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ST 14

Le financement des sciences humaines et sociales

Funding the Human and Social Sciences

 

Responsables scientifiques :

Thibaud Boncourt (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) thibaud.boncourt@univ-paris1.fr
Antonin Cohen (Université Paris Nanterre) antonin.cohen@parisnanterre.fr

 

La période récente a été marquée par de vives controverses quant au financement des sciences humaines et sociales (SHS). On y pénètre à travers une forêt d’acronymes : AAP, AMI, ANR, EUR, LABEX, LPR, PIA… Certaines initiatives, comme le Pacte enseignement supérieur du ministère des Armées, ont suscité de nombreux arguments critiques ou en défense du principe même de ce mode de financement de la recherche (Boncourt et al. 2020, Bonditti et al. 2021). Dans leur sillage, les prises de position normatives se sont multipliées.

Pourtant, ces modes de financement ne sont ni particulièrement nouveaux, ni particulièrement spécifiques au cas français (Amadae 2003, Krige 2006). Au cours de leur histoire, les SHS ont trouvé des sources de financement dans une grande variété d’institutions : ministères, directions générales et services de l’État, organisations intergouvernementales régionales et mondiales, fondations philanthropiques, associations et organisations non gouvernementales, collectivités territoriales, entreprises privées et groupes d’intérêts, organisations partisanes et syndicales, agences et organismes publics, etc.

Cette section thématique propose d’étudier dans leurs historicités et leurs échelles la grande variété des modes de financements de la recherche en SHS. Ce faisant, elle entend aussi contribuer à une normalisation de cet objet au prisme des travaux qui proposent, sur d’autres objets, une analyse systématique des effets sociaux des flux financiers.

Il semble admis que la vie de laboratoire repose sur une mobilisation de ressources (Latour et Woolgar 1979) qui peut être décrite alternativement comme un enrôlement des intérêts sociaux dans un projet scientifique ou des activités scientifiques dans un programme politique. Quel que soit le sens causal privilégié, cette opération peut être comprise comme une conversion de capital ou de crédit.

Pourtant, les SHS sont longtemps restées relativement muettes sur leurs propres conditions de financement. Une série de travaux ont récemment porté un éclairage nouveau à ce sujet (Berghahn 2001, Masson 2006, Gemelli 2010, Guilhot 2011, Tournès 2013). Une vision panoramique sur les modes de financement, les grandes masses budgétaires, les logiques de distribution, les stratégies de captation et les modalités de distribution des ressources économiques au sein des SHS semble donc nécessaire pour embrasser le tableau général, derrière les quelques pièces du puzzle déjà identifiées (Hoening 2017, Bruhns et al. 2017, Solovey 2020, Levi et al. à paraître).

Cette section thématique vise donc à y contribuer en interrogeant simultanément les conditions matérielles des activités scientifiques, essentiellement saisies par le prisme du financement, et les approches théoriques pertinentes pour appréhender ce que ces conditions matérielles font aux SHS. Plusieurs questions seront ainsi soulevées au fil des contributions :

Quels sont les bailleurs de fonds ? Quels sont les dispositifs de financements ? Quels en sont les objectifs ? Selon quelles logiques décident-ils de financer ? Quelles sont les controverses liées à ces financements ?

Comment les scientifiques s’approprient-ils ces dispositifs et ces financements ? Quels sont leurs effets sur les SHS ? Modifient-ils la distribution des ressources et les rapports de force ?

Quel rapport établir entre conditions matérielles et productions intellectuelles ? Les financements et les acteurs sociaux qui y sont associés ont-ils un impact sur les productions scientifiques ? Dans quels espaces ces productions circulent-elles ?

Quels effets en retour ont les recherches ainsi produites sur les mondes sociaux ? Les bailleurs évaluent-ils les recherches auxquelles ils ont abondé ? Pour quels usages ? Comment les dispositifs de financement sont-ils reconduits, transformés ou abandonnés ?

  

The recent period has been marked, in France, by vigorous controversies over the funding of the Human and Social Sciences (HSS). Some initiatives, such as the Pacte enseignement supérieur from the Ministry of Defense, have given rise to various arguments, either critical or in defense of the very principle of such subsidies (Boncourt et al. 2020, Bonditti et al. 2021). Normative positions have subsequently thrived.

However, these research funding schemes are neither particularly new, nor particularly specific to the French case (Amadae 2003, Krige 2006). Over the course of their history, HSS have been funded by a wide variety of institutions: ministries, higher and lower echelons of State administration, global and regional intergovernmental organizations, philanthropic foundations, associations and non-governmental organizations, local authorities, private companies and interest groups, political parties and trade unions, public agencies and organizations, etc.

This Thematic Section aims at grasping the wide variety of research funding schemes in the HSS both in space and time. In so doing, it also intends to contribute to a standardization by relating this object to scholarship analyzing the social effects of funding mechanisms more systematically, on other objects.

The fact that laboratory life is based on a mobilization of resources is widely recognized (Latour and Woolgar 1979). This has been alternatively described as a mobilization of social interests in scientific projects, or the enrollment of scientific activities in political agendas. Whatever the causal direction one favors, this operation can be understood as a conversion of capital or credit.

Nevertheless, HSS have for a long time remained relatively silent on their own funding conditions. Recent scholarship brought a new light to this (Berghahn 2001, Masson 2006, Gemelli 2010, Guilhot 2011, Tournès 2013). A panoramic vision on the modes of financing, main budgetary amounts, logics of distribution, strategies of appropriation and modalities of distribution of economic resources within HSS seems therefore necessary to grasp the general picture, behind the few pieces of the puzzle already identified (Hoening 2017, Bruhns et al. 2017, Solovey 2020, Levi et al. forthcoming).

This Thematic Section aims at contributing to filling this gap by simultaneously questioning the material conditions of scientific activities, essentially grasped through the prism of funding, and the relevant theoretical approaches to apprehend what these material conditions do to HSS. Several questions will therefore be addressed by the contributions:

Who are the funders? What are the funding devices? What are their aims? According to what logic do they decide what to finance? What are the controversies related to these funding schemes?

How do scientists seize these devices and subsidies? What are their effects on HSS? Do they modify the distribution of resources and power relations?

What are the relationships between material conditions and intellectual production? Do funding schemes and the actors that are associated with them have an impact on intellectual productions? In which spaces do these productions circulate?

What feedback effects does the research thus produced have on social worlds? Do donors evaluate the research they funded? How do they use these evaluations? How are the funding mechanisms renewed, transformed, or abandoned?

 

Références / References

Amadae, Sonja M. 2003. Rationalizing Capitalist Democracy: The Cold War Origins of Rational Choice Liberalism. Chicago: The University of Chicago Press.

Berghahn, Volker R. 2001. America and the Intellectual Cold Wars in Europe: Shepard Stone between Philanthropy, Academy, and Diplomacy. Princeton: Princeton University Press.

Boncourt, Thibaud, et al. 2020. “Que faire des interventions militaires dans le champ académique ? Réflexions sur la nécessaire distinction entre expertise et savoir scientifique.” 20 & 21. Revue d’histoire 145 : 135-150.

Bonditti, Philippe, et al. 2021. “Relations entre armées et universités, les déliaisons dangereuses.” AOC media, 9 mars 2021.

Bruhns, Hinnerk, Joachim Nettelbeck, et Maurice Aymard, eds. 2017. Clemens Heller, imprésario des sciences de l’homme. Paris : Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme.

Gemelli, Giuliana, ed. 2010. The Ford Foundation and Europe (1950’s-1970’s): Cross-fertilization of Learning in Social Science and Management. Bern: Peter Lang.

Guilhot, Nicolas, ed. 2011. The Invention of International Relations Theory: Realism, the Rockefeller Foundation, and the 1954 Conference on Theory. New York: Columbia University Press.

Hoenig, Barbara. 2017. Europe’s New Scientific Elite: Social Mechanisms of Science in the European Research Area. London: Routledge.

Krige, John. 2006. American Hegemony and the Postwar Reconstruction of Science in Europe. Cambridge: MIT Press.

Latour, Bruno et Steve Woolgar. 1979. Laboratory Life: The Social Construction of Scientific Facts. Los Angeles: Sage.

Levi, Ron, Ronit Dinovitzer, et Wendy Wong. Forthcoming. “Strategic Philanthropy and International Strategies: The Ford Foundation and Investments in Law Schools and Legal Education, 1951-2003.”

Masson, Philippe. 2006. “Le financement de la sociologie française : les conventions de recherche de la DGRST dans les années soixante.” Genèses 62 : 110-128.

Solovey, Mark. 2020. Social Science for What? Battles over Public Funding for the “Other Sciences” at the National Science Foundation. Cambridge: MIT Press.

Tournès, Ludovic. 2013. Sciences de l’homme et politique. Les fondations philanthropiques américaines en France au XXe siècle. Paris : Classiques Garnier.

Session 1 

Discutant : Thibaud BONCOURT (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Centre Européen de Sociologie et de Science Politique / CESSP)

Antonin COHEN (Université Paris Nanterre, Institut des sciences sociales du politique / ISP), Raymond Aron, Pierre Bourdieu, Jean Cuisenier, et la Fondation Ford. Explorations aux frontières du champ scientifique : le Centre de sociologie européenne (1954-1972)

Quentin DEFORGE (École des Hautes Études en Sciences Sociales, Centre Alexandre Koyré), Mettre la science politique au service du développement. L’agence étasunienne USAID et la structuration des legislatives studies (1966-1978)

Hélène VEILLARD (Université Paris Saclay, Professions, Institutions, Temporalités / PRINTEMPS), « Pourquoi j’ai déposé une ERC ? » : Être historien.ne en France et devenir Principal Investigator d’un projet de l’European Research Council.

Audrey HARROCHE (Sciences Po Paris, Centre de Sociologie des Organisations / CSO), Les SHS et les financements d’excellence : l’importance d’obtenir des fonds dont on n’a pas besoin

Session 2

Discutant : Antonin COHEN (Université Paris Nanterre, Institut des sciences sociales du politique / ISP)

Françoise THIBAULT (Alliance Athéna), Irène ONDARCUHU (Sciences Po Paris, CSO), Les paradoxes du financement de la recherche sur projet en sciences humaines et sociales : l’exemple de l’Agence Nationale de la Recherche

Johan GIRY (Université de Strasbourg, Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe / SAGE), Déprise de l’Agence nationale de la recherche et méprise sur le sens de l’autonomie des sciences humaines et sociales. Une « reprise en main » manquée du département SHS par le gouvernement socialiste (2012-2017) ?

Victoria BRUN (Mines ParisTech, Centre de sociologie de l’innovation), Ce que les financements de valorisation font faire aux sciences humaines et sociales

Loïc LE PAPE (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Centre Européen de Sociologie et de Science Politique / CESSP), Les formes ambivalentes du soutien politique à la recherche : autopsie du succès académique de la « radicalisation »

BONCOURT Thibaud thibaud.boncourt@univ-paris1.fr

BRUN Victoria victoria.brun@mines-paristech.fr

COHEN Antonin antonin.cohen@parisnanterre.fr

DEFORGE Quentin quentin.deforge@gmail.com

GIRY Johan giry.johan@gmail.com

HARROCHE Audrey audrey.harroche@sciencespo.fr

LE PAPE Loïc Loic.Le-Pape@univ-paris1.fr

ONDARÇUHU Irène irene.ondarcuhu@sciencespo.fr

THIBAULT Françoise francoise.thibault4@orange.fr

VEILLARD Hélène helene.veillard@ens.uvsq.fr