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ST 68

La « contrainte européenne » dans la fabrique des politiques économiques nationales au sein de la zone euro

EU « constraints » and economic policymaking in Eurozone

 

Responsables scientifiques :

Sarah Kolopp (ENS Paris-Saclay) sarah.kolopp@gmail.com
Ulrike Lepont (Université Saint Quentin en Yvelines) ulrike.lepont@gmail.com

Bien que selon les textes des traités les pays membres de l’Union économique et monétaire (UEM) n’aient abandonné leur souveraineté en matière de politique économique que sur son volet monétaire, la question est régulièrement posée de la réalité de leurs marges de manœuvre en ce domaine. Les politiques économiques de ces pays sont-elle encore des politiques nationales ou sont-elle pilotées sous la contrainte des règles de l’UEM ? Si l’UE s’est dotée de nouveaux instruments de gouvernement économique suite à la crise de 2008 (semestre européen ; six-pack ; traité de stabilité, de coordination et de gouvernance), renforçant le pacte de stabilité financière et, par là, l’intervention communautaire dans les politiques domestiques, plusieurs auteurs insistent, au contraire, sur la diversité des politiques économiques menées par les États-membres (Foucault, 2013 ; Massoc, 2017).

Cette section thématique, adossée à l’ANR Desorbercy, propose d’aborder ce sujet en suivant deux axes de questionnement.

Le premier interroge la réalité de cette contrainte européenne sur les politiques économiques nationales, celles-ci étant définies de manière relativement large comme englobant les politiques budgétaire et fiscale, financière, industrielle, de la concurrence ou du marché du travail. A partir de travaux empiriques portant sur des politiques économiques nationales dans la zone euro, il s’agit d’abord de repérer si et comment la référence aux règles européennes apparaît et intervient au cours de l’élaboration de ces politiques et quels en sont les effets. S’inscrivant dans la littérature sur l’européanisation des politiques nationales (voir pour une synthèse Featherstone et Radaelli 2003), cet axe propose de se pencher sur des questionnements et des processus classiques au sein de cette littérature : la question des traductions et appropriations différenciées des règles européennes dans différents pays ; la question également des modalités de la contrainte s’exerçant avant tout par la voie coercitive (celle des normes juridiques) ou par la voie cognitive (par la socialisation et la familiarisation des acteurs à ces normes). Mais dans ce dernier cas, peut-on encore parler de contrainte européenne qui s’imposerait de l’extérieur ? De fait, au sein de la littérature sur l’européanisation, nous privilégions des approches qui, plutôt que d’opposer les échelles entre l’Europe et le national et de présupposer une influence unilatérale et descendante de l’une vers l’autre, prennent en compte l’imbrication des échelles dans la fabrication des politiques publiques (Hassenteufel et Maillard, 2013 ; Smith, 2013), et les mécanismes qui créent (ou pas) de l’interdépendance entre ces échelles (voir notamment Georgakakis 2008). Il s’agit ainsi de s’affranchir de l’opposition généralement faite entre contrainte externe et politique endogène pour dégager des dynamiques transnationales qui n’opposent pas nécessairement l’Europe au national mais plutôt des groupes d’acteurs dans des rapports de force politiques et sociaux. Nous voudrions ainsi donner sa place à l’hypothèse d’une co-production de la « contrainte », impliquant des acteurs à différentes échelles.

Le second axe vise à interroger les usages politiques de la « contrainte européenne » au niveau national. Ceci implique en particulier de s’interroger sur les questions suivantes : Pour qui ces normes européennes font-elles contrainte ? Qui les met en avant ? Y a-t-il des débats autour de leur nature et de leur bien fondé ? Comment celles-ci sont-elles utilisées dans des rapports de force entre groupes dans la fabrique des politiques économiques ? Cet axe entend ainsi questionner les logiques d’investissement des normes européennes comme « contraintes » dans les champs de pouvoir nationaux, et les jeux d’acteurs qui y président. Ce faisant, les contributions pourront s’appuyer sur les perspectives ouvertes par Jacquot et Woll 2004, encore peu mises au travail sur le cas particulier des politiques économiques.

Cette ST cherche à réunir des chercheurs travaillant de manière monographique ou comparative sur la fabrique des politiques économiques dans différents espaces nationaux de la zone euro, et est ouverte à des papiers écrits en français ou en anglais. L’un des enjeux de la ST est notamment d’aboutir à une mise en comparaison des cas. Mettre au jour l’unicité ou au contraire la diversité des formes que peut prendre « LA » « contrainte européenne », ainsi que les modalités de sa construction et de ses usages dans les différents pays de la zone euro nous semble en effet une voie prometteuse pour décortiquer analytiquement cette notion.

 

Even though the establishment of the Economic and Monetary Union (EMU) involved a transfer of national sovereignty to supranational institutions in monetary policy only, many scholars have stressed the disciplining power of EU rules on domestic economic policy choices at large. Has domestic economic policy-making escaped the control of EU member-states? To what extent do EU rules function as « constraints », formatting domestic economic policies? Following the 2008 financial crisis, the EU has indeed developed new tools of economic coordination (« European Semester » ; six-pack ; Treaty on Stability, Coordination and Governance), thus strengthening the 1997 Stability and Growth Pact and increasing adaptational pressures in domestic economic affairs. However, some scholars have recently emphasised that there remain substantial cross-national differences in economic policy choices within the EU (Foucault 2013 ; Massoc 2017).

This thematic panel invites empirically-grounded contributions which investigate these questions from two primary perspectives :

  • How and to what extent do EU rules manifest themselves in the formulation of domestic economic policies—broadly conceived as including budgetary, financial, fiscal, industrial and labor policies—in Eurozone countries? Contributions could focus on classical questions within the literature on Europeanization (see Featherstone and Radaelli 2003): how different is the impact of EU membership on economic policy choices across the Eurozone? What are the mechanisms through which this possible impact is mediated—are they normative (ie rule-based) or ‘cognitive’ (ie linked to processes of socialization and learning)? We particularly welcome contributions that move beyond a top-down approach to « europeanization » to analyse how policy levels are being concretely articulated in the formulation of domestic economic policies (Hassenteufel and Maillard 2013 ; Smith 2013)—notably (but not only) by looking at actors’careers and ressources (Georgakakis 2008). One of the hypotheses we will be exploring during the session is indeed that of the co-production of « EU constraints » in domestic economic policymaking, involving transnational processes straddling European and national levels, and groups embedded in situated relations of power.
  • Who constructs EU rules as « constraints » and why? Contributions that further our understanding of the « usages of Europe » (Woll and Jacquot)—of how various groups of policymakers make use of « Europe » in the context of domestic power struggles—would be particularly welcome. Which groups of actors portray/refer to Europe as an inescapable « constraint » in economic policy choices? Why and for which purposes? Are there debates about the relevance and reach of EU rules in domestic economic policymaking? If so, who do they oppose and why?

This thematic panel would thus like to bring together scholars working empirically on economic policymaking in Eurozone countries, and it aims to map out the various modalities in which EU rules are being played out in the contested process of economic policymaking. We welcome contributions written in either French or English.

 

REFERENCES

Featherstone Kevin et Claudio M. Radaelli (dir.) (2003), The Politics of Europeanization, Oxford, Oxford University Press

Georgakakis Didier (2008), « La sociologie historique et politique de l’Union européenne : un point de vue d’ensemble et quelques contrepoints », Politique européenne, n°25, p. 53-85

Hassenteufel Patrick et Jacques de Maillard (2013), « Convergence, transferts et traduction. Les apports de la comparaison transnationale », Gouvernement et action publique, vol.3, n°3, p. 377-393

Jacquot Sophie et Cornelia Woll (dir.) (2004), Les usages de l’Europe. Acteurs et transformations européennes, Paris, L’Harmattan

Massoc Elsa (2018), « Banking on States ? The divergent trajectories of European finance after the crisis », PhD dissertation in Political Science, UC Berkeley

Smith Andy, 2013, « Transferts institutionnels et politiques de concurrence. Les cas communautaire, français et britannique », Gouvernement et action publique, 3 (3), p. 415-440.

Axe 1 / Quelle ‘contrainte européenne’ dans les réformes d’après-crise ?

Pierre Pénet (Université de Genève), La fabrique de l’austérité : contrainte européenne et ignorance stratégique

Lydie Cabane (Leiden University), Negotiating Europe? The Implementation of the Banking Union

Axe 2 / Jeux d’acteurs et fabrique de la ‘contrainte européenne’ à l’échelle nationale

Thomas Lépinay (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), La contrainte comme ressource. L’appropriation des règles budgétaires et comptables par la Cour des comptes

Hugues Bonnefon (Sciences Po Paris), Assumer un monopole public face à l’Europe (1988-2002). Le cas de l’archéologie préventive en France

Discutants : Frédéric Lebaron (ENS Paris Saclay) et Philippe Zittoun (ENTPE)

BONNEFON Hugues hugues.bonnefon@sciencespo.fr

CABANE Lydie l.d.cabane@fgga.leidenuniv.nl

KOLOPP Sarah sarah.kolopp@gmail.com

LEBARON Frédéric frederic.lebaron@ens-cachan.fr

LEPINAY Thomas thomas.lepinay@univ-paris1.fr

LEPONT Ulrike ulrike.lepont@gmail.com

PENET Pierre pierre.penet@unige.ch

ZITTOUN Philippe pzittoun@gmail.com