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ST 04

Les politiques européennes et leurs savants

 Science as a political vocation in EU polity

 

Responsable scientifique :

Jessy Bailly (MESOPOLHIS, Sciences Po Aix, AMU, CNRS / CEVIPOL ,Université Libre de Bruxelles) jessy.bailly@yahoo.fr

 

Par rapport aux travaux portant sur la circulation de savoirs académiques et politiques au niveau européen (Vauchez et Robert, 2010 ; Seabrooke et Tsingou, 2014 ; Ban et Patenaude 2019 ; Coman 2019), cette section thématique propose de décaler le regard, en ne se portant plus spécifiquement sur la production de l’« Europe » dans les espaces les plus académiques. On s’interrogera sur les espaces intermédiaires entre mondes académiques, bureaucratiques et politiques encore peu étudiés empiriquement, pour donner à voir comment les acteurs institutionnels produisent eux-mêmes les registres de savoir qui légitiment en retour leurs interventions. Nous souhaitons rassembler des contributions portant sur des « cas » afin qu’ils alimentent les réflexions sur la manière dont les diverses institutions légitiment leurs politiques et se réforment par le savoir, dans des configurations encore peu explorées.

Il s’agit d’abord de réunir des travaux s’intéressant aux manières dont les acteurs européens adoptent les codes de la recherche scientifique, au gré d’innovations institutionnelles. On pense notamment au Joint Research Centre, véritable think-tank de la Commission européenne qui produit des recherches standardisées pour le service de diverses Directions Générales, tout en allant s’investir dans des espaces de production académique, en publiant notamment dans des revues scientifiques prestigieuses, qui ne se limitent pas aux revues les plus européanistes. Toutefois, le « geste scientifique » du politique n’est pas propre à la Commission : on peut penser tout autant au Service de Recherche du Parlement Européen, tout comme à des économistes de la Banque Centrale Européenne, ou encore des membres d’un secrétariat politique du Comité des Régions, qui investissent de tels espaces scientifiques, souvent pour légitimer les positions de l’institution au nom de laquelle ils parlent. Des contributions pourront également accueillir des contributions qui s’intéressent aux socialisations des « chercheurs maisons », qu’ils doivent « tout » à l’Union européenne, c’est-à-dire qu’ils vivent « pour » et « de » la politique européenne, ou qu’ils soient cooptés/attirés par le travail institutionnel (on pense notamment aux « chercheurs en détachement » auprès de l’UE).

Il s’agit aussi de s’intéresser aux modalités pratiques d’interactions entre acteurs institutionnels et acteurs académiques, lorsque ces premiers convoquent les seconds dans des espaces formels ou informels du decision-making européen. Que ce soit lors les auditions publiques des commissions parlementaires, dans les working groups du Conseil de l’UE, dans les groupes d’experts de la Commission, ou dans d’autres espaces (par exemple dans la Conférence sur l’Avenir de l’Europe actuellement en cours), il s’agit pour les « décideurs » de puiser dans le corpus des paroles prononcées par ces scientifiques, un ensemble de ressources visant à conforter ou à réorienter leurs propres positions politiques (Dakowska, 2020). La légitimation par l’importation de nouveaux savoirs au sein des arènes publiques bruxelloises peut donner lieu à des luttes de pouvoir entre différents acteurs de « l’Eurocratie » (Georgakakis, 2012), que ce soit entre des segments d’institutions européennes, ou que ce soit entre institutions européennes et Etats-membres.

Pour alimenter ce chantier de réflexion qu’est la légitimation de l’UE, par le savoir qu’elle produit directement, cette section se veut un espace de débat international, en convoquant des travaux ancrés empiriquement s’intéressant à des domaines d’action publique, issus d’approches méthodologiques et théoriques différentes. Elle s’intéresse à ce mouvement   d’investissement et d’enrôlement des formes savantes par les acteurs institutionnels, qu’elles soient au service de réformes qui ont abouti, ou qu’elles aient donné lieu à un « savoir avorté » (Vauchez et Roa Bastos, 2019) ou à des « échecs doxiques » (Canihac, 2019).

 

Considering the literature on the intertwin of academic and political knowledge at European level (Vauchez and Robert, 2010; Seabrooke and Tsingou, 2014; Ban and Patenaude 2019; Coman 2019), our section proposes to analyze the institutional actors’ strategies to produce directly scientific research or to appoint scientists to legitimize their own positions at the EU field. It refers to situations in which EU actors create and drive “knowledge regimes” (Campbell and Perdersen, 2014). We aim to bring together empirical contributions in order to flow into reflections on how the institutions legitimize their policies and reform themselves through knowledge and scientific standards, in political configurations not yet sufficiently explored by the literature.

Our section could accept proposals focusing on how European actors adopt the codes of scientific research, following institutional innovations. For instance, we can refer to the Joint Research Centre, the European Commission’s think tank which produces standardized research for the latter, while investing spaces of academic debate, by publishing in prestigious scientific journals. However, the « scientific gesture » of institutional actors is not specific to the Commission. It also concerns the European Parliamentary Research Service, European Central Bank economists, or policy advisers from political groups of the Committee of the Regions, that all publish articles in academic journals so as to reinforce their ideas on behalf of the institution they represent. We also welcome contributions which are interested in the socializations of “in-house researchers” that owe “everything” to the European Union, that is to say that they live “for” and “thanks to” the European politics/policies, or scientists that are co-opted/attracted by European affairs.

Furthermore, our section questions the practical modalities of interactions between institutional actors and academic actors when the firsts convene the latter in formal or informal spaces of European decision-making. Whether in public hearings of parliamentary committees, in EU Council working groups, in Commission expert groups (Robert, 2012), or in other spaces (for example in the Conference on the Future of Europe currently underway), it is for “decision-makers” to draw from the corpus of such scientific knowledge a set of resources aimed at consolidating or reorienting their own political positions (Dakowska, 2020). Legitimization through the import of new knowledge into Brussels public arenas can give rise to power struggles between different actors in “Eurocracy” (Georgakakis, 2012), whether between segments of European institutions, or between European institutions and member states.

By paying attention to various situated interactions that are part of this movement of legitimation by European official actors through scientific forms, whether they help to produce successful reforms, or produce policy failures, this section aims to induce debate, bringing together empirically grounded work in various fields of public action, with different methodological and theoretical approaches.

 

Références / References

Ban, C. et Patenaude, B., 2019, « The professional politics of the austerity debate: a comparative field analysis of the Q16 European Central Bank and the International Monetary Fund », Public administration, Vol. 97 (3), p. 1–16.

Campbell, J.L. et Pedersen, O.K., 2014, The origins of policy ideas: knowledge regimes in the United States, France, Germany and Denmark, Princeton, Princeton University Press.

Canihac H., 2019, « Un marché sans économistes ? La planification et l’impossible émergence d’une science économique européenne (1957-1967) », Revue française de science politique, Vol. 69, p. 95-116.

Coman, R., 2020, « Transnational Economists in the Eurozone Crisis: Professional Structures, Networks and Ideas », New Political Economy, Volume 25, 6, p. 978-991.

Dakowska, D., 2020, « Créer des experts à son image. La Commission européenne et les politiques de l’enseignement supérieur », Politix, n° 130, p. 137-164.

Dezalay, Y. et Garth, B., 2011, « Hegemonic battles, professional rivalries, and the international division of labor in the market for the import and export of state-governing expertise », International political sociology, 5, p. 276–93.

Farrell, H. et Quiggin, J., 2017, « Consensus, dissensus, and economic ideas: economic crisis and the rise and fall of Keynesianism », International studies quarterly, 61 (2), p. 269–83.

Georgakakis, D. (dir.), 2012, Le champ de l’Eurocratie. Une sociologie politique du personnel de l’UE, Paris, Economica.

Haas, P., 1992. « Introduction: epistemic communities and international policy coordination », International organization, 46 (1), p. 1–35

Helgadóttir, O., 2015, « The Bocconi boys go to Brussels: Italian economic ideas, professional networks and European austerity », Journal of European public policy, 23 (3), p. 392–409.

Henriksen, L.F. et Seabrooke, L., 2016, « Transnational organizing: issue professionals in environmental sustainability networks », Organization, 23 (5), p. 722–41.

Ihl, O., Kaluszynski M., et Pollet G., 2003, Les sciences de gouvernement, Paris, Economica.

Kauppi, N., 2014, « Knowledge warfare: social scientists as operators of global governance », International political sociology, 8, p. 330–2.

Seabrooke, L. et Tsingou, E., 2014, « Distinctions, affiliations, and professional knowledge in financial reform expert groups », Journal of European public policy, 21 (3), p. 389–407.

Vauchez, A.et Roa Bastos F., 2019, « Savoirs et pouvoirs dans le gouvernement de l’Europe. Pour une sociohistoire de l’archive européenne », Revue française de science politique, Vol. 69, p. 7-24.

Vauchez, A. et Robert, C., 2010, « L’Académie européenne. Savoirs, experts et savants dans le gouvernement de l’Europe », Politix, n° 89, p. 9-34.

Axe 1 / Des luttes de savoir/pouvoir au cœur de « l’Eurocratie »

Hugo Canihac (Université Saint-Louis), Le Parlement européen, la science politique et la difficile co-production de la démocratie supranationale (1957-1979). Vers une archéologie des savoirs de la construction européenne
Discutante : Francisco Roa Bastos (SAGE)

Camille Riviere (CEMS/EHESS), L’expertise naturaliste dans la fabrication de la biodiversité européenne : la négociation de la directive « Habitats » (1988-1992)
Discutant : Francisco Roa Bastos (SAGE)

Oriane Calligaro (ESPOL), A Private Foundation as Knowledge Producer in a Contentious Policy Field: The Open Society Foundations, a Knowledge Network and Lobby for the EU Anti-Discrimination Policy
Discutante : Dorota Dakowska (MESOPOLHIS)

Axe 2 / Des (co)productions savantes et la légitimation de l’UE par le savoir

Lola Avril (European University International), Le Global Competition Law Centre, lieu neutre entrepreneurial de la réforme des politiques européennes de concurrence
Discutante : Dorota Dakowska (MESOPOLHIS)

Léo Corbel (SAGE), Le passage à l’Europe des services géologiques européens au prisme de dispositifs (1971-2005)
Discutante : Dorota Dakowska (MESOPOLHIS)

Ali Choukroun (Triangle), La construction d’une Europe de la biomédecine au prisme du projet EU-RESPONSE : communauté épistémique et « issue professionals » dans la lutte contre les maladies infectieuses et émergentes (MIE)
Discutant : Antoine Vauchez (CESSP)

Pierre-Yves Galzi (CIRED/EHESS), Le travail de construction d’un marché de certificats verts européens : production d’une expertise économique
Discutant : Antoine Vauchez (CESSP)

AVRIL Lola lola.avril@hotmail.fr

BAILLY Jessy jessy.bailly@yahoo.fr

CALLIGARO Oriane oriane.calligaro@univ-catholille.fr

CANIHAC Hugo hugo.canihac@sciencespo.fr

CHOUKROUN Ali ali.choukroun@sciencespo-lyon.fr

CORBEL Léo l.corbel@unistra.fr

DAKOWSKA Dorota dorota.dakowska@sciencespo-aix.fr

GALZI Pierre-Yves pierre-yves.galzi@ehess.fr

RIVIERE Camille camille.riviere@ehess.fr

ROA BASTOS Francisco francisco.roabastos@unistra.fr

VAUCHEZ Antoine antoine.vauchez@univ-paris1.fr