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ST 65

Quantifier en sociologue de l’action publique

Quantifying public action as a sociologist

 

Responsables scientifiques :

Solenne Jouanneau (SAGE, Université de Strasbourg) jouanneau@unistra.fr
Océane Pérona (JEFAR, Université Laval, Québec) oceane.perona@protonmail.com

Cette section thématique vise à rassembler des contributions qui abordent l’action publique au prisme d’une démarche alliant ethnographie des pratiques des street-levels bureaucrats (Lipsky, 1980) et mise en chiffre de l’action publique via la constitution de base données visant à objectiver tant les effets des politiques publiques mises en œuvre que les catégories d’entendement que celles-ci participent à mettre en circulation. L’objet sera alors d’une part de se demander ce que la quantification apporte aux ethnographies de l’action publique et, d’autre part, de rendre compte de la manière dont l’ethnographie vient nourrir la production, l’usage et l’analyse des statistiques produites.

En effet, les recherches qui prennent pour objet « l’Etat au guichet » (Weller, 1999) sont aujourd’hui foisonnantes, à tel point qu’il serait sans doute vain de prétendre toutes les recenser. Précisons tout de même qu’elles recouvrent des domaines variés de l’action publique et concernent autant la « main droite » que la « main gauche » de l’Etat (Bourdieu et al., 1993). La mise en œuvre des politiques de santé publique a par exemple fait l’objet d’une attention soutenue de la recherche (Belorgey, 2010 ; Geeraert, 2016 ; Peneff, 1992 ; Gabarro, 2017). De même, de nombreux travaux documentent la mise en œuvre des politiques sociales, qu’il s’agisse du travail des assistantes sociales (Serre, 2009), de celui des guichetiers de la Caisse d’Allocations Familiales (Dubois, 2015), du droit au logement (Weill, 2017) ou de Pôle Emploi (Pillon, 2017). Les institutions judiciaires et répressives ne sont pas en reste de ce mouvement. En attestent les recherches sur la Justice (Bastard et Mouhanna, 2007 ; Bessière et al., 2018 ; Gautron et Retière, 2016 ; Michel et Willemez, 2009 ; Mouhanna et Bastard, 2010 ; Spire et Weidenfeld, 2015 ; Vauchez et Willemez, 2007) ; le travail policier (Gauthier, 2015 ; Mainsant, 2008 ; Bargeau 2015) ; l’administration pénitentiaire (Bouagga, 2015 ; de Larminat, 2014 ; Beraud, De Galembert & Rostaing 2017) ou encore les services de contrôle de l’immigration (Spire, 2007 ; Nicolas Fischer, 2017 ). Toutes ces recherches ont néanmoins en commun d’avoir largement privilégié l’approche ethnographique pour étudier l’implémentation des politiques publiques.

Les approches quantitatives de la mise en œuvre de ces politiques restent plus rares. Celles qui existent s’inscrivent davantage dans une perspective de sociologie de la quantification. Elles proposent alors une réflexion sur la construction des différentes catégories de la statistique publique (Amossé, 2004 ; Aubusson De Cavarlay, 2006 ; Desrosières et Thévenot, 2002) ou sur l’usage des chiffres comme technique de gouvernement et sur les effets du recours à des indicateurs chiffrés sur l’action publique (Bruno et Didier, 2013 ; Desrosières, 2014 ; Didier, 2011 ; Halpern, Lascoumes, et Le Galès, 2014).

Alors même que les méthodes quantitatives sont largement mobilisées en sociologie politique aux fins d’analyser la vie politique et les déterminants du vote, la rareté des travaux de sociologie quantitative de l’action publique étonne et interpelle. Les travaux sur les institutions pénales constituent à ce titre une exception, que l’on pense aux recherches sur le sentencing (Jobard et Névanen, 2007), sur les contrôle d’identité (Jobard et al., 2012) ou sur les violence sexuelles (Le Goaziou, 2013 ; Pérona, 2017). La justice familiale a elle aussi fait l’objet de méthodes d’investigations à la fois qualitatives et quantitatives (collectif onze, 2013 ; Biland et Mille, 2017 ; Rafin, 2017).

Ces différentes recherches soulèvent des questions méthodologiques liées au type de sources exploitées. Les chercheurs qui travaillent à partir de sources internes aux institutions publiques doivent composer avec des matériaux qui, destinés à un usage interne à l’institution, n’ont pas été construits dans le but de produire de la connaissance scientifique (Béliard et Biland, 2008 ; Desrosières, 2005). La production de données quantitatives à partir de dossiers administratifs peut ainsi difficilement faire l’économie d’une réflexion sur la construction des catégories utilisées par l’administration (Serre, 2012 ; Bonelli et Carrié, 2018), rejoignant ainsi les travaux classiques de sociologie de la quantification (Cicourel et Kituse, 1963 ; Desrosières et Kott, 2005).

 

This thematic section intends to bring together contributions that address public action through an approach that combines the ethnography of the practices of street-level bureaucrats (Lipsky, 1980) and the quantification of public action through the creation of databases aimed at objectifying both the effects of the public policies implemented and the categories of understanding and perception that they help disseminate. The panel will ask what quantification brings to the ethnographies of public action and report on how ethnography fuels the production, use and analysis of statistics.

Indeed, research on « the State at the counter » (Weller, 1999) is now abundant, to such an extent that it would probably be futile to list all the existing studies. It should be noted, however, that they cover various fields of public action and concern both the « right hand » and the « left hand » of the State (Bourdieu et al., 1993). For example, the implementation of public health policies has received sustained research attention (Belorgey, 2010; Geeraert, 2016; Peneff, 1992; Gabarro, 2017). Similarly, many studies have documented the implementation of social policies, including the work of social workers (Serre, 2009), the work of welfare counter staff (Dubois, 2015), the right to housing (Weill, 2017) and the national employment agency Pôle Emploi (Pillon, 2017). Judicial and repressive institutions have not been neglected. This is evidenced by research on justice (Mouhanna and Bastard 2011, 2006; Gautron & Retière, 2014, 2016; Vauchez & Willemez 2007; Michel & Willemez 2007; Bessière et al. 2018; Spire and Weidenfeld, 2015); police work (Gauthier, 2015; Mainsant, 2008; Bargeau 2015); the prison administration (Bouagga, 2015; de Larminat, 2014; Beraud, De Galembert & Rostaing 2017) and immigration control services (Spire, 2007; Nicolas Fischer, 2017). All the above share an extensive use of ethnography in the study of public policy implementation.

Quantitative approaches to the implementation of these policies remain less common. The existing ones are more in line with a sociology of quantification perspective. They reflect on the construction of various categories of official statistics (Amossé, 2004; Aubusson De Cavarlay, 2006; Desrosières and Thévenot, 2002) or on the use of numbers as a government technique and the effects of the use of quantitative indicators on public action (Bruno and Didier, 2013; Desrosières, 2014; Didier, 2011; Halpern, Lascoumes, and Le Galès, 2014).

While quantitative methods are widely used in political sociology to analyse political life and the determinants of voting, the scarcity of quantitative sociology work in public action is intriguing. Work on criminal institutions is a notable exception, including research on sentencing (Jobard and Névanen, 2007), identity checks (Jobard et al., 2012) and sexual violence (Le Goaziou, 2013; Pérona, 2017). Family justice has also been the subject of both qualitative and quantitative investigative research (Collectif Onze, 2013; Biland et Mille, 2017; Rafin, 2017).

These studies raise methodological questions related to the type of sources used. Researchers working from sources within public institutions must deal with materials that were intended for internal use within the institution and therefore not built to produce scientific knowledge (Béliard and Biland, 2008; Desrosières, 2005). The production of quantitative data from administrative files thus clearly requires reflection on the construction of the categories used by street-level bureaucrats (Serre, 2012; Bonelli and Carrié, 2018), echoing the classical sociology of quantification work (Cicourel and Kituse, 1963; Desrosières and Kott, 2005).

 

REFERENCES

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Spire A. « L’asile au guichet ». Actes de la recherche en sciences sociales. 2007. Vol. 169, n°4, p. 4‑21.

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Weller J.-M. L’État au guichet. Paris : Desclée de Brouwer, 1999.

Introduction

Axe 1/ Quantifier les politiques sociales et éducatives

Discutantes : Solenne Jouanneau & Océane Perona

Pierre-Yves Baudot (IRISSO), Marie-Victoire Bouquet (UPJV/CURAPP), De l’ayant-droit à l’électeur. Comment analyser le vote des administrés des MDPH ?

Pierre-Antoine Chauvin (UPJV), Saisir l’action publique par la statistique ethnographique. Le cas du traitement institutionnel des sans-domicile à Paris

Maud Aigle (CED, Université de Bordeaux), Lutter contre le décrochage à l’IUT : l’apport des méthodes mixtes pour repenser les finalités des dispositifs de remédiation

Axe 2 / Quantifier les politiques judiciaires 

Discutantes : Solenne Jouanneau & Océane Perona

Bartolomeo Cappellina (CED, Université de Bordeaux), Cécile Vigour (CED, Université de Bordeaux), Quantifier les représentations citoyennes de la justice et de l’État : des entretiens collectifs à une enquête par questionnaire

Marc Alain (Département de psychoéducation, Université du Québec à Trois-Rivières) (chercheur et auteur principal), Annick Saint-Amand (Département de psychoéducation, Université du Québec à Trois-Rivières), Delphine Collin-Vézina (Département de psychologie, McGill University), Marie-Ève Clément (Département de psychologie et de psychoéducation, Université du Québec en Outaouais), Danielle Nadeau (Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale nationale), Sonia Hélie (Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux Montréal Centre-sud), Les trajectoires d’intervention socio-judiciaire liées aux cas d’enfants victimes d’abus sexuel et physique au Québec : la difficile concertation des acteurs et les pistes de solution émergentes.

Lara Mahi (Université Paris Nanterre, Sophiapol/Pacte), Coder = juger ? : dilemmes d’une étude sur la construction des jugements pénaux par le recours à la quantification

AIGLE Maud maud.aigle@u-bordeaux.fr

ALAIN Marc marc.alain@uqtr.ca

BAUDOT Pierre-Yves pierre-yves.baudot@dauphine.psl.eu

BOUQUET Marie-Victoire mvbouquet@yahoo.fr

CAPPELLINA Bartolomeo bartolomeo.cappellina@gmail.com

CHAUVIN Pierre-Antoine pierre-antoine.chauvin@ined.fr

JOUANNEAU Solenne jouanneau@unistra.fr

MAHI Lara laramahi75@gmail.com

PERONA Océane oceane.perona@protonmail.com

VIGOUR Cécile c.vigour@sciencespobordeaux.fr