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Responsables scientifiques :
Valentin Behr (Institut d’études avancées de Paris, Université de Strasbourg – SAGE) valentin.behr@gmail.com
Simon Massei (Université libre de Bruxelles, GERME) simonmassei@hotmail.fr
L’histoire des idées politiques a été profondément renouvelée à partir des années 1970 par les travaux d’historiens modernistes britanniques ou américains (Darnton, 1983 ; Tackett, 1997 ; Skinner, 2002). En France, les travaux de Pierre Bourdieu sur Martin Heidegger (Bourdieu, 1988), de Roger Chartier sur les origines culturelles de la Révolution française (Chartier, 1990) ou de Gisèle Sapiro sur les écrivains français sous la Seconde Guerre mondiale (Sapiro, 1999) ont posé les jalons d’une histoire des idées attentive aux contextes de production, aux reconstructions ex-post et aux effets de champ. Dans un texte programmatique, Frédérique Matonti agrège les apports de ces différentes contributions et appelle à l’écriture d’une histoire et d’une sociologie des intellectuel-le-s, des expert-e-s, des revues, de l’édition, du journalisme, ainsi que de la circulation et de la réception des idées (Matonti, 2012). Ce programme de recherche s’est enrichi depuis d’un ensemble de publications qui, puisant leur inspiration dans différentes traditions théoriques, ont proposé de développer une « nouvelle histoire des idées politiques » (Tournadre et Skornicki, 2015 ; Gaboriaux et Skornicki, 2017 ; Hayat et Weisbein, 2020). Toutefois, à l’instar des partis politiques de droite et des mouvements sociaux qui leur sont associés, les courants d’idées conservateurs n’ont été que peu étudiés dans cette perspective théorique (Agrikoliansky et Collovald, 2014).
L’histoire sociale des idées offre pourtant une grille d’analyse féconde pour analyser la genèse et la circulation des idées conservatrices qui, produites par des auteurs cardinaux (Becker, 1982), vulgarisées par des intermédiaires et appropriées par différents publics, fonctionnent comme toute idée politique. À l’image des thèses marxistes et des idées économiques libérales, elles sont étroitement liées à certaines revues, maisons d’édition, médias et institutions publiques qui en assurent la diffusion. Elles circulent enfin à travers des événements publics, conférences ou tribunes qui remplissent une fonction comparable à celle des colloques dans le champ académique par exemple. Les matériaux, les opportunités ethnographiques et les outils théoriques sont donc réunis aujourd’hui pour produire une histoire sociale des idées conservatrices qui s’attache à retracer la carrière de ces idées dans différents champs et différents secteurs plutôt qu’à en étudier uniquement la structure ou les origines.
Cette section thématique vise à poser les jalons d’une histoire sociale des idées conservatrices, comprises ici comme « un courant d’opposition à la contestation des autorités traditionnelles, religieuses, morales ou étatiques » (Hayat et Weisbein, 2020, p. 63). Le premier axe interroge à la fois les ancrages sociaux de ces idées et la logique des « tournants » conservateurs. Il réunit des contributions analysant ces dynamiques dans différentes configurations historiques et spatiales : bifurcation conservatrice des anciens révolutionnaires sous le Directoire, rôle du déclin du marxisme dans l’essor des idées conservatrices dans les années 1980, influence des réseaux transnationaux dans la conversion au conservatisme des intellectuels roumains, appropriation du thème de l’écologie par les conservateurs français, et effet de la profession dans l’adhésion aux idées « complotistes ». Le second axe examine plus en détails certaines figures d’intellectuels à travers lesquelles circulent aujourd’hui les idées conservatrices dans différents champs et d’un champ à l’autre, questionnant ainsi les conditions de diffusion de ces idées : Renaud Camus, théoricien du « grand remplacement », Eric Zemmour, journaliste candidat à l’élection présidentielle, Laurent Bouvet, universitaire cofondateur du « Printemps républicain » et vulgarisateur du concept d’ « insécurité culturelle », et autres écrivains néo-réactionnaires engagés contre l’antiracisme, le féminisme et Mai 68.
The history of political ideas has been deeply renewed in the 1970s by the works of British and American modernist historians (Darnton, 1983; Tackett, 1997; Skinner, 2002). In France, the works of Pierre Bourdieu on Martin Heidegger (Bourdieu, 1988), of Roger Chartier on the cultural roots of the French Revolution (Chartier, 1990), or of Gisèle Sapiro on French writers during the Second World War (Sapiro, 1999), laid the groundwork for a history of ideas focused on the contexts of production and field effects, avoiding ex post analysis. In a programmatic paper, Frédérique Matonti proposed a synthesis of these different contributions and called for the production of a history and a sociology of intellectuals, experts, journals, publishers, journalists, as well as of the circulation and reception of ideas (Matonti, 2012). This research program has since been expanded by a set of publications which, drawing their inspiration from different theoretical traditions, have proposed to develop a “new history of political ideas” (Tournadre and Skornicki, 2015; Gaboriaux and Skornicki, 2017; Hayat and Weisbein, 2020). However, likewise right-wing political parties and associated social movements, conservative ideas have received little attention from this theoretical perspective (Agrikoliansky and Collovald, 2014).
Yet the social history of ideas offers a suitable framework for analyzing the genesis and circulation of conservative ideas which, produced by “core” authors (Becker, 1982), popularized by intermediaries and appropriated by different audiences, work as any political idea. Like marxist theses and liberal economic ideas, they are closely linked to certain journals, publishers, media and public institutions which ensure their dissemination. Finally, they circulate through public events, conferences or opinion pieces, which fulfill a function similar to that of symposiums in the academic field, for instance. The empirical materials and the conceptual tools are therefore available today to produce a social history of conservative ideas which seeks to trace the career of these ideas in different fields and different sectors, rather than to study only their structure or their roots.
This thematic section seeks to pave the way for a social history of conservative ideas, understood here as “a current of opposition to the contestation of traditional, religious, moral or state authorities” (Hayat and Weisbein, 2020: 63). The first session questions the social roots of these ideas and of conservative “turning points”. It brings together contributions analyzing these dynamics in several historical and spatial configurations : conservative bifurcation of former revolutionaries under the Directoire period, effects of the decline of Marxism on the rise of conservative ideas in the 1980s, influence of transnational networks in the conversion to conservatism of Romanian intellectuals, appropriation of the theme of ecology by French conservatives, and role of the profession in supporting “conspiracy theories”. The second session examines in more details a few figures of intellectuals thanks to which conservative ideas circulate nowadays in different fields and from one field to another, thus questioning the conditions of dissemination of these ideas: Renaud Camus, theoretician of « great replacement », Eric Zemmour, journalist and candidate for the French presidential election, Laurent Bouvet, academic and co-founder of the « Printemps républicain », popularizer of the concept of « cultural insecurity », and other neo-reactionary writers committed against anti-racism, feminism and the May 68 legacy.
Références / References
Agrikoliansky E., Collovald A., « Mobilisations conservatrices : comment les dominants contestent ? », Politix, 2014/2, n° 106, p. 7-29.
Becker H., Les mondes de l’art, Paris, Flammarion, 1988 [1982].
Bourdieu P., L’ontologie politique de Martin Heidegger, Paris, Minuit, 1988.
Chartier R., Les Origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil, 1990.
Darnton R., Bohème littéraire et Révolution : le monde des livres au XVIIIè siècle, Paris, Gallimard, 2010 [1983].
Gaboriaux C., Skornicki A. (dir.), Vers une histoire sociale des idées politiques, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2017.
Hayat S., Weisbein J., Introduction à la socio-histoire des idées politiques, Louvain-La Neuve, De Boeck, 2020.
Matonti F., « Plaidoyer pour une histoire sociale des idées politiques », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2012/5, n° 59-4 bis, p. 85-104.
Rioufreyt T., « La mise en politique des idées. Pour une histoire sociale des idées en milieu partisan », Politix, 2019/126, n° 2, p. 7-35.
Sapiro G., La guerre des écrivains 1940-1953, Paris, Fayard, 1999.
Sapiro G., Les écrivains et la politique en France. De l’affaire Dreyfus à la guerre d’Algérie, Paris, Seuil, 2018.
Skinner Q., Visions of Politics: Volume 1: Regarding Method, Cambridge University Press, 2002.
Tackett T., Par la volonté du peuple, Paris, Albin Michel, 1997.
Tournadre J., Skornicki A., La nouvelle histoire des idées politiques, Paris, La Découverte, 2015.
Axe 1 / Ancrages sociaux du conservatisme et tournants conservateurs
Président de séance : Simon Massei (Université libre de Bruxelles, GERME)
Erwan Sommerer (Université d’Angers, Centre Jean Bodin), Méfiance envers le peuple et rejet de l’incertitude électorale : la bifurcation conservatrice des anciens révolutionnaires sous le Directoire
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Antoine Aubert (Centre européen de sociologie et de science politique), Pourquoi le vent tourne-t-il ? Étudier l’histoire sociale des idées conservatrices en France à partir du déclin des marxismes
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Anemona Constantin (Centre français de recherches en sciences sociales, Prague), Le rôle des réseaux transnationaux dans la conversion au conservatisme des intellectuels roumains
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Basile Imbert (Université de Montpellier, Centre d’Études Politiques Et sociaLes), Les espaces de réappropriation du thème de l’écologie par les conservateurs français : l’exemple de la revue d’écologie intégrale Limite (2015-2021)
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Pierre France (Orient Institute Beirut, Centre européen de sociologie et de science politique), Complotisme et scientisme. Les idées conservatrices incidentes de la profession et de l’idéal technoscientifique
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Discutant : Nicolas Lebourg (Centre d’Etudes Politiques Et sociaLes – CEPEL)
Axe 2 / Figures d’intellectuels conservateurs
Président de séance : Valentin Behr (Institut d’études avancées de Paris, Université de Strasbourg)
Cécile Leconte et Cédric Passard (Sciences Po Lille, Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales), De l’esthète à l’idéologue : Renaud Camus, théoricien du ‘grand remplacement’
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Vincent Berthelier (Université de la Sorbonne/Université de Lausanne), Le ‘Grand remplacement’ comme motif littéraire : enjeux de la circulation en littérature d’une idée politique
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Gisèle Sapiro (École des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Centre européen de sociologie et de science politique), Contre l’antiracisme, le féminisme et mai 68 : les écrivains néo-réactionnaires
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Frédérique Matonti (Université Paris I – Panthéon-Sorbonne, Centre européen de sociologie et de science politique), Les (in)succès d’Éric Zemmour
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Pierre-Nicolas Baudot (Université Panthéon-Assas Paris II, Centre d’études constitutionnelles et politiques), Du conservatisme dans le progressisme : Laurent Bouvet et l’insécurité culturelle, pour une analyse dispositionnelle d’un intellectuel en politique
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Discutante : Annie Collovald (Université Paris Nanterre, Institut des sciences sociales du politique)
AUBERT Antoine antoine.aubert21@gmail.com
BAUDOT Pierre-Nicolas pn.baudot@outlook.com
BEHR Valentin valentin.behr@gmail.com
BERTHELIER Vincent v.berthelier@hotmail.fr
COLLOVALD Annie annie.c@parisnanterre.fr
CONSTANTIN Anemona anemona.constantin@hotmail.fr
FRANCE Pierre pierre.france@zoho.com
IMBERT Basile basileimbert@wanadoo.fr
LEBOURG Nicolas nicolaslebourg@yahoo.fr
LECONTE Cécile cecile.leconte@sciencespo-lille.eu
MASSEI Simon simonmassei@hotmail.fr
MATONTI Frédérique matontifred@icloud.com
PASSARD Cédric cedric.passard@sciencespo-lille.eu
SAPIRO Gisèle gisele.sapiro@ehess.fr
SOMMERER Erwan erwan.sommerer@univ-angers.fr