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ST 39

L’engagement écologique des acteurs religieux : trajectoires militantes et changements institutionnels

The ecological commitment of religious actors: activist trajectories and institutional changes

 

Responsables scientifiques :

Lucas Faure (Sciences Po Aix, AMU, CNRS, Mesopolhis) lucasfaure.cherpa@gmail.com
Sylvie Ollitrault (ISP, Nanterre-ENS) sylvie.ollitrault@ehesp.fr
Adrien Estève (CERI, Sciences Po Paris) adrien.esteve@sciencespo.fr

 

Alors que les enjeux écologiques sont de plus en plus mobilisés par une pluralité d’acteurs, l’hybridation entre les mobilisations écologistes et religieuses reste peu étudiée dans la littérature en science politique. S’il ne s’agit pas d’une thématique inédite, cette hybridation a surtout été investie par des travaux théologiques, lesquels ont noté la convergence entre les discours religieux et écologiques. Les sociologues des religions se sont également saisis de cet enjeu au sortir de mai 68 : leurs analyses conjointes des utopies religieuses et écologiques se sont principalement focalisées sur le catholicisme et les « Nouveaux Mouvements Religieux » (Beyer, 1992 ; Hervieu-Léger, 1993 ; Champion, 1995 ; Micoud, 2000), en particulier sur les « emprunts » religieux des néo-ruraux (Léger, 1982). Ajoutons que la circulation de nouveaux mouvements écologistes venus de l’Amérique du Nord, charrie des représentations de la nature tirées du Wilderness, lui-même fortement articulé au puritanisme (Eder, 1996).

La religion peut être renvoyée à l’expression violente d’une radicalité, à sa dilution dans des formes sécularisées. D’une manière plus générale, la question religieuse en sciences sociales, enjeu fondamental dès les écrits de Durkheim ou Weber, est rarement appréhendée de manière instrumentale au sens de la circulation de nouvelles matrices d’appréhension du monde, ou de mise en réseau d’acteurs, ou d’articulation de mondes sociaux autonomes : en l’occurrence, humanitaire, écologie et religions (Baubérot, Portier, Willaime, 2019). Depuis une dizaine d’années, les initiatives collectives et les publications qui utilisent les ressources méthodologiques et théoriques de la science politique, ou plus généralement des sciences sociales, pour étudier les interactions entre religion et écologie se multiplient (Gottlieb, 2010 ; Bertina, Carnac, Fauches, Gervais, 2012).

Cette littérature rend compte de la prise en considération accrue des enjeux écologiques et climatiques par les acteurs religieux voire d’une potentielle « conversion » de ces derniers à la cause écologique, tant au niveau institutionnel (Turino, 2013 ; Bertina, 2019) que dans les trajectoires individuelles (Hancock, 2020). Doit-on y déceler un « tournant politique », comme le suggère Lionel Obadia (2019), ou plutôt une rencontre liée au développement d’une éthique commune, comme l’avance Catherine Larrère (2020)? Quoi qu’il en soit, ce dynamisme traduit l’actualité de cette thématique et la nécessité de systématiser les pistes de réflexions entrouvertes au prisme des outils d’analyse de la science politique. Dans la lignée de deux numéros thématiques parus ces dernières années autour de la prise en compte des enjeux climatiques par les leaders religieux (Martin et Sadouni, 2016 ; Parker, 2015), nous proposons une réflexion collective sur cet objet de recherche afin de favoriser la mise en dialogue et la comparaison. L’étude d’acteurs à la croisée entre ces deux mondes, y compris lorsqu’il s’agit d’« outsiders », comme les ONG, confessionnelles ou non, peut s’avérer à cet égard particulièrement heuristique (Ollitrault, 2018 ; Duriez et al., 2007).

Premièrement, il conviendra de s’attarder sur les trajectoires militantes individuelles (session I) via l’étude notamment de la « mise en cohérence » de l’engagement religieux et des convictions écologiques (Ollitrault, 2016 ; Renou, 2020), par exemple à travers la revendication de la ruralité et de l’idéal paysan. Principalement étudié par le biais de militants catholiques, ce « retour à la terre » s’observe également auprès d’acteurs musulmans en quête d’authenticité et de valeurs altruistes. Plus largement, et ainsi que cela a été démontré dans le cas de l’humanitaire (Siméant, 2001, 2009), est-il possible de considérer les engagements religieux et écologiques comme des passerelles vers le politique ou au contraire comme une prise de distance vis-à-vis d’engagements partisans ?

La session II s’intéresse au discours religieux des mouvements écologistes ou, à l’inverse, aux arguments écologiques mobilisés par les organisations religieuses. L’objectif est de montrer comment cette hybridation peut reconfigurer les pratiques ou les stratégies des institutions, notamment en offrant des possibilités de coopération inédites avec d’autres acteurs, voire modifier leur manière de se présenter, au risque du « greenwashing ». Quelle est l’articulation entre le religieux et l’écologie, et dans quelle mesure l’alliance des deux peut-elle peser sur le politique ? Quelles sont les arènes dans lesquelles ces différents acteurs (étatiques, partisans, ONG confessionnelles, Églises, etc.) peuvent dialoguer ? Comment les controverses religieuses se déplacent-elles dans le champ écologique et participent-elles au débat sur les enjeux sociotechniques ?

Plus largement, les propositions identifient un référentiel religieux dans les discours politiques contemporains sur l’environnement et le climat. S’il est par exemple déjà établi que certains mouvements écologistes étatsuniens, comme le conservationnisme, puisent leur pensée de la nature dans la théologie protestante, la littérature en science politique manque aujourd’hui de contributions sur la redécouverte d’un rapport religieux à la nature ou encore sur la place des croyances dans la réflexion écologique. En adoptant une perspective eschatologique, la collapsologie et les théories de l’effondrement semblent par exemple renouer avec un rapport au temps traditionnellement développé dans la théologie chrétienne.

 

While an increasing number of social and political actors tend to rally around environmental challenges, the study of the hybridization between ecologist and religious mobilizations remains scarcely developed within the existing academic literature in political science. Even if this is not a brand-new theme of study, this hybridization has mostly been analyzed through a theological lens and these contributions identified a convergence between religious and environmental discourses. Sociologists specialized in religious studies also attempted to grasp this issue in the wake of the “May 68” protests but their analyses of both religious and ecological utopias mostly focused on Catholicism and the ‘new religious movements” (Beyer, 1992 Hervieu-Léger, 1993 ; Champion, 1995 ; Micoud, 2000). Some studies also explore the religious inspirations of neo-rural movements (Léger, 1982). We can add that the development of environmental movements in North America carries new representations of nature (“Wilderness”), which are strongly articulated to puritanism (Eder, 1996).

Religion can be understood as the violent expression of a radicality and its dilution within secular forms. From a general standpoint, religious issues have been at the core of social sciences since the writings of Durkheim and Weber but are rarely apprehended in an instrumental way. This gathers for example the spread of new ways to understand the world or the construction of networks of actors, or the articulation of previously autonomous social domains (in our case humanitarian, ecological or religious) (Baubérot, Portier, Willaime, 2019). For the past ten years, there is a multiplication of collective initiatives and publications that use the methodological and theoretical resources of political science (or more generally of social sciences) to study the interactions between religion and ecology (Gottlieb, 2010 ; Bertina, Carnac, Fauches, Gervais, 2012).

This emerging literature brings our attention on the increasing interest of religious actors for environmental and climatic challenges and even show their potential “conversion” to the ecological cause at both institutional (Turino, 2013 ; Bertina, 2019) and individual levels (Hancock, 2020). Should we read this as a “political turn” as suggested by Lionel Obadia (2019) or rather as a convergence caused by the development of a common ethical framework as suggested by Catherine Larrère (2020)? In any case, this dynamism shows the contemporaneity of this theme of study and the necessity to systematize the scientific paths opened thanks to the analytical tools of political science. In line with two recently published special issues on the appropriation of climatic challenges by religious leaders (Martin and Sadouni, 2016 ; Parker, 2015), we offer to build a collective reflection on the matter in order to encourage dialogue and comparative thinking. The study of actors who are at the intersection of both worlds or are even “outsiders” (such as religious or non-religious NGOs) can prove to be particularly heuristic (Ollitrault, 2018 ; Duriez et al., 2007).

Three transversal topics can be covered in particular. 

1/ We will first focus on individual militant trajectories through the study of the possible coherences between religious commitments and ecological convictions (Ollitrault, 2016 ; Renou, 2020). While mostly analyzed in the case of catholic militants, the revival of rurality is for example equally observed in the case of Muslim actors looking for authenticity and altruistic values. More generally and as demonstrated in the case of humanitarian activities (Siméant, 2001, 2009), is it possible to consider religious and ecological involvements as a gateway to politics or on the contrary as separations from partisan commitments?

2/ We also welcome contributions on the religious discourse of ecologist movements or on the contrary on the ecological arguments used by religious organizations. The main goal here is to show how this hybridization could reconfigure institutional practices and strategies particularly by offering new opportunities for cooperation or even by transforming the way institutions present themselves (with a risk of “greenwashing”). What is the articulation between religion and ecology and to what extent the alliance between the two can have an impact on politics? What are the arenas in which these different actors (states, activists, NGOs, religious institutions…) can interact? How do religious controversies evolve in the ecological field and how do they contribute to current debates on sociotechnical challenges?

More broadly, we finally intend to gather contributions that identify a religious framework within contemporary political discourses on environmental and climatic challenges. If it has already been established that several American ecologist movements (like conservationism) draw their conception of nature from Protestant theology, the political science literature lacks contributions on the rediscovery of a religious relationship to nature or on the role of beliefs in ecological thought. By adopting an eschatological perspective on environmental challenges, collapsology and catastrophism for example appear to rediscover a conception of time traditionally developed within Christian theology.

 

Références / References

Baubérot Jean, Portier Philippe, Willaime Jean-Paul, 2019, La sécularisation en question. Religions et laïcités au prisme des sciences sociales, Classique Garnier.

Becci Irene, Monnot Christophe, 2016, « Spiritualité et religion : nouveaux carburants vers la transition énergétique », Histoire, monde et cultures religieuses, n° 40 (4), p. 93-109.

Beyer Peter, 1992, “The global environment as a religious issue: a sociological analysis”, Religion, n° 22, p. 1-21.

Bertina Ludovic, 2019, « La ‘conversion’ écologiste de l’Eglise catholique en France: sociologie politique de l’appropriation du référent écologiste par une institution religieuse », La Pensée écologique, n° 3 (1), p. 86-102.

Bertina Ludovic, Carnac Romain, Fauches Aurélien, Gervais Mathieu, 2012, Nature et Religions, Actes du colloque de février 2012, CNRS Editions, 223p.

Champion François, 1995, « Religions, approches de la nature et écologies [note critique] », Archives de sciences sociales des religions, n° 90, p. 39-56.

Duriez Bruno, Mabille François, Rousselet Kathy (dir.), 2007, Les ONG confessionnelles, Religions et actions internationales, Paris, L’Harmattan.

Elder Klaus, 1996, Theory, culture & society. The social construction of nature: A sociology of ecological enlightenment, London, SAGE Publications Ltd.

Estève Adrien, 2020, Introduction à la théorie politique environnementale, Paris, Armand Colin.

Gervais Mathieu, 2016, « Croyants de nature ? Sociologie religieuse de l’Agriculture paysanne », Etudes rurales, n°197, janvier-juin, p. 177-194.

Gottlieb Roger (éd.), 2010, The Oxford Handbook of Religion and Ecology, Oxford, Oxford University Press.

Hancock Rosemary, 2020, “Environmental conversions and muslim activists: constructing knowledge at the intersection of religion and politics”, Social Movement Studies, n°19 (3), p. 287-302.

Hervieu-Léger Danièle (dir.), 1993, Religion et écologie, Paris, Cerf.

Larrère Catherine, 2020, « Quand l’écologie rencontre la religion », Archives de sciences sociales des religions, n° 190 (3), p. 189-204.

Léger Danièle, 1982, « Apocalyptique écologique et ‘retour’ de la religion », Archives de sciences sociales des religions, n° 53 (1), p. 49-67.

Martin Philippe, Sadouni Samadia (dir.), 2016, « Acteurs religieux et changements climatiques », Histoire, monde et cultures religieuses, n° 40 (4).

Micoud André, 2000, « Les référents religieux des écologistes » in Bréchon Pierre, Duriez Bruno, Ion Jacques (dir.), Religion et action dans l’espace public. Paris, L’Harmattan.

Obadia Lionel, 2019, « Religion, écologie, climat dans les sciences humaines et sociales: un tournant politique? », Archives de sciences sociales des religions, n°185 (1), p. 191-204.

Ollitrault Sylvie, 2016, « Engagement et trajectoires socio-spatiales à l’heure de la mondialisation : les bénévoles de Greenpeace et les agriculteurs biologiques », in Hélène Combes, David Garibay, Camille Goirand, (dir.), Les lieux de la colère. Occuper l’espace pour contester, de Madrid à Sanaa, Paris, Karthala.

Ollitrault Sylvie, 2018, « Les ONG, des outsiders centraux des négociations climatiques? », La revue internationale et stratégique, n° 109 (1), p. 135-143.

Parker G. Cristian (dir.), 2015, « Changement climatique et transitions énergétiques: préoccupation environnementale religieuse », Social Compass, n° 62 (3).

Renou Gildas, 2020, « Exemplarité et mouvements sociaux », in Olivier Fillieule (éd.), Dictionnaire des mouvements sociaux. 2e édition mise à jour et augmentée. Presses de Sciences Po, 2020, pp. 244-251.

Siméant Johanna, 2001, « Entrer, rester en humanitaire : des fondateurs de MSF aux membres actuels des ONG médicales françaises », Revue française de science politique, n°51 (1-2), p. 42-72.

Siméant Johanna, 2009, « Socialisation catholique et biens de salut dans quatre ONG humanitaires françaises », Le Mouvement Social, n° 227 (2), p. 101-122.

Turino Isacco, 2013, « L’Eglise catholique et la cause de l’environnement », Terrain, n° 60, p. 20-35.

Session 1 / Trajectoires individuelles et conversions militantes

Julie Blanc (Centre Maurice Halbwachs / ENS – PSL), Le vert est dans le fruit : affinités électives et voisinages éthiques entre catholicisme et écologie
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Bochra Kammarti (Cespra EHESS), Quand l’éthique islamique rejoint le capitalisme socialement responsable
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Christophe Monnot (Université de Strasbourg), L’écospiritualité: un nouveau mode de militance en Suisse ?

Florian Police (Université de Nantes – CENS), La pluralité des répertoires d’écologisation au sein d’un mouvement ruraliste chrétien. Une analyse des trajectoires de militant.e.s de la jeunesse chrétienne (MRJC)
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Discutant : Lucas Faure (Sciences Po Aix, AMU, CNRS, Mesopolhis)

Session 2 / Hybridation des registres religieux et écologiques

Stéphane Dudoignon (GSRL – EPHE – PSL), Un autre mouvement Vert ? Les imams et la cause écologique en République islamique d’Iran, depuis 2009

Séverine Mathieu (EPHE – PSL), Une bibliothèque séculière ? Mobiliser l’écologie à propos de la révision des lois de bioéthique. 2018-2020
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Elisabeth Miljkovic (CERI – Sciences Po), Le discours institutionnel du patriarcat de Moscou sur l’écologie: investir les “promesses de conciliation” de la question écologique, face aux “menaces” à l’ordre ontologique chrétien
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Adrien Nonjon (CREE – INALCO), Le néo-paganisme comme nouveau cadre de l’écologie ukrainienne : trajectoires et registres militants
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Discutant : Adrien Estève (CERI, Sciences Po Paris)

BLANC Julie julie.blanc@ens.psl.eu

DUDOIGNON Stéphane dudoignon@aol.com

ESTEVE Adrien adrien.esteve@sciencespo.fr

FAURE Lucas lucasfaure.cherpa@gmail.com

KAMMARTI Bochra bochra.kammarti@gmail.com

MATHIEU Séverine severine.mathieu@ephe.psl.eu

MILJKOVIC Elisabeth elisabeth.miljkovic@sciencespo.fr

MONNOT Christophe cmonnot@unistra.fr

NONJON Adrien nonjon.adrien@gmail.com

OLLITRAULT Sylvie sylvie.ollitrault@ehesp.fr

POLICE Florian florian-police@outlook.fr