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CM 05

Pour une épistémologie de la science politique

Toward an Epistemology of Political Science

 

Responsables scientifiques :

Yves Schemeil (IEP Grenoble) yves.schemeil@sciencespo-grenoble.fr
Virginie Tournay (CNRS, CEVIPOF-SciencesPo) virginie.tournay@sciencespo.fr

La place de la rigueur, de la neutralité, et de l’objectivité dans les pratiques de recherche et de valorisation conditionne la validité d’une discipline. Contre l’idée qu’on ne fait pas de science avec des objets politiques il faut expliciter ses postulats épistémologiques et dire quel niveau d’explication on vise. L’exigence de qualité, la prise de risques, le renouvellement d’approche et l’adoption de méthodes mixtes peuvent réduire les écarts entre conceptions du projet scientifique idéal.

 

Les sciences sociales sont critiquées, la science politique n’y échappe pas ; les enseignements d’épistémologie y sont, comme ailleurs, négligés. Il est temps de confronter les points de vue sur des questions rarement posées ouvertement. La science politique est-elle scientifique, objective, neutre ? Les risques pris pour faire avancer la connaissance et les moyens de les surmonter sont-ils prévus dans les candidatures à des fonds de recherche ? Savons-nous prendre des mesures pour éviter ou rectifier d’éventuelles erreurs, répliquer les observations et les expériences ?

Les organismes de recherche en Europe évaluent les projets selon des critères qui défavorisent les démarches compréhensives, constructivistes, interprétatives et herméneutiques au profit d’approches hypothético-déductives plutôt rationalistes, avec questions de recherche clairement posées, hypothèses formulées de façon conditionnelle et testables, avec des outils méthodologiques sophistiqués et mixtes (qualitatifs et quantitatifs à la fois) dont l’expérimentation, qui progresse. Les efforts faits pour réduire l’écart entre les visions francophone et anglophone sur ce que devrait être un bon projet scientifique se traduisent curieusement par l’affirmation d’un alignement sur le post positivisme, le post structuralisme, et même le néo marxisme.

Quand on se pose des questions épistémologiques en France on se demande très vite comment combiner explication et compréhension mais aussi comment faire un travail de qualité en se passant de mesures. Des avancées reconnues solides par la communauté scientifique supposent une quête de rigueur, quelle que soit l’objet choisi et la méthode privilégiée. Y parvenir exige de la discipline, il ne suffit pas d’improviser selon les circonstances. Alors qu’on ne lésine pas sur les détails des cas retenus, des entretiens projetés ou des textes analysés, les postulats épistémologiques, eux, ne sont pas toujours clairement exprimés. A la place qu’ils devraient occuper on trouve plutôt des noms célèbres dont la seule mention tient lieu de certification de validité – même s’ils désignent des philosophes ou des sociologues morts et jamais des politistes encore vivants.

Vient un moment où une science nouvelle doit aller de l’avant au lieu de regarder vers le passé. Le moment est venu : cette session est ouverte à tous les points de vue sur les conceptions de la discipline et les objectifs souhaitables de la recherche en science politique à l’heure où elles se rapprochent en Europe, faisant ainsi face au scepticisme des personnes pour lesquelles la science politique est soit un luxe inutile soit un discours tendancieux.

 

The social sciences are under attack, as is political science, where the teaching of epistemology is as neglected as elsewhere. Time comes to raise issues that are scarcely addressed. Is our knowledge “scientific”, objective, and neutral? Are applications to research funds truly high risk/high gain, as recommended? Are risks sufficiently hedged with contingency plans, as required to be granted? Are we able to make sound decisions to track error, multiply observations and replicate experiments?

Research institutions in Europe review projects according to criteria that are detrimental to comprehensive, constructivist, interpretive and hermeneutical approaches, since they advantage hypothetical-deductive research designs and rational choice-friendly statements – full of bold research questions, testable hypotheses, and mix methods. Qualitative and quantitative techniques must be dispatched, respectively, between thick and thin qualitative methodology on the one hand and random vs. validating quantitative methodology on the other hand. Experiments are part of this debate: they are on the rise everywhere but in France where trials to fill the gap with Anglophone perspectives on good science surprisingly end up by an alignment on post-positivism, post structuralism and even neo-Marxism.  

When epistemology informs research in our country it soon translates into an opposition between explanation and comprehension; or a quest for a quality research despite an absence of measures. Advanced research enjoying academic recognition relies on a quest for rigor, independently of the objects and methods chosen. To bring quality and rigor, though, improvising onsite according to context will not suffice. We can be prolific on details about the cases selected, the interviews planned, and the texts to be analysed without doing justice to epistemological assumptions, which are replaced by name-dropping. Lip-service references to prominent scholars may therefore be mistaken for eligibility certificates – even when dead philosophers or sociologists are admired rather than living political scientists.

Sooner or later a new science will prefer foresight to hindsight. This time has come: now that the many visions of political science converge in Europe, we are open to every conception of the discipline and its research goals. Then we shall rise against the skepticism of those who believe that political science is either a useless luxury or a biased discourse.

 

Références / References

  • Donatella Della porta, Michael Keating (eds), Approaches and Methodologies in the Social
    Sciences. A Pluralist Perspective. Cambridge University Press, 2008.
  • Yves Déloye, Sociologie historique du politique, La Découverte, 2017.
  • Pierre Favre, Comprendre le monde pour le changer – épistémologie du politique, Presses de
    SciencesPo, 2005.
  • Jean Leca, Pour(quoi) la philosophie politique, Presses de SciencesPo, 2001.
  • Lawrence Olivier, Qu’appelle-t-on théorie ? sur la fonction critique des sciences sociales,
    Liber, 2021.
  • Marie-Laure Salles-Djelic, Quand l’idéologie avance masquée. Immunité collective, néolibéralisme et darwinisme social, Le monde d’aujourd’hui (2020), pages 293 à 307
  • Yves Schemeil, « Leçons d’épistémologie à l’attention des politologues » dans Les discours de
    la politique. Textes de Frédéric Bon réunis et présentés par Yves Schemeil., Economica, 1991.
  • Yves Schemeil, « Une vraie science » dans Introduction à la science politique – objets,
    méthodes, résultats, objectifs, (Presses de Science Po et Dalloz, 2015.
  • Yves Surel, La science politique et ses méthodes, Armand Colin, 2015.
  • Virginie Tournay, Penser le changement institutionnel, PUF, 2014.
  • Philippe Urfalino, Décider ensemble. La fabrique des obligations collectives, Paris, Seuil,
    2021.

Lawrence Olivier, Professeur de science politique à l’UQAM

Marie-Laure Salles, Professeure de sociologie, Directrice de l’IHEID de Genève, chercheuse associée au CSO

Yves Schemeil, Professeur de science politique IEP Grenoble

Yves Surel, Professeur de science politique à Paris 2

Virginie Tournay, Directrice de recherche au CNRS, CEVIPOF/SciencesPo.

Philippe Urfalino, Directeur de recherche au CNRS, EHESS

OLIVIER Lawrence olivier.lawrence@uqam.ca

SALLES Marie-Laure marielaure.salles@graduateinstitute.ch

SCHEMEIL Yves yves.schemeil@sciencespo-grenoble.fr

SUREL Yves yves.surel@gmail.com

TOURNAY Virginie virginie.tournay@sciencespo.fr

URFALINO Philippe philippe.urfalino@ehess.fr