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ST 55

Pouvoir politique et contraintes juridictionnelles – Analyses contemporaines

Political power and judicial constraints – Prospectives

 

Responsables scientifiques :

Geoffrey Grandjean (Université de Liège) Geoffrey.Grandjean@uliege.be
Fabien Terpan (Sciences po Grenoble) fabien.terpan@sciencespo-grenoble.fr

Une des caractéristiques du xxie siècle serait la « judiciarisation » des systèmes politiques et sociaux (Blichner & Molander, 2008). Cette notion renvoie à l’extension du pouvoir des juges, lesquels sont amenés à traiter un nombre croissant de problèmes politiques et sociaux. Si elle est confirmée, la « judiciarisation » est-elle susceptible de remettre en cause les fondements classiques de notre approche occidentale de la démocratie et de l’exercice du pouvoir politique ?

La Section thématique a pour objectif d’étudier et d’analyser le pouvoir politique des juges, entendu comme la capacité de ces derniers d’énoncer des injonctions socialement légitimes (Braud, 1985) ou, autrement dit, d’allouer autoritairement – en raison d’une contrainte perçue comme légitime – des valeurs dans le système social considéré (Easton, 1965). La littérature sur le pouvoir des juges est particulièrement riche. Au début du xxe siècle, le gouvernement des juges a été dénoncé (Boudin, 1911 et Lambert, 1921). La normativité – entendue comme des jugements de valeurs posés par les auteurs – a progressivement laissé la place à des études scientifiques qui s’inscrivent dans une perspective globale (par ex. Vallinder & Tate, 1995). Toutefois, nombreux ont été les auteurs à inscrire leurs propos dans un contexte déterminé et à manier ainsi l’approche comparative avec prudence (Dehousse, 2001). Les différents travaux s’intéressent à la fois aux cadres territoriaux nationaux (Vanberg, 2005), internationaux (Steinberg, 2004), européens (Alter, 2009 et Kelemen, 2011), comparés (Shapiro, 1981 et Alter & Hefler, 2010), et analysent les transferts d’un cadre à l’autre (Kagan, 2007). L’intérêt de ces nombreuses études est de s’inscrire dans des champs disciplinaires variés : sociologie (Commaille & Dumoulin, 2009), science politique (Grandjean, 2018), droit (Tusseau, 2016), entre autres. Toutes ces études ont cherché, d’une manière ou d’une autre, à déterminer la place des juges dans les systèmes politiques : dans une perspective fonctionnaliste (Shapiro & Stone Sweet, 2002), dans une perspective interactionniste, dans une perspective centrée sur les droits (Vallinder & Tate, 1995), dans une perspective institutionnaliste ou encore dans une perspective de gouvernance (Saurugger & Terpan, 2014). Le concept de juristocratie a pu également être mis en avant pour qualifier l’interaction stratégique entre les élites politiques, économiques et judiciaires (Hirschl, 2004).

Malgré la riche littérature scientifique, très peu d’études ont identifié la manière dont les juges exercent le pouvoir politique en recourant à des modalités différenciées de contraintes juridictionnelles. L’objectif de la Section thématique consiste à cerner plus précisément ces modalités différenciées de contraintes juridictionnelles, notamment à l’heure de la justice digitale (Garapon & Lassègue, 2018). Les exemples suivants, non exhaustifs, peuvent ainsi être cités : la production indirecte de normes juridiques par les juges, l’arbitrage de valeurs morales ou encore la stabilisation d’un système politique. En effet, ces dernières années, les décisions des juges ont concerné différents pans de la vie sociale et politique : demandes de sécession d’entités subétatiques, droit à l’oubli sur Internet, création d’un sexe neutre, relations d’amitiés sur Facebook, accords de libre-échange ou encore port du burkini sur les plages, entre autres.

Pour ce faire, deux perspectives sont proposées. D’une part, les panelistes proposeront des études analytiques caractérisant l’exercice contemporain des contraintes juridictionnelles. D’autre part, les panelistes proposeront des études prospectives permettant d’identifier les enjeux futurs de l’exercice des contraintes juridictionnelles, notamment dans le cadre du développement de la justice numérique. Les communications devront répondre à une exigence méthodologique. Ainsi, les panelistes proposeront une méthodologie originale permettant soit la caractérisation, soit l’illustration des contraintes juridictionnelles.

Au final, la Section thématique ouvre de nouvelles perspectives dans le champ « droit et politique » puisque la caractérisation et l’illustration des contraintes juridictionnelles permet d’envisager les mutations des systèmes démocratiques et, plus largement, l’exercice du pouvoir politique.

 

One of the characteristics of the 21st century is the « juridification » of political and social systems (Blichner & Molander, 2008). This notion refers to the extension of the power of judges, who are forced to deal with a growing number of political and social problems. Does this « juridification » lead to undermine the classical foundations of our Western approach of democracy and the exercise of political power?
The purpose of the thematic section is to study and analyze the political power of judges i.e. the ability of judges to formulate socially legitimate injunctions (Braud, 1985), or in other words, to allocate authoritatively – because of a constraint perceived as legitimate – values ​​in a social system (Easton, 1965). The literature on the power of judges is particularly rich and various. At the beginning of the 20th century, the “government of judges” was denounced (Boudin, 1911 and Lambert, 1921). Normativity – understood as value judgments by the authors – has been gradually abandoned in favor of scientific studies which aim to present a global perspective (e.g. Vallinder & Tate, 1995). However, many authors have been cautious, inscribing their writings in specific contexts (Dehousse, 2001). The different works focus on national (Vanberg, 2005), international (Steinberg, 2004), European (Alter 2009, Kelemen, 2011), compared (Shapiro 1981, Alter & Hefler, 2010) territorial frameworks, and analyze the transfers of one framework to another (Kagan, 2007). The interest of these numerous studies is to register in various disciplinary fields: sociology (Commaille & Dumoulin, 2009), political science (Grandjean, 2018), law (Tusseau, 2016), among others. All these studies have sought, in one way or another, to determine the place of judges in political systems: in a functionalist perspective (Shapiro & Stone Sweet, 2002), in an interactionist perspective, in a perspective rights-centered (Vallinder & Tate, 1995), in an institutionalist perspective or in governance perspective (Saurugger & Terpan, 2014, 2017). The concept of juristocracy has been also used to describe the strategic interactions between political, economic and judicial elites (Hirschl, 2004).
Despite the important scientific literature, very few studies have identified the way in which judges exercise political power by using differentiated modalities of judicial constraints. The purpose of the thematic section is to identify more precisely these differentiated modalities of constraints, especially in the era of digital justice (Garapon & Lassègue, 2018). The following non-exhaustive examples can be mentionned: the indirect production of legal norms by judges, the arbitration of moral values or the stabilization of a political system. Indeed, in recent years, the decisions of the judges concerned different parts of the social and political life: requests for secession of sub-state entities, right to be forgotten on the Internet, creation of a neutral sex, relations of friendship on Facebook, free trade agreements or wearing burkini on beaches, among others.

To do this, two perspectives are proposed. On the one hand, the panelists will propose analytical studies characterizing the contemporary exercise of judicial constraints. On the other hand, panelists will propose prospective studies to identify future challenges in the exercise of judicial constraints, particularly in the context of the development of digital justice. Communications will have to meet a methodological requirement: the panelists will propose an original methodology allowing the characterization or the illustration of the judicial constraints.
Finally, the thematic section opens new perspectives in the field of « law and politics » insofar as the characterization and illustration of judicial constraints gives the possibilities to consider the changes of the democratic systems and, more broadly, of the exercise of political power.

Président de séance : Geoffrey Grandjean (Université de Liège)
Discutants : Bernard Fournier (Haute École de la Province de Liège) et Fabien Terpan (Sciences po Grenoble)

Geoffrey Grandjean (Université de Liège), Taxonomie des critères d’acceptabilité sociale des fonctions juridictionnelles
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Vincent Tournier (Sciences po Grenoble – PACTE), Le non gouvernement des juges. Pourquoi le droit n’est pas une variable explicative de l’action (ou de l’inaction) politique. Le cas de l’islam en France

Guillaume Grégoire (Université de Liège), Naturalisme économique et suprématie du juge constitutionnel : un renforcement mutuel ?
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Sabine Saurugger et Fabien Terpan (Sciences po Grenoble), The Court of Justice of the European Union, conflicts of sovereignty and the EMU crisis
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FOURNIER Bernard Bernard.Fournier@me.com

GRANDJEAN Geoffrey geoffrey.grandjean@uliege.be

GREGOIRE Guillaume guillaume.gregoire@uliege.be

SAURUGGER Sabine sabine.saurugger@sciencespo-grenoble.fr

TERPAN Fabien fabien.terpan@sciencespo-grenoble.fr

TOURNIER Vincent vincent.tournier@sciencespo-grenoble.fr