le portail de la science politique française
Responsables scientifiques :
Marielle Debos (Université Paris Nanterre, Institut des Sciences sociales du Politique (ISP) debos@parisnanterre.fr
Christophe Wasinski (Université libre de Bruxelles, Centre Recherche et Etudes en Politique Internationale christophe.wasinski@gmail.com
Qui produit des savoirs sur la guerre et dans quelles conditions ? Avec quels effets sur les savoirs produits ? Historiquement, les recherches sur la guerre ont souvent été conçues et diffusées à partir d’institutions militaires ou d’universités et de centres de recherche bénéficiant du soutien des ministères de la Défense. Ces conditions sociales et institutionnelles ont soutenu la production d’un savoir souvent épistémologiquement positiviste et peu réflexif. La recherche a fait la part belle à des analyses surplombantes, adoptant la perspective des décideurs militaires et politiques et négligeant de prendre en considération les effets de la violence armée sur le terrain, pour les civil.e.s et les militaires. Le champ des études de la guerre, essentiellement masculin, a en outre produit un savoir largement androcentré. Qu’il s’agisse de pensée stratégique classique, d’histoire militaire ou d’études stratégiques, le constat est relativement identique. Ce sont surtout les hommes des centres de recherche occidentaux, bénéficiant souvent de soutiens institutionnels et financiers des forces armées, qui ont pensé et étudié la guerre et adopté une vision ethnocentriste de celle-ci.
Cette section thématique cherche à savoir ce que deviennent ces biais dans le contexte actuel notamment marqué par la baisse des financements récurrents de la recherche et la croissance des financements du ministère des Armées, ainsi que par l’introduction de politiques scientifiques qui reprennent à leur compte des notions construites par les acteurs des politiques de sécurité (« radicalisation », « terrorisme », « violence criminelle », etc.). En d’autres termes, la section thématique cherche à penser les conditions d’une recherche réflexive et scientifique sur la guerre.
Tout d’abord, les postures et pratiques épistémologiques des chercheur.e.s reflètent-elles leurs positionnements institutionnels ? Observe-t-on un rapprochement entre le monde académique et militaire ? A titre d’exemple, en mai 2018, les directions du CNRS et du renseignement militaire ont signé une convention qui doit donner un cadre formel à la coopération entre chercheur.e.s et agents du renseignement militaire. Assiste-t-on à une reconfiguration des rapports entre champs académique et militaire ? Les chercheur.e.s modifient-ils leurs approches et questionnements pour obtenir des autorisations d’accès à leurs terrains ? Quelles stratégies ont-ils dû mettre en place pour avoir les autorisations, de plus en plus difficile à obtenir, pour se rendre dans des zones considérées comme dangereuses ?
Ensuite, les récentes évolutions de l’université (néolibéralisation, injonctions à produire des recherches utiles aux gouvernants) ont-elles fait évoluer les rapports entre savoirs académiques et experts sur la guerre ? Ont-elles une incidence sur les capacités à remettre en question les « cadres de guerre » (Butler) dominants et à s’affranchir des perspectives ethnocentristes et androcentrées ?
Enfin, comment les chercheur.e.s, pris.e.s individuellement ou au sein de collectifs et d’institutions, déterminent-ils ce qui est acceptable ou non en matière de recherche ? Concrètement, quelles sont nos pratiques face aux conflits d’intérêt ? Sont-ils purement et simplement occultés, déclarés préalablement à des fins de transparence, régulés par des chartes éthiques, encadrés par le recours à des outils théoriques et autres protocoles de recherche destinés à mettre de la distance entre le ou la chercheur.e et ses préférences, ou encore justifiés après-coup afin de les relativiser ?
Les responsables de la section thématique sont intéressé.e.s à la fois par des propositions de contributions portant sur des études de cas délimitées, historiques ou contemporaines, et par des propositions de contributions d’ordre réflexif, invitant les chercheur.e.s à relire leur parcours afin d’interroger les choix méthodologiques, épistémologiques et éthiques qui ont été les leurs.
Who does research on war, in which conditions, and how does this impact the knowledge that is produced? Historically, research on war was largely designed and circulated in close collaboration with military institutions or within universities / research centers supported by the ministries of Defense. These social and institutional conditions have introduced a bias towards positivist research designs or approaches that have shown, epistemologically speaking, little reflexivity. Concretely, priority has often been given to approaches which adopt the perspective of the military organizations and political decision-makers. This framing has left little space for the understanding of the social practices on the ground and for the analysis of the concrete effects of armed violence for civilians and soldiers. On top of this, research on war has long been dominated by male practitioners. In this respect, classical strategic thought, military history and contemporary strategic studies make no exception. These research fields have long been dominated by men who work in Western research institutions benefiting from institutional and financial supports of the armed forces, and who study war through a strong androcentric and ethnocentric lens.
This thematic panel aims at investigating whether the aforementioned biases are still operating and to what extent. This question appears all the more crucial in a context marked by the diminution of traditional public funding, the proliferation of funding coming from the defense ministries, and the emergence of research policies that encourage scholars to recycle notions crafted by state security actors (« radicalization », « terrorism », « criminal violence », etc.). In other words, the thematic panel proposes to reflect upon the conditions for the development of reflexive and scientific research on war. This general orientation may translate into the following questions.
Firstly, can we observe a link between the scholars’ epistemological stances and practices and their institutional positions? Do we witness a rapprochement of the academic and military worlds? For example, in May, 2018, the board of the CNRS and the French military intelligence directorate signed a convention which formalized the cooperation between researchers and military intelligence services. This poses the question of the form and extent of the reconfiguration of the relationship between the research and the military fields. Do scholars adapt their approaches and research questions in order to obtain clearances to access their fields? What are the strategies used by scholars who need special authorizations in order to conduct fieldwork in conflict zones when these authorizations are harder and harder to obtain?
Secondly, we will welcome papers that investigate how the aforementioned evolutions in the academic field (neoliberalization, increasing pressure to produce policy-oriented research) impact the relations between academic and expert research on war. Has this evolution also impacted the scholarly ability to put into question the dominant « frames of war » (Butler) and to get rid of ethnocentric and androcentric perspectives?
Thirdly, how do researchers and research institutions determine what is ethically acceptable or not regarding the research? Concretely, how can one deal with potential conflicts of interest? Do we put them in the dark, expose them publicly for the sake of transparency, regulate them through ethical codes, control them through the recourse to theoretical tools and other research protocols intended to put some distance between scholars and his/her preferences? Or, do we simply justify them after the research has been done in an attempt to overlook them?
The conveners of this panel are interested in papers on historical and contemporary cases, as well as in reflexive analyses, thereby inviting scholars to re-appraise their professional trajectories and to question their own methodological, epistemological and ethical choices.
Axe 1 / Androcentrisme et ethnocentrisme des études sur la guerre : comment en sortir ?
Adriana Abdenur (Instituto Igarapé / Naval War College), Does South-South Cooperation Overcome Ethnocentrism in War Research? Evidence from the Democratic Republic of Congo
Anne Nguyen (Université Libre de Bruxelles – REPI), Contre les plantes, et non les humains : Raisons et conséquences de l’invisibilisation de la violence des épandages d’Agent Orange dans la production de savoir de l’armée américaine
Izadora Xavier do Monte (Université Paris 8 – GTM-CRESPPA), Les violences tues. Enquête sur l’échec d’un terrain sur le maintien de la paix des Nations unies
Antoine Younsi (Université Libre de Bruxelles – REPI), Valider la guerre à travers les ‘arrangements de genre’ guerriers. Enquête sur le cadrage genré dans les mémoires des militaires français engagés au Mali (2013-2018)
Axe 2 / Etudier la guerre avec des financements de la Défense ?
Corentin Cohen (Sciences Po-CERI), Faire sa thèse financée par la DGA : Retour sur une trajectoire de recherche et le rôle des institutions dans la définition des controverse sur les conflits
Christel Coton (Université Paris 1 – CESSP), Une discipline disciplinée ? Retour sur les conditions de production d’un savoir sociologique sur les Armées
Gregory Daho (Université Paris 1 – CESSP), Réceptions et réactions à la hausse du financement de la recherche en sciences sociales par les Armées : une opportunité d’objectivation du jeu académique
Mathias Delori (CNRS – Centre Emile Durkheim), La controverse sur les bombardements « stratégiques » sur l’Allemagne de 1945 à nos jours : Comment les positions institutionnelles des experts surdéterminent les évaluations
Axe 3 / Des milieux hostiles ? Survivre au terrain et au champ académique
Anne-Marine Vanier (Université Paris 1 – CESSP), Regards sur l’atelier : La sous-traitance de la collecte des données sur les conflits
Julien Pomarède (Université Libre de Bruxelles – REPI), Défaire l’esthétisation de l’OTAN : conditions d’une critique de la raison politico-militaire
Kinda Chaib (ENS-Ulm), Travailler sur la construction de l’histoire des conflits par le Hezbollah pendant le temps de la guerre en Syrie
ABDENUR Adriana adriana@igarape.org.br
CHAIB Kinda kindachaib@gmail.com
COHEN Corentin corentin.cohen@sciencespo.fr
COTON Christel christel.coton@gmail.com
DAHO Gregory Gregory.Daho@univ-paris1.fr
DEBOS Marielle debos@parisnanterre.fr
DELORI Mathias m.delori@sciencespobordeaux.fr
POMAREDE Julien julien.pomarede@gmail.com
VANIER Anne-Marine am.vanier@gmail.com
WASINSKI Christophe christophe.wasinski@gmail.com
XAVIER DO MONTE Izadora izadora.x@gmail.com
YOUNSI Antoine younsi.antoine@gmail.com