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ST 23

Délation, systèmes répressifs et régimes politiques

Denonciation, Systems of Repression and Political Regimes

 

Responsables scientifiques :

Vanessa Codaccioni (Université Paris 8, CRESPPA-CSU) vanessa.codaccioni@univ-paris8.fr
Ayşen Uysal (Sciences Po Paris-CERI) aysen.uysal@sciencespo.fr

 

Ces dernières années ont été marquées par un renouveau de l’intérêt des études de surveillance en Europe. En particulier les recherches ont porté sur la surveillance mutuelle ou l’auto-surveillance, aussi appelée « panoptique horizontal », « panoptique renversé » (Bigo, 2009 ; Laval, 2012 ; Borel, 2016). Si ces recherches ont insisté sur le rôle central joué par l’avènement des nouvelles technologies de communication et des réseaux sociaux, elles ont aussi réinscrit la surveillance mutuelle dans des phénomènes plus larges, tels les pratiques d’auto-défense ou d’auto-justice, le vigilantisme ou la participation de plus en plus importante des citoyennes et citoyens aux politiques de maintien de l’ordre (Faverel-Garrigues, Gayer, 2016 et 2021). D’autres encore ont monté la manière dont l’auto-surveillance devaient être pensées en lien avec les types de répertoires de contrôle et de surveillances mobilisées par les États (Uysal, 2019 et 2020).

Forte de l’apport de ces travaux, cette section thématique souhaite cependant décaler le regard en se concentrant sur l’un des effets de la surveillance, de l’auto-surveillance ou de leurs interactions : la délation. Ce panel se concentrera ainsi sur la délation au quotidien, qu’elle soit liée aux problématiques sécuritaires (terrorisme, drogue, pandémie etc.) ou qu’elle soit une modalité de résolution des conflits (familiaux, conjugaux, professionnels, de voisinage). Il en interrogera les formes, des plus visibles aux plus discrètes, du signalement sur les plateformes en ligne aux courriers reçus par les institutions de répression ou les élu.e.s en passant par la pratique du « shaming » sur les réseaux sociaux (Loveluck, 2016). Il portera également sur les actrices et acteurs partie prenante du système délatoire : qui dénonce, se fait « persécuteur » (L. Boltanski, 1990) ou justicier, et qui est dénoncé ? Quels en sont les ressorts et les motivations (politiques, financières, personnelles) ? Répond-elle à des injonctions politiques ou policiaro-judiciaires à la vigilance, à l’auto-surveillance ou à la dénonciation (Codaccioni, 2021) ?

Le plus souvent mobilisée en contexte de crise, de guerre, ou pensée comme partie intégrante du contrôle social propre aux régimes autoritaires (Combe, 2005), la pratique délatoire s’observe pourtant quotidiennement dans les régimes démocratiques, et parfois même massivement comme l’a montré la pandémie de Covid-19. Elle illustre alors la manière dont les pouvoirs publics s’appuient sur les citoyennes et les citoyens, à la fois pour recueillir une multitude d’informations « par le bas » sur diverses cibles ou ennemis, pour faire participer les populations aux politiques répressives et par-delà-même les légitimer. C’est en ce sens que pour certains auteurs, comme David Lyon, spécialiste de la surveillance post-11 septembre 2001, l’auto-surveillance et ses conséquences témoigneraient d’un glissement des démocraties vers l’autoritarisme (Lyon, 2007). La problématique d’une spécificité de la pratique délatoire en fonction du type de régime politique sera ainsi posée.

 

Recent years have seen a renewed interest in surveillance studies in Europe. In particular, research has focused on mutual surveillance or self-surveillance, also known as « horizontal panopticon » or « reverse panopticon » (Bigo, 2009; Laval, 2012; Borel, 2016). While this research has emphasized the central role played by the advent of new communication technologies and social networks, it has also reinscribed mutual surveillance in broader phenomena, such as practices of self-defense or self-justice, vigilantism, or the increasing participation of citizens in policing (Faverel-Garrigues, Gayer, 2016 and 2021). Still others have discussed the way in which self-surveillance should be thought of in relation to the repertoires of control and surveillance used by states (Uysal, 2019; 2020).

This thematic section aims to shift the focus by concentrating on one of the effects of surveillance, self-surveillance or their interactions: denunciation. This section will thus focus on everyday denunciation, whether it is linked to security issues (such as terrorism, drugs, pandemic, etc.) or whether it is a way of resolving conflicts (such as familial, marital, professional, and of neighborhood). The forms of this denunciation, from the most explicit to the most implicit, from reporting on online platforms to the letters received by law enforcement institutions or elected officials and the practice of « shaming » on social networks (Loveluck, 2016) will be covered in the panel. It will also focus on the actors involved in the system of repression: who is the denouncer, thus the « persecutor » (Boltanski, 1990) of justice, and who is the denounced? What are the (political, financial, personal) sources and motives? Does it respond to political or police-judicial injunctions to vigilance, self-surveillance or denunciation (Codaccioni, 2021)?

Most often mobilized in the context of crisis or war or considered to be an integral part of the social control of authoritarian regimes (Combe, 2005), the practice of denunciation is observed in democratic regimes on a daily basis too. This can sometimes be even on a mass scale, as the Covid-19 pandemic has shown. This illustrates the way in which public authorities rely on citizens, both to gather a multitude of information on various targets or enemies « from below » and to make the population take part in repression and thus to legitimize it. It is in this sense that for some scholars, such as Lyon (2007), a specialist in post-9/11 surveillance, self-surveillance and its consequences are evidence of a shift in democracies towards authoritarianism. Thus, the specific practices of surveillance according to the type of political regime will be covered in the panel.

 

Références / References

Bigo, Didier, « Du panoptique au Ban-optisme. Les micro-logiques du contrôle dans la mondialisation », in P.-A. Chardel and G. Rockhill (dirs), Technologies de contrôle dans la mondialisation : enjeux politiques, éthiques et esthétiques, Paris, Editions Kimé, 2009, pp. 59-80.

Boltanski, Luc, L’Amour et la justice comme compétences. Trois essais de sociologie de l’action, Collection Folio Essais, Gallimard, 1990.

Borel, Simon, « Le panoptisme horizontal ou le panoptisme renversé ? », tic & société, Contrôle social, surveillance, dispositifs numérique, vol. 10, no.1, 1er semestre 2016.

Brodeur, Jean-Paul et Jobard, Fabien, Citoyens et délateurs. La délation peut-elle être civique ? Éditions Autrement, 2005.

Combe, Sonia, « La Stasi », dans Brodeur, Jean-Paul et Jobard, Fabien, Citoyens et délateurs. La délation peut-elle être civique ? Éditions Autrement, 2005, pp. 52-66.

Combe, Sonia, Une société sous surveillance. Les intellectuels et la Stasi, Éditions Albin Michel, 1999.

Codaccioni, Vanessa, La société de vigilance. Auto-surveillance, délation et haines sécuritaires, Éditions Textuel, 2021.

Codaccioni, Vanessa, Répression. L’État face aux contestations politiques, Textuel, 2019.

Favarel-Garrigues, Gilles et Gayer, Laurent, Fiers de punir : le monde des justiciers hors-la-loi, Seuil, 2021.

Favarel-Garrigues, Gilles et Gayer, « Violer la loi pour maintenir l’ordre. Le vigilantisme en débat », Politix, Justiciers hors-la-loi, no. 115, 2016/3, p. 7-33.

Laval, Christian, « Surveiller et prévenir. La nouvelle société panoptique », Revue du Mauss, n°40, 2012, pp. 47-72.

Loveluck, Benjamin, « Le vigilantisme numérique, entre dénonciation et sanction. Auto-justice en ligne et agencements de la visibilité », Politix, no. 115, 2016/3, p. 127-153.

Lyon, David, Surveillance Studies : an overview, Polity, 2007.

Marx, Gary T., Undercover : police surveillance in America, University of California Press, 1988.

Uysal, Ayşen, « Salgın Günlerinde Dikizleme Günlüğü », Birikim, le 1er avril 2020.

Uysal, Ayşen, Faire de la politique dans la rue. Manifestations de rue, manifestants et police en Turquie, Éditions du Croquant, 2019.

Président.e de la séance : Ayşen Uysal
Discutant.e.s : Vanessa Codaccioni et Ayşen Uysal

Déborah Cohen (Université de Rouen-Normandie), Dénonciation civique ou délation ? Formes et enjeux d’une pratique dans un régime démocratique naissant (Révolution Française 1879-1794)
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Flora Hergon (EHESS/Centre Maurice Halbwachs), De la suspicion à la perquisition : qualifier et signaler un comportement suspect pendant l’état d’urgence post-attentat en France
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Vincent Dubois (Sciences Po Strasbourg, Sage), Dénoncer pour se distinguer : la délation en matière de fraude aux prestations sociales comme effet combiné de la critique politique de l’assistanat et des concurrences internes aux classes populaires
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Vanille Laborde (IEP d’Aix-en-Provence, Mesopolhis), La délation au service de la communication politique ? Le cas de l’enrôlement des acteurs scolaires dans un dispositif de signalement des « atteintes à la laïcité »
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CODACCIONI Vanessa vanessa.codaccioni@univ-paris8.fr

COHEN Déborah Deborah.cohen@univ-rouen.fr

DUBOIS Vincent vincent.dubois@misha.fr

LABORDE Vanille vanille.laborde@gmail.com

HERGON Flora flora.hergon1@gmail.com

UYSAL Ayşen aysen.uysal@sciencespo.fr