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ST 79

La « captation épistémique » : les institutions internationales et la digestion de la critique sociale

« Epistemic capture » : how international institutions seize critical ideas

 

Responsables scientifiques :

Olivier Nay (Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne) o.nay@free.fr
Antoine Roger (Sciences-po Bordeaux) a.roger@sciencespobordeaux.fr

Comment les institutions internationales parviennent-elles à entretenir des modèles d’intervention et de réforme alors qu’elles sont exposées à la montée en puissance de discours contre-hégémoniques portés par des mouvements sociaux transnationaux, des organisations militantes et des ONG de plaidoyer ? Dans le domaine de la régulation économique et financière, des négociations commerciales, des droits humains, du développement et du changement climatique, ou encore celui du contrôle des armes, ces institutions ont été exposées depuis les années 1980-90 à des campagnes de protestation portées par des mouvements sociaux, relayés par des médias internationaux et, dans de nombreux cas, soutenus par des acteurs de plaidoyer et des communautés scientifiques.

Cette ST s’intéresse à la façon dont les institutions internationales de gouvernement contribuent à l’émergence et à l’entretien de paradigmes publics internationaux – c’est-à-dire des cadres d’interprétatifs généraux censés faire consensus, à partir desquels sont envisagées la nature des problèmes publics mondiaux et les solutions internationales adoptées pour les prendre en charge. La production des idées mobilise les agents des bureaucraties internationales en lien étroit avec les réseaux d’experts employés par les Etats qui dominent l’espace des institutions internationales. Elle implique aussi de plus en plus des acteurs « privés » ou « non étatiques » (cabinets de conseil, consultants et experts individuels, groupes de recherche privés, fondations, centres universitaires, ONG intellectuelles, associations professionnelles, etc.). Dans le même temps, ces institutions internationales sont exposées en permanence à des résistances, des controverses publiques et des expertises critiques qui mettent en question la vision dominante.

La ST souhaite ainsi étudier les processus de « captation épistémique », entendus comme l’ensemble des opérations successives de mise en sens par lesquelles les acteurs qui dominent un champ institutionnel s’emparent d’éléments de la critique sociale, puis se les réapproprient en leur donnant une légitimité et une valeur dans l’institution, tout en détournant leur sens de façon à en atténuer ou en épuiser le contenu critique, et rendre ainsi les énoncés compatibles avec le maintien d’un paradigme dominant. Nous entendons mettre l’accent sur la capacité des institutions à importer des argumentations critiques, puis à opérer un travail de censure et de mise en forme permettant de les incorporer dans les cadres normatifs de l’institution. Paradoxalement, une orthodoxie est d’autant plus stable et solide que ses « gardiens » (les experts d’institution) sont en mesure d’assimiler des énoncés critiques et de les incorporer au corpus doctrinal dominant. L’une des particularités des institutions libérales est de permettre aux contre-idéologies de s’exprimer à l’intérieur même de l’institution, dès lors qu’elles ne remettent pas en question les visions fondamentales sur lesquelles repose le paradigme.

La ST souhaite réunir des contributions s’intéressant à des institutions internationales qui ont été confrontées des actions de protestation répétées, des campagnes de plaidoyer ou des controverses publiques visant à infléchir leur politique générale. Elle s’intéresse tout particulièrement aux institutions à vocation économique (FMI, Banque mondiale, BCE, banques de développement, OCDE, OMC…), pour deux raisons. Tout d’abord, ces institutions ont joué un rôle actif dans la diffusion transnationale d’une idéologie (et d’un cadre général de réformes) visant à accroître le rôle du marché comme espace de régulation des activités humaines et, plus particulièrement, à promouvoir l’investissement privé, l’échange économique (biens, services) et la financiarisation comme des solutions aux enjeux du développement. Ensuite, bien qu’ayant la forme d’organisations multilatérales établissant des mécanismes de délibération entre Etats-membres, ces institutions fonctionnent bien plus comme des « clubs » liant un nombre limité d’Etats riches, dont les intérêts sont plus ou moins convergents dans le cadre du système économique et financier mondial. Néanmoins, la ST pourra également accueillir des contributions s’intéressant à d’autres institutions internationales, comme les entités spécialisées des Nations Unies (développement, climat, droits humains) ou les organisations de coopération politique ou de sécurité, dès lors qu’on peut y observer des mécanismes semblables.

La ST 79 se situe à la croisée de la sociologie des mobilisations, la sociologie de l’expertise et les études sur les organisations internationales. Elle souhaite réunir des contributions ayant une visée sociologique et qui se concentrent sur les activités concrètes des experts qui participent à la captation épistémique. Dans cette perspective, les intervenants pourront s’appuyer sur des cas d’étude prenant pour objet les deux ensembles de questions qui suivent :

  1. Acteurs et espaces de la captation épistémique

L’idée est ici de centrer l’analyse sur les jeux d’échange entre les acteurs de la critique (qu’ils soient militants, acteurs de plaidoyer, professionnels ou scientifiques) et les groupes d’experts publics qui produisent les discours d’institution. Les contributions pourront insister notamment sur les liens entre les institutions internationales et les univers ou forums (sociaux, scientifiques, professionnels, médiatiques) dans lesquels leurs énoncés sont soumis à la critique ; sur la « socialisation intellectuelle », les jeux de connivence et les alliances entre les acteurs de la critique et les experts des institutions internationales ; et sur la circulation des acteurs de la critique dans l’écologie des organisations internationales (y compris les formes d’enrôlement professionnel auxquels ces acteurs s’exposent en pratique).

  1. L’appropriation bureaucratique des idées critiques

L’idée est ici de centrer l’analyse sur le traitement des idées à l’intérieur des institutions internationales. Les contributions pourront revenir sur l’ensemble des mécanismes et des techniques utilisés par les experts d’institution pour introduire et canaliser les idées critiques dans leurs discussions internes, en leur faisant subir toute une série d’opérations discursives permettant de les ré-enchâsser dans la pensée dominante de l’institution. Les contributions pourront ainsi décrire les mécanismes d’importation, de censure et de mise en forme des idées, en prenant soin d’insister sur le travail concret des experts. Elles pourront également aborder des questions spécifiques au contexte de chaque organisation étudiée (par exemple, l’hétérodoxie est-elle valorisée dans certains segments de l’organisation ? quels rôles y jouent les activités de recherche ? peut-on observer des « luttes de savoir » opposant différents segments bureaucratiques de l’organisation ? comment les savoirs disciplinaires des différentes sciences sociales sont-ils mobilisés ? quels liens les personnels bureaucratiques internationaux entretiennent-ils avec les experts publics des Etats membres ?)

Bien évidemment, les deux ensembles de questions apparaissent étroitement liés ; il ne s’agit pas ici de créer une frontière imaginaire entre le travail bureaucratique interne et les réseaux transversaux ancrant les institutions internationales dans des écologies de la critique (celle des organisations de plaidoyer ou celle de l’université par exemple). De même, face à l’amplitude des questions posées par les processus de captation épistémique, la sélection des communications opérée par les organisateurs de la ST permettra de faire un choix programmatique et de valoriser un ou plusieurs aspects évoqués ci-dessus.

 

How do international institutions uphold policy paradigms while being exposed to the rise of counter-hegemonic discourse driven by transnational social movements, activist organizations and advocacy NGOs? Since the 1980s-1990s., international institutions have been subjected to protest campaigns led by social movements, which amplified in the fields of economic and financial regulation, trade negotiation, human rights, development and climate change, and arms control. Such campaigns have been conveyed by the medias, and buttressed by advocacy actors and communities of scientists.

The ST 79 focuses on the capacity of international institutions to shape and disseminate cognitive frames that sustain international policy paradigms – defined as general interpretative frameworks that are intended to build consensus on the definition of global public problems and the identification of international policy solutions. One particular feature of these frameworks is that they are produced by the technical staff of international bureaucracies with the support of state experts, most of them being part of Western-based expert networks. Today, however, such networks also include many non-state actors involved in knowledge building outsourced activities (consulting and training firms, individual consultants and experts, private research groups, foundations, universities, intellectual NGOs, professional associations, etc.). At the same time, international institutions are relentlessly contested by social activists, critical experts, and scientific circles, which disseminate contentious ideas and compelling arguments.

The ST 79 wishes to question processes of “epistemic capture”. This concept refers to knowledge building operations by which international institutions’ experts seize and take ownership of contentious arguments. Such processes give these arguments legitimacy and value within the official discourse; they also distort ideas in a way that reduces their critical content, and make them compliant with the dominant paradigm. We intend to focus on the ability of institutions to import critical arguments, in such a way that they generate recomposed and bowdlerised ideas that fit into the institution’s normative framework. Ironically, the orthodoxy of international institutions is all the more stable and solid when public experts are in a capacity to buy critical statements, so they are smoothly incorporated into the dominant doctrinal corpus. One of the particularities of “liberal institutions” is their capacity to allow the expression of contentious ideas within the institution itself, as long as they do not openly subvert the foundations of the paradigm.

The ST will select papers focusing on international institutions that faced repeated protest actions, advocacy campaigns, and public controversies in the last decades. Authors working on international economic institutions (such as the IMF, World Bank, ECB, development banks, OECD and WTO) are most welcome for two reasons. First, these institutions have played an active role in the transnational dissemination of market-oriented reforms, by promoting private investment, economic exchange (goods and services) and financial activities as policy solutions to development challenges. Secondly, although they are multilateral organisations with intergovernmental deliberative mechanisms, these institutions function much more like “clubs” promoting rich countries’ interests in the global economic and financial system. Nevertheless, the ST is also interested in papers focusing on humanitarian, development and security fields; therefore, studies on UN specialized entities or international security organizations are welcome, if similar mechanisms can be found there.

The ST 79 draws on research on sociology of social movements, sociology of expertise and the study of international organisations. We will pay particular attention to papers that focus on concrete activities of experts involved in epistemic capture. The ST will question papers in two complementary perspectives, as follows:

  1. Actors and sites of epistemic capture

The ST will focus on social and professional exchanges between social actors (activists, advocacy groups, professionals and scientists conducting critical analysis…) and public/contracted experts who build institutional narratives. In particular, papers may focus on the links between international institutions’ experts and the various environments or forums (social, scientific, professional, media) in which official views are challenged or contested; on “intellectual socialization”, crony relations and alliances between social actors and public experts; and on the various “revolving doors” though which social actors circulate in the ecology of international institutions (including accessing to professional opportunities and jobs).

  1. Bureaucratic methods and the catch of critical ideas

The ST will also concentrate on knowledge building activities within international institutions. Papers will pay particular attention to bureaucratic processes by which public experts channel critical ideas and theories within their institution, so as to incorporate them in the official policy agenda. Panellists may describe how experts subject contentious/critical ideas to a whole series of discursive operations (censoring, shaping, reinterpreting) with a view to embed these ideas in dominant statements. They may focus on methods used by the institution to absorb social criticism. Papers may also highlight many other dimensions of the epistemic capture in each organisational context (where and how is heterodoxy valued within the organisation? How are research activities used in the process of capture? Are there knowledge struggles opposing internal segments of the bureaucracy? How are social science disciplines mobilized in the circulation of ideas? How international bureaucrats interact with member states’ experts?)

Séance 1

Modérateur : Olivier Nay (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne)
Discutant : Antoine Vauchez (CESSP/CRPS, EHESS/Université Paris 1)

Nora Nagels (Département de science politique, UQAM), La captation épistémique du savoir féministe par la Banque Mondiale : l’euphémisation du genre dans les programmes de transferts conditionnés

Carla Tomazini (Laboratoire Printemps, UVSQ), Esquiver les critiques : stratégies et adaptations des IFI dans la formulation des politiques de transferts conditionnels au Brésil et au Mexique
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Matthew Eagleton-Pierce (SOAS University of London), Epistemic Capture Within the World Trade Organization (WTO)

Séance 2

Modérateur : Antoine Roger (Sciences Po Bordeaux)
Discutant : Laurent Jeanpierre (Université Paris 8)

Hélène Baillot (Sciences Po Aix), Réformer les politiques de gestion de la dette des pays pauvres : les IFI face aux critiques des « Global Social Reformists » (1980 – 1996)
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Julie Billaud (University of Sussex), Selon le langage de l’ONU» : La participation des ONG à l’Examen Périodique Universel (EPU) au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies
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Emilie Dairon (Laboratoire Triangle, Sciences Po Lyon), Les « petites » organisations internationales face à la critique : du complexe d’infériorité à la contestation interne
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BAILLOT Hélène hbaillot@gmail.com

BILLAUD Julie Billaud J.Billaud@sussex.ac.uk

DAIRON Emilie emiliedairon@yahoo.fr

EAGLETON-PIERCE Matthew m.eagleton-pierce@soas.ac.uk

JEANPIERRE Laurent laurentjeanpierre0@gmail.com

NAGELS Nora Nagels nagels.nora@uqam.ca

NAY Olivier o.nay@free.fr

ROGER Antoine a.roger@sciencespobordeaux.fr

TOMAZINI Carla carlatomazini@gmail.com

VAUCHEZ Antoine vauchez@hotmail.com