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La démocratie électorale à l’épreuve : retour sur les élections françaises de 2022

Electoral Democracy On Trial: Revisiting the French Elections of 2022

 

Responsables scientifiques :

Carole Bachelot (Université de Lille-CERAPS) carole.bachelot@univ-lille.fr
Nonna Mayer (Sciences Po-CEE-CNRS) nonna.mayer@sciencespo.fr

Cette table ronde revient sur les élections présidentielle et législatives de 2022 prises comme un miroir grossissant de l’érosion de la démocratie électorale en France, comme dans la plupart des pays de l’Union européenne. Elle s’articule autour de quatre interrogations portant sur  la baisse tendancielle de la participation électorale; le brouillage et les recompositions en cours des repères politiques et notamment du clivage gauche droite ; la fragmentation et les recompositions du système partisan depuis l’élection présidentielle du 2017; la dimension de plus en plus élitaire de la démocratie représentative. La discussion permettra d’ouvrir des pistes de réflexion quant aux manières de remédier à cet épuisement du modèle représentatif.

 

Préparer une table ronde sur les élections présidentielle et législatives de 2022 six mois avant qu’elles se tiennent, sans connaître les résultats, sans même savoir encore qui sera candidat, est un exercice difficile. Nous avons fait le choix de prendre ces quatre tours de scrutin comme miroir grossissant d’un phénomène commun à la plupart des pays européens, l’érosion de la démocratie électorale, et d’articuler les débats autour de quatre interrogations.

La première porte sur la propension croissante du corps électoral à délaisser les urnes, ou s’il va voter, à refuser les choix présentés. Sous le quinquennat d’Emmanuel Macron l’abstention a déjà battu tous les records, dépassant 55% des inscrits aux élections municipales de 2020, les deux tiers (et les quatre cinquième chez les jeunes de moins de 24 ans) aux élections régionales de 2021. Tandis qu’au second tour de l’élection présidentielle de 2017 le vote blanc atteignait un niveau sans précédent de 6,3% des inscrits et 8,5% des votants. Pourquoi cette désaffection ? Est-elle durable ? Qui touche- t-elle en priorité ? Comment y remédier ?

La seconde interrogation porte sur le brouillage des repères et en particulier l’obsolescence du clivage gauche droite dont la victoire même de Macron en 2017 était le signe. Mais le clivage a-t-il disparu ou est-il en train de muter, de se recomposer sur de nouveaux enjeux, de nouvelles valeurs ? Cette transformation est-elle à chercher dans la difficulté des électeurs à se positionner, ou plutôt dans une offre politique de moins en moins lisible, de moins en moins capable d’incarner les aspirations de l’électorat ?

La troisième interrogation revient plus précisément sur l’offre politique, la fragmentation croissante du système partisan, l’effondrement des partis traditionnels et l’émergence des partis mouvements. Au-delà du débat déjà ancien sur le déclin et la crise des partis (Dalton et Wattenberg, 2000), ou même sur leur « fin » programmée (Martinache et Sawicki, 2020), que conclure d’une professionnalisation qui les rapproche de la sphère étatique (modèle du « parti cartel ») au détriment de la proximité avec les électeurs qu’ils sont censés représenter ? Les élections de 2022 marquent-elles, en France, l’avènement d’une forme de « candidate-centered politics », autour de partis réduits à des structures souples, personnalisées, périodiquement réactivées en fonction des séquences électorales ? Et, plus généralement, pour reprendre l’interrogation de E. E. Schattschneider (1942), est-il possible de penser une démocratie élective sans partis ?

Ce questionnement ouvrira sur une discussion plus large, portant sur la dimension élitaire de cette démocratie transformée. B. Manin avait déjà montré que cette dimension est centrale dans le processus électoral (Manin, 1996). Cette table-ronde sera l’occasion de reprendre avec Loïc Blondiaux cette réflexion, au lendemain d’élections venant solder une législature marquée par un fort renouvellement politique, mais aussi par un resserrement de la représentation nationale autour d’élites économiques et sociales (Bollaert, Michon, Ollion, 2018), ainsi que par l’exclusion électorale des plus pauvres et des précaires, aggravée par le Covid. Cette exclusion, qui nourrit les mouvements populistes, des Gilets Jaunes au phénomène Zemmour, est-elle de nature à remettre en cause les fondements même de la démocratie représentative ?

 

Planning a round table on the Presidential and Legislative elections of 2022 six months before they take place, without knowing the results, without even knowing yet who will be a candidate, is a difficult exercise. We have chosen to take these four election rounds as a lens to examine a phenomenon common to most European countries, i.e. the erosion of electoral democracy, and therefore to structure the debates around four main questions.

The first concerns the growing propensity of the electorate to skip going to the polls, or if they vote, to refuse the available choices. During the Emmanuel Macron’s presidency, abstention has already broken records, exceeding 55% of the registered voters in the 2020 municipal elections, two-thirds (and four-fifths among young people under the age of 24) in the 2021 regional elections. In the second round of the 2017 presidential election, blank votes reached an unprecedented level of 6.3% of the registered voters and 8.5% of those who went to the polls. Why such a disaffection? Will it last? Whom does it affect in priority? What would be the remedy?

The second question deals with the blurring of political cues and, particularly, the obsolescence of the left-right divide, which has been made obvious with Macron’s landslide victory in 2017. But has the cleavage disappeared or is it evolving, going through in a process of recomposition around new issues, new values? Is this transformation linked to the difficulty of voters to position themselves, or rather to a political offer that is less and less intelligible, less and less able to embody the aspirations of the electorate?

The third question focuses more specifically on the political offer, the increasing fragmentation of the party system, the collapse of traditional parties and the emergence of movement parties. Beyond the long-standing debate on the decline and crisis of parties (Dalton and Wattenberg, 2000), or even their expected ‘end’ (Martinache and Sawicki, 2020), what can be concluded from a professionalization that brings them closer to the state sphere (the ‘cartel party’ model) to the detriment of their proximity to the voters they are supposed to represent? Do the elections of 2022 mark, in France, the advent of a form of ‘candidate-centered politics’, around parties reduced to flexible, personalized structures, which would be periodically reactivated for electoral purposes? And, more generally, reiterating E.E. Schattschneider’s question (1942), is it possible to think of an elective democracy without parties?

These questions will lead to a broader discussion on the elitist dimension of this transformed democracy. B. Manin had already shown that this dimension is central to the electoral process (Manin, 1996). This roundtable will be an opportunity to take up this reflection with Loïc Blondiaux, in the wake of the elections that will put an end to a legislature marked by a strong political renewal, but also by a closing of the national representation around economic and social elites (Bollaert, Michon, Ollion, 2018), as well as by the electoral exclusion of the poorest and most precarious voters, aggravated by the Covid pandemic. Is this exclusion, which feeds populist movements, from the Gilets Jaunes to the Zemmour phenomenon, likely to weaken the very foundations of representative democracy?

 

Références / References

– Boelaert Julien, Sébastien Michon et Étienne Ollion. « Le temps des élites. Ouverture politique et fermeture sociale à l’Assemblée nationale en 2017 », Revue française de science politique, vol. 68, no. 5, 2018, pp. 777-802.

Braconnier Cécile , Jean-Yves Dormagen, La Démocratie de l’abstention, aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire, Paris, Gallimard, 2007.

– Breton Xavier, Stéphane Travert, Rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale visant à identifier les ressorts de l’abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale, 8 décembre 2021 (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/micpelec/l15b4790_rapport-information).

– Cagé Julia, Libres et Égaux en Voix (Free and Equal in Voice), Fayard, 2020.

– Dalton Russell, Martin Wattenberg (eds.), Parties without partisans, Political Change in Advanced Industrial Democracies, Oxford, Oxford University Press, 2002.

– Fondation Jean Jaurès, L’abstention, Analyses et propositions. Rapport pour l’assemblée nationale https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2021/11/Rapport-Abstention.pdf.

– Ford Robert, Will Jennings, “The Changing Cleavage Politics of Western Europe”, 2020.

– Gougou Florent, Simon Persico. “A New Party System in the Making? The 2017 French Presidential Election.” French Politics 15.3 303–321

– Landemore Hélène Open Democracy: Reinventing Popular Rule for the Twenty-First Century, Princeton University Press, 2020.

– Lardeux Laurent, Vincent Tiberj Générations désenchantées Documentation française, 2021.

– Lefebvre Rémi, « Les partis politiques comptent-ils encore ? » Études,  2021/10 (N° 4286), p 55 -66.

– Manin Bernard, Principes du Gouvernement Représentatif, Paris, Calmann-Lévy, 1995.

– Martin Pierre,  « Un séisme politique. L’élection présidentielle de 2017 ». Commentaire, 158, 2017, p. 249–264.

– Martinache Igor, Sawicki Frédéric (dir.), La fin des partis ?, Paris, Puf, La vie d e s idées, 2020.

– Mossuz-Lavau Janine, Le clivage droite-gauche. Toute une histoire, Sciences Po editions, 2020.

– Schattschneider Elmer Eric, Party Government, New York, Farrar and Rinehart,1942.

– Tiberj Vincent Les citoyens qui viennent, Paris, Presses Universitaires de France, février 2017.

– Tiberj Vincent, Running to stand still. Le clivage gauche/droite en 2017, RFSP, 2017/6 (67), p. 1089-1112.

– Van Biezen Ingrid, The End of Party Democracy as We Know It? A Tribute to Peter Mair, Irish Political Studies, 2014, 29:2, p.177-193.

– Werner Muller Jan, Democracy rules, McMillan, 2021.

Céline Braconnier, Sciences Po Saint Germain en Laye
« Des élections sans électeurs ni électrices ? »

Vincent Tiberj, Sciences Po Bordeaux-CED
« Un électorat sans repères ? »

Alexandre Dézé, Université de Montpellier 1-CEPEL
« Une démocratie sans partis? »

Loïc Blondiaux , Université de Paris I Panthéon-Sorbonne – CESSP
« Une démocratie élitaire ? »

BACHELOT Carole carole.bachelot@univ-lille.fr

BLONDIAUX Loïc Loic.Blondiaux@univ-paris1.fr

BRACONNIER Céline celine.braconnier@sciencespo-saintgermainenlaye.fr

DEZE Alexandre alexandre_deze@hotmail.com

MAYER Nonna nonna.mayer@sciencespo.fr

TIBERJ Vincent v.tiberj@sciencespobordeaux.fr