le portail de la science politique française
Responsables scientifiques :
Milena Jakšić (CNRS – Cems/Ehess) milenajaksic@gmail.com
Nicolas Fischer (CNRS- Cesdip/ Université de Versailles St Quentin) fischer@cesdip.fr
Mobilisée aussi bien par des institutions publiques ou privées que par des particuliers, l’enquête sous ses différentes formes – policière, militante, journalistique – demeure plus que jamais aujourd’hui une forme centrale de production d’un savoir sur le monde social, soit comme savoir d’institution visant à informer l’action publique, soit comme instrument critique permettant d’interpeller l’opinion sur une réalité méconnue (Boltanski, 2012 ; Frankel, 2006). Dans le sillage des réflexions originelles de John Dewey (1993), des travaux de Luc Boltanski (2011, 2012) ou encore des recherches plus récentes autour du « travail de la preuve » (Chappe, Juston Morival et Leclerc, 2022), la présente session thématique entend revenir sur la réalisation concrète des enquêtes, telles qu’elles se font et telles que les évolutions technologiques les ont transformées. Le premier enjeu d’une telle recherche est épistémologique : il s’agit de réfléchir sur le « paradigme inquisitorial » (Prochasson, 2004) et sur le rapport au monde social qu’il suppose, dès lors que des sociétés se donnent pour but collectif de documenter le réel, d’y rechercher les « anormalités » et de réduire finalement l’incertitude qu’elles ont fait naître. Le second enjeu est plus directement politique : car cette activité d’enquête est au centre de l’émergence historique de l’Etat moderne et de son gouvernement des populations, mais aussi au cœur de la construction des ordres démocratiques, dès lors que l’enquête se fait précisément publique et potentiellement indépendante.
C’est cette diversité des formes passées et présentes de recours à l’enquête qu’il s’agira d’analyser. Loin de se cantonner au format classique de l’enquête judiciaire, on s’intéressera, à partir de matériaux empiriques, à la réalisation d’enquêtes aux formats, objectifs et commanditaires diversifiés. La réflexion se distribuera selon trois axes :
Les contributions analyseront l’histoire mais aussi le devenir contemporain de ce rapport entre enquête et institutions : si les Etats peuvent désormais puiser dans le vivier des big data pour enquêter sur les populations, les contre-enquêtes indépendantes s’appuient parallèlement sur la relative démocratisation des NTIC, qui facilitent la réalisation de documents « alternatifs » sur la réalité sociale. Ces derniers sont aujourd’hui pleinement intégrés à l’activité contestataire, qu’elle émane de particuliers munis d’un simple smartphone, d’organes de presse indépendants (à l’image de la Cellule d’enquête vidéo du Monde) ou d’agences privées telles que Focale Expertise. Enfin, l’exemple du projet Forensic Architecture incite également à penser la globalisation de ces formes de contre-enquêtes (Weizman, 2018).
Mobilized by public or private institutions as much as individuals, investigation may adopt various forms – when conducted by the police, the media, or advocacy groups – but remains today more than ever a central form of knowledge production about the social world, either as institutional knowledge aimed at informing public action, or as a critical instrument to call out public opinions over a little-known reality (Boltanski, 2012; Frankel, 2006). In the wake of John Dewey’s original reflections (Dewey, 1993), of Luc Boltanski’s work (Boltanski, 2012, 2011) and of more recent research on the “making of evidence » (Chappe, Juston Morival & Leclerc, 2022), this call for abstracts turns to a dimension social sciences rarely grapple with: the actual conduct of investigations, as they are carried out and as technological developments have transformed them. This enquiry is first epistemological: it questions the « inquisitorial paradigm » (Prochasson, 2004) and the peculiar relationship to the social world it implies, for societies whose collective goal becomes ultimately to search for “abnormalities” in the outside world, to document reality, and ultimately to reduce the uncertainty abnormalities have created. The second interest of this research is political: this investigative activity is indeed a key factor of the historical building of the modern state and of its government of populations. It is also at the heart of the construction of modern democratic orders, when investigations go public and are conducted by independent bodies.
Our sessions will analyze this diversity of past and present forms of investigation practices. Far from being limited to the study of police/judicial investigations, communication proposals may deal with a diversity of forms, sources or objectives for investigations. All communications should include a sociological approach and be based on empirical material. They may focus particularly on the following three axes:
Contributions will analyze both the history and contemporary development of this relationship between investigation and institutions: while states can now draw on Big Data to produce diversified surveys on populations, independent counter-investigations rely in parallel on the diffusion of NICTs, which facilitates the production of « alternative » documents on social reality. Such counter-investigations have become common ways to express dissent, whether it comes from individuals using a smartphone, from independent media (such as Le Monde’s Video Investigation Unit) or from private investigation companies. Finally, the case of the Forensic Architecture project also points to the globalization of these forms of counter-investigation (Weizman, 2018).
REFERENCES
Boltanski Luc, 2012, Énigmes et complots. Une enquête à propos d’enquêtes, Paris, Gallimard.
Boltanski Luc, 2011, « Une étude en noir », Tracés, vol. 20, n° 1, p. 49‑73.
Chappe Vincent-Arnaud, Juston Morival Romain et Leclerc Olivier, 2022, « Faire preuve : pour une analyse pragmatique de l’activité probatoire. Présentation du dossier », Droit et société, vol. 110, n° 1, p. 7‑20.
Dewey John, 1993, Logique: la théorie de l’enquête, 2e édition, Paris, Presses universitaires de France.
Frankel Oz, 2006, States of inquiry. Social investigations and print culture in nineteenth-century Britain and the United States, Baltimore (Md.), Johns Hopkins University Press.
Pecqueux Anthony, Vuillerod Jean-Baptiste, Despret Vinciane, 2022, « Enrichir le monde. Entretien avec Vinciane Despret », Tracés, n°22, p. 141-170.
Prochasson Christophe, 2004, « L’enquêteur, le savant et le démocrate. Les significations cognitives et politiques de l’enquête », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, vol. 22, n° 1, p. 7‑14.
Weizman Eyal, 2018, Forensic architecture: violence at the threshold of detectability, Brooklyn (N.Y.), Zone Books.
Session 1 / Usages de l’enquête par et contre l’institution
Présidente : Milena Jaksic (CEMS, CNRS)
Axe 1 / Enquêter pour gouverner
Maeva Le Roy (ITI MAKErs, SAGE), Enquêter sur « l’esprit public » au tournant du XIXe siècle : Produire des savoirs utiles au gouvernement ?
Irene Lizzola (Sciences Po Bordeaux, Les Afriques dans le Monde – LAM), Au-delà du plaidoyer abolitionniste : Enquêter sur les conditions de détention des condamné.es à mort au Maroc
Axe 2 / Dispositifs de contre-enquête
Mathilde Beaufils (ISP), Enquêter à travers les États. Pratiques et acteur∙rices des recherches militantes pour l’établissement d’une responsabilité de la France au Rwanda
Guillaume Mouralis (CESSP, CNRS), Enquêter / témoigner, Le Tribunal Russell sur le Vietnam comme subversion du dispositif judiciaire
Session 2 / Usages militants de l’enquête
Président : Nicolas Fischer (CESDIP, CNRS)
Axe 3 / Appropriations militantes de l’enquête
Julien Allavena (Université Paris 8, Cresppa-Labtop), Enquêter en militant : les enquêtes ouvrières « opéraïstes » dans l’Italie des années 1960
Sélim Smaoui, Le dévoilement contre-forensique, un renouveau de la critique militante ?
Kevin Vacher (Laboratoire associatif GDRV), Un temps de pause » : retour sur une expérience d’appropriation de l’enquête sociologique par des militant·es politiques
ALLAVENA Julien allavenajulien@hotmail.fr
BEAUFILS Mathilde mathilde.l.beaufils@gmail.com
FISCHER Nicolas fischer@cesdip.fr
JAKSIC Milena milenajaksic@gmail.com
LE ROY Maeva maeleroy@unistra.fr
LIZZOLA Irène Irene.lizzola@scpobx.fr
MOURALIS Guillaume g.mouralis@gmail.com
SMAOUI Selim Selims86@hotmail.com
VACHER Kevin kevinvacher.pro@gmail.com