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ST 08

Instruments des réformes managériales et mobilisations professionnelles

Devices of managerial reforms and professional mobilisations

 

Responsables scientifiques :

Jérôme Aust (Centre de Sociologie des Organisations, CNRS/Sciences Po) jerome.aust@sciencespo.fr
Clémentine Gozlan (École Normale Supérieure de Cachan, CSO/CNRS) gozlanclementine@gmail.com

Depuis plus de 30 ans dans de nombreux pays occidentaux, les réformes managériales ont profondément restructuré les services publics. Des instruments ont souvent été au cœur de ces transformations : c’est souvent en s’appuyant sur des appels d’offres, des mécanismes de mise en compétition, des benchmarks ou des instruments de quantification de l’activité que les pouvoirs publics ont redéfini les conditions de travail de groupes professionnels aussi divers que les universitaires, les policiers, les magistrats ou les médecins. Au croisement de la sociologie des professions et de la sociologie de l’action publique, de nombreux travaux ont montré comment ces instruments ont contribué à réinventer le travail et les hiérarchies professionnelles, et se sont intéressés aux façons dont les groupes professionnels s’accommodent de ces instruments, se les approprient, y résistent dans leurs pratiques de travail.

Ce sont donc surtout les effets pluriels de ces instruments sur le lieu de travail et les conditions d’exercice professionnel qui ont été explorées – que les auteurs décrivent leur emprise et la déprofessionnalisation qu’ils engendrent, ou qu’ils montrent que ces instruments n’érodent pas entièrement le pouvoir professionnel. Cette section propose de poursuivre cette analyse des relations entre instruments et groupes professionnels, mais en mettant l’accent sur les capacités (inégales) de ces groupes à intervenir sur la scène politique et à orienter la carrière de ces instruments de réformes managériales ; elle propose aussi de comprendre comment des instruments peuvent peser sur les équilibres internes à des groupes professionnels.

Les contributions éclaireront le travail de mobilisation des groupes sociaux pour infléchir l’action publique, mais viseront aussi à comprendre ce que l’action publique fait au travail de représentation professionnelle.

Deux axes problématiques pourront être privilégiés.

Il s’agit d’abord de poursuivre l’invitation foucaldienne à saisir le pouvoir d’État dans ses manifestations les plus concrètes, mais en étant attentif à ce que les instruments font non plus seulement au travail mais à la représentation et à l’identité des groupes professionnels. Leurs membres ou leurs représentants ne sont en effet pas des spectateurs passifs des recompositions en cours, mais peuvent se mobiliser pour peser sur les réformes. Comment émergent ces contestations ? Quelles sont leurs éventuelles spécificités ? Comment redéfinissent-elles les équilibres internes aux groupes professionnels en bâtissant de nouvelles solidarités, ou en défaisant des liens anciennement établis ? Quelles (nouvelles) formes de militantisme professionnel observe-t-on ? De la même manière, les mobilisations professionnelles ne doivent pas être envisagées sous le seul angle de la résistance et de la contestation. Certains professionnels peuvent relayer, voire endosser des discours managériaux, et promouvoir voire mettre en œuvre des projets de réforme qui visent à restructurer les pratiques de travail. Comment ces soutiens professionnels aux instruments émergent-ils ? Quels sont les acteurs qui les portent ? Comment mettent ils à l’épreuve la cohésion des groupes professionnels ?

Il s’agit ensuite de s’intéresser aux conséquences de ces mobilisations sur les trajectoires des instruments pour comprendre si, jusqu’où et dans quelles conditions elles peuvent infléchir le projet politique qui y est inscrit. La déclinaison des réformes managériales a été souvent envisagée comme le produit de l’activité d’élites étatiques, ou de consultants, mettant en cause une expertise professionnelle jusqu’alors au cœur de la fabrique de l’action publique. Mais les mobilisations professionnelles parviennent-elles à modifier le projet politique des instruments ? Comment rendre compte de l’inégale capacité des groupes professionnels à faire face aux recompositions managériales, à proposer des alternatives et à peser sur la fabrique des instruments ? Les instruments sont ils plus ou moins robustes aux critiques ?

Tout en mobilisant des enquêtes empiriques reposant sur une importante collecte de données, les propositions qui comparent des secteurs, des groupes professionnels, des instruments ou des pays seront ici particulièrement valorisées.

 

Since more than 30 years in many occidental countries, massive managerial reforms have restructured the public services. Specific policy instruments have often been at the core of those transformations: increasingly, public authorities use benchmarks, call for proposals, competition devices and quantitative measures of workers’ activities, which restructure the professional practices of various groups, such as academics, policemen, magistrates, or medical practitioners.

At the crossroad of sociology of professions and public policy analysis, many studies described how those instruments contributed to reinvent the professional hierarchies and activities. They questioned how professional groups respond to those instruments, and how they may resist to them in their practices.

Hence, the various effects of those instrument on the workplace and on how professional activities are performed have been widely scrutinized – those managerial tools leading, in some cases, to the deprofessionalization of workers; while in other, they do not completely erode the professional power. This thematic session propose to extend the analysis of the relations between instruments and professional groups, but by investigating the (unequal) capacities of those groups in acting in the political arena and in altering the path of the instruments of managerial reforms. It aims at understanding how instruments can affect the internal ecologies of professions.

The papers would enlighten how social groups mobilise and work in order to influence public action; they would also study how the instruments of managerial reforms restructure the way the professions’ identities are represented. Two major dimensions could be explored.

First, the session follows Foucault’s invitation to seize the concrete manifestations of the State’s power, by paying attention not only to how instruments change the professional practices at the workplace, but also how they can shape the representations of the professionals’ interests and identities. Their representatives are not passive spectators of the currents reforms; they can mobilise to influence them. How do protestations emerge? What are their specificities? How do the instruments and their contestations build new solidarities, or undo previous alliances within the professions? What (new) forms of professional militancy can we observe?

Symmetrically, professionals not only mobilise to contest and reject those instruments: some of them can relay and commit to managerial discourses, they can promote and implement reforms which aim at restructuring the workers’ practices. How do those professional supports to instruments emerge, and who are they? How do they challenge the cohesion of the professional groups?

Second, the session aims at analysing the consequences of those mobilisations on the instruments’ careers; to study on what conditions and to what extent the professional protests can influence the political project of the reforming instruments. The declination of managerial reforms is often described as the result of some State elites’ decisions, informed by the work of consultants and other “experts”, dismissing the professional expertise that was, so far, at the heart of the public decisions. But do some professional mobilisations achieve to transform the political project inscribed in those instruments? How can we understand the unequal capacities of professional groups to face the managerial restructuration, to propose alternative reforms, and to weight in the making of public action? Are the instruments more or less resistant to criticism?

The papers are expected to rely on empirical inquiries with an important data collection. Comparisons between sectors, countries, professional groups, and/or instruments are particularly welcome.

 

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Jean-Marie Pillon (Université Paris IX Dauphine, IRISSO UMR 7170) et Olivier Quéré (Université de Haute-Alsace, SAGE UMR 7363), Petits et grands chefs dans les réformes administratives. Pour une sociologie interactionniste de la domination légale rationnelle / Discutant : Renaud Gay

AHNICH Myriam myriam.ahnich@outlook.fr

ASUT Jérôme jerome.aust@sciencespo.fr

CUSSAC Pablo pablo.cussac@sciencespo.fr

DEMONTEIL Marion marion.demonteil@dauphine.psl.eu

GAY Renaud renaud.gay@wanadoo.fr

GOZLAN Clémentine gozlanclementine@gmail.com

QUERE Olivier olivier.quere@uha.fr

PILLON Jean-Marie jean-marie.pillon@dauphine.psl.eu