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ST 08

De l’État-plateforme à la plateformisation de l’action publique : de quoi les plateformes publiques sont-elles le nom ?

From Government as Platform to the platformization of public policies

 

Responsables scientifiques :

Anne Bellon (UTC) anne.bellon@utc.fr
Clément Mabi (UTC) clement.mabi@utc.fr

 

Dans les années 2010, le projet « d’État-plateforme » s’est imposé comme nouveau modèle de réforme de l’État dans de nombreuses démocraties. Inspiré par Tim O’Reilly (2009), ce modèle est défendu en France par une poignée d’entrepreneurs de réformes au sein et en dehors de l’administration, puis repris par Emmanuel Macron dans la campagne présidentielle (Pezziardi, Verdier, 2017). Au sein de la discipline, plusieurs travaux ont cherché à étudier ses discours fondateurs ou ses réalisations concrètes.  Ils donnent ainsi à voir plusieurs dimensions, plus ou moins compatibles, de ce projet de réforme : la réorganisation décentralisée et la coopération entre services (Brown et al, 2017) le recours croissant à des dispositifs algorithmiques dans la conduite de l’action publique (Frouillou et al., 2019), l’ouverture des données publiques (Chevallier, 2017) ou le soutien à l’innovation privée (Jansen et Estevez, 2013).

Plus récemment, certaines recherches concluent néanmoins à la grande fragilité institutionnelle (Alauzen, 2019) voir au relatif échec (Jeannot, 2020) de l’État-plateforme, bien loin des promesses de réenchantement de la bureaucratie. Or ces conclusions peuvent sembler contraire au constat que font celles et ceux qui voient le recours aux plateformes s’accentuer sur leurs terrains habituels d’investigation. Dans l’éducation (Carton, Tréhondart, 2020), la santé ou la lutte contre les violences conjugales (Sapio, 2020), les chercheurs constatent une véritable plateformisation des interventions publiques. Alors de quoi ces plateformes sont-elles le nom et quelles reconfigurations de l’État signalent-elles ?

Cette ST vise donc à attirer des travaux venus d’horizons divers qui, à partir de l’étude sectorielle d’une ou plusieurs actions publiques, sur des cas français ou étrangers, éclairent les formes multiples prises par cette plateformisation de l’action publique. Loin de se limiter aux politiques numériques, il s’agit bien de déceler les transformations communes au déploiement du modèle de la plateforme dans des secteurs aussi divers que l’éducation, la santé ou la lutte contre les inégalités, etc.

Plusieurs axes de réflexions sont alors proposés :

1/ L’État et les acteurs du numérique

Si les start-ups ont été placées au centre du projet de l’État-plateforme, notamment à travers la mise en place d’infrastructures numériques censées encourager la co-construction des politiques publiques, les résultats de cette collaboration semblent mitigés. A l’inverse, les grands opérateurs de plateformes coopèrent de plus en plus avec les agences publiques, notamment autour de la lutte contre les contenus illégaux. Cet axe recevra des communications qui éclairent la reconfiguration des rapports entre États et acteurs du numériques et par là les déplacements de la frontière publique-privé autour du déploiement de plateformes.

2/ Les transformations du travail bureaucratique

Dans sa conceptualisation programmatique, l’État-plateforme visait à réenchanter le travail bureaucratique et valoriser la créativité et la prise de risque des agents publics. L’impulsion « par le haut » est-elle parvenue à transformer l’organisation du travail dans les services ?  Qu’en est-il des enjeux de formation des agents et surtout comment s’approprient-ils ces nouveaux dispositifs numériques ? Quelles résistances et critiques peuvent-ils susciter au sein de l’administration ?

3/ Du guichet à la plateforme : pour une sociologie des usages publiques du numérique

Jusqu’alors, les travaux sur l’État-plateformes se sont peu intéressés à leurs utilisateurs publics. Or l’une des ambitions de l’État-plateforme était justement de rapprocher les services de leurs usagers, de favoriser leur prise en main et s’appuyer sur les ressources créatives du public. Les communications retenues dans cet axe pourront interroger cette appropriation en la mettant en perspective avec les critiques qui accompagnement le déploiement d’algorithmes. Ces derniers peuvent en effet renforcer la discrimination des populations pauvres (Eubanks, 2018) ou des minorités (Benbouzid, 2019).

 

In the 2010s, the « Government as a platform” (GaaP) has emerged as the new model for state reform in many democracies. Inspired by the proposals of Tim O’Reilly (2009), this model was defended in France by a handful of reform entrepreneurs within and outside the administration, and then taken up by Emmanuel Macron during the presidential campaign (Pezziardi, Verdier, 2017).

Within the field of political science, several works have sought to study this model of the platform-state, through an analysis of its founding discourses or its concrete achievements. They have analyzed the various dimensions, more or less compatible, of this reform project: decentralized reorganization and cooperation between services (Brown et al, 2017), the increasing use of algorithmic devices in the conduct of public intervention (Frouillou et al., 2019), the opening of public data (Chevallier, 2017) or the support of private innovation (Jansen and Estevez, 2013).

More recently, however, some research concludes that the GaaP model is very fragile (Alauzen, 2019) or even a relative failure (Jeannot, 2020), far from the promises of a re-enchantment of the bureaucracy. Yet these conclusions may seem contrary to the observations of those who see the use of platforms increasing in their usual fields of investigation. In education (Carton, Tréhondart, 2020), health care, or the fight against domestic violence, researchers have observed a veritable “platformization” of public interventions. So what do these platforms stand for and what reconfigurations of the State do they signal?

This panel therefore aims to attract works from diverse backgrounds : based on the sectoral study of one or several state intervention, on French or foreign cases, they would shed light on the multiple forms taken by this “platformization” of public action. Far from being limited to digital policies, our goal is to identify the transformations common to the deployment of the platform model in sectors as diverse as education, health, the fight against inequalities, etc.

Several lines of reflection are suggested:

1/ The State and digital actors

While start-ups have been placed at the center of the GaaP project, particularly through the establishment of digital infrastructures designed to encourage the co-construction of public policies, the results of this collaboration seem mixed. On the other hand, the major platforms are cooperating more and more with public agencies, especially in the fight against illegal content. This axis will receive papers that shed light on the reconfiguration of the relationship between States and digital actors and thus on the shifts in the public-private boundary around the use of platforms.

2/The transformations of bureaucratic work

In its original intent, the GaaP aimed to reenchant bureaucratic work and to enhance the creativity and risk-taking of public agents. Has the « top-down » impulse succeeded in transforming the organization of work in the services?  What about training issues for agents and, above all, how do they appropriate these new digital devices? What resistance and criticism can they generate within the administration?

3/ From the street corner to the platform: towards a sociology of digital public uses

Until now, research on the platform state has shown little interest in its public users. Yet one of the ambitions of the platform state was precisely to bring services closer to the citizens, to encourage them to take control of services, and to draw on the creative resources of the multitude. The papers selected in this axis will be able to question this appropriation by putting it in perspective with the criticisms that accompany the deployment of algorithms: the latter can indeed reinforce the discrimination of the poor (Eubanks, 2018) or minorities (Benbouzidilel,2019). 

 

Références / References 

ALAUZEN, Marie. L’État plateforme et l’identification numérique des usagers. Réseaux, 2019, no 1, p. 211-239.

ALAUZEN, Marie. Splendeurs et misères d’une start-up d’État. Réseaux, 2021, no 1, p. 121-150.

BENBOUZID, Bilel. Quand prédire, c’est gérer. Reseaux, 2018, no 5, p. 221-256.

CARTON, T., & TREHONDART, N. (2020). La plateformisation de l’éducation aux médias et à la citoyenneté. Spirale-Revue de recherches en education, (3), 77-94.

CHEVALLIER, Jacques. Vers l’État-plateforme?. Revue francaise d’administration publique, 2018, no 3, p. 627-637.

CORDELLA, Antonio et PALETTI, Andrea. Government as a platform, orchestration, and public value creation: The Italian case. Government Information Quarterly, 2019, vol. 36, no 4, p. 101409.

EUBANKS, Virginia. Automating inequality: How high-tech tools profile, police, and punish the poor. St. Martin’s Press, 2018.

FROUILLOU, Leïla, PIN, Clément, et VAN ZANTEN, Agnès. Le rôle des instruments dans la sélection des bacheliers dans l’enseignement supérieur. La nouvelle gouvernance des affectations par les algorithmes. Sociologie, 2019, vol. 10, no 2, p. 209-215.

JANSSEN, Marijn et ESTEVEZ, Elsa. Lean government and platform-based governance—Doing more with less. Government Information Quarterly, 2013, vol. 30, p. S1-S8.

JEANNOT, Gilles. Vie et mort de l’État plateforme. Revue francaise d’administration publique, 2020, no 1, p. 165-179.

SAPIO, Giuseppina. « Victimes de violences conjugales face aux campagnes institutionnelles entre ventriloquie, injonctions et paradoxes », Études de communication, vol. 54, no. 1, 2020, pp. 53-70.

Axe 1 / Chantiers de plateformisation : acteurs, instruments et agencements

Discutant : Gilles Jeannot (Paris Tech / LATTS)

Clément Pin (Cergy / LIEPP), La plateformisation de l’action publique à l’épreuve de sa mise en œuvre. Le cas de l’identité numérique des étudiants.

Sébastien Shulz (Paris-Est Marne-La-Vallée / LISIS), Démocratiser la plateformisation de la démocratie. Le cas de la plateforme de démocratie participative Decidim.
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Marguerite Borelli (Paris 2 / CARISM), La gouvernance des menaces à la sécurité nationale sur les réseaux sociaux : quand le régalien échappe à l’État
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Camille Girard-Chanudet (EHESS / CEMS), Faire l’open data judiciaire grâce aux ‘Entrepreneurs d’Intérêt Général’ : une ethnographie de la mise en œuvre du projet JUDILIBRE à la Cour de Cassation

Axe 2 / Usages et non-usages des plateformes d’État  

Héloïse Grard (Paris Nanterre / ISP), Dématérialiser l’administration, constituer un marché informel. Le cas des cybercafés du Kenya
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Renaud Gay (ENHSP), Décloisonner le système de santé par le numérique ? Usages des systèmes d’information et coordination des soins entre professionnels dans les maisons de santé en France.
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Nadia Okbani (Toulouse 2 / CERTOP), Le travail social à l’épreuve de la dématérialisation des services publics : transfert de charge, redéfinition des pratiques professionnelles et accès aux droits
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BELLON Anne anne.bellon@utc.fr

BORELLI Marguerite marguerite.borelli@u-paris2.fr

GAY Renaud renaud.gay@wanadoo.fr

GIRARD-CHANUDET Camille camille.girard-chanudet@ehess.fr

GRARD Héloïse heloisegrard@gmail.com

JEANNOT Gilles gilles.jeannot@enpc.fr

MABI Clément clement.mabi@utc.fr

OKBANI Nadia nadia.okbani@univ-tlse2.fr

PIN Clément clement.pin@sciencespo.fr

SHULZ Sébastien sebastien.shulz@gmail.com