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ST 54

Pensées de la « citoyenneté industrielle » : controverses politiques, luttes symboliques et rapports de classe

Thoughts of Industrial citizenship: political controversies, symbolic struggles and class relations

 

Responsables scientifiques :

Guillaume Gourgues (TRIANGLE, Université Lumière Lyon 2) guillaume.gourgues@univ-lyon2.fr
Karel Yon (CERAPS, Université de Lille / CNRS) karel.yon@uni-lille.fr

La notion de « citoyenneté industrielle » est généralement abordée par les sociologues, historiens et spécialistes des relations professionnelles comme l’ensemble des droits et des instances de représentation et de participation reconnus aux travailleurs dans les entreprises (Lichtenstein, Harris, 1996 ; Martin, 1994 ; Coutu, Murray 2010 ; Béroud, 2013). Ce cadrage correspond à la définition de T.H. Marshall (1950) qui pose la citoyenneté industrielle comme un sous-produit de la citoyenneté sociale, elle-même émergeant dans le sillage des droits civils et politiques. Cette acception de la citoyenneté industrielle, qui désigne les dispositifs de régulation visant l’intégration des travailleurs à l’ordre capitaliste, l’harmonisation de l’« économique » et du « social », est le produit d’une « pensée d’État » (Bourdieu, 1993). Elle répond aux préoccupations de gouvernement de la « question sociale » nées à la fin du xixe siècle et correspond aux théorisations et aux découpages administratifs produits dans le contexte d’édification des institutions de l’État social et du rapport salarial.

On commence seulement à redécouvrir dans le champ de la théorie politique et sociale, à la suite de Carole Pateman (1970), la diversité des paradigmes de la « démocratie industrielle » (Hayat, 2011 ; Cukier, 2017 ; Ferreras, Landemore, 2016), rendant possibles de nouvelles lectures de la « cité du travail » (Trentin, 2012). Au croisement de la sociologie politique et de l’histoire des idées, d’autres travaux ont également rendu compte du caractère disputé de notions liées comme celles de « salarié » (employee, cf. Vinel, 2013), « démocratie industrielle » (Lichtenstein, Harris, 1993) ou « démocratie sociale » (Yon, 2019).

Dans le sillage de ces travaux, cette section thématique vise à étudier la citoyenneté industrielle comme un enjeu de luttes. Ce qui est en jeu est précisément la définition des droits autant que des frontières de la communauté dans le cadre de laquelle l’identité de « citoyen » prend sens, sans présumer d’une séparation entre l’économique ou le social et le politique. L’objectif est de passer la citoyenneté industrielle au tamis de l’histoire sociale des idées politiques, celles-ci étant entendues comme « les rationalisations de l’ordre politique, qu’il s’agisse de ses légitimations ou de ses formes de contestation » (Gaboriaux, Skornicki, 2017, p. 20). En d’autres termes, il s’agit d’aborder la citoyenneté industrielle comme un moyen d’interroger l’ancrage dans le travail des revendications de citoyenneté, pouvant notamment amener les travailleurs à défier la place qui leur est assignée dans l’ordre politique et économique (Gourgues, Neuschwander, 2018). L’objectif est de documenter la diversité et l’évolution des pensées de la citoyenneté industrielle, en étudiant ses origines sociales et intellectuelles ainsi que ses représentations et pratiques multiples.

Cette section thématique est organisée en deux temps. Une première session rassemble, dans une perspective généalogique, plusieurs communications portant sur des périodes antérieures à l’institutionnalisation d’une sphère séparée de la citoyenneté industrielle (xviiie– xixe siècle). Il s’agira de réfléchir aux façons dont les expériences ou représentations du travail et de l’économie informent diverses pensées de la citoyenneté. Une seconde session porte à l’inverse sur les frontières disputées de la citoyenneté industrielle en s’intéressant à la façon dont les transformations de l’État, des entreprises et des relations professionnelles conditionnent, à différentes échelles, les modalités d’action et de représentation des travailleurs.

 

Sociologists, historians and industrial relations specialists have generally addressed the notion of industrial citizenship as the set of rights and bodies of representation and participation granted to workers in companies (Lichtenstein, Harris, 1996; Martin, 1994; Coutu, Murray 2010; Béroud, 2013). This corresponds to the Marshallian definition that posits industrial citizenship as a by-product of social citizenship, the latter emerging in the wake of civil and political rights (Marshall, 1950). This meaning of industrial citizenship, which refers to regulatory mechanisms aimed at integrating workers into the capitalist order, at harmonizing the “economic” and the “social”, is a product of “State thinking” (Bourdieu, 1993). It responds to the concern for governing the “labor problem” that arose at the end of the 19th century and corresponds to the theorizations and administrative divisions, which developed in relation to the emergence of the institutions of the social state.

In the field of political and social theory, following Carole Pateman (1970), we are only beginning to rediscover the diverse paradigms of “industrial democracy” (Hayat, 2011; Cukier, 2017; Ferreras, Landemore, 2016), allowing new interpretations of industrial citizenship. At the crossroads of political sociology and history of ideas, other works have also highlighted the disputed and historically variable nature of related categories such as those of “employee” (Vinel, 2013), “democracy” (Dupuis-Deri, 2013), “industrial democracy” (Lichtenstein and Harris, 1993) or “social democracy” (Yon, 2019).

In the wake of this work, this thematic section aims to study industrial citizenship as an issue of struggle. What is at stake is precisely the definition of the rights as well as the boundaries of the community within which the identity of “citizen” takes on meaning, without assuming a separation between the economic or the social and the political. The objective is to analyze industrial citizenship through the lens of the social history of political ideas, understood as “the rationalizations of the political order, whether in terms of its legitimizations or its forms of contestation” (Gaboriaux, Skornicki, 2017, p. 20). In other words, it is a question of approaching industrial citizenship as a way of questioning the work-based anchoring of citizenship claims. The objective is to document the diversity and evolution of the thoughts of industrial citizenship, by studying its social and intellectual origins as well as its multiple representations and practices.

This thematic section is organized in two stages. A first session brings together, from a genealogical perspective, several papers covering periods prior to the institutionalization of a separate sphere of industrial citizenship (18th-19th century). The aim will be to reflect on the ways in which experiences or representations of work and the economy inform various thoughts about citizenship. A second session focuses on the disputed boundaries of industrial citizenship by examining how transformations of the State, companies and industrial relations condition, at different scales, the modalities of action and representation of workers.

 

REFERENCES

Béroud S. (dir.), 2013, « Démocratie dans le monde du travail », Participations, n°5.

Bourdieu P., 1993, « Esprits d’Etat. Genèse et structure du champ bureaucratique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 96-97, pp. 49-62.

Coutu M., Murray G. (dir.), 2010, Travail et citoyenneté. Quel avenir ?, Québec, Presses de l’Université de Laval.

Cukier A., 2017, Le Travail démocratique, Paris, PUF.

Ferreras I., Landemore H., 2016, « In Defense of Workplace Democracy. Towards a Justification of the Firm–State Analogy », Political Theory, vol. 44, n° 1, p. 53-81.

Gaboriaux C., Skornicki A. (dir.), 2017, Vers une histoire sociale des idées politiques, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion.

Gourgues G., Neuschwander C., 2018, Pourquoi ont-ils tué Lip ? De la victoire ouvrière au tournant néolibéral, Paris, Raisons d’Agir.

Hayat S., 2011, « Démocratie industrielle (Démocratie ouvrière) », in C. Gaillard et G. Navet (dir.), Dictionnaire Proudhon, Bruxelles, 2011.

Lichtenstein N., Harris J., 1996, Industrial Democracy in America: the Ambiguous Promise, Cambridge University Press.

Marshall T.H., 1950, Citizenship and Social Class, and Other Essays, Cambridge University Press.

Martin D., 1994, Démocratie industrielle. La participation directe dans les entreprises, Paris, PUF.

Pateman C., 1970, Participation and Democratic Theory, Cambridge, Cambridge University Press.

Trentin B., 2012, La Cité du travail. Le fordisme et la gauche, Paris, Fayard.

Vinel J.-C., 2013, The Employee: a Political History, Philadelphie, University of Pennsylvania Press.

Yon K., 2019, « De quoi la démocratie sociale est-elle le nom ? Luttes idéologiques dans les relations professionnelles », Socio-économie du travail.

Axe 1 / Généalogies

Président de séance : Karel Yon (IDHE.S, Université Paris Nanterre / CNRS)

François Pineau (Université Paris 8, IDHE.S), Refuser la subordination : une « pensée ouvrière » en actes ? (Paris, 1750-1791)

Stefania Ferrando (EHESS, LIER), La citoyenneté des « filles du peuple ». La participation politique et les premières féministes socialistes (1830)

Discutant : Samuel Hayat (Ceraps, Université de Lille / CNRS)

Tatiana Fauconnet (ENS Lyon, Triangle), « Le département de la Seine voulait un ouvrier, vous lui donnez un écrivain » : Les enjeux de l’élection d’un faux ouvrier en 1848.

Henri-Pierre Mottironi (Université de Lausanne, CWP / IEP Paris, CEVIPOF), La république des actionnaires : La société par actions comme modèle constitutionnel chez Emmanuel Sieyès (1773-1792)

Discutant : Guillaume Gourgues (Université Lyon 2, Triangle)

Axe 2 / Citoyennetés en dispute

Président de séance : Guillaume Gourgues (Université Lyon 2, Triangle)

Marnix Dressen (UVSQ, Printemps), Jean Finez (Université Grenoble Alpes, PACTE), Dominique Andolfatto (Université de Bourgogne Franche Comté, CREDESPO), Quelle « citoyenneté industrielle » à la SNCF ?

Jean-Philippe Tonneau (Université de Nantes, CENS), La citoyenneté industrielle et les licenciements, une équation incongrue ? Autour de deux lois sur les licenciements pour motif économique

Discutant : Karel Yon (IDHE.S, Université Paris Nanterre / CNRS)

Sid Ahmed Soussi (UQAM, GIREPS), Travail migrant temporaire et citoyenneté au Canada : discrimination salariale ou racisme institutionnel ?

Marie-Esther Lacuisse (University of Arizona, CREDA), Ce que les normes socio-environnementales des entreprises font au conflit industriel dans les bassins extractifs : une comparaison Sud-Nord dans les Amériques

Discutante : Anne Bory (Université de Lille, CLERSE)

ANDOLFATTO Dominique dominique.andolfatto@u-bourgogne.fr

BORY Anne anne.bory@univ-lille.fr

DRESSEN Marnix marnix.dressen@gmail.com

FAUCONNET Tatiana tatiana.fauconnet@ens-lyon.fr

FERRANDO Stefania ferrandostefania@gmail.com

FINEZ Jean jean.finez@univ-grenoble-alpes.fr

GOURGUES Guillaume guillaume.gourgues@univ-lyon2.fr

HAYAT Samuel samuel.hayat@cnrs.fr

LACUISSE Marie-Esther marieesther.lacuisse@gmail.com

MOTTIRONI Henri-Pierre henri-pierre.mottironi@unil.ch

PINEAU François fr.pineau@gmail.com

SOUSSI Sid Ahmed soussi.sid@uqam.ca

TONNEAU Jean-Philippe tonneaujeanphilippe@yahoo.fr

YON Karel ynkarel@yahoo.fr