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ST 07

La représentation politique vue par les acteurs de la démocratie : conflits et ambivalences

Political representation as seen by democratic actors: conflicts and ambivalences

Responsables scientifiques :

Camille Bedock (CNRS, Centre Emile Durkheim, Institut d’Études Politiques de Bordeaux) c.bedock@sciencespobordeaux.fr
Sebastien Rojon (Centre d’Étude de la Vie Politique, Université libre de Bruxelles) sebastien.rojon@ulb.be

 

Les attentes sur le système politique des acteurs de la démocratie (citoyens mais aussi élus, mouvements sociaux et groupes d’intérêt) ont ces dernières années fait l’objet d’un très fort intérêt scientifique. L’analyse des process preferences s’est d’abord beaucoup questionnée sur l’existence de préférences pour des modèles susceptibles de se substituer à la représentation politique, comme le gouvernement d’experts (Hibbing et Theiss-Morse 2002), les assemblées citoyennes (Pilet et al. 2022) ou la démocratie directe (Schuck et de Vreese 2015; Werner 2020). Plusieurs mouvements sociaux d’ampleur (Gilets jaunes, les Indignados) ou encore de nouveaux partis politiques (Partis pirates, Mouvement Cinq Etoiles) ont construit leur succès sur une critique profonde de la représentation politique traditionnelle (Hayat 2022; Vittori 2020), basée sur la distinction et l’indépendance des élus (Manin 1995). D’autres travaux encore suggèrent que même parmi les élus, certains seraient prêts à remettre en cause leur monopole sur la décision politique (Close 2020).

Une bonne partie de la littérature fait le postulat implicite que puisque les citoyens sont de plus en plus défiants de leurs représentants et de leurs institutions, ils rejettent aussi le modèle du gouvernement représentatif. Une pléthore d’études portant sur les préférences pour des « alternatives » à la démocratie représentative force ainsi les répondants à choisir entre le gouvernement représentatif et d’autres acteurs. Pour autant, de plus en plus de travaux convergent vers la même conclusion : la représentation politique est indépassable, y compris pour les acteurs qui sont les plus critiques de son fonctionnement actuel. Au-delà d’une critique très partagée des limites de la représentation-distinction et des représentants politiques, mêmes les acteurs engagés dans une critique profonde du fonctionnement actuel de la démocratie ne pensent pas possible de se passer complètement de représentants qui prennent des décisions pour l’ensemble de la communauté. Par exemple, s’intéressant au cas du 15-M et de Podemos, Héloïse Nez montre que ce sont des rapports pluriels à la représentation qui sont en tension dans le mouvement, et que la volonté de mettre fin à la représentation-mandat est loin d’y être hégémonique (Nez 2020). D’autres travaux montrent qu’au sein des Gilets jaunes, plutôt que la volonté de se débarrasser de la représentation politique, c’est sa profonde rénovation qui est attendue (Bedock et al. 2020). D’autres auteurs montrent que la très grande majorité des citoyens ne perçoivent pas les différents acteurs de la démocratie comme incompatibles, mais soutiennent des modèles hybrides et complexes dans lesquels la représentation politique garde toute sa place (Pilet et al. 2020). Des travaux qualitatifs confirment la difficulté pour beaucoup de citoyens à concevoir des alternatives à une démocratie représentative qu’ils critiquent par ailleurs (Gourgues et al. 2021). Quant au cas des élus, l’immense majorité d’entre eux se refuse à donner davantage qu’une place consultative aux citoyens en dehors du moment électoral (Jacquet, Niessen, et Reuchamps 2022).

Cependant, si la représentation politique est indépassable, ses modalités sont très loin de faire consensus. C’est précisément l’objet de cette section thématique. Elle vise à interroger la manière dont les acteurs de la démocratie (citoyens, élus, mouvements sociaux, groupes d’intérêt) définissent ce que doit être la représentation, le rôle et l’autonomie du représentant, les qualités qu’il doit incarner, ou encore le rôle des citoyens au sein du système politique, en mobilisant les outils de la théorie politique et de la sociologie politique.

 

In recent years, there has been a great deal of scientific interest in the expectations that democratic actors (citizens, but also elected representatives, social movements and interest groups) have of their political system. The analysis of process preferences initially focused on preferences for models replacing political representation, such as government of experts (Hibbing and Theiss-Morse 2002), citizens’ assemblies (Pilet et al. 2022) or direct democracy (Schuck and de Vreese 2015; Werner 2020). Several large-scale social movements (Gilets jaunes, the Indignados) or even new political parties (Pirate parties, Five Star Movement) have built their success on a deep criticism of traditional political representation (Hayat 2022; Vittori 2020), based on the distinction and the independence of elected representatives (Manin 1995). Other studies suggest that even among elected representatives, some would be prepared to share their decision-making power with citizens (Close 2020).

The underlying assumption in the literature on citizens’ conceptions of/preferences for democracy seems to be that, because citizens are increasingly distrusting of representative actors and institutions, they are by default less inclined towards a representative model of government. This has led to a plethora of studies investigating public support for ‘alternatives’ to representative democracy by forcing respondents to choose between being governed by elected representatives versus other actors. However, an increasing number of studies are converging towards the same conclusion: political representation is unsurpassable, even for those who are most critical of the way it currently operates. Beyond a widely shared criticism of the limits of representation based on distinction and of political representatives, even the actors who are deeply critical of the way democracy currently works do not think we could do without representatives who make decisions for the whole community. For example, Héloïse Nez’s study of 15-M and Podemos shows that there is a variety of visions of representation within the movement that are in tension, and that the desire to put an end to mandate-representation is far from hegemonic (Nez 2020). Other works show that within the Gilets jaunes, participants do not expect go get rid of political representation but expect its profound renovation (Bedock et al. 2020b). Other authors still show that the vast majority of citizens do not perceive the different actors as incompatible, but support hybrid and complex democratic models in which political representation retains its full place (Pilet et al. 2020; Hibbing et al. 2023). Qualitative research confirms that many citizens do not devise alternatives to the current representative model even if they criticize it (Gourgues et al. 2021). As for elected representatives, the vast majority of them refuse to give citizens more than a consultative role outside the electoral process (Jacquet, Niessen, and Reuchamps 2022).

Although political representation is unsurpassable, the ways in which it should be organized are not consensual and call the current model into question. This is precisely the purpose of this thematic section. Drawing on the tools of political theory and political sociology, it aims to examine the way in which democratic actors (citizens, elected representatives, social movements, interest groups) define what representation should be, the role and autonomy of representatives, the qualities they should embody, and the role of citizens within the political system.

 

REFERENCES

Bedock, Camille, Loïc Bonin, Pauline Liochon, et Tinette Schnatterer. 2020. « Une représentation sous contrôle : visions du système politique et réformes institutionnelles dans le mouvement des Gilets jaunes ». Participations 28 (3): 221‑46.

Close, Caroline. 2020. « Rapport au système représentatif et soutien à la démocratie directe et délibérative. Analyse comparée des attitudes des élus nationaux en Europe ». Participations N° 26-27 (1): 193‑222.

Gourgues, Guillaume, Alice Mazeaud, Héloïse Nez, Jessica Sainty, et Julien Talpin. 2021. « Les français veulent-ils plus de démocratie ? Analyse qualitative du rapport des citoyens à la politique ». Sociologie 12 (1): 1‑19.

Hayat, Samuel. 2022. « Unrepresentative Claims: Speaking for Oneself in a Social Movement ». American Political Science Review 116 (3): 1038‑50.

Hibbing, John R., et Elizabeth Theiss-Morse. 2002. Stealth Democracy: Americans’ Beliefs About How Government Should Work. Cambridge ; New York: Cambridge University Press.

Jacquet, Vincent, Christoph Niessen, et Min Reuchamps. 2022. « Sortition, Its Advocates and Its Critics: An Empirical Analysis of Citizens’ and MPs’ Support for Random Selection as a Democratic Reform Proposal ». International Political Science Review 43 (2): 295‑316.

Manin, Bernard. 1995. Principes du gouvernement représentatif. Paris: Calmann-Lévy.

Nez, Héloïse. 2020. « Du 15M à Podemos : des légitimités en tension autour de la représentation ». In Etudier la légitimité démocratique au XXIe siècle, édité par Ludivine Damay et Vincent Jacquet, 95‑106. Louvain-la-Neuve: Editions Academia – L’Harmattan.

Pilet, Jean-Benoit, Damien Bol, Davide Vittori, et Emilien Paulis. 2022. « Public Support for Deliberative Citizens’ Assemblies Selected through Sortition: Evidence from 15 Countries ». European Journal of Political Research. https://doi.org/10.1111/1475-6765.12541.

Pilet, Jean-Benoit, David Talukder, Maria Jimena Sanhueza, et Sacha Rangoni. 2020. « Do Citizens Perceive Elected Politicians, Experts and Citizens as Alternative or Complementary Policy-Makers? A Study of Belgian Citizens ». Frontiers in Political Science 2. https://doi.org/10.3389/fpos.2020.567297.

Schuck, Andreas R. T., et Claes H. de Vreese. 2015. « Public Support for Referendums in Europe: A Cross-National Comparison in 21 Countries ». Electoral Studies 38 (juin): 149‑58.

Vittori, Davide. 2020. Il valore di uno. Il Movimento 5 Stelle e l’esperimento della democrazia diretta. Roma: Luiss University Press.

Werner, Hannah. 2020. « If I’ll Win It, I Want It: The Role of Instrumental Considerations in Explaining Public Support for Referendums ». European Journal of Political Research 59 (2): 312‑30.

NB : Les participant.e.s aux sessions seront également sollicité.e.s pour discuter un papier des autres participants à leur session.

Session 1 / Citoyens et visions de la représentation
Président de séance : Sébastien Rojon

Stéphanie Abrial, Florent Frasque (PACTE, Sciences po Grenoble), En finir avec le discours sur la « fatigue démocratique » ? Quand les enquêtes électorales de 2022 révèlent des citoyens français critiques, exigeants et plutôt prescripteurs à l’égard du système de représentation

Camille Bedock, Paul Le Derff (CED, Sciences po Bordeaux), Faire sens de la diversité des attentes institutionnelles des citoyens : une approche comparative par les méthodes mixtes

Jessy Bailly (Mesopolhis, Sciences po Aix/CEVIPOL, Université Libre de Bruxelles), Enjeux et limites du mandat interactif

Lucie Bouré (LIPHA, UPEC), Limites de la représentation, limites de la participation : imaginer les alternatives à la représentation

Bartolomeo  Cappellina, Dylan  Paltra, Christoph Wratil (Universität Wien), A multidimensional approach to citizens’ preferences for political representation: evidence from a mixed-methods study in five countries

Session 2 / Elus, mouvements sociaux et visions de la représentation
Présidente de séance : Camille Bedock

Hugo Bonin, Pasi Ihalainen, Zachris Haaparinne (Université de Jyväskylä – JYU), La démocratie des parlementaires, entre innovation et préservation : Perspectives historiques et comparatives – Allemagne, France et Royaume-Uni, 2000-2019

Lilian Hosteins (CED, Sciences po Bordeaux), Socialisation au métier d’élu et visions de la démocratie : la professionnalisation politique comme fabrique de l’élitisme ? Comparaison entre élus locaux français et italiens

Samuel Noguera (CED, Sciences po Bordeaux), Ecrire la représentation. Une étude des cahiers de doléance 2018-2019

Sacha Rangoni (CEVIPOL, Université Libre de Bruxelles), “Try it, you’ll (don’t) like it” : les attitudes de élus face à l’institutionnalisation des mini-publics délibératifs

Sixtine Van Outryve (UCLouvain), La démocratie directe d’assemblées en lieu et place de la démocratie représentative ? Représentation consciente et inconsciente chez les Gilets jaunes de Commercy

ABRIAL Stéphanie stephanie.abrial@iepg.fr

BEDOCK Camille c.bedock@sciencespobordeaux.fr

BAILLY Jessy jessy.bailly@yahoo.fr

BONIN Hugo hugo.cg.bonin@gmail.com

BOURÉ Lucile boure.lucile@u-pec.fr

CAPPELLINA Bartolomeo bartolomeo.cappellina@gmail.com

FRASQUE Florent florent.frasque@umrpacte.fr

HOSTEINS Lilian lilian.hosteins@scpobx.fr

LE DERFF Paul p.lederff@live.fr

NOGUERA Samuel samuel.noguera@scpobx.fr

RANGONI Sacha  Sacha.Rangoni@ulb.be

ROJON Sébastien Sebastien.Rojon@ulb.be

VAN OUTRYVE Sixtine sixtine.vanoutryve@uclouvain.be