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ST 12

De la crise à l’utopie : enjeux écologiques et renouvellements démocratiques

From crisis to utopia: ecological challenges and democratic renewal

Responsables scientifiques :

Martin Breaugh (Université York,Toronto) mbreaugh@yorku.ca
Audric Vitiello (Université de Tours) audric.vitiello@univ-tours.fr

 

La crise écologique induit une crise politique, et plus spécifiquement une crise démocratique. Face aux doutes croissants sur la capacité des systèmes démocratiques actuels à relever ce défi, face au risque de « l’assèchement des possibles » (Villalba 2017) par les nécessités environnementales, qui pourrait déboucher sur une « écologie autoritaire » (Flipo, 2017 ; Bourg et al., 2019), la démocratie est appelée à se renouveler pour devenir écologique et recouvrer sa capacité à « l’auto-limitation » (Castoriadis, 2014 ; Arnsperger, Bourg, 2017).

La théorie politique souligne de longue date que la prise en compte des enjeux écologiques implique des transformations significatives de nos conceptions et de nos institutions démocratiques (Dobson, Lucardie, 1993 ; Dobson, 1998 ; Eckersley, 2004 ; Bourg, Whiteside, 2010). Le souci de voir les enjeux écologiques mieux intégrés à l’arène politique a ainsi motivé diverses propositions de réformes des institutions représentatives, telles que la création d’une « Académie du futur » (Rosanvallon, 2009), d’une « Assemblée citoyenne du futur » (Bourg et al., 2017), ou encore d’un « Parlement des choses » (Latour 2018). Plus concrètement, les processus politiques ont vu émerger des dispositifs novateurs, tels que les « forums hybrides » organisant le débat public sur les questions technoscientifiques (Callon, Lascoumes, Barthes, 2001), ou plus récemment les Conventions citoyennes, mettant en œuvre des mini-publics délibératifs pour orienter la décision politique (Pech, 2021 ; Landemore, Fourniau, 2022).

Pour autant, ces propositions et ces évolutions sont loin de résumer l’ensemble des perspectives ouvertes par la crise environnementale, et elles ne semblent pas satisfaire une large partie des acteurs mobilisés par les causes écologiques. Loin de constituer un mouvement homogène, l’élaboration théorique et pratique d’une démocratie écologique reste « indisciplinée » (Fourniau et al, 2022) : elle donne lieu à un fourmillement d’idées et d’innovations, qui se déploient bien au-delà des champs académiques ou politiques institués. L’ampleur des changements induits par la crise écologique peut angoisser et paralyser ; elle peut aussi stimuler l’imagination et la créativité, donnant naissance à des projets radicaux de transformation sociale et politique. En témoigne la multiplication des œuvres de fiction et d’anticipation sur le sujet, ainsi que le retour en force du concept de « l’utopie », entendu moins comme un modèle idéal à appliquer que comme une puissance émancipatrice, une ouverture des possibles à l’imagination et à la création (Abensour 2012 ; Wright, 2017 ; Laville, Riot-Sarcey, 2020).

Une grande partie des acteurs engagés dans la cause écologique se détourne de la politique institutionnelle, pour privilégier des modalités d’organisation et d’action alternatives, parfois oppositionnelles, parfois propositionnelles et constructives. Le renouvellement démocratique induit par l’enjeu écologique se joue aussi ici, dans cette démocratie « sauvage » (Lefort, 2010) et protéiforme où s’imaginent, s’élaborent et s’expérimentent des formes novatrices de démocratie. C’est cette perspective que la présente section thématique entend explorer, en interrogeant les nouveau(x) imaginaire(s) et les potentiel(s) démocratique(s) qui innervent les pratiques motivées par les causes écologistes, qu’elles soient individuelles ou collectives, qu’elles s’inscrivent dans une logique de contestation des pouvoirs actuels ou de construction d’alternatives sociales écologiques.

 

The ecological crisis opens to a political crisis, and more specifically a crisis of democracy. Faced with growing doubts about the ability of current democratic systems to meet this challenge, faced with the risk of « the drying up of the possible » (Villalba 2017) by environmental necessities, which could lead to an « authoritarian ecology » (Flipo, 2017; Bourg et al., 2019), democracy is called upon to renew itself in order to become ecological and recover its capacity for « self-limitation » (Castoriadis, 2014; Arnsperger, Bourg, 2017).

Political theory has long stressed that taking ecological issues into account implies significant transformations in our democratic conceptions and institutions (Dobson, Lucardie, 1993; Dobson, 1998; Eckersley, 2004; Bourg, Whiteside, 2010). The imperative to see ecological issues better integrated into the political arena has thus motivated various proposals to reform representative institutions, such as the creation of an « Academy of the Future » (Rosanvallon, 2009), a « Citizens’ Assembly of the Future » (Bourg et al., 2017), or a « Parliament of Things » (Latour 2018). More concretely, political processes have seen the emergence of innovative devices, such as « hybrid forums » organizing public debate on technoscientific issues (Callon, Lascoumes, Barthes, 2001), or more recently Citizens’ Conventions, implementing deliberative mini-publics to guide political decision-making (Pech, 2021; Landemore, Fourniau, 2022).

However, these proposals and developments are far from exhausting the perspectives opened up by the environmental crisis, and they do not seem to satisfy a large proportion of the actors mobilized by ecological causes. Far from constituting a homogeneous movement, the theoretical and practical elaboration of an ecological democracy remains « undisciplined » (Fourniau et al, 2022): it gives rise to an abundance of ideas and innovations, which extend far beyond instituted academic or political fields. The scale of the changes brought about by the ecological crisis can be frightening and paralyzing, but it can also stimulate imagination and creativity, giving rise to radical projects for social and political transformation. For example, the proliferation of works of fiction and anticipation on the subject, as well as the resurgence of the concept of « utopia », understood less as an ideal model to be applied than as an emancipatory power, an opening up of possibilities to imagination and creation (Abensour 2012; Wright, 2017; Laville, Riot-Sarcey, 2020).

A large proportion of actors committed to the ecological cause are turning away from institutional politics, in favor of alternative modes of organization and action, sometimes oppositional, sometimes propositional and constructive. The democratic renewal brought about by the ecological challenge is also at stake here, in this « wild » (Lefort, 2010) and protean democracy, where innovative forms of democracy are being imagined, developed and experimented with. This is the perspective that the present thematic section intends to explore, by questioning the new imaginary(s) and democratic potential(s) that innervate practices motivated by environmental causes, whether they be individual or collective, and whether they are part of a logic of contesting current powers or of building social alternatives based on ecological principles.

 

REFERENCES

Abensour, M. (2012). Utopiques 1 : le procès des maîtres rêveurs, Paris, Sans & Tonka.

Arnsperger, C., Bourg, D. (2017). Ecologie intégrale : pour une société permacirculaire, Paris, PUF.

Bourg, D., Whiteside, K. (2010). Vers une démocratie écologique : le citoyen, le savant et le politique, Paris, Seuil

Bourg, D. et al. (2017). Inventer la démocratie du XXIe siècle : l’Assemblée citoyenne du futur, Paris, Les Liens qui Libèrent.

Callon, M., Lascoumes, P., Barthes, Y. (2001). Agir dans un monde incertain : essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil.

Castoriadis, C. (2014), De l’écologie à l’autonomie, Paris, Le Bord de l’eau.

Dobson, A., Lucardie, P. (dir). (1993). The Politics of Nature : Exploration in Green Political Theory, New-York, Routledge.

Dobson, A. (1998). Justice and the Environment : Conceptions of Environmental Sustainability and Dimensions of Social Justice, Oxford, Oxford University Press.

Eckerseley, R. (2004). The Green State : Rethinking Democracy and Sovereignty, Cambridge, MIT Press.

Fourniau, J-M. et. al. (2022), La démocratie écologique : une pensée indisciplinée, Paris, Hermann

Landemore, H., Fourniau, J-M. (2022). « Les assemblées citoyennes, une nouvelle forme de représentation démocratique ? », Participations, n°34, p.5-36.

Latour, B. (2018). « Esquisse d’un Parlement des choses », Ecologie & politique n°56, p.47-64

Laville, J-L., Riot-Sarcey, M. (2020). Le réveil de l’utopie, Paris, L’Atelier.

Lefort, C. (2010). Le temps présent : écrits 1945-2005, Paris, Belin.

Pech, T. (2021). Le Parlement des citoyens : la Convention citoyenne sur le climat, Paris, Seuil

Rosanvallon, P. (2009). « Sortir de la myopie des démocraties », Le Monde, 7 décembre 2009

Villalba, B. (2017). « L’assèchement des choix : pluralisme et écologie », La pensée écologique, n°1.

Wright, E.O. (2017). Utopies réelles, Paris, La Découverte.

Session 1 / La démocratie à travers les pratiques de luttes pour l’écologie.
Président / discutant : Audric Vitiello

Martin Breaugh (Université York de Toronto), Ouverture : crise et utopie.

Réjane Sénac (CNRS / CEVIPOF), La démocratie à l’épreuve de la justice écologique et de l’antispécisme

Yohan Dubigeon (Université de Saint-Etienne), Entre utopies concrètes et action directe : quelle stratégie critique pour les « nouvelles » formes de politisation à l’écologie ?

Marta Tramezzani (Sciences Po / CEE), Lier démocratie et écologie au sein des communautés d’énergie

Erwan Sommerer (Université d’Angers), « Communisme de guerre » ou territorialité des mobilisations démocratiques ? Le débat théorique et stratégique sur le « tournant autoritaire » dans les luttes écologistes

Session 2 / La démocratie comme moyen et comme fin de l’écologie.
Président / discutant : Martin Breaugh

Pierre-Etienne Vandamme (FNRS / Université libre de Bruxelles), Institutionnaliser l’état d’urgence écologique

Paula Cossart (Université de Lille); Sixtine Van Outryve (Université de Louvain), Le communalisme comme politique de l’écologie sociale : quelle place pour Bookchin dans le mouvement écologique ?

Guillaume Fauvel (Université de Rennes), La puissance utopique de l’écologie libertaire : vers un « ré-empuissantement » politique

Olivier Ruchet (Université Paris 2), Hélène Thiollet, (CNRS / CERI), Sortir de l’emprise majoritaire : esquisse d’un renouvellement démocratique et écologique

Samuel De Brouwer (Université York de Toronto), Crise écologique et mutation démocratique : repenser la démocratie à l’ère de l’Anthropocène

BREAUGH Martin mbreaugh@yorku.ca

COSSART Paula paula.cossart@univ-lille.fr

DE BROUWER Samuel sdebrouw@yorku.ca

DUBIGEON Yohan yohan.dubigeon@univ-st-etienne.fr

FAUVEL Guillaume guillaume.fauvel01@orange.fr

RUCHET Olivier olivier.ruchet@u-paris2.fr

SENAC Réjane rejane.senac@sciencespo.fr

SOMMERER Erwan erwan.sommerer@univ-angers.fr

THIOLLET Hélène helene.thiollet@sciencespo.fr

TRAMEZZANI Marta marta.tramezzani@sciencespo.fr

VAN OUTRYVE Sixtine sixtine.vanoutryve@uclouvain.be

VANDAMME Pierre-Etienne pierre-etienne.vandamme@kuleuven.be

VITIELLO Audric audric.vitiello@univ-tours.fr