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ST 14

Après l’effondrement. Institutions, corps et champs pris dans les changements de régimes brutaux

After the collapse. Institutions, bodies and fields caught up in sudden regime changes

Responsables scientifiques :

Florence Brisset-Foucault (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Institut des mondes africains, Institut universitaire de France) Florence.brisset-foucault@univ-paris1.fr
Choukri Hmed (Université Paris Cité, Centre de recherches en philosophie, sociologie, sémiologie et politique – Philépol) choukri.hmed@u-paris.fr  

 

Alors que les causes des changements de régime subits ont fait l’objet de nombreux travaux et que les périodes critiques ont été au cœur des préoccupations de la science politique française, force est de constater que le chantier de la sociologie de « l’après » a été largement négligé (Hmed 2019, Allal & Vannetzel 2017). Cela, malgré l’agenda scientifique ouvert par Theda Skocpol, qui dès 1979 explorait la formation des États issus des révolutions française, russe et chinoise (Skocpol, 1979).
De nombreuses bibliothèques scientifiques permettent cependant de penser ces situations qu’on peut définir a minima comme dérogeant aux routines et procédures institutionnalisées de l’alternance. La ST sera consacrée à l’étude des recompositions de l’État et des administrations ainsi que des prises de rôles institutionnels à l’occasion d’événements révolutionnaires ou de changements de régime, dans des contextes historiques variés (Soudan et Tunisie contemporains, Cambodge des années 1980, Russie post-1991).
Parmi la littérature disponible, les travaux des néo-institutionnalistes (Thelen 1999), notamment ceux portants sur l’Europe de l’Est post-communiste (Stark and Bruszt 1998) permettent d’éviter les écueils téléologiques et normatifs de la « consolidologie ». Jean-François Bayart, avec la notion de situation thermidorienne, a ouvert également la porte d’une analyse sociologique des mutations politiques post-révolutionnaires (Bayart 2008). La sociologie des guerres civiles (Baczko, Dorronsoro 2017), comme celle consacrée au devenir des mouvements armés après leur prise de l’État (Clapham 2012), permet de jauger des effets des changements rapides et profonds des règles du jeu politique, et d’interroger ruptures et continuités en termes de valeur, par exemple, des capitaux social et culturel guerrier.
Cependant, à quelques exceptions près (Debos 2013, Popineau 2023, Raymond 2019), ces travaux reposent rarement sur l’exploration empirique précise des effets de ces bouleversements sur les administrations. La littérature historienne sur les purges fournit au contraire des ethnographies minutieuses – bien qu’européocentrées – des administrations (Rouquet 2011, Mouralis 2014, Lignereux et Vincent 2014).

Loin d’encourager une particularisation des situations de changements de régime brutaux, les présentations réunies dans cette ST cherchent au contraire à croiser ces travaux avec ceux portant sur des situations relativement plus routinières de changement politique, qu’il s’agisse de « changements de régime » (Gaïti 1998) ou d’« alternances » (Aldrin, Bargel, Bué, Pina, 2016).

Les effets de ces changements brutaux en termes d’ajustements (ou non) des habitus sur les pratiques, les cultures professionnelles et sur les trajectoires sociales, notamment d’anciens fonctionnaires parachutés dans de nouvelles institutions « révolutionnaires » ou, au contraire, « purgés » ; le sort, à l’inverse, de personnels nouveaux propulsés agents de l’État (Hadjiisky 1999) la permanence des « décombres » (Skocpol, 1979) des anciens régimes, qu’ils soient matériels, mentaux, incorporés, au sein d’organisations et d’institutions, sont au cœur de cette ST. Alors que la capacité de l’État à établir la valeur des capitaux est remise en cause, que des institutions sont désobjectivées, que se passe-t-il dans les différents rouages et niveaux de l’administration, et sur différents espaces du territoire, lorsqu’un régime politique s’effondre brutalement ? Quelles sont les luttes sociales connexes qui se jouent dans ces contextes ? En plongeant au cœur de différents services de l’État, cette ST explore les réverbérations du changement politique dans le champ bureaucratique et ses champs connexes, autrement dit les conflits de légitimité, ajustements et effets d’hysteresis, la permanence ou le changement des pratiques, des outils et des cultures professionnelles de l’État, en bref, la mesure des processus d’institutionnalisation.

 

While the causes of sudden regime change and social conditions of critical periods have been the subject of numerous works, especially in French political science, and despite the scientific agenda opened up by Theda Skocpol, who as early as 1979 explored the formation of states following the French, Russian and Chinese revolutions (Skocpol, 1979), it is worth noting that the sociology of the “aftermath” has been largely neglected (Hmed 2019, Allal & Vannetzel 2017).

Several scientific libraries do, however, make it possible to consider these situations, which can be summarily defined as contexts during which institutionalized routines and procedures of alternation are suddenly broken. The thematic section will analyze the different ways and extents in which states and administrations are reconfigured, along with the assumption of institutional roles during revolutionary events or regime changes, in different historical contexts (contemporary Sudan and Tunisia, Cambodia in the 1980s, post-1991 Russia).

Among the available literature, the work of neo-institutionalists (Thelen 1999), particularly in post-Communist Eastern Europe (Stark and Bruszt 1998), helps to avoid the teleological and normative pitfalls of “consolidology”. Jean-François Bayart, with his notion of Thermidorian situation, has also opened the way to a sociological analysis of post-revolutionary political mutations (Bayart 2008). The sociology of civil wars (Baczko, Dorronsoro 2017), like the study of armed movements after their takeover of the state (Clapham 2012), makes it possible to gauge the effects of rapid and profound changes in the rules of the political game, and to question ruptures and continuities in terms of the value, for example, of the social and cultural capital acquired during the war.

However, with a few exceptions (Debos 2013, Popineau 2023, Raymond 2019), these works rarely explore the empirical effects of these upheavals on administrations. Yet the historical literature on purges provides meticulous – albeit Europe-centric – administrations ethnographies (Mouralis 2014, Lignereux and Vincent 2014).

Far from encouraging a particularization of situations of abrupt regime change, the presentations brought together in this thematic section seek, on the contrary, to cross-reference these works with those dealing with relatively more routine situations of political change, whether “regime changes” (Gaïti 1998) or “alternations” (Aldrin, Bargel, Bué, Pina, 2016).

Papers will explore effects of these abrupt changes in terms of habitus (dis-)adjustments, on practices, professional cultures and social trajectories, particularly of former civil servants parachuted into new “revolutionary” institutions or, on the contrary, “purged” institutions ; the fate, on the other hand, of new personnel propelled into state service (Hadjiisky 1999) or the permanence of the “rubble” (Skocpol, 1979) of the old regimes, whether material, mental or embodied within organizations and institutions. While the State’s ability to establish the value of capital is being called into question, and institutions are being de-objectified, what happens in the various administrations and across the national territories, when a political regime collapses? What are the side social struggles at play within administrations in these contexts? By delving into the heart of various state services, this thematic section analyzes the multiple reverberations of political change in the bureaucratic field and its different related social spaces: conflicts of legitimacy, adjustments and “hysteresis effects” (Bourdieu), the permanence or change of state practices, tools and professional cultures – in short, the extent of institutionalization processes.

 

REFERENCES

Aldrin Philippe, Lucie Bargel, Nicolas Bué, Christine Pina (dir.), Politiques de l’alternance, Vulaines sur Seine, Editions du Croquant, 2016.

Allal, Amin, et Marie Vannetzel, « Des lendemains qui déchantent ? Pour une sociologie des moments de restauration », Politique africaine, 146, 2017, p. 5-28.

Clapham Christopher, From Liberation Movement to Government, The Brenthurst Foundation Discussion Paper, 2012.

Baczko, Adam, et Gilles Dorronsoro. « Pour une approche sociologique des guerres civiles », Revue française de science politique, vol. 67, no. 2, 2017, p. 309-327.

Bayart Jean-François, « Le concept de situation thermidorienne : régimes néo-révolutionnaires et libéralisation économique », Questions de Recherche n°24, CERI Sciences Po, 2008.

Debos, Marielle. « La guerre des préfets. Répression, clientélisme et illégalismes d’État dans l’entre-guerres tchadien », Politix, 104, 2013, p. 47-65.

Gaïti Brigitte, De Gaulle prophète de la Cinquième République (1946-1962), Paris, Presses de Sciences Po, 1998.

Hadjiisky Magdaléna, « La démocratie par le marché. Le cas des pays tchèques (1989-1996) », Politix, 47, 1999, p. 63-88.

Hmed Choukri, Des barricades et des urnes. Sociologie des situations et des issues révolutionnaires en Tunisie (2010-2016), mémoire original d’HDR, Université de Recherche Paris Sciences & Lettres, École normale supérieure, 2019.

Lignereux Aurélien et Vincent M.-B, « Réintégrer les fonctionnaires. L’“après-épuration en Europe”, XIXe-XXe siècles », Histoire & Mesures, 2014/2.

Mouralis, Guillaume, « L’épuration des élites est-allemandes entre ingénierie sociale et utopie politique. La République Démocratique Allemande en procès », Allemagne d’aujourd’hui, vol. 208, no. 2, 2014, p. 87-93.

Popineau Camille, Gouverner en guerre civile. Sociologie des acteurs de l’administration rebelle dans le Nord ivoirien (2002-2011), Thèse de doctorat en science politique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2023.

Raymond Candice, « Committed Knowledge : Autonomy and Politicization of Research Institutions and Practices in Wartime Lebanon (1975-1990) », in R. Jacquemond and F. Lang (dir.), Culture and Crisis in the Arab World, Londres, NY, IB Tauris, p.73-102.

Skocpol Theda, States and Social Revolutions, Cambridge, Cambridge University Press, 1979.

Stark David and Laszlo Bruszt, Postsocialist Pathways: Transforming Politics and Property in Eastern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.

Thelen Kathleen, “Historical Institutionalism in Comparative Politics”, Annual Review of Political Science, 1999 2:1, p. 369-404.

Président·es de séance : Florence Brisset-Foucault et Choukri Hmed

Clément Deshayes (Institut de recherche pour le Développement, Pôle de recherche pour l’organisation et la diffusion de l’information géographique PRODIG), Prendre et devenir l’État au Soudan révolutionnaire. Le cas des conseillers ministériels du gouvernement de transition (2019 -2022)

Adélaïde Martin (Université Paris Nanterre, Institut des Sciences sociales du Politique), Rejoindre l’appareil d’État après une crise extrême : le cas du Cambodge post-khmer rouge (1979-1991)

Audrey Pluta (Sciences Po Aix, Mesopolhis, IREMAM), Revanche de flics ? Construction et défense des intérêts socio-professionnels des policiers en Tunisie post-2011

Victor Violier (CNRS, CERI Sciences Po, IRSEM, ISP), Fin de parti(e) ? La survie des écoles supérieures du PCUS dans l’effondrement de l’Union soviétique

Discutante : Assia Boutaleb (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CESSP)

BOUTALEB Assia Assia.boutaleb@univ-paris1.fr

BRISSET-FOUCAULT Florence Florence.brisset-foucault@univ-paris1.fr

DESHAYES Clément clement.deshayes@ird.fr

HMED Choukri choukri.hmed@u-paris.fr

MARTIN Adélaïde adelaide.mrtn@gmail.com

PLUTA Audrey pluta.audrey@gmail.com

VIOLIER Victor victor.violier@gmail.com