univ-lyon2.fr

DORMOY Christelle christelle.dormoy@univ-lille.fr

DULONG Delphine Delphine.Dulong@univ-paris1.fr

GUIONNET Christine Christine.guionnet@univ-rennes.fr

JACQUEMART Alban alban.jacquemart@dauphine.fr

LECHAUX Bleuwenn bleuwenn.lechaux@univ-rennes2.fr

NEVEU Erik (à confirmer) erik.neveu@sciencespo-rennes.fr

PERRIN Sarah  sarah.perrin24@yahoo.fr

PLAQUEVENT Blanche blanche.plaquevent@ined.fr

RIOT-SARCEY Michèle m.riot-sarcey@wanadoo.fr

SAUNIER Emilie emilie.saunier-pilarski@univ-fcomte.fr

THIRIAT Jeanne jeanne.thiriat@lecnam.net