le portail de la science politique française
Responsables scientifiques :
Lorenzo Barrault-Stella (CNRS, CRESPPA-CSU – Université Paris 8) lorenzo.barrrault-stella@cnrs.fr
Florent Pouponneau (Université de Toulouse Capitole – IDETCOM) f.pouponneau@gmail.com
Cette section propose de réunir des travaux contribuant à l’étude de la perpétuation du pouvoir politique dans une perspective peu commune. Le plus souvent, les travaux prennent appui sur une conception de la domination en termes d’autorité, attribuée à M. Weber : on considère que l’État, et plus largement l’ordre politique et social, reposent sur la croyance chez les gouvernés en la légitimité des gouvernants[1]. D’autres ressorts de l’acceptation du pouvoir gagnent pourtant à être explorés, d’autant que l’objectivation des croyances des gouvernés pose des difficultés méthodologiques[2]. Dans une conception plus horizontale de la légitimation, M. Dobry considère que ce sont les « transactions collusives » entre les gouvernants de différents secteurs qui sont productrices de légitimité, indépendamment des croyances des gouvernés[3]. On peut également penser autrement les relations entre gouvernants et gouvernés en s’intéressant aux calculs de ces derniers. Pour Weber, la domination se joue aussi par l’effet de « constellations d’intérêts », c’est-à-dire dans la rencontre d’intérêts hétérogènes (notamment en situations de monopole) : les dominés obéissent dans leurs intérêts sans que les dominants aient forcément la volonté de dominer. En ce sens, des travaux relatifs à des régimes autoritaires[4] ou à la politique internationale[5] ont souligné que les contraintes de la domination pouvaient être compensées par des bénéfices.
En réunissant des travaux portant sur divers contextes (autoritaires, démocratiques ou autres), des échelles d’analyse (locale, nationale, internationale) et des méthodes variées, cette ST revisite la consistance de la domination politique sans la réduire à une affaire de croyance des gouvernés. Plusieurs pistes sont envisagées et d’autres manières de faire sont recherchées. Il peut d’abord s’agir d’interroger la manière dont les gouvernants structurent les situations de domination[6]. La séquence des gilets jaunes pourrait constituer un terrain fécond pour étudier la lucidité ou le sens pratique des gouvernants qui peuvent, en période de crise, ménager les intérêts de secteurs stratégiques (militaires, policiers, juges) comme ceux de certains gouvernés. Les transformations en cours de la politique internationale apparaissent, quant à elles, propices à l’exploration des rivalités entre gouvernements pour l’entretien de relations de clientèle. Il peut aussi s’agir de congédier l’opposition entre les conceptions verticale et horizontale de la légitimation en faisant l’hypothèse que la solidité des transactions collusives dépend pour partie des rapports des gouvernants aux autres groupes sociaux, et par exemple de l’existence de protestations des gouvernés. Il peut enfin s’agir de mettre au travail une autre hypothèse wébérienne quant aux « croyances en troisième personne »[7] : non le fait de croire soi-même qu’un pouvoir est légitime, mais le fait de croire que les autres gouvernés y croient (ou font comme si) et qu’il convient de se comporter comme si l’on y croyait (par exemple pour éviter les coûts de l’isolement ou du désaccord[8]).
This section proposes to bring together research contributing to the study of the perpetuation of political power from an uncommon perspective. Most often, researches are based on a conception of domination in terms of authority, attributed to M. Weber: the State, and more broadly the political and social order, are considered to be based on the belief of the governed in the legitimacy of the rulers (Weber, 1921). However, there are other reasons for the acceptance of power that need to be explored, especially as the objectification of the beliefs of the governed poses methodological difficulties (Scott, 1990; Mariot, 2006). In a more horizontal conception of legitimization, M. Dobry considers that it is the « collusive transactions » between rulers in different sectors that produce legitimacy, independently of the beliefs of the governed (Dobry, 2003). Another way of thinking about the relationship between rulers and ruled is to look at the latter’s calculations. For Weber, domination is also the result of « constellations of interests », i.e. the meeting of heterogeneous interests (particularly in situations of monopoly): the dominated obey in their interests, without the dominators necessarily having the will to dominate. In this sense, studies of authoritarian regimes (Hibou, 2006; Rowell, 2006) and international politics (Galtung, 1971; Bayart, 1999; Dezazlay, Garth, 2002) have shown that the constraints of domination can be offset by benefits.
By bringing together studies on a variety of contexts (authoritarian, democratic or other), scales of analysis (local, national, international) and methods, this section revisits the consistency of political domination without reducing it to a matter of belief by the governed. Several options are envisaged, and other ways of doing things are sought. First, it may involve questioning the way in which those in power structure situations of domination (Barrault-Stella, 2021). The “gilets jaunes” sequence could provide fertile ground for studying the lucidity or practical sense of rulers who can, in times of crisis, spare the interests of strategic sectors (military, police, judicial) as well as those of certain governed. Ongoing transformations in international politics, for their part, appear to be conducive to the exploration of rivalries between governments for the maintenance of client relationships. It may also involve dismissing the opposition between vertical and horizontal conceptions of legitimation, by hypothesizing that the solidity of collusive transactions depends in part on the relationship between rulers and other social groups, and, for example, on the existence of protests from the governed. Finally, we can put to work another weberian hypothesis concerning « third-person beliefs » (Giry, Heurtin, 2018): not the fact of believing oneself that a power is legitimate, but the fact of believing that the other governed believe it (or do as if), and that we should behave as if we believed it (for example, to avoid the costs of isolation or disagreement, Ermakoff, 2008).
REFERENCES
– Barrault-Stella Lorenzo, « Addendum. Propositions pour des analyses processuelles et relationnelles des contributions de l’État aux (dés)investissements politiques », Revue Française de Science Politique, 71 (5-6), 2021, p. 827-846.
– Bayart Jean-François, « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internationale, 5, 1999, p. 97-120.
– Dezalay Yves, Garth Bryant, La mondialisation des guerres de palais, Paris, Seuil, 2002.
– Dobry Michel, « Légitimité et calcul rationnel. Remarques sur quelques “complications” de la sociologie de Max Weber », in P. Favre, J. Hayward et Y. Schemeil (dir.), Être gouverné, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 127-147.
– Ermakoff Ivan, Ruling Oneself Out: a Theory of Collective Abdications, Durham, Duke University Press, 2008.
– Galtung Johan, « A Structural Theory of Imperialism », Journal of Peace Research, 8 (2), 1971, p. 81-117.
– Giry Johan, Heurtin Jean-Philippe, « Le règne de l’administration », in B. Karsenti, D. Linhardt (dir.), État et société politique, Paris, Editions de l’EHESS, 2018, p. 227-257.
– Hibou Béatrice, La force de l’obéissance, Paris, La Découverte, 2006.
– Mariot Nicolas, Bains de foule, Paris, Belin, 2006.
– Rowell Jay, Le totalitarisme au concret, Paris, Economica, 2006.
– Scott James C., Domination and the Arts of Resistances, New Haven, Yale University Press, 1990.
– Weber Max, Économie et Société, tome 1 : Les catégories de la sociologie, Paris, Pocket, 2008 [1921].
[1] Max Weber, Economie et Société, tome 1 : Les catégories de la sociologie, Paris, Pocket, 2008 [1921].
[2] James C. Scott, Domination and the Arts of Resistances, New Haven, Yale University Press, 1990 ; Nicolas Mariot, Bains de foule, Paris, Belin, 2006.
[3] Michel Dobry, « Légitimité et calcul rationnel. Remarques sur quelques “complications” de la sociologie de Max Weber », in P. Favre, J. Hayward et Y. Schemeil (dir.), Être gouverné, Paris, Presses de Sciences Po, 2003.
[4] Béatrice Hibou, La force de l’obéissance, Paris, La Découverte, 2006 ; Jay Rowell, Le totalitarisme au concret, Paris, Economica, 2006.
[5] Johan Galtung, « A Structural Theory of Imperialism », Journal of Peace Research, 8 (2), 1971, p. 81-117, Jean-François Bayart, « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internationale, 5, 1999, p. 97-120 ; Yves Dezalay, Bryant Garth, La mondialisation des guerres de palais, Paris, Seuil, 2002.
[6] Lorenzo Barrault-Stella, « Addendum. Propositions pour des analyses processuelles et relationnelles des contributions de l’État aux (dés)investissements politiques », Revue Française de Science Politique, 71 (5-6), 2021, p. 827-846.
[7] Johan Giry, Jean-Philippe Heurtin, « Le règne de l’administration », in B. Karsenti, D. Linhardt (dir.), État et société politique, Paris, Éditions de l’EHESS, 2018.
[8] Ivan Ermakoff, Ruling Oneself Out: a Theory of Collective Abdications, Durham, Duke University Press, 2008.
Session 1
Lorenzo Barrault-Stella (CNRS, CRESPPA-CSU – Université Paris 8), Florent Pouponneau (Université de Toulouse Capitole – IDETCOM), Retour sur la consistance de la domination politique par constellation d’intérêts : jeux d’échelles sur les rapports à l’État et les rapports entre États
Thomas Ramonda (MESOPOLHIS), Quand les gouvernés soutiennent les gouvernants en chute : étude des stratégies d’investissement des populations dans le soin des soldats durant les défaites napoléoniennes (1813-1814)
Guillaume Cornu (CESSP), Le texte caché de l’Élysée. Désillusions et illusio au service d’un élu charismatique
Discutante : Béatrice Hibou (CERI)
Session 2
Marion Clerc (IRISSO), Amélie Carrier (IRISSO), Pierre-Yves Baudot (IRISSO), Comment nous sommes-nous confiné⋅es ? Penser la conformation comme un apprentissage
Vanille Laborde (MESOPOLHIS), Jouer le jeu sans y croire. Les fonctionnaires face aux politiques de laïcité scolaire, entre délégitimation des prescriptions et conformation stratégique
François Buton (TRIANGLE), Cécile Jouhanneau (Art-Dev), Emmanuelle Reungoat (CEPEL), Éviter la politique et croire au politique ? Le cas des Gilets jaunes primo-contestataires
Discutante : Assia Boutaleb (CESSP)
BARRAULT-STELLA Lorenzo lorenzo.barrrault-stella@cnrs.fr
BAUDOT Pierre-Yves pierre-yves.baudot@dauphine.psl.eu
BOUTALEB Assia assia.boutaleb@univ-paris1.fr
BUTON François francois.buton@ens-lyon.fr
CARRIER Amélie amelie.carrier@dauphine.psl.eu
CLAIR Marion marion.clerc@dauphine.psl.eu
CORNUGuillaume guillaumebp.cornu@gmail.com
HIBOU Béatrice beatrice.hibou@sciencespo.fr
JOUHANNEAU Cecile cecile.jouhanneau@univ-montp3.fr
LABORDE Vanille vanille.laborde@gmail.com
POUPONNEAU Florent f.pouponneau@gmail.com
RAMONDA Thomas thomas.ramonda@gmail.com
REUNGOAT Emmanuelle emmanuelle.reungoat@umontpellier.fr