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ST 50

Pour une sociologie politique du traitement des restes humains

For a Political Sociology of the Government of Human Remains

 

Responsables scientifiques :

Milena Jaksic (ISP, Université de Paris X Nanterre) milenajaksic@gmail.com
Nicolas Fischer (CESDIP – Université de Versailles St Quentin) fischer@cesdip.fr

Le « retour des morts » évoqué depuis quelques années en sciences sociales a donné lieu à une série de travaux soulignant la centralité du « gouvernement des morts » dans la construction des Etats-nations modernes (Esquerre 2011), et l’importance des funérailles officielles de combattants, de morts illustres (Verdery 1999), ou plus récemment de victimes d’attaques terroristes  (Truc 2016). Le récent forensic turn des études anthropologiques a quant à lui encouragé les travaux centrés sur l’examen médico-légal de cadavres « problématiques », ceux des victimes non identifiées de crimes de masse dans des contextes de sortie de conflits  (Ferrándiz et Robben 2015; Gessat-Anstett et Dreyfus 2015).

Adossée au programme ANR « Les corps-témoins. Pour une sociologie politique du traitement des restes humains », cette section thématique propose vis-à-vis de ces recherches un double déplacement.

En premier lieu, elle constate que les luttes prenant pour objet des corps problématiques sont loin de se limiter à l’identification des victimes de crimes de masse : on peut aujourd’hui repérer une multiplicité de situations où des acteurs publics ou privés s’efforcent d’expertiser des restes humains mal identifiés et s’opposent sur la « vérité » que livre leur examen. Ces luttes visent fréquemment des morts délaissés par les Etats, parce que ces derniers sont directement responsables de leur décès – cas des victimes de crimes de masse – et/ou parce qu’ils appartiennent à des populations dominées ou étrangères habituellement négligées par la puissance publique : c’est le cas des migrants morts en mer avant d’atteindre l’Europe (Babels 2017), ou des « morts de la rue » dont personne ne s’enquiert (Bertherat 2003). Il peut également s’agir de rejeter l’expertise officielle et ses interprétations, comme ce fut le cas à propos des victimes du 11 septembre  (Aronson 2016), ou pour celles de certaines catastrophes naturelles (Clavandier 2004). Ensuite, elle s’intéresse à la politisation des corps problématiques : au-delà de leur examen médical, ces restes humains sont en effet l’enjeu de décisions de justice, de mobilisations militantes, et d’un ensemble de pratiques et de discours publics qui visent à les « faire parler » pour leur attribuer une valeur particulière.

Ces controverses intéressent pleinement la science politique à plusieurs titres. Elles confirment tout d’abord que les morts sont des sujets politiques à part entière, qui acquièrent une existence et une importance sociale grâce à l’expertise dont ils font l’objet. Elles constituent également une mise à l’épreuve du monopole historique des Etats sur l’administration des morts. Les death studies ont de fait largement documenté l’étatisation progressive de la gestion des disparitions au cours du XIXème siècle, dont témoignent l’institution du permis d’inhumer et, pour les morts suspectes, de l’enquête médico-légale (Stepputat 2014). Le traitement des restes humains évoqués ici engage au contraire une multitude d’acteurs tant privés que publics chargés d’identifier les morts et de leur attribuer une histoire et une portée politique spécifiques : fonctionnaires nationaux ou des institutions judiciaires internationales, médecins légistes, responsables des laboratoires privés chargés d’expertiser les corps, familles des victimes ou encore membres des think tanks ou d’ONGs mobilisés en faveur des disparus. C’est dire également que les scènes où se confrontent ces acteurs dépassent elles aussi le cadre stato-national : on les trouve au sein des cours pénales jugeant les crimes de masse ou des congrès et des réseaux transnationaux qui associent les professionnels de la médecine légale ou les militants autour de l’identification des corps.

Il s’agira donc ici d’interroger ces arènes de débat : correspondent-elles à l’émergence de nouveaux « collectifs hybrides » autour de la gestion des morts, et quel rôle la puissance publique continue-t-elle à y jouer ? Comment les controverses qui opposent leurs protagonistes conduisent-elles à qualifier les restes humains ? Enfin, quels sont les effets politiques de ces qualifications, lorsqu’il s’agit, à partir de l’expertise des restes humains, d’attribuer la responsabilité de leur mort à un Etat ou un groupe, d’indemniser ou d’honorer leurs proches, ou encore de commémorer leur disparition sous une forme particulière ?

 

In the wake of the recent “return of the Dead” in social sciences, a series of studies have recalled the centrality of the government of the dead within historical processes of nation-state building (Stepputat 2014), with a focus on the importance of official funerals of fallen soldiers, remarkable deads (Verdery 1999), or more recently of victims of terrorist attacks (Aronson 2016; Truc 2016). The contemporary forensic turn in anthropology has added to this movement, fostering studies on the expertise of « problematic » bodies – those of unidentified victims of mass killings – in post-conflict situations (Ferrándiz & Robben 2015; Gessat-Anstett & Dreyfus 2015).

Following this trend, this panel will mark the beginning of the ANR programme “Bodies as witnesses. Building a political sociology of the government of human remains”. It will also initiate two important shifts from existing works. It first acknowledges that controversies over dead bodies are not limited to matters of identification of the victims of massive war crimes: one can indeed spot multiple current situations where public or private actors analyze uncertain human remains, and struggle over the “truth” this expertise delivers. These struggles commonly rise over state-forsaken bodies: bodies states have directly killed, as in the case of mass crimes, but also bodies states have long neglected because they belong to disadvantaged or discriminated-against populations – as in the case of immigrants who died at sea before reaching European shores (Babels 2017), or that of homeless persons whose remains are never claimed by anyone (Klinenberg, 2001). Controversies may also begin with the rejection of state forensic expertise and its official political interpretations, as was the case for the victims of 9/11 (Aronson 2016), or those of various natural disasters.

On these situations, this panel also choses to focus on the politics of problematic bodies. Indeed, these remains are not only subject to forensic medical examination – they are also targeted by judicial decisions, advocacy work, and a wide range of public discourse and practices sharing a common goal: to make the bodies “talk”, and grant them a social and political status accordingly.

These political struggles matter to Political science in many ways. They first confirm dead bodies are definite political subjects, with social significance and existence provided by their expertise. They also challenge the monopoly states have historically gained over the management of dead bodies – a well-documented evolution described extensively by Death Studies academics, and which culminated with the institution of the death certificate and of mandatory forensic analysis in cases of suspected murders (Stepputat 2014).

On the contrary, the management of dead bodies addressed in this panel involves a series of state and non-state actors, in charge of identifying the dead and of assigning a particular history and political relevance to them: they may be officials from state administrations or international courts, forensic experts, representatives of private forensic labs, relatives of the victims or members of dedicated NGOs and think tanks. Confrontations between those actors furthermore exceed the nation-state level as they happen before international institutions or within international networks connecting forensic professionals or specialized activists. This panel will thus question these new venues of debate: are they rising “hybrid collectives” around the management of dead bodies, how important are state administrations within them? How do controversies between those actors lead to actively labelling dead bodies? Finally, what are the political consequences of these labels – in cases where the examination of human remains may lead to assign responsibility for their death to a state or a group, to honor their kin or grant them financial compensation for their loss, or to memorialize the dead in a particular way?

 

REFERENCES

Aronson Jay D., 2016, Who owns the dead? The science and politics of death at Ground Zero, Cambridge, Harvard University Press.

Babels, 2017, La mort aux frontières de l’Europe: retrouver, identifier, commémorer, Neuvy-en-Champagne, Le passager clandestin.

Ferrándiz Francisco & Robben Antonius C. G. (eds.), 2015, Necropolitics: mass graves and exhumations in the age of human rights, Philadelphia, University of Pennsylvania Press.

Gessat-Anstett Élisabeth & Dreyfus Jean-Marc, 2015, Human remains and identification: mass violence, genocide, and the « forensic turn », Manchester, Manchester University Press.

Klinenberg, Eric, 2001, « Bodies That Don’t Matter: Death and Dereliction in Chicago », Body & Society, vol. 7, n°2‑3: 121‑136.

Stepputat Finn, 2014, Governing the dead: sovereignty and the politics of dead bodies, Manchester, Manchester University Press.

Truc Gérôme, 2016, Sidérations: une sociologie des attentats, Paris, Presses universitaires de France.

Verdery Katherine, 1999, The political lives of dead bodies: reburial and postsocialist change, New York, Columbia University Press.

Axe 1 / Relire l’histoire longue à la lumière des restes humains.

Hugues Bonnefon (CSO/IEP de Paris), Des gaulois aux poilus, peut-on déterrer tous les morts ? L’archéologie funéraire en France.

Thomas Richard, (CMH/Université Clermont-Auvergne), Pour qu’aucun ne soit inconnu : honorer les restes humains en Israël, parcours de mémoire et

fabrique de l’identité nationale.

Discutant : Nicolas Fischer (CESDIP/Université de Versailles St Quentin)

Axe 2 / Acteurs, scènes et dispositifs propres aux controverses autour des corps

Dorothée Delacroix (ISP Louvain Europe/UC Louvain), Vers des victimes « plus vraies » ? Attester du statut de victime à l’ère de l’os

Sabrina Melenotte (IIAC/FMSH), Morts incommodes : la difficile étatisation des restes humains au Mexique.

Antoine Mégie (CUREJ – Université de Rouen), « On juge les morts ! »

Discutante : Elisabeth Claverie (ISP – Université de Paris X Nanterre)

Axe 3 / Les opérations de qualification des restes humains.

Camille Collin, (CEVIPOF/IEP de Paris), Vouloir au-delà de la mort. La place d’une parole « pour les morts » dans la régulation de la circulation des restes humains.

Lisa Carayon, (IRIS/Université Paris 13), La terreur et la mort. Traitement juridico-politique des cadavres d’auteurs d’actes de terrorisme islamiste en France depuis les années 2010.

Paola Diaz Lizé (CMS/EHESS), Dispositifs pour compter et ‘valuer’ la mort et la disparition des migrants aux frontières du Nord Global

Discutante : Florence Galmiche (CCCJ/Université Paris 7).

JAKSIC Milena milenajaksic@gmail.com

FISCHER Nicolas fischer@cesdip.fr

BONNEFON Hugues hugues.bonnefon@sciencespo.fr

CARAYON Lisa lisa.carayon@gmail.com

COLLIN Camille camille.collin@sciencespo.fr

DELACROIX Dorothée dorothee.delacroix@gmail.com

DIAZ LIZE Paola diazpaol@gmail.com

MEGIE Antoine antoine.megie@sciencespo.fr

MELENOTTE Sabrina sabrinamelenotte@yahoo.fr

RICHARD Thomas thomthou@aol.com

CLAVERIE Elisabeth claverie@ehess.fr

GALMICHE Florence florence.galmiche@univ-paris-diderot.fr