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ST 19

La fabrique de la neutralité : Pour une sociologie politique des lieux neutres

The making of neutrality: towards a political sociology of neutral places

 

Responsables scientifiques :

Jean-Michel Chahsiche (Université du Québec à Montréal, Centre interuniversitaire de Recherche sur les sciences et techniques) jm.chahsiche@hotmail.fr
Thomas Lépinay (Institut universitaire européen, Robert Schuman Centre for Advanced Studies) thomas.lepinay@gmail.com

 

Le rôle des lieux neutres dans la production d’expertise et de “lieux communs” d’action publique est souligné par de nombreux travaux en science politique, sans être encore systématiquement interrogé. À la croisée de la sociologie des institutions, de la sociologie des champs et de la sociologie de l’action publique, cette section thématique propose ainsi d’ouvrir un espace de discussion sur ces institutions définies, depuis l’article séminal de Pierre Bourdieu et Luc Boltanski (1976), comme des lieux où les diverses fractions des élites surmontent leurs antagonismes : organisations internationales, comités de sages dont la diversité des participants doit assurer la neutralité, forums, salons, think tanks, grandes écoles, ou encore certains travaux universitaires ou journaux, revues et maisons d’éditions à vocation généraliste ou pluraliste… Nombre de monographies ont été déjà consacrées à des cas précis, et plusieurs montées en généralité ont été proposées pour caractériser à la fois les pratiques spécifiques à ces espaces et les divers effets qu’ils peuvent produire sur l’action publique (Hauchecorne, 2010 ; Gayon, 2010, 2017 ; Brissaud, 2019 par exemple). Le point de départ n’est de ce fait aucunement d’affirmer qu’il n’y a jamais eu de recherches sur ces institutions, mais plutôt qu’il y a là une catégorie qui mérite davantage d’investigations.

L’objectif de la section thématique est ainsi de systématiser les avancées sur les points déjà explorés par la recherche, mais également d’ouvrir de nouvelles pistes d’analyse. Deux perspectives structureront les discussions. D’un côté, il s’agira de remettre en énigme le caractère neutre de ces espaces, en interrogeant plus spécifiquement les mécanismes de neutralisation : comment un lieu devient-il neutre et sous quelles conditions le reste-t-il ? D’un autre côté, il s’agira de penser les effets de la neutralisation : comment sont produits, et qu’advient-il des biens symboliques issus des lieux neutres ?

1/ La fabrique de la neutralité au concret

Ce premier axe vise à interroger les acteurs des lieux neutres et les investissements divers dont ces espaces font l’objet, de la part de leurs membres et de leurs publics. Il invite ce faisant à analyser les mécanismes sociaux et institutionnels qui confèrent au lieu sa neutralité. L’analyse pourra porter sur les propriétés sociales des acteurs des lieux neutres. Existe-t-il des propriétés disposant à la neutralité ? Peut-on parler de “carrières en neutralité”, à propos d’individus qui accumuleraient les positions dans les lieux neutres ? Mais au-delà des seules propriétés sociales, c’est l’ensemble des pratiques et des interactions par lesquelles est construite, renforcée, défendue, une réputation de neutralité qu’il convient de mettre en avant.

2/ Préserver, amender, transformer : ce que font les lieux neutres

Ce second axe de réflexion interroge les effets des lieux neutres sur les agents qui les constituent, les savoirs qu’ils produisent et sur la conduite de l’action publique. Les lieux neutres peuvent ainsi être étudiés par les processus de socialisation à la neutralité – parfois longs, incertains, aboutissant à des ratés ou des échecs – de leurs membres. À ces processus de socialisation des agents s’ajoutent les effets qu’ont les lieux neutres sur les savoirs qui y circulent et qui y sont produits : sous quelles conditions, et par quelles pratiques fabrique-t-on des savoirs neutres ? On cherchera enfin à identifier les conditions sous lesquelles les lieux neutres participent au renouvellement ou à la conservation des cadres de l’action publique.

 

A vast literature underlines the role of neutral places in the production of expertise and “common assumptions” for public policies. However, the effect of such places on public policies has yet to be systematically questioned. At the crossroads of the sociology of institutions, the sociology of fields and the sociology of public action, this thematic section proposes to open a space for discussion on these institutions, which were originally defined in Pierre Bourdieu and Luc Boltanski’s seminal article (1976), as places where the various fractions of elites overcome their antagonisms: national or international organizations producing expertise, commissions of experts drafting reports whose diversity of participants must ensure neutrality, forums, salons, think tanks, prestigious universities, scientific outlets, dominant newspapers, journals and publishing houses with a generalist or pluralist vocation. Many monographs have already addressed specific cases, and several generalizations have been proposed to characterize both the specific practices of these spaces and their various effects on policies (for example, Hauchecorne, 2010; Gayon, 2010, 2017; Brissaud, 2019). The starting point is not to assert that there has never been any research on these institutions, but rather that there is a category that deserves further investigation.

The objective of the thematic section is thus to systematize the progresses made by the existing literature, as well as to open new avenues of analysis. Two perspectives will structure the discussions. On the one hand, it will be a matter of questioning the neutral character of these spaces, by shedding light, more specifically, on the mechanisms of neutralization: how does a place become neutral and under what conditions does it remain so? On the other hand, it will be a question of thinking about the effects of neutralization: how do neutral places shape actors, knowledge, or public policies?

1/ The manufacture of neutrality in concrete terms

The first axis aims at questioning the actors of neutral places and the various investments made into them by their members and their public. In doing so, we suggest to analyze the social and institutional mechanisms providing neutrality. The analysis could focus on the social properties of the actors of neutral places. What are neutral places made of ? Are their participants multi-positioned? What are properties the  properties of neutrality and neutral social agents? Can we talk about “careers in neutrality” for individuals accumulating positions in neutral places? What relationship unites actors with positions deemed partisan? Lastly, the axis will question the practices and interactions through which a reputation for neutrality is built, reinforced, and defended.

2/ Preserving, amending, transforming: what do neutral places do?

The second axis examines the effects of neutral places on their agents, the knowledge produced, or the public policies. Neutral places can be studied through the processes of socialization to neutrality – sometimes long, uncertain, or leading to failures. Moreover, the effects of neutral places on knowledge and expertise will be examined. Under which conditions, and through which mechanisms is « neutral » knowledge produced? Finally, the axis aims to identify the conditions under which neutral places participate in the renewal or conservation of frameworks of public policy.

Axe 1 / La fabrique de la neutralité au concret

Discutants : Constantin BRISSAUD (Université Paris-Dauphine/IRISSO), Julie GERVAIS (Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne/CESSP)

Nicolas FISCHER (CNRS/CESDIP), Un art de la distance. La fabrique de la neutralité critique au sein du Contrôleur général des lieux de privation de liberté

Marine LASSERY (Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne/CESSP), Style de vie dans les clubs mondains : fabriquer la neutralité par les pratiques gastronomiques

Cyril MAGNON-PUJO (Université Lumière Lyon-2/Triangle), Construire la neutralité ou faire consensus? Les dynamiques transectorielles d’un forum d’experts internationaux sur les armes autonomes

Valentin THOMAS (SciencesPo Lyon/Triangle), Donner la face et la reprendre. Le travail de maintien du sentiment de légitimité en situation d’expertise

Axe 2 / Préserver, amender, transformer : ce que font les lieux neutres

Discutants : Constantin BRISSAUD (Université Paris-Dauphine/IRISSO), Mathieu HAUCHECORNE (Université Paris 8/CRESSPA)

Lucile DUMONT (EHESS/CESSP), Neutralisation, académisation et universalisation dans la théorie littéraire des années 1960-1970

Pierre MAYANCE (Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne/CESSP), De l’information sur les pesticides à la promotion d’un secteur : les transformations d’une réponse agricole aux enjeux environnementaux au sein d’un lieu neutre (1970-2020)

Benjamin RIVIALE (Université Paris-Nanterre/ISP), « Faire l’Europe avant le socialisme ». Les dirigeants socialistes au sein du Mouvement européen, entre apprentissage du « consensus » et transfigurations de carrières (1947-1960)

Pierre-Édouard WEILL (Université de Bretagne Occidentale/Lab-LEX), Le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées. Lieu neutre et lieu de passage vers une judiciarisation de l’action publique

BRISSAUD Constantin cbrissaud@gmail.com

CHAHSICHE Jean-Michel jm.chahsiche@hotmail.fr

DUMONT Lucile lucile.dum@gmail.com

FISCHER Nicolas fischer@cesdip.fr

GERVAIS Julie gervais_julie@yahoo.fr

HAUCHECORNE Mathieu mathieu.hauchecorne@univ-paris8.fr

LASSERY Marine marine.lassery@gmail.com

LÉPINAY Thomas thomas.lepinay@gmail.com

MAYANCE Pierre mayancep@gmail.com

MAGNON-PUJO Cyril Cyril.Magnon-Pujo@univ-lyon2.fr

RIVIALE Benjamin benjamin.riviale@orange.fr

THOMAS Valentin valentin.thomas@sciencespo-lyon.fr

WEILL Pierre-Édouard pierreedouard.weill@gmail.com