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DC 02

Figures de l’illibéralisme : remise en cause de l’indépendance de la justice et autoritarisme judiciaire

Figures of illiberalism: questioning the independence of the judiciary and judicial authoritarianism

 

Responsables scientifiques :

Clémentine  Fauconnier  (Université de Haute Alsace) clementine.fauconnier@uha.fr
Antoine Vauchez (CESSP, Université Paris 1-Sorbonne) antoine.vauchez@univ-paris1.fr

En s’appuyant sur l’analyse de contextes nationaux très divers (Brésil, Turquie, Liban, Pologne), tous analysés au prisme des cas français, américain ou encore russe, cette table-ronde propose de saisir « l’illibéralisme » comme pratique de gouvernement et enjeu de mobilisation. Parce qu’il est selon les cas objet, contre-pouvoir ou levier des entreprises d’illibéralisation, le pouvoir judiciaire (celui visé par les réformes constitutionnelles, celui mis en scène par les « grands procès » anti-corruption, ou encore celui contesté par les mouvements vigilantistes, etc.) servira ici de point d’ancrage empirique commun pour une sociologie politique comparée des « tournants autoritaires ».

 

Apparue à la fin du XXe siècle, la notion d’illibéralisme a été popularisée par Fareed Zakaria pour désigner des pratiques de pouvoir observables dans des contextes alors considérés comme en transition vers la démocratie. L’identification du phénomène procède d’une dissociation entre les deux principes qui fondent les démocraties libérales : la sélection des dirigeants par la population à l’issue d’élections libres et équitables d’une part, le « libéralisme constitutionnel », d’autre part, qui comprend à la fois l’État de droit, la séparation des pouvoirs et la protection des libertés. Utilisé initialement pour envisager les trajectoires de pays issus de la troisième vague de démocratisation, le recours à la notion d’illibéralisme s’est également étendu à l’analyse des transformations des démocraties occidentales elles-mêmes, nourrissant et complexifiant ainsi les débats sur les comparaisons, distinctions ou éventuellement convergences entre les régimes politiques. Discuté, critiqué, mis en parallèle ou en concurrence avec d’autres conceptualisations – démocraties avec adjectifs, régimes hybrides, dé-démocratisation, tournant autoritaire –, le terme a le mérite d’amener les sciences sociales à « prendre au sérieux » les savoirs, les acteurs et les pratiques du gouvernement illibéral tels qu’ils se développent aujourd’hui autour de la question des droits et libertés, des cours de justice et de l’Etat de droit. En s’appuyant sur l’analyse de contextes nationaux très divers (Brésil, Turquie, Liban, Pologne), tous analysés au prisme des cas français, américain ou encore russe, cette table-ronde propose ainsi une sociologie politique comparée de l’illibéralisme saisi comme pratique de gouvernement et enjeu de mobilisations.

Le pouvoir judiciaire constitue sans doute aujourd’hui l’un des meilleurs terrains d’observation des entreprises « d’illibéralisation » des régimes politiques. Tour à tour objet, levier et contre-pouvoir des « tournants autoritaires », il offre un point d’entrée unique pour saisir ses multiples déclinaisons comme ses logiques contradictoires. En repartant d’enquêtes de terrain passées ou en cours, les interventions chercheront ici à décrire et à situer ces entreprises dans le répertoire des formes – souvent anciennes, parfois nouvelles – d’interférence des pouvoirs exécutifs dans le cours de la justice, qu’il s’agisse des réformes constitutionnelles, des pressions exercées sur les tribunaux (qu’ils soient « ordinaires », constitutionnels, européens ou internationaux), de la mise en scène de « grands procès » anti-corruption, voire de formes d’autoritarisme pénal, etc. De ce point de vue, la démarche comparative devra aussi permettre d’identifier les lieux et les acteurs d’une circulation transnationale, et notamment régionale, de différents modèles autoritaires et types de savoirs pratiques du gouvernement illibéral. Mais les débats s’intéresseront également aux rapports différenciés au politique et à l’exécutif qui se construisent dans les mondes professionnels du droit et de la justice (collusions, résistances, arrangements locaux, etc.), et aux formes d’indépendance qui se bricolent éventuellement au concret. Ils permettront également de comprendre comment ces usages et définitions croisés du pouvoir judiciaire et de l’Etat de droit se réfractent à la périphérie de ces institutions via une multitude de (contre-)mobilisations, qu’il s’agisse des ONG, mouvements citoyens, comme d’associations proches du pouvoir et de formes de vigilantisme. En repartant ainsi de l’analyse de ces différentes configurations et cas d’études concrets et localisés, la table-ronde devra permettre de faire retour sur les interrogations sur les différenciations ou convergences entre les régimes politiques.

 

The notion of illiberalism appeared at the end of the 20th century and was popularized by Fareed Zakaria to designate power practices that could be observed in contexts considered to be in transition to democracy. The identification of the phenomenon stems from a dissociation between the two principles on which liberal democracies are based: the selection of leaders by the population after free and fair elections on the one hand, and « constitutional liberalism » on the other, which includes the rule of law, the separation of powers and the protection of freedoms. Initially used to consider the trajectories of countries emerging from the third wave of democratization, the notion of illiberalism has also been extended to the analysis of the transformations of Western democracies themselves, thus nourishing and complicating the debates on comparisons, distinctions or possibly convergences between political regimes. Discussed, criticized, put in parallel or in competition with other conceptualizations – democracies with adjectives, hybrid regimes, de-democratization, authoritarian turn -, the term has the merit of bringing the social sciences to « take seriously » the knowledge, the actors and the practices of the illiberal government such as they develop today around the question of rights and freedoms, courts of justice and the rule of law. Based on the analysis of very diverse national contexts (Brazil, Turkey, Lebanon, Poland), all analyzed through the prism of the French, American and Russian cases, this round table proposes a comparative political sociology of illiberalism as a practice of government and as an issue of mobilization.

The judiciary is undoubtedly one of the best places to observe the « illiberalization » of political regimes. In turn object, lever and counter-power, it offers a unique point of entry into the multiple declensions but also into the contradictory logics of « authoritarian turns ». Starting from past or current field investigations, the papers here will seek to describe and situate these enterprises in the repertoire of forms – often old, sometimes new – of interference by the executive powers in the course of justice, whether it be constitutional reforms, pressure on the courts (whether « ordinary », constitutional, European or international), the staging of « major anti-corruption trials », or even forms of penal authoritarianism, etc. From this point of view, the comparative approach should also make it possible to identify the places and actors of a transnational, and in particular regional, circulation of different authoritarian models and types of practical knowledge of illiberal government. But the debates will also be interested in the differentiated relationships to politics and the executive that are constructed in the professional worlds of law and justice (collusion, resistance, local arrangements, etc.), and in the forms of independence that may be cobbled together in concrete terms. They will also allow us to understand how these intersecting uses and definitions of judicial power and the rule of law are refracted to the periphery of these institutions via a multitude of (counter-)mobilizations, be they NGOs, citizen movements, associations close to the government, or forms of vigilantism. Starting from the analysis of these different configurations and concrete and localized cases of study, the round table will allow us to return to the questioning of the differentiations or convergences between the political regimes.

Valentin Behr (Institut d’études avancées de Paris), Les réseaux illibéraux transnationaux et la critique de l’État de droit

Samer Ghamroun (Université Saint-Joseph de Beyrouth), Contrôler les juges sans les réprimer : la gestion de la justice et le pluralisme autoritaire libanais

Camille Goirand (Université Sorbonne Nouvelle, Iheal), Entre illibéralismes et conservatisme moral : l’anti-corruption, un révélateur du rapport à l’autoritarisme dans le Brésil de Jair Bolsonaro

Élise Massicard (Sciences Po Paris, Ceri), La justice : enjeu et acteur(s) des transformations du régime en Turquie (2010-2019)

BEHR Valentin valentin.behr@gmail.com

FAUCONNIER Clémentine clementine.fauconnier@uha.fr

GHAMROUM Samer samer.ghamroun@usj.edu.lb

GOIRAND Camille camille.goirand@sorbonne-nouvelle.fr

MASSICARD Élise elise.massicard@sciencespo.fr

VAUCHEZ Antoine antoine.vauchez@univ-paris1.fr