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ST 31

Discrimination, identité (nationale), communautarisme : la singularité de la décennie 1990 en question

Discrimination, (national) identity, communautarianism: how distinctive is the decade 1990 ?

 

Responsables scientifiques :

Anne-Claire Collier (Conservatoire National des Arts et Métiers) anneclaire.collier@gmail.com
Claire Vincent-Mory (SOPHIAPO) clairevincent1@hotmail.com

Entre la chute du mur de Berlin et les attentats du 11 septembre, la décennie 1990 fait figure d’entre-deux ou de “non-temps” (Hobsbawm 2008, Cusset 2014) historique. Moment de transition entre deux périodes et deux mondes (l’un marqué entre autres par la bipolarité géopolitique et idéologique, la force des grands récits ; l’autre par la globalisation, l’hypermédiatisation, le terrorisme et l’imposition de l’idéologie néolibérale), la décennie 1990 semble n’être à première vue ni “une expérience dont on pourrait délimiter les contours”, ni un “bloc” singulier (Keucheyan, in Cusset 2014 : 24-25).

Aujourd’hui, un nombre croissant de travaux scientifiques portant sur l’histoire sociale et politique de cette période la présentent pourtant comme un moment de rupture ou de “tournant” (Dufoix 2016). Les combats politiques et idéologiques, les renouvellements paradigmatiques et les innovations institutionnelles ont posé les fondements des cadres d’intelligibilité politique contemporains, particulièrement en Europe occidentale. Des pensées critiques et radicales se déploient, telles que le postcolonialisme, les études de genre, le néomarxisme ou l’écologie politique (Keucheyan 2010). Le regard porté sur les minorités nationales, culturelles, ethnico-raciales, religieuses ou sexuelles se transforme, notamment sous l’effet de nouvelles revendications, comme les demandes mémorielles (Michel 2010, Ledoux 2016). En Europe comme en Amérique du Nord, les politiques de l’identité prennent le pas sur les politiques de l’égalité (Fraser 2005), même si l’on observe un retour de la question sociale (Castel 1995), sous la forme notamment des grandes grèves de 1995, et de l’essor des mobilisations des “sans” (Siméant 1997). A l’échelle de la France, les espaces politiques, médiatiques et militants voient apparaître un nouveau “lexique ordinaire” et de nouveaux référentiels issus de la circulation des idées, qui occasionnent des débats vigoureux à propos du “communautarisme”, de l’”identité nationale”, des “discriminations” ou de l’”immigration” (Fassin 2002, Dhume-Sonzogni 2007, Dufoix 2016). Ceux-là vont de pair avec le renouvellement des catégories et l’émergence de nouvelles normes d’action publique (Lendaro 2011, Mazouz 2017).

A la suite de ces travaux, cette section thématique propose d’étudier en quoi les configurations (idéologiques, sémantiques, pratiques) de la décennie 1990 ont renouvelé durablement  les enjeux politiques contemporains, en particulier dans le traitement des groupes minorisés. Plus largement, cette section thématique souhaite provoquer le dialogue entre des travaux relevant de champs disciplinaires différents et portant sur des objets de recherche variés. L’enjeu est de saisir, en les historicisant, les recompositions de la pensée critique à l’égard de la reconnaissance des groupes minorisés, c’est à dire à la fois de la critique sociale et de la théorie critique. Les transformations de la théorie critique, ainsi que celles des rapports entre sciences humaines et sociales et critique sociale, ont fait l’objet de débats bien connus dans l’espace savant (Boltanski 2009, Poupeau 2012). L’intérêt de cette section thématique se porte davantage sur des études de cas capables de montrer des processus de circulation et de fabrication, responsables de la mise en forme du nouveau cadre paradigmatique en matière de pensée de l’Autre. Ce faisant, elle espère à la fois analyser les usages politiques, médiatiques et militants contemporains des pratiques et du lexique ordinaire nés au cours des années 1990, mais aussi saisir leurs ambiguïtés et leurs tensions originelles.

 

Between the fall of the Berlin Wall and the terrorist attack of 9.11, the decade of 1990 appears as an in-between period of time or a historical “non-temps” (Hobsbawm 2008, Cusset 2014). At first glance, this time of transition between two worlds (one marked with geopolitical and ideological bipolarity, strong political and historical narratives ; the other one characterised by globalisation, hyper-mediatization, terrorism and the dominance of the neoliberal ideology) might seem neither “an experience which contours could be defined” nor a singular “block” (Keucheyan, in Cusset 2014 : 24-25).

Today, a growing number of scientific works focusing on the political and historical processes happening during the 1990s tend to refer to it as a moment of rupture or a “turning point” (Dufoix 2016). Its political and ideological battles, its paradigmatic shifts and its institutional innovations have paved the way for contemporary political frames, especially in Western Europe. Throughout the decade, critical and radical thinkings such as postcolonialism, gender studies, neomarxism or political ecology have expanded (Keucheyan 2010). The perception of national, cultural, racial, religious or sexual minorities has changed, mainly as a result of new political demands like memorial claims (Michel 2010, Ledoux 2016).

In both Europe and North America, identity policies have taken precedence over equality policies (Fraser 2005), even if one part of the literature has pointed out some evidence of the return of the social matters in the public space at that time (Castel 1995). This would be reflected in the 1995’s strikes in France or the rise of the mobilisations of “sans” movements (Siméant 1997). At the French scale,  new “regular vocabulary” and new conceptual frameworks have emerged. Driven by the transnational circulation of ideas, they have brought strong debates to the political, mediatic and activist spaces, about “communitarianism”, “national identity”, “discriminations” or “immigration” (Fassin 2002, Dhume-Sonzogni 2007, Dufoix 2016). These debates have gone along with the creation of new categories and new standards in public action (Lendaro 2011, Mazouz 2017).

Following this scientific path, this thematic section explores how configurations (ideological, semantic and practical ones) of the decade 1990 have renewed contemporary political issues, in particular in the political treatment of minority groups. More broadly, this thematic section’s purpose is to open a dialogue between researchs belonging to different disciplinary fields and areas of studies. In a historical perspective, what is at issue here is the recompositions of the critical thinkings toward the recognition of minorities, that is to say both the social criticism and the critical theory. Their changes have both been debated, as well as the relation between the social sciences and the social criticism (Boltanski 2008, Poupeau 2012). With that in mind, this thematic section is looking for case studies highlighting some of the building and circulation processes involved in the making of a new paradigmatic frame regarding the “Other”. The focus is on the analysis of the political, mediatic and activistic uses of the categories, the practices, and the political lexicon born in the 90s, in order to unveil their ambiguïties and their tensions.

Jean-Luc Richard (Université de Rennes 1/ IEP de Rennes, ARENES, Institut Convergence Migrations / Campus Condorcet – Collège de France), Assimilation, population « française de souche » et négations des discriminations

Ouassim Hamzaoui (Avignon Université – LBNC), Lever le voile sur la politique d’intégration. Ou quand le traitement public de l’immigration passe par l’administration des stocks au gouvernement des flux

Simon Ridley (Université Paris Nanterre –Sophiapol), Faire taire les luttes minoritaires et la pensée critique : usage du « politiquement correct » des années 1990 à aujourd’hui

Ekaterina Gloriozova (Université Libre de Bruxelles – CEVIPOL), Subcultures jeunes et nationalisme dans la Russie des années 1990 : le cas des supporters de football

COLLIER Anne-Claire anneclaire.collier@gmail.com

GLORIOZOVA Ekaterina eglorioz@ulb.ac.be

HAMZAOUI Ouassim ouassim.hamzaoui@univ-avignon.fr

RICHARD Jean-Luc jean-luc.richard@univ-rennes1.fr

RIDLEY Simon simon.ridley@hotmail.fr

VICENT-MORY Claire cvincentmory@gmail.com