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ST 45

Politique(s) de l’interdiction. Étudier les configurations de prohibition et de sortie de la prohibition

The politics of prohibition. Studying the configurations of prohibition and exit from prohibition

Responsables scientifiques :  

Ivana Obradovic (OFDT – CESSP – CESDIP) ivana.obradovic@ofdt.fr
Anne-France Taiclet (Université Paris 1 – CESSP) aftaiclet@univ-paris1.fr

 

Figure centrale des pratiques de gouvernement, propriété fondamentale du pouvoir d’État, l’interdiction est un instrument volontiers envisagé dans la régulation politique de certains domaines, comme la santé et l’environnement (produits chimiques tels que pesticides, plastiques, molécules pharmaceutiques ou psychotropes, moteurs thermiques, énergies fossiles, usages de certains espaces, procédés de production, etc.). Symétriquement, les processus de légalisation connaissent au 21è siècle une dynamique forte (cannabis, don d’organes, euthanasie, jeux d’argent en ligne, PMA et GPA…). Par ailleurs, certaines pratiques, typiquement l’avortement, peuvent donner lieu à des processus contradictoires, dans le temps (libéralisation dans les années 1970 et prohibition aujourd’hui) et dans l’espace (tendance restrictive aux Etats-Unis versus dépénalisation au Mexique).

Si les usages politiques de l’interdiction comme instrument symbolique de résolution d’une crise sont bien connus (Henry, 2004), le projet de la ST est d’élargir l’appréhension de l’interdiction comme instrument politique, notamment en conjoncture routinière (hors situations d’exception, d’état d’urgence, ou critiques), dans les régimes démocratiques. La ST propose d’interroger, dans une perspective comparative, les processus socio-politiques qui se déploient autour de l’interdiction, qu’il s’agisse d’y recourir ou d’en sortir, comme modalité de gouvernement. Nous souhaitons mettre en discussion des contributions portant sur des objets et des secteurs variés, dans des contextes politiques et nationaux également diversifiés, l’objectif étant de réfléchir, par les régularités et les contrastes, aux propriétés caractéristiques des configurations d’interdiction.

Axe 1 – Interdire ou autoriser : configurations décisionnelles

La ST invite à s’intéresser aux processus et aux mobilisations socio-politiques qui conduisent à des décisions d’interdiction ou de levée de l’interdiction, avec un intérêt particulier pour les trajectoires des énoncés d’interdiction (Zittoun et Chailleux, 2021) ou de légalisation, les jeux d’échelles, ainsi que pour les luttes de cadrages. S’agissant du contrôle des drogues, on a pu observer que la diversification des qualifications d’un produit pouvait porter un processus de complexification favorable à sa libéralisation (cas du cannabis, Obradovic 2022) ou au contraire nourrir une entreprise d’encerclement visant sa disparition comme bien courant (cas du tabac, Taiclet 2023). Les controverses autour de l’interdiction donnent lieu à des agencements particuliers de registres argumentatifs (moral/scientifique ou evidence-based, Levesque 2022) ou d’angles (économique, environnemental, justice sociale, libertés fondamentales, restauration de l’ordre…). Les contributions pourront ainsi comparer les registres de justification politique de l’interdiction ou de la légalisation, et s’interroger sur ce qui rend possible et acceptable le recours à l’interdiction plutôt, par exemple, qu’au répertoire du gouvernement des conduites (Dubuisson-Quellier, 2016) ? Symétriquement, il s’agira, de saisir les luttes permettant de réduire la portée de l’interdiction : obtention de délais, reports, dérogations, exceptions, ou encore stratégies d’accommodement (ex : « moralisation ») permettant d’échapper à l’interdiction et de persister.

Dans cet axe, nous souhaitons interroger particulièrement la politisation de ces processus : peut-on repérer des répertoires prohibitionnistes et anti-prohibitionnistes caractéristiques des organisations partisanes en fonction de leur position dans une configuration politique concurrentielle et inégale, des groupes sociaux qu’elles prétendent représenter, des modèles étatiques qu’elles défendent ? Comment le plaidoyer pour l’interdiction/la légalisation est-il mis en politique, notamment sur le marché électoral ? Peut-on identifier des agendas (anti-)prohibitionnistes partisans typiques de mouvements conservateurs ou progressistes ?

Axe 2 – Qu’est-ce qu’un régime de prohibition ? L’interdiction en pratiques

Il s’agit ici de s’interroger sur les configurations qui se déploient pour donner une consistance (variable) à l’interdiction. La ST cherchera à répertorier des « arts d’interdire » en documentant les modalités pratiques de gouvernement de l’interdit. Cela peut concerner les dispositifs (par exemple, la diversification des instruments d’application de la loi et de la justice pénale, à l’instar de l’amende forfaitaire délictuelle, Daillère, 2022) tout comme les agents sociaux de l’interdiction, au-delà des agents étatiques habilités. Qui sont les alliés visibles (groupes militants, lanceurs d’alerte, plaignants…) mais aussi les relais discrets (citoyens surveillants, professionnels de terrain) du rappel à l’ordre prohibitionniste ?

Un intérêt particulier de la ST résidera dans l’examen des situations de « quasi-prohibition », i.e. des dispositifs qui, tout en n’interdisant pas formellement, rendent impossible ou visent l’éradication, fût-ce graduellement. On peut penser à « l’interdiction par l’autorisation » (Boullier, 2019), aux politiques d’extinction (Taiclet, 2021), aux TRAP laws états-uniennes (Austin et Harper, 2018) dont les exigences réglementaires inatteignables produisent de facto des déserts médicaux en matière d’IVG.

Axe 3 – De la prohibition à la régulation : ce que légaliser veut dire

Il s’agit ici de réfléchir aux configurations de déverrouillage de l’interdit, particulièrement quand elles passent par le développement d’un marché. La suppression de l’infraction pénale attachée à une pratique ou de l’interdit légal appliqué à un produit est loin d’épuiser la compréhension des situations de sortie de la prohibition. La légalisation peut être envisagée comme une recomposition du contrôle, de l’encadrement et du dosage de la pénalité. Au-delà d’une simple dichotomie interdit/autorisé (Bergeron, Nouguez, 2014), il s’agit de comprendre la reconfiguration des compromis entre efficacité économique, enjeux fiscaux et préoccupations morales (Trespeuch, 2019). La ST s’intéressera ainsi à un aspect majeur de la légalisation, celui de l’organisation et de la régulation du ou des marchés qui lui sont associés (Obradovic, 2022).

 

A central feature of governmental practices and a fundamental property of state power, prohibition is an instrument readily envisaged in the political regulation of certain fields, such as public health and the environment (targeting chemical products such as pesticides, plastics, pharmaceutical or psychotropic molecules, fossil fuels, the use of certain spaces, production processes, etc.). Symmetrically, legalization processes are experiencing strong momentum in the 21st century (e.g., cannabis, organ donation, euthanasia, online gambling, medically assisted procreation and surrogacy, etc.). In addition, certain practices, such as abortion, can give rise to contradictory processes, both in time and space.

From a comparative perspective, the ST proposes to examine the socio-political processes that unfold around prohibition, whether to resort to it or to get out of it, as a modality of government in the routine conjuncture of democratic regimes. Our aim is to discuss contributions on a variety of objects and sectors, in equally diverse political and national contexts, with the aim of reflecting, through regularities and contrasts, on the characteristic properties of configurations of (de)prohibition.

Papers may contribute to one of the following three areas:

  1. To ban or not to ban? The political decision-making processes

The ST invites takes an interest in the socio-political processes and mobilizations that lead to decisions to ban or lift bans (Obradovic, 2018), with a particular focus on the interplay of scales and framing struggles (Zittoun & Chailleux, 2021). Contributions will thus be able to compare the registers of political justification for bans and question what makes recourse to bans possible and acceptable (rather, for example, than to the repertoire of the “conduct of conduct” (Dubuisson-Quellier, 2016)? Symmetrically, we will be looking at struggles to reduce the scope of the ban (delays or postponements, derogations or exceptions, or even “moralizing” strategies allowing to escape the ban and persist).

In this section, we would like to focus on the politicization of these processes. How is advocacy of prohibition/legalization put into politics, particularly on the electoral market? Can we identify partisan (anti-)prohibitionist agendas typical of conservative or progressive movements?

  1. Prohibition in practices

The ST will seek to identify the « arts of prohibition » by documenting the practical ways in which prohibition is governed. This may involve mechanisms (for example, the diversification of law enforcement and criminal justice instruments (Gautron, Retière, 2014)) as well as the social agents of prohibition, beyond authorized state agents. Who are the visible allies (activist groups, whistle-blowers, complainants, …) but also the discreet relays (citizen monitors, field professionals) of the prohibitionist call to order?

The ST will be particularly interested in examining situations of « quasi-prohibition », i.e. systems which, while not formally prohibiting, make a practice impossible or orchestrate eradication, albeit gradually, as in « prohibition through authorization » (Boullier, 2019), extinction policies (Taiclet, 2021), or U.S. TRAP laws (Austin and Harper, 2018), whose unattainable regulatory requirements de facto produce medical deserts in the field of abortion.

  1. From prohibition to regulation: what legalizing means

The aim here is to consider the ways in which prohibition can be lifted, particularly when this is achieved through the development of a market. Eliminating the criminal offence attached to a practice or the legal prohibition applied to a product is far from exhausting our understanding of situations in which bans are lifted. Legalization can be seen as a recomposition of control, supervision and the dosage of sanctions. Beyond a mere prohibited/authorized dichotomy (Bergeron, Nouguez, 2014), we need to understand the reconfiguration of trade-offs between economic efficiency, fiscal stakes, and moral concerns (Trespeuch, 2019). The ST will thus focus on a major aspect of legalization, that of the organization and regulation of the market(s) associated with it (Obradovic, 2022).

 

REFERENCES 

Austin N, Harper S., « Assessing the impact of TRAP laws on abortion and women’s health in the USA”, BMJ Sex Reprod Health 2018;44:128–134.

Bergeron H., Nouguez E., “Les frontières de l’interdit. Le commerce de cannabis » in Steiner P., Trespeuch M., Marchés contestés. Quand le marché rencontre la morale, Presses universitaires du Mirail, 2014.

Boullier, 2016, Toxiques légaux. Comment les firmes chimiques ont mis la main sur le contrôle de leurs produits, La Découverte, 2019.

Daillère A., « L’amende forfaitaire, arme du (non)droit », Champ pénal/Penal Field, 26, 2022

Dubuisson-Quellier S. (dir.), Gouverner les conduites, Presses de Sciences Po, 2016

Obradovic I., Le cannabis, La Découverte, collection Repères, 2022

Obradovic I., « Vers la fin de la prohibition ? Convergences et disparités des initiatives de régulation du cannabis aux États-Unis », Politique américaine, n°30, 2018

Taiclet A-F., « Du temps concédé. L’allongement temporel comme produit des luttes politiques autour des restructurations du secteur public : le cas de l’extinction des charbonnages en France », Gouvernement et action publique, 2021/2, p. 89-111.

Trespeuch M., « Le marché des jeux d’argent : une concurrence sous contrôle », Regards croisés sur l’économie, n°25, 2019, p. 115-125.

Zittoun P., Chailleux S., L’État sous pression. Enquête sur l’interdiction française du gaz de schiste, Paris, Presses de Sciences Po, 2021.

Session 1
Présidente de séance : Ivana Obradovic (Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) – Université Paris 1 – CESSP (doctorante en science politique)
Discutant.e : À déterminer

Pierre-Édouard Weill (Université de Bretagne Occidentale – Lab-LEX (EA 7480/UBO-UBS) & SAGE, UdS), Art interdit/Arts d’interdire. Les politiques anti-graffiti en France (1991-2021)

Aline Daillère (Université Paris-Saclay – Cesdip / CRIS, Sciences Po), L’art d’interdire à tout prix. L’amende forfaitaire délictuelle ou la répression coûte que coûte

Antoine Lévêque (Université Paris-Est, Créteil – Lab’Urba), Interdire les mobilités polluantes : où, quand et pour qui ? Négociations autour des ZFE-m des agglomérations lyonnaise et parisienne

Keyvan Ghorbanzadeh (Université Paris 1 – CESSP), Une interdiction acceptable car sans effet. L’euphémisation des mesures d’interdiction de publicité pour les produits polluants

Guillaume Gourgues (Université Lyon 2 – TRIANGLE), Autoriser pour ne plus (jamais) interdire ? Le rôle paradoxal de l’inspection du travail française dans l’autorisation administrative de licenciement (1975-1986)

Session 2
Présidente de séance : Anne-France Taiclet (Université Paris 1 – CESSP)
Discutant.e : À déterminer

Luis Rivera-Velez (Centre d’études mexicaines et centraméricaines (CEMCA), Mexique), La Cour suprême et la légalisation paradoxale du cannabis au Mexique : les doubles standards dans la reconnaissance des droits

Marie Trespeuch (Sorbonne Université (en délégation à l’INED- UR14), Des intermédiaires de marché aux frontières de l’interdit : une comparaison entre jeux d’argent et gestation pour autrui

Mischa Dekker (KU Leuven, Belgique), Instruments juridiques et cadrages des violences sexuelles : Les parcours contrastés de l’interdiction du harcèlement de rue en France et aux Pays-Bas

Marcela Alonso Ferreira (Sciences Po – Centre for European Studies and Comparative Politics), Les politiques de régularisation des quartiers informels : une analyse historique comparative de São Paulo et de Mexico

ALONSO FERREIRA Marcela marcela.alonsoferreira@sciencespo.fr

DAILLÈRE Aline daillere.aline@gmail.com

DEKKER Mischa mischa.dekker@kuleuven.be

GHORBANZADEH Keyvan keyvan.ghorbanzadeh@gmail.com

GOURGUES Guillaume guillaume.gourgues@univ-lyon2.fr

LÉVÊQUE Antoine antoine.n.leveque@gmail.com

OBRADOVIC Ivana ivana.obradovic@ofdt.fr

RIVERA-VELEZ Luis luis.riveravelez@sciencespo.fr

TAICLET Anne-France anne-france.taiclet@univ-paris1.fr

TRESPEUCH Marie marie.trespeuch@sorbonne-universite.fr

WEILL Pierre-Édouard pierreedouard.weill@univ-brest.fr