le portail de la science politique française

rechercher

ST13

Pour une sociologie des politiques pénitentiaires

For a Sociology of Prison Policies

Responsables scientifiques
Nicolas Fischer (CNRS/Cesdip) fischer@cesdip.fr
Valérie Icard (UVSQ/Cesdip/UPJV) valerie.icard@cesdip.fr
Alexia Venouil (UVSQ/Cesdip) alexia.venouil@cesdip.fr
Manon Veaudor (UVSQ/Cesdip) manon.veaudor@cesdip.fr

Le « tournant sécuritaire » dans lequel se sont engagées la plupart des démocraties depuis une trentaine d’années donne à l’incarcération et aux enjeux qui s’y rattachent une visibilité particulière. Pour autant, les politiques pénitentiaires – entendues comme l’ensemble des politiques publiques qui se rattachent au champ pénitentiaire, à ses institutions (prison, libération conditionnelle, placement sous surveillance électronique) à ses personnels et à ses publics – restent aujourd’hui peu analysées en science politique. Fortement développée depuis les années quatre-vingt, la sociologie carcérale française s’est essentiellement construite autour d’une perspective ethnographique « carcéralo-centrée », étudiant l’expérience carcérale des détenu.e.s (Chantraine 2004, Le Caisne 2008) ou les professions pénitentiaires (Chauvenet, Orlic et Benguigui 1994, Larminat 2014). Le rapport entre champ politique et champ carcéral n’a en revanche fait l’objet que d’un petit nombre d’études (Artières et Lascoumes 2004, Chabbal 2016, Salle 2009). Il en va de même pour l’organisation générale de l’administration pénitentiaire et ses évolutions récentes, jusqu’ici décrites dans une perspective surtout juridique (Froment et Kaluszynski 2011).
La première explication de ce délaissement tient à l’histoire même de la science politique : comme la justice, les politiques et les institutions pénitentiaires ont pâti de leur trop grande proximité avec les études juridiques, dont les politistes ont initialement cherché à se démarquer (Vauchez 2006). La centralité des politiques pénales – qui définissent les comportements répréhensibles et leur sanction – les relègue de même à une position purement « référentielle » dans l’action publique, expliquant aussi leur faible visibilité scientifique (Engueleguele 2002).
Cet oubli des politiques pénitentiaires par la science politique pose toutefois problème à plusieurs titres : non seulement parce qu’elles relèvent par excellence des concepts et des approches de la sociologie de l’action publique, mais aussi parce qu’elles ont été affectées par les transformations des politiques publiques depuis une trentaine d’années. La diffusion des normes du nouveau management public a tout d’abord mis fin à toute « spécificité » de l’administration pénitentiaire, désormais considérée comme une administration parmi d’autres (Froment et Kaluszynski 2011). Cette transformation s’est également traduite par une relative « ouverture » de l’institution pénitentiaire – habituellement jugée rétive à tout changement politique (Artières et Lascoumes 2004) – à travers la multiplication des organes de contrôle indépendants, la délégation de certaines missions au secteur privé et le rôle accru dévolu aux associations.
Enfin, l’étude de l’action publique pénitentiaire est aujourd’hui un champ de recherche émergeant en sociologie politique, porté notamment par de jeunes chercheur.e.s en sociologie politique. Dans ce contexte, la création d’une section thématique centrée sur la sociologie des politiques pénitentiaires vise tout d’abord à encourager les échanges et les synergies entre les politistes qui prennent aujourd’hui ces institutions pour objet. Au-delà, il s’agit également d’organiser le dialogue entre ces analyses et la sociologie de l’action publique, des institutions ou des mouvements sociaux. À travers ces échanges, il s’agira in fine de réinscrire pleinement l’étude des politiques pénitentiaires dans l’analyse plus générale de la régulation étatique du social : elles y constituent un secteur particulier de l’action publique, focalisé sur les populations incarcérées ou sous-main de justice, mais interagissant avec d’autres domaines (politiques sociales, politiques de santé) avec lesquels elles doivent donc être pensées.

La réflexion s’organisera autour de trois axes principaux :

1. La socio-histoire des politiques pénitentiaires :
Le recours à la socio-histoire constitue un premier point d’entrée dans notre problématique : il permettra de décrire l’institutionnalisation des politiques pénitentiaires, d’éclairer les ressorts de leur constitution en problème public mais aussi de leur relatif effacement, et pour finir la production des catégories et des instruments qui leur sont spécifiques.
Ce faisant, il s’agira aussi de réinterroger la résistance supposée de l’administration pénitentiaire au changement, en étudiant son alignement progressif sur le fonctionnement d’autres administrations. On pourra ainsi mettre en perspective le constat contemporain de la « juridicisation » de l’institution pénitentiaire ou de son « ouverture » sur l’espace public (Bouagga 2015). Dans ce cadre, on s’intéressera particulièrement au rôle de la critique, notamment d’origine associative, dans la production des réformes pénitentiaires : depuis les années 1970, la prison s’est en effet largement transformée à travers l’intégration à son fonctionnement même des thématiques initialement soulevées par ses dénonciateurs (Bérard 2014).

2. Les politiques pénitentiaires saisies par l’évolution contemporaine des politiques publiques :
Le deuxième axe interroge la pertinence d’une analyse des politiques pénitentiaires qui entend les saisir comme un secteur de l’action publique à part entière, possédant ses objets et ses instruments spécifiques. Quel est dans ce cas le poids respectif de l’administration centrale et des intermédiaires de l’action publique – les street-level bureaucrats – dans la définition et la conduite des réformes (Venouil 2014) ? Comment les référentiels contemporains de l’action publique sont-ils reçus et redéfinis dans ce secteur spécifique ?
Dans la même perspective, il s’agira d’interroger la réorientation des missions et des métiers de l’institution pénitentiaire face aux réformes structurelles de l’action publique. On pourra notamment envisager comment l’administration pénitentiaire, qui a accueilli les principes du nouveau management public avec circonspection (Froment & Kaluszynski 2011), s’adapte aux injonctions contemporaines en matière de rationalisation de l’action publique, et étudier leur impact sur ses missions de garde ou de réinsertion. Il en va de même pour l’impératif de « transparence », qui impose aux acteurs du champ pénitentiaire de concilier l’enfermement et le respect de la dignité humaine, tout en acceptant une série de « veilles » associatives, jurisprudentielles et administratives – celles du Défenseur des droits ou Contrôleur général des lieux de privation de liberté – sur la prison.
Enfin, on s’intéressera à la diffusion de pratiques et de modèles réformateurs à l’échelle européenne et internationale. Y a-t-il une circulation de « savoirs de gouvernement » sur la prison a-t-il une circulation de « savoirs de gouvernement » sur la prison, à l’image des congrès pénitentiaires qui ont émaillé les processus de réforme au XIXème siècle (Kaluszynski 2013) ? Les concepts liés aux policy transfers ou encore à l’européanisation des politiques publiques sont-ils opérants pour penser les réformes contemporaines de la prison (Colineau 2014) ?

3. Enjeux méthodologiques :
Notre dernier axe propose enfin une réflexion sur les enjeux méthodologiques de l’étude de l’action publique pénitentiaire, là encore peu évoquée en science politique, y compris par le courant actuel de la political ethnography (Schatz 2009). Deux réflexions, transversales aux axes précédents, peuvent pourtant être menées. L’accès au terrain – qu’il s’agisse d’observations ethnographiques ou d’accès aux archives, aux administrations, aux données biographiques – pose tout d’abord des problèmes éthiques et scientifiques, en eux-mêmes révélateurs du fonctionnement de l’institution pénitentiaire (Chantraine 2009).
Mais les enjeux sont également épistémologiques, notamment si l’on s’interroge de manière réflexive sur les lieux de production de la recherche. Les politistes travaillant sur ces questions doivent aujourd’hui se positionner dans un champ complexe où les enquêtes sont financées – et parfois directement produites – par l’administration pénitentiaire mais aussi par des associations. La relation historique avec ces acteurs des laboratoires spécialisés dans les questions pénales impacte ainsi largement la socialisation à la recherche des jeunes chercheur.e.s et de leurs ainé.e.s (Collectif 2015). Cette réflexion doit donc par excellence accompagner la constitution des politiques pénitentiaires en objet pour la science politique.

While prison has long been a point of focus for sociologists, the analysis of prison policies – understood as a set of public policies related to penal detention, its institutions and devices (prison, probation, electronic monitoring), and its staff and recipients – has also been much overlooked by political scientists. This panel aims at filling the gap by calling on those political scientists who combine the study of the prison field and a political sociology of public action, in two specific ways. First, it aims at discussing the merits of a sociology of prison policies, regarded as a topic per se in political science, with a focus on the complexity of those policies: their definition and enforcement involve a variety of public and private actors, in the numerous stages of the policy process. As such, the analysis of this “prison field” may be usefully connected to sociologies of institutions or social movements. This panel’s main purpose is then to further develop this connection, while resetting the study of prison policies in the broader analysis of state regulation of the social sphere. Such policies shall be regarded as belonging to a specific public policy sector that concentrates on inmates or people under custody, while being closely connected to other domains (social policies or health policies, to name a few). We retain three subsections for this panel:

1. The sociological history of prison policies: A historical approach of prison policies first proves helpful to describe their institutionalization, their access to the political agenda, and the definition of related legal categories or instruments. It will also take into account the connection between prison policies and their activist critique by NGOs or whistleblowers, leading to increased transparency or monitoring over prisons. All these points will contribute to a general debate over the “specificity” or the “commonplace” dimension of prison policies.

2. Incorporating prison policies to the contemporary evolutions of public action. Second, we will question the relevance of a public prison policy analysis that would regard them as a policy sector per se – however specific its topics and instruments – while acknowledging the influence of broader tendencies of contemporary state regulation. How can we assess the importance of central administrations and midplayers (street-level bureaucrats) in the definition and enforcement of reforms (Venouil, 2014)? How do contemporary référentiels of public action redefine this specific sector? How are they dealt with by various categories of actors? We will also discuss the redefinition of the institution’s mandate and professions in the context of long-term reforms of public action – involving pressure for cost-efficiency, respect for Human Rights, increased transparency and better supervision of prison administration. Finally, the largely overlooked issue of international policy transfers in this field – especially the influence of European reform patterns – will be addressed.

3. Methodological and epistemological issues. The recent shift to ethnography in Political science (Schatz 2009) has not lead to systematic reflection on the various issues raised by that method when dealing with prison policies. Cross-disciplinary perspectives however point to a variety of important questions. Doing fieldwork inside prisons first raises a number of ethical and scientific problems. On the epistemological side, the relations of scholars to correctional administrations or to critical NGOs – that may fund, help or even commission research – may also be questioned (TMTC, 2015).

REFERENCES

Artières P. et Lascoumes P., 2004, Gouverner, enfermer. La prison, modèle indépassable ?, Paris, Presses de Sciences Po.
Bérard J., 2014, « Genèse et structure des conflits politiques sur les droits des détenus dans la France contemporaine », Déviance et Société, n°4, p. 449-468.
Bouagga Y., 2015, Humaniser la peine ? Le traitement pénal en maison d’arrêt, Rennes, PUR.
Chabbal J., 2016, Changer la prison. Rôles et enjeux parlementaires, Rennes, PUR.
Chantraine G., 2004, Par-delà les murs. Expériences et trajectoires en maison d’arrêt, Paris, PUF.
Chantraine G., 2009, « Les savoirs des prisons : rationalité punitive et savoirs critiques », Tracés, n°3, p. 99-110.
Chauvenet A., Orlic F. et Benguigui G., 1994, Le monde des surveillants de prison, Paris, PUF.
Colineau H., 2014, « Interroger la diffusion des normes dans l’aide européenne aux pays en transition. Les projets de réforme pénitentiaire », Politique européenne, 4, 46 , p. 118-140.
Collectif TMTC, 2015, « L’horizon vertical de la recherche », Socio-logos, n°10, p. 1-16.
Engueleguele S., 2002, « Création de la loi pénale et analyse des politiques publiques », Crime et sécurité. L’état des savoirs, Mucchielli Laurent et Robert Philippe éd., Paris, Éd. la Découverte, p. 76-83.
Froment J.-C. et Kaluszynski M., 2011, L’ administration pénitentiaire face aux principes de la nouvelle gestion publique. Une réforme en question(s), Grenoble, PUG.
Kaluszynski M., 2013, « La science pénitentiaire comme science de gouvernement. Espaces juridiques, réseaux réformateurs et savoirs experts en France à la fin du XIXe siècle », Revue d’anthropologie des connaissances, Vol. 7, n°1, p. 87-111.
Larminat X. de, 2014, Hors des murs : l’exécution des peines en milieu ouvert, Paris, PUF.
Le Caisne L., 2008, Avoir 16 ans à Fleury : ethnographie d’un centre de jeunes détenus, Paris, Ed. du Seuil.
Salle G., 2009, La part d’ombre de l’État de droit. La question carcérale en France et en République fédérale d’Allemagne depuis 1968, Paris, Éd. de l’EHESS.
Schatz E., 2009, Political Ethnography. What Immersion contributes to the study of power ?, The University Chicago Press.
Vauchez A., 2006, « La justice comme « institution politique » : retour sur un objet (longtemps) perdu de la science politique », Droit et société, n°2-3, p. 491-506.
Venouil A., 2014, Une politique des murs. Décision de construction de prisons et politiques pénales au Canada et en France (1980-2005), Université de Grenoble, Thèse de doctorat.

9h Introduction de la section thématique

9h10 – 10h55 Axe 1 / Les politiques pénitentiaires comme secteur d’action publique

Les communications réunies par ce premier axe ont pour point commun d’interroger l’institutionnalisation et la consolidation des politiques pénitentiaires en tant que secteur d’action publique à part entière. Ce faisant, il s’agira d’interroger l’ancrage de ces politiques dans l’ordinaire de l’action de l’Etat, mais aussi leurs interactions avec d’autres politiques publiques (politiques sociales, politiques de santé). La réflexion portera sur la manière dont ces dernières influencent la problématisation de l’enjeu pénitentiaire. Elle montrera en retour l’influence des référentiels pénitentiaires sur le cadrage et la mise en œuvre des politiques qui lui sont associées. Les deux premières communications adoptent ainsi une perspective socio-historique, pour étudier le rôle de l’administration pénitentiaire dans la qualification d’un dispositif (centre médico-socio-judiciaire) et dans la mise en œuvre d’une politique (santé mentale) en milieu carcéral. Elles mettent ainsi en évidence l’alignement progressif de ces deux secteurs sur un référentiel pénitentiaire. La troisième et dernière communication adoptera une vision plus large pour inscrire les réorganisations contemporaines de l’aménagement des prisons dans l’évolution récente des politiques de sécurité : les principes et les techniques de gestion des populations dans l’espace urbain y sont notamment importés, pour modifier le classique quadrillage panoptique de l’environnement carcéral.

Camille Lancelevée (Direction de l’administration pénitentiaire, IRIS-EHESS), La prison comme infirmerie du crime ? Les ambiguïtés de la politique de santé mentale en milieu carcéral en France
Télécharger la communication

Barbara Bauduin (PACTE, Université de Grenoble Alpes/Centre March Bloch, Berlin), “Mais les centres médico-socio-judiciaires ne sont pas des prisons”. L’enjeu de la qualification pénitentiaire d’un dispositif rétentionnaire
Télécharger la communication

Jennifer Yeghicheyan (laboratoire SANTESIH, Université de Montpellier) et Laurent Solini (laboratoire SANTESIH, Université de Montpellier), Un (nouvel) imaginaire pénitentiaire ? Quand la prison s’urbanise
Télécharger la communication

Discussion

11h05-12h50 Axe 2 / Frontières et groupes d’acteurs

Ce second axe prolonge le précédent en interrogeant plus spécifiquement l’impact des évolutions récentes de l’action publique pénitentiaire sur la transformation de ses métiers. La première des trois communications proposées ici adopte une perspective à la fois socio-historique et transnationale/comparée, pour analyser la naissance du “milieu ouvert” comme secteur d’action publique, et la définition progressive des métiers qui y sont associés. En étudiant l’inégale autonomisation de la “probation” comme champ professionnel spécifique, cette réflexion introduira l’analyse des deux communications suivantes, centrées sur les professionnels du milieu ouvert. Adoptant toutes deux une perspective ethnographique, elles décrivent les accommodements, mais aussi les désajustements durables imposés à ces acteurs par les évolutions des politiques carcérales – et notamment par l’irruption des normes du nouveau management public dans leur champ professionnel depuis quelques années. Elles ouvrent également vers une réflexion plus large sur les nouvelles frontières du “champ pénitentiaire”.

Xavier De Larminat (CENS, Université de Nantes), L’institutionnalisation des peines en « milieu ouvert » en Europe. Une comparaison transnationale
Télécharger la communication

Juliette Soissons (CURAPP-ESS, Université de Picardie Jules Verne), Former les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation pour réformer les pratiques professionnelles. Quand la formation professionnelle se fait outil des (dés)ajustements politiques et institutionnels
Télécharger la communication

Marion Grosini (Dysolab, Université de Rouen), La défense sociale en Belgique, point dérogatoire des évolutions managériales des maisons de Justice ?
Télécharger la communication

Discussion

12h50-13h Conclusion

Camille Lancelevée (Direction de l’administration pénitentiaire, IRIS-EHESS)

La prison comme infirmerie du crime ? Les ambiguïtés de la politique de santé mentale en milieu carcéral en France.
La politique de santé mentale en direction des prisons françaises est guidée depuis les années 1970 par l’objectif de proposer aux personnes détenues une offre de soins équivalente à celle existante en milieu libre. Cette politique entraîne cependant, de façon paradoxale, l’incarcération croissante des personnes présentant des troubles mentaux et participe à un discret transfert de population de l’hôpital psychiatrique vers les prisons. Mais surtout, les observations ethnographiques menées en milieu carcéral mettent en évidence les tentatives renouvelée de la part de l’administration pénitentiaire et de la justice de l’application des peines de s’appuyer sur les équipes psychiatriques pour améliorer la prise en charge et affiner l’évaluation des personnes détenues. Cette injonction renouvelée à la coopération, analysée sous l’angle du conflit de juridiction s’entremêle avec l’émergence en prison d’un programme institutionnel que l’on peut qualifier de psycho-criminologique, au croisement d’un idéal réhabilitatif basé sur l’individualisation de la peine et d’un souci de gestion des risques. Ma communication montrera ainsi comment une politique sanitaire se trouve enrôlée dans les transformations de l’institution pénitentiaire et pénale, contribuant tout autant à une psychologisation du traitement pénitentiaire qu’à une « carcéralisation » du soin psychiatrique.

Prison as a crime clinic? Ambiguities of mental health care policy in French prisons.
Since the 1970’s, mental health care policy implemented in French prisons is guided by the ambition to offer inmates an equivalent mental health care system as the one existing outside prisons. As a paradoxical consequence, this policy leads to an increasing incarceration of offenders presenting mental health issues and thus participates to a discrete transfer of population from psychiatric hospitals to prisons. Furthermore, ethnographic observations carried out in a French prison reveal a constant attempt from the part of the prison and justice administrations at involving the mental health care staff into the management and evaluation of inmates. This explicit demand for cooperation intertwines with the emergence of a psycho-criminological institutional program, at the crossroads of individual rehabilitation and of risk management. My presentation will thus analyse how an independent health care policy interlaces with transformations affecting the treatment of prisoners as well as the mental health care practices.

Barbara Bauduin (PACTE, Université de Grenoble Alpes/Centre March Bloch, Berlin)

« Mais les centres médico-socio-judiciaires ne sont pas des prisons. » L’enjeu de la qualification pénitentiaire d’un dispositif rétentionnaire
Cette communication prend pour point de départ la distinction établie entre prison et rétention lors de la création du dispositif de rétention de sûreté à l’hiver 2007-2008 et pour support des sources diverses – observations directes, notes de terrain, entretiens semi-directifs, documentation parlementaire et ministérielle. A travers l’analyse de la mise en droit, en œuvre et à l’épreuve de la nouvelle modalité d’enfermement post-pénal que constitue le dispositif de rétention de sûreté, cette communication interroge les ressorts et les implications de la qualification d’une politique publique en politique pénitentiaire. Cette communication montre d’abord comment les conditions de discussion du projet de loi ont favorisé un rapprochement conceptuel entre rétention et prison. Elle montre ensuite la nature essentiellement pénitentiaire de la mise en œuvre de la loi et de la prise en charge des personnes retenues. Cette communication montre enfin comment le personnel impliqué dans l’application et l’évaluation du dispositif érige la confusion entre rétention et prison au rang de ressource critique. A travers la sociologie de la critique du dispositif rétentionnaire, cette communication interroge finalement l’impact de la qualification pénitentiaire sur le référentiel de la politique publique étudiée et tente ainsi d’expliquer comment la figure du retenu, initialement en tension entre le malade et le criminel, fut progressivement rabattue sur la figure du détenu.

“Secure detention centres are not prisons.” Challenges of labelling secure detention as carceral
Secure detention dates back to2008 in France. Since the bill was submitted to Parliament, some have distinguished secure detention from traditional imprisonment, while others have assimilated the two. This paper starts from the initial distinction and increasing confusion between secure detention and traditional imprisonment to investigate the challenges of labelling a public policy as carceral. Establishment, implementation and assessment of this new kind of deprivation of liberty are documented with different sources. The analysis is based on observations and field notes, semi-structured interviews, and parliamentary and governmental documentation. This paper first attributes the possible conceptual confusion between secure detention and traditional imprisonment to the context in which the law was passed. Second, it shows the practical confusion of the two by investigating the implementation of the law. Third, this paper analyses the salience and resonance of conceptual and practical confusion in the criticisms of secure detention. This paper finally shows how labelling secure detention as carceral has implied a new understanding of the public problem secure detention intends to solve.

Jennifer Yeghicheyan (laboratoire SANTESIH, Université de Montpellier) et Laurent Solini (laboratoire SANTESIH, Université de Montpellier)

Un (nouvel) imaginaire pénitentiaire ? Quand la prison s’urbanise
Une « rue » plutôt qu’un « couloir de circulation », une « place publique » plutôt qu’une « cour de promenade », un « paysage » et une « ligne d’horizon » employés préférablement à une « zone neutre » et un « glacis » ; autant de termes permettant de caractériser la ville et progressivement mobilisés afin de qualifier les espaces de la prison. Ce glissement lexical est pour partie révélateur d’une renégociation de l’imaginaire pénitentiaire qui ne concerne pas tant la peine et son projet que le registre retenu afin de communiquer sur les conditions matérielles et architecturales de l’enfermement. Autrement dit, l’Administration pénitentiaire, via les architectes sélectionnés par son Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice, recherche toujours cet impossible arbitrage entre des fonctions contrastées ; simplement, elle pense avoir résolu l’équation en amenant progressivement ses prisons nouvellement construites ou inlassablement rénovées à rappeler les formes de « la ville postindustrielle » décrite par Albert Lévy. Elle veut montrer combien ses établissements, qui bénéficient d’une ornementation urbaine toujours plus saillante, avec leurs places, leurs espaces végétalisés, leurs signalétiques, jusqu’à leurs zonages progressifs, restent les défenseurs d’une vie collective structurée par le travail, l’essor d’une vie sociale et marchande ou les loisirs. Notre communication rendra compte de l’introduction de cet imaginaire de la ville dans deux projets récents de construction et de rénovation de prisons, et ce, à partir de l’analyse du discours des architectes impliqués.

A (new) penitentiary imagination ? When prison is becoming urban
A “street” instead of a “passageway”, a “public square” instead of a “yard”, a “landscape” instead of “neutral zone”, a “horizon” instead of “glacis”, etc. ; these terms which characterise the city are progressively used to call spaces of the prison. This lexical shift shows, partly, the renegotiation of penitentiary imagination which not concern sentence and its project but the range to communicate about physical and architectural conditions of incarceration. In other words, penitentiary administration, by the architects selected by its “Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice”, always searches this impossible arbitrage between contrasted functions. Penitentiary administration thinks it finds the solution by bringing prison to a post-industrial city described by Albert Lévy. Prison with urban ornaments (squares, green spaces, signage, and even zoning) become the guardian of a collective life structured by work, social life, business, or leisure. Our presentation accounts for the introduction of this city’s imagination by two recent construction and renovation of prison projects, and that, by the analysis of architects’ rhetoric.

Xavier De Larminat (CENS, Université de Nantes)

L’institutionnalisation des peines en milieu ouvert en Europe. Une comparaison transnationale
Alors que les délimitations institutionnelles s’imposent bien souvent à la définition des objets de recherche, en particulier dans le cas de la prison, cette communication interroge les frontières des politiques publiques dans le champ pénitentiaire. Pour cela, elle prend pour objet le développement des peines en milieu ouvert en Europe. En s’appuyant sur deux enquêtes menées dans le cadre d’une thèse puis d’un post-doctorat, on s’intéresse plus particulièrement à l’institutionnalisation des services de probation en France et en Belgique. L’angle adopté est celui d’une comparaison transnationale permettant de faire varier les échelles d’observation et d’analyse entre l’influence des organismes supranationaux, le poids des administrations nationales ou régionales, et l’ancrage territorial local des services concernés. Derrière une forte convergence législative et normative au sein des pays d’Europe continentale depuis le milieu du XXè siècle, les processus d’institutionnalisation ont connu d’importantes variations entre la France et la Belgique. Si le modèle français est marqué par une intégration progressive du milieu ouvert au sein de l’administration pénitentiaire, on observe au contraire en Belgique une autonomisation du milieu ouvert vis-à-vis des impératifs carcéraux. Les effets récents de la nouvelle gestion publique contribuent néanmoins à une relative homogénéisation, malgré des modes de traduction et de mise en œuvre variables de ces injonctions gestionnaires.

The institutionalization of sentences serving within the community in Europe. A transnational comparison
While boundaries of institutions often impose themsleves on the definition of research objects, especially in the case of prison, this communication aims to examine the public policies borders in the penitentiary field. It focuses on the development of sentences serving within the community in Europe. On the basis of two surveys carried out during a PhD and a post-doc, this presentation questions the institutionalization of probation services in France and Belgium. The choice of a transnational comparison makes possible to vary the scales of observation and analysis between the influence of supranational organizations, the weight of national or regional administrations, and the local territorial anchoring of the services concerned. Despite a strong legislative and normative convergence within continental European countries since the mid-twentieth century, the institutionalization process have undergone considerable variations between France and Belgium. The French model has been built on a gradual integration of probation within the prison administration. On the contrary, in Belgium, there is a detachment of probation from prison requirements. The recent effects of the new public management nevertheless contribute to a relative homogenization, despite varying modes of translation and implementation of these managerial injunctions.

Juliette Soissons (CURAPP-ESS, Université de Picardie Jules Verne)

Former des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation pour reformer les pratiques professionnelles. Quand la formation professionnelle se fait outil des (dés) ajustements politiques et institutionnels
Cette communication analyse « la réorientation des missions et des métiers de l’institution pénitentiaire face aux réformes structurelles de l’action publique », en se focalisant sur l’évolution de la formation professionnelle des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP). En questionnant cette dernière à partir d’un terrain d’enquête effectué à l’école nationale d’administration pénitentiaire, nous montrerons que si les représentations du métier poussent à penser que le quotidien des agents s’apparente à celui de travailleurs sociaux, il s’avère que la « pénitentiarisation » du social a depuis traversé l’institution. Les mutations des politiques pénitentiaires sont propices au repositionnement professionnel des CPIP sur un versant prédictif, à savoir la prévention de la récidive au moyen d’outils criminologiques permettant de quantifier et d’évaluer les risques. Pour comprendre comment les changements administratifs sont concrètement traduits, nous avons interrogé les permanences et les variations de la structure du corps, et les avons mises en lien avec l’histoire de la profession afin de comprendre si les profils des recrues faisaient l’objet d’ajustements. L’analyse des transformations de la formation professionnelle permettra également de restituer les processus qui ont conduit à la féminisation du métier et de dégager dans les grandes lignes les propriétés sociales et les modalités d’entrée dans la profession des recrues.

To train les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation to reform professional practices. When vocational training becomes a tool of political and institutional adjustments
This communication analyzes « the reorientation of the missions and professions of the penitentiary institution in the face of the structural reforms of public action », focusing on the evolution of the vocational training of conseillerspénitentiairesd’insertionet de probation (CPIP). From a field of inquiry at the French National School of Prison Administration, we will show that if the representations of the profession suggest that the daily life of agents is similar to that of social workers, the « penitentiaryization » of the social has since crossed the institution. This changes are conducive to the professional repositioning of CPIPs on a predictive slope, namely the prevention of recidivism using criminological tools to quantify and assess risks. In order to understand how administrative changes are actually translated, we will examined the permanencies and variations in the body structure and linked them to the history of the profession in order to look for whether recruit profiles adjustments. The analysis of the transformations of vocational training will also enable us to reconstruct the processes that led to the feminization of the profession and to outline the social properties and the methods of entry into the profession of recruits.

Marion Grosini (Dysolab, Université de Rouen)

La défense sociale en Belgique, point dérogatoire des évolutions managériales des maisons de justice ?
La défense sociale belge qui prévoit un internement indéterminé des justiciables souffrant de troubles mentaux est un dispositif assez original en Europe. Quand ceux-ci ne sont pas ou plus considérés comme dangereux, ils sont libérés à l’essai sous le contrôle d’assistants de justice. Cette mesure s’effectue dans le cadre des maisons de justice belges sujettes à de fortes injonctions gestionnaires. Il est intéressant de noter que, contrairement à leurs autres collègues s’occupant de délinquants plus traditionnels, les assistants de justice spécialisés en défense sociale conservent des marges de manœuvre assez importantes. Ceci s’explique par la particularité du dispositif de défense sociale et du public concerné. En pratique, l’accompagnement et le contrôle du respect des conditions nécessite une individualisation et une adaptation plus fortes avec un public souffrant de troubles mentaux.
Du point de vue de l’analyse, la confrontation entre la loi de défense sociale qui date de 1930 et le développement récent d’une orientation gestionnaire dans le monde judiciaire présente un intérêt, de même que l’actualisation de ces dissensions autour de situations concrètes.  

The social defense in Belgium, a limitation of the managerial tentencies of the « maisons de Justice »
The belgian social defense enables an indeterminate internment for offenders who suffer mental illness. This measure is quite original in Europe. When the offenders are not considered as dangerous anymore, they are released under the control of probation officers. This control happens in « maisons de Justice » where numerous management orientations had been taken. It is interesting to note that, unlike their co-workers who deal with more usual offenders, the probation officers specialized in social defense keep important leeways. It can be explained by the defining feature of the mentally disabled offenders. Their control requieres more individualization and adaptation than with the other offenders.
From a theoretical point of view, the comparison between the social defense law voted in 1930 and the relatively new managerial orientations in the Criminal Justice system, must be very interesting, as well as it transposition into concrete situations.

Mardi 11 juillet 2017 9h00-13h00

BAUDUIN Barbara barbara.bauduin@gmail.com
FISCHER Nicolas fischer@cesdip.fr
GROSINI Marion mariongrosini@yahoo.frmari
ICARD Valérie valerie.icard@cesdip.fr
LANCELEVEE Camille camille.lancelevee@gmail.com
De LARMINAT Xavier xavier.larminat@gmail.com
SOISSONS Juliette soissonsjuliette@gmail.com
SOLINI Laurent laurent.solini@gmail.com
VEAUDOR Manon manon.veaudor@cesdip.fr
VENOUIL Alexia alexia.venouil@cesdip.fr
YEGHICHEYAN Jennifer jenn_yeghi@yahoo.fr