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ST 52

Des systèmes médiatiques en mutation, entre « repolarisation » et « droitisation »

Changing Media Systems, between repolarization and « right-winging »

 

Responsables scientifiques :

Nicolas Kaciaf (Sciences Po Lille, CERAPS) nicolas.kaciaf@sciencespo-lille.eu
Enrique Klaus (Université Galatasaray, Istanbul, IRMC, Tunis) eklaus@gsu.edu.tr

 

Jusqu’au milieu des années 2000, les démocraties occidentales semblaient marquées par un irrésistible processus d’autonomisation de leurs espaces médiatiques respectifs. Si les « systèmes médiatiques » de ces différents pays ont chacun conservé une relative singularité (Hallin & Mancini, 2004), ils se sont cependant inscrits dans une trajectoire marquée par de nombreux traits partagés :  « libéralisation » de l’audiovisuel et moindre capacité d’emprise des pouvoirs politiques sur les médias publics ; renforcement du poids des impératifs commerciaux dans la définition des lignes éditoriales et des programmes (Blumer et Kavanagh, 1999) ; déclin tendanciel des médias militants ; focalisation croissante du journalisme politique sur les jeux plus que sur les enjeux ; valorisation des genres journalistiques plaçant les rédactions en surplomb des affrontements politiciens ; etc.

Cependant, dans un contexte de profonde reconfiguration des « régimes médiatiques » (Delli Carpini, Williams, 2011), plusieurs travaux académiques tendent à questionner le renouvellement des modalités de contribution des médias dits « traditionnels » aux luttes partisanes et idéologiques (Darras, 2017 ; Perloff, 2019) et, inversement, à interroger l’hypothèse d’un renouveau des formes de contrôle, voire d’emprise, des acteurs politiques, étatiques notamment, sur les marchés informationnels (Neveu, 2002 ; Dragomir, 2017 ; Richter, 2017). Cette section thématique entend contribuer à ce travail de compréhension des mutations contemporaines des systèmes médiatiques et de leurs interdépendances aux systèmes politiques. L’enjeu scientifique d’une telle exploration consiste à la fois à éprouver l’outillage conceptuel permettant de modéliser ces changements à une échelle structurale, et à saisir empiriquement les déclinaisons de ces dynamiques de (re)polarisations médiatiques.

Le premier axe entend discuter des cadres théoriques et des focales empiriques susceptibles de rendre compte des récentes transformations des espaces médiatiques et de leurs liens à l’ordre politique. Les analyses sur les évolutions des médias ont longtemps eu recours à un certain nombre de concepts classiques des sciences sociales : autonomisation, polarisation, (dé)politisation des journaux, professionnalisation journalistique, etc. Pour autant, ces outils commencent à montrer leurs limites pour appréhender les évolutions les plus récentes : dynamiques de repolarisation dans le contexte états-unien (Farris, Roberts et al., 2017 ; Cardon et al., 2019) ; circulations de rhétoriques, d’idées et d’acteurs entre médias amateurs de « réinformation » et certains pans des médias « traditionnels » (Holt, 2019 ; Jamet et Guidi, 2017 ; Lukasik, 2018 ; Stephan et Vauchez, 2021) ; mutations des trajectoires où s’imbriquent davantage activités journalistiques, communicationnelles et militantes. Comment parvenir à mieux saisir analytiquement la complexité des rapports médiatico-politiques entre liens de dépendance organisationnelle, affinités idéologiques, proximités sociales et stratégies d’accommodement aux besoins de publicité des acteurs engagés dans la compétition électorale ?

Le deuxième axe vise à tester l’hypothèse d’une « droitisation » tendancielle de l’espace médiatique français. L’audience croissante de CNews, Valeurs actuelles ou encore France Soir ainsi que leur capacité à alimenter l’agenda politique et nourrir la conversation sur les médias sociaux invitent non seulement à questionner l’originalité de cette situation française au regard d’autres configurations nationales, mais également à identifier les conditions de possibilité et les incidences sociopolitiques d’un tel processus. Il s’agira alors de se focaliser sur les enjeux de propriété des entreprises médiatiques, d’opportunité commerciale d’un tel positionnement au regard des évolutions sociopolitiques, de contribution de ces changements aux redéfinitions des offres programmatiques.

 

Until the mid-2000’s, Western democracies seemed to be driven by an irresistible process of autonomy of their media spaces. Although the ‘media systems’ of these different countries still have a relative singularity (Hallin & Mancini, 2004), they have been grounding in a trajectory integrating many shared feature : « the ‘liberalization’ of the audiovisual sector and the decreasing capacity of political authorities to control public media; the overweight of business imperatives in the definition of editorial lines and programs (Blumer and Kavanagh, 1999); the trending decline of militant media; the increasing focus of political journalism on the game rather than what is at stakes in the political debate; the development of journalistic genres that place newsrooms above political confrontations; etc.

However, in a context of reconfiguration of ‘media regimes’ (Delli Carpini, Williams, 2011), several academic researches tend to question the renewing modalities through which ‘traditional’ media contribute to partisan and ideological struggles (Darras, 2017; Perloff, 2019) and, conversely, to question the hypothesis of renewed forms of control, if not grip, by political actors, notably the State, over the information markets (Neveu, 2002; Dragomir, 2017; Richter, 2017). This panel aims to contribute to this work of understanding contemporary changes in media systems and their interdependence with political systems. The scientific challenge of such an exploration consists both in testing the conceptual tools that allow us to model these changes on a structural scale, and in grasping empirically the declensions of these dynamics of media (re)polarization.

The first axis intends to discuss theoretical frameworks and empirical focuses likely to account for the recent transformations of media spaces and their links to the political order. Analyses of media developments have long relied on a number of classical concepts in social sciences: empowerment, polarization, (de)politicization of newspapers, journalistic professionalization, etc. However, these tools are beginning to prove insufficient to understand the most recent developments, e.g.: repolarization dynamics in the U.S. (Farris, Roberts et al., 2017; Cardon et al, 2019); rhetoric, ideas and actors circulating between amateur ‘reinformation’ media and certain parts of ‘traditional’ media (Holt, 2019; Jamet and Guidi, 2017; Lukasik, 2018; Stephan and Vauchez, 2021); mutations of trajectories where journalistic, communicational and activist works are intertwined. How can we better grasp analytically the complexity of media-political relations, including organizational dependencies, ideological affinities, social proximities and strategies of accommodation to the publicity needs of actors who are engaged in the electoral competition?

 The second axis aims at testing the hypothesis of a tendency of the French media space to become ‘right-wing’. The growing audience of CNews, Valeurs actuelles and France Soir, as well as their capacity to feed the political agenda and the conversation on social media, compel us not only to question the originality of this French situation with regard to other national configurations, but also to identify the conditions of possibility and the socio-political incidences of such a process. It will then focus on the issues of ownership of media companies, the commercial opportunity of such a positioning with regard to socio-political developments, and the contribution of these changes to the redefinition of programmatic offers.

 

Références / References

BLUMER Jay G., KAVANAGH Dennis (1999), « The Third Age of Political Communication: Influences and Features », Political Communication, vol. 16, n°3, p.209-230.

CARDON Dominique, Patino Bruno, Zuckerman Ethan et al. (2019), « Media polarization « à la française » ? Comparing the French and American ecosystems », rapport de recherche, Institut Montaigne.

DARRAS Éric (2017), « Champ journalistique, ordre social et ordre politique », Sociétés contemporaines, n°106, p. 5-20.

DELLI CARPINI Michael, WILLIAMS Bruce (2011), After Broadcast News: Media Regimes, Democracy, and the News Information Environment, Cambridge: Cambridge University Press.

DRAGOMIR Marius (2017), « Control the money, control the media: How government uses funding to keep media in line », Journalism, vol. 19, n°8, p. 1131-1148.

FARRIS Roberts, BENKLER Yochai et al. (2017), Partisanship, Propaganda, and Disinformation: Online Media and the 2016 U.S. Presidential Election, Harvard University: Berkman Klein Center.

HALLIN Dan, MANCINI Paolo (2004), Comparing Media Systems. Three Models of Media and Politics, Cambridge: Cambridge University Press.

Holt Kristoffer (2019), Right-wing alternative media, London: Routledge.

JAMMET Thomas, GUIDI Diletta (2017), « Observer Les Observateurs. Du pluralisme médiatique au populisme anti-islam, analyse d’un site de « réinformation » suisse et de ses connexions », Réseaux, n° 202-203, p. 241-271.

LUKASIK Stéphanie (2018), « A la frontière des “fake news”, entre réinformation et désinformation. Le cas du blog Fdesouche », in JOUX Alexandre et PELISSIER Maud (dir.), L’information d’actualité au prisme des « fake news », Paris : Harmattan, p. 135-158.

NEVEU Erik (2002), « Les répertoires de l’influence des États », Dossiers de l’audiovisuel, n°106.

PERLOFF Richard (2019), The Dynamics of News: Journalism in the 21st-Century Media Milieu, London: CRC Press.

RICHTER Carola (2017), « Media policy in times of transition: Tunisia’s bumpy road to democracy », Publizistik, vol. 62, n°3, p. 325−337.

STEPHAN Gaël, VAUCHEZ Ysé (2021), « Dévoiler les “bobards” des médias dominants  », RESET, n°10, https://journals.openedition.org/reset/3180.

Axe 1 / Interdépendances et frontières politico-médiatiques

Président : Enrique Klaus (Université Galatasaray, IRMC)
Discutant : Nicolas Hubé (Université de Lorraine, CREM)

Sébastien Michon (CNRS, SAGE) et Julie Sedel (Université de Strasbourg, SAGE), Des journalistes en politique. Enquête sur les frontières et l’autonomie des espaces médiatiques et politiques

Felix Lennert (Ecole Polytechnique, CREST), Étienne Ollion (CNRS, CREST) et Rubing, Shen (Sciences Po Paris, Medialab), Priorité à droite ? Mesures des tendances partisanes des médias en France

Pierre Lefébure (Université Sorbonne Paris Nord, CERLIS), Emilie Roche (Université Sorbonne Nouvelle, CERLIS), Claire Sécail (CNRS, CERLIS) et Alexandre Borrell (Université Paris Est Créteil, CEDITEC), La mise à l’épreuve du pluralisme politique à la télévision française autour de l’hypothèse d’une “droitisation” du traitement de l’actualité électorale. Analyse de contenu et de mise en récit d’un corpus diversifié de formats médiatiques lors de la campagne présidentielle de 2022

Umit Yazmaci (sans institution de rattachement, Turquie), La droitisation du champ médiatique et la dérive autoritaire : l’expérience de “la Nouvelle Turquie” d’Erdoğan

Axe 2 / A l’extrême droite des médias

Président : Nicolas Kaciaf (Sciences Po Lille, CERAPS)
Discutante : Sandrine Lévêque (Sciences Po Lille, CERAPS)

Emilien Houard-Vial (Sciences Po Paris, Centre d’études européennes et de politique comparée), Quand la radicalité fait la Une. Le développement d’un espace médiatique, intellectuel et politique de droite radicale en France
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Cécile Leconte (Sciences Po Lille, CERAPS), La carrière du “grand remplacement” dans le champ médiatique français : un indicateur de “droitisation” ?

Jérôme Parcouret (MIAI Grenoble Alpes), La quête de respectabilité de Valeurs actuelles : façade institutionnelle et stratégie numérique d’un média d’extrême droite à la frontière de la légitimité journalistique

Gaël Stephan (Université Paris 2 Panthéon-Assas, CARISM), Oppositionnels et d’extrême droite : les contre-médias de réinformation

BORRELL Alexandre alexandre.borrell@u-pec.fr

HOUARD-VIAL Emilien emilien.houardvial@sciencespo.fr

HUBE Nicolas nicolas.hube@univ-lorraine.fr

KACIAF Nicolas nicolas.kaciaf@sciencespo-lille.eu

KLAUS Enrique eklaus@gsu.edu.tr

LECONTE Cécile cecile.leconte@sciencespo-lille.eu

LEFEBURE Pierre pierre.lefebure@univ-paris13.fr

LENNERT Felix felix.lennert@ensae.fr

LEVEQUE Sandrine sandrine.leveque@sciencespo-lille.eu

MICHON Sébastien smichon@unistra.fr

OLLION Etienne etienne.ollion@polytechnique.edu

PARCOURET Jérôme pacouret.jerome@gmail.com

ROCHE Emilie emilie.roche@sorbonne-nouvelle.fr

SECAIL Claire claire.secail@dauphine.psl.eu

SEDEL Julie jsedel@orange.fr

SHEN Rubing rubing.shen@polytechnique.edu

STEPHAN Gaël stephan.gael@gmail.com

YAZMACI Umit umityazmaci@gmail.com