le portail de la science politique française

rechercher

ST 16

Gouverner des « groupes à risques ». Catégorisations et discriminations dans l’action publique

Governing “risk groups”. Categorizations and discriminations in public action

 

Responsables scientifiques :

Marine Bourgeois (Sciences Po Grenoble – Pacte) marine.bourgeois@iepg.fr
Fabien Desage (Université de Lille – Ceraps) fabien.desage@univ-lille.fr

 

En même temps qu’elle cible des secteurs d’intervention et des « publics », l’action publique contribue à en définir les contours et les propriétés, à y associer des images et des représentations, plus ou moins valorisantes ou assignantes. Ceci est bien connu, depuis les Cours au collège de France de Michel Foucault (1978) et les travaux pionniers de Luc Boltanski sur les « cadres » (1982). Ce qui est plus inédit en revanche est la référence croissante à l’évaluation de « risques » dans la manière dont sont appréhendés et classés les ressortissants des politiques publiques. L’objectif de « maîtrise des risques » n’a en effet cessé de gagner en importance, en France comme à l’étranger. Conçues initialement par les banques et les compagnies d’assurance pour identifier des mauvais payeurs potentiels (Lazarus, 2012), les méthodes de gestion « actuarielle » sont aujourd’hui observées dans de nombreux secteurs d’action publique : justice (Mary, 2001 ; Feeley et Simon, 1992), police (Brayne et Christin, 2020 ; Roux, 2017), logement (Bourgeois, 2019 ; Sala Pala, 2013), hébergement (Schlegel, 2017), aides sociales (Dubois, 2021), santé (Foubert, 2020), éducation (Bodin et Orange, 2019). Ces techniques objectivent des « niveaux de risques », en fonction de caractéristiques sociales ou comportementales, qui déterminent un traitement différencié des individus (Harcourt, 2007). Leur essor accompagne le développement de bases de données et de technologies d’objectivation des risques (scoring, data mining). Cette section thématique vise à analyser la manière dont ce phénomène reconfigure les gouvernementalités contemporaines.

Axe 1. Circulation et diffusion d’une « logique du risque »

La diffusion de la « logique du risque », au-delà des domaines d’activités financières et commerciales, témoigne de transformations profondes de l’action publique (Castel, 1983 ; Power, 2004), souvent associées à l’Etat néolibéral (Desrosières, 2008). Le premier axe vise à questionner les modalités de production, puis de circulation et de diffusion des savoirs et instruments qui sous-tendent une appréhension par les risques. Quels sont les promoteurs et les passeurs de ce « risk management » ? Comment circulent-ils d’un pays, d’un secteur et/ou d’un espace administratif à l’autre ?

Axe 2. Organisations et professions au prisme de la « maîtrise des risques »

Les technologies prédictives, présumées neutre et objectives, nourrissent le mythe d’une décision automatique qui réduirait les marges discrétionnaires des acteurs. Ce deuxième axe concerne les usages des instruments de prévention des risques et leurs effets sur les organisations et les pratiques professionnelles (Brayne et Christin, 2020). Comment les street-level bureaucrats s’approprient-ils les outils de gestion des risques ? De quelle manière s’en accommodent-ils ou les détournent-ils ? Les catégorisations empiriques anciennes et les objectivations récentes convergent-elles ou s’opposent-elles ?

Axe 3. Que risquent les « groupes à risques » ?

Face aux promoteurs de ces instruments, plusieurs travaux mettent en cause la neutralité des algorithmes : sous couvert de transparence et d’objectivité, ils incorporent une série de stéréotypes qui contribuent à reproduire l’ordre social inégalitaire (Benjamin, 2019 ; Noble, 2018 ; Eubanks, 2018). Le troisième axe examine les effets des instruments de gestion des risques sur les publics concernés. Comment l’identification d’individus et de groupes « à risques » modifie-t-elle les processus discriminatoires ?

 

While targeting specific policy domains and “publics”, public policies also contribute to shape groups’ boundaries and characteristics, to associate them with images and representations, which are more or less valorizing or assigning. This is well known, since Michel Foucault’s lectures at the Collège de France (1978) and Luc Boltanski’s pioneering work on “cadres” (1982). However, what is newer is the growing reference to the evaluation of “risks” in the ways in which target recipients are defined and classified. The goal of “risk management” has continued to gain in importance, both in France and abroad. Initially designed by banks and insurance companies to identify potential bad payers (Lazarus, 2012), “actuarial” management methods are now observed in many policy domains: justice (Mary, 2001; Feeley and Simon, 1992), police (Brayne and Christin, 2020; Roux, 2017), housing (Bourgeois, 2019; Sala Pala, 2013), shelter (Schlegel, 2017), welfare (Dubois, 2021), health (Foubert, 2020), education (Bodin and Orange, 2019). These methods objectify “risk levels” depending on social or behavioral characteristics, which determine the differentiated treatment of individuals (Harcourt, 2007). Their growth is combined with the development of databases and risk management instruments (scoring, data mining). This call for papers focuses on this phenomenon and aims to analyze how it reconfigures contemporary governmentalities. Three lines of inquiry will more specifically be explored in the panel:

  1. Circulation and diffusion of a “risk logic”

The diffusion of a “risk logic”, beyond financial and commercial areas, reflects deep transformations of public policy making (Castel, 1983; Power, 2004), often associated with the Neoliberal State (Desrosières, 2008). A first field of inquiry consists in scrutinizing the making, circulation and diffusion of knowledge and tools that underpin a risk-based approach. Who are the promoters and “passeurs” of “risk management”? How do they circulate from one country, sector and/or administrative sphere to another?

  1. Organizations and professions through the prism of “risk management”

Predictive technologies, which are presumed to be more objective and accountable than human judgment, feed the myth of automated judgment: the replacement – or at least the augmentation – of street-level bureaucrats’ discretion by mechanical procedures. The second entry concerns the uses of risk instruments and their impacts on organizations and work practices (Brayne and Christin, 2020). How do street-level bureaucrats appropriate risk management tools? How do practitioners respond to their technologies (i.e., do they embrace or contest them)? Do old empirical categorizations and recent objectivations converge or not?

  1. What do “at-risk groups” risk?

Against those who advocate that risk management tools may help deploy resources more efficiently and objectively, several scholars have showed that algorithms can be biased in ways that mirror or even amplify the discriminatory features of the existing social system (Benjamin, 2019; Noble, 2018; Eubanks, 2018). The third axis examines the effects of risk management instruments on target recipients. How does the identification of “at-risk” individuals and groups alter discriminatory processes?

 

Références / References 

Benjamin R. (2019), Race After Technology: Abolitionist Tools for the New Jim Code. Cambridge: Polity.

Bodin R., Orange S. (2019), « La gestion des risques scolaires. “Avec Parcoursup, je ne serais peut-être pas là” », Sociologie, 10 (2), p. 217-224.

Boltanski L. (1982), Les cadres. La formation d’un groupe social. Paris, Éditions de Minuit.

Bourgeois M. (2019), Tris et sélection des populations dans le logement social. Une ethnographie comparée de trois villes françaises. Paris, Dalloz.

Brayne S., Christin A. (2020), “Technologies of Crime Prediction: The Reception of Algorithms in Policing and Criminal Courts”, Social Problems, 1-17.

Castel R. (1983), « De la dangerosité au risque », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 47-48, p. 119-127.

Desrosières A. (2008), « Introduction : La statistique, outil de gouvernement et outil de preuve », in L’Argument statistique, t. I : Pour une sociologie historique de la quantification ; t. II : Gouverner par les nombres. Paris, Presses de l’Ecoles des Mines.

Dubois V. (2021), Contrôler les assistés. Genèses et usages d’un mot d’ordre. Paris, Raisons d’agir.

Eubanks V. (2018), Automating Inequality: How High-Tech Tools Profile, Police, and Punish the Poor. St Martin’s Press.

Feeley M., Simon J. (1992), “The New Penology: Notes on the Emerging Strategy of Corrections and its implications”, Criminology, 30 (4), p. 449-474.

Foubert C. (2020), Le tri des patient·es par les personnels hospitaliers en France et au Québec, Thèse de doctorat en sociologie, EHESS.

Harcourt B. E. (2007), Against Prediction: Profiling, Policing, and Punishing in an Actuarial Age. Chicago, University of Chicago Press.

Lazarus J. (2012), L’épreuve de l’argent. Banques, banquiers, clients. Paris, Calmann-Lévy.

Mary P. (2001), « Pénalité et gestion des risques : vers une justice “actuarielle“ en Europe ? ». Déviance et Société, 25 (1), p. 33-51.

Noble S. U. (2018), Algorithms of oppression: How search engines reinforce racism. New York: NYU Press.

Power, M. (2004), The Risk Management of Everything. Rethinking the Politics of Uncertainty, Londres, Demos.

Roux G. (2017), « Expliquer le rejet de la police en banlieue : discriminations, « ciblage des quartiers » et racialisation. Un état de l’art », Droit et société, 3, n°97, p. 555-568.

Sala Pala V. (2013), Discriminations ethniques. Rennes, Presses Universitaires de Rennes.

Schlegel V. (2017), « Pauvres, déviants, malades. Travail d’inférence et catégorisations professionnelles dans la régulation de l’accès à l’hébergement des personnes sans-domicile », Terrains & Travaux, 1, n°30, p. 185-207.

Axe 1 / Construire et identifier des « groupes à risques » : instrumentations, circulations et diffusions 

Président : Fabien Desage (CERAPS, Université de Lille)

Florent Castagnino (LEMNA, LATTS, Institut Mines-Télécom Atlantique) et Myrtille Picaud (Chaire Société algorithmique, UGA/Pacte, CEE, Sciences Po Grenoble), Les logiques du risque dans l’action publique de sécurité numérique

Juliette Dupont (CERIUM, Université de Montréal), La gestion différenciée du « risque migratoire ». Une ethnographie comparée des consulats français en Algérie et en Chine

Charlotte Floersheim (CEPED, Université Paris Descartes), Gabriel Girard (INSERM-SESSTIM), Léo Manac’h (CEPED, Université Paris Descartes) et Clément Soriat (CEPED, Université Paris Descartes), Qui est la communauté ? De la performativité des catégories épidémiologiques du risque dans une association de lutte contre le sida

Nicolas Sallée (CREMIS, Université de Montréal), Une jeunesse cotée en risque. Le suivi des jeunes délinquants à l’âge actuariel
Télécharger le document

Pierre-Edouard Weill (Lab-LEX, Université de Bretagne Occidentale), Cibler les contrôles au risque de discriminations et d’impasses ? Les limites de la lutte contre la fraude transnationale au travail détaché

Axe 2 / Organisations et professions face aux « groupes à risques » : institutionnalisations, socialisations et réappropriations

Présidente : Marine Bourgeois (PACTE, Sciences Po Grenoble)

Maude Benoit (Université du Québec à Montréal) et Gabrielle Leblanc-Huard (Université de Laval), Standardiser l’évaluation des risques pour rationaliser le travail et les services offerts : le cas du soutien à domicile aux personnes âgées au Québec

Hadrien Clouet (CERTOP, Université de Toulouse), Jean-Marie Pillon (IRISSO, Université Paris-Dauphine), Luc Sigalo-Santos (LEST, Aix-Marseille Université) et Claire Vivès (LISE-CEET, CNAM), Contrôler les chômeurs « à risque » : la professionnalisation ambivalente d’une nouvelle fonction à Pôle Emploi

Pablo Cussac (CEE, Sciences Po Paris), L’évaluateur, le standard et le stigmate. Catégorisations, classifications et normalisation de la profession enseignante au Mexique
Télécharger le document

Violaine Girard (Dysolab, Université de Rouen), Elie Guéraut (Lescores, Université Clermont Auvergne), Frédéric Nicolas (Dysolab, Université de Rouen) et l’équipe ADEMI, Positionner les bénéficiaires, sécuriser les parcours

Bérangère Rocalve (CESSP-CRPS, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne), Le risque d’être immobile : catégorisations et recatégorisations des usagers indésirables du métro parisien
Télécharger le document

BENOIT Maude benoit.maude@uqam.ca

BOURGEOIS Marine marine.bourgeois@iepg.fr

CASTAGNINO Florent florent.castagnino@imt-atlantique.fr

CLOUET Hadrien hadrien.clouet@gmail.com

CUSSAC Pablo pablo.cussac@sciencespo.fr

DESAGE Fabien fabien.desage@univ-lille.fr

DUPONT Juliette juliette.dupont@umontreal.ca

GUERAUT Elie elie.gueraut@gmail.com

FLOERSHEIM Charlotte c.floersheim@gmail.com

GIRARD Gabriel gabriel.girard.info@gmail.com

GIRARD Violaine violaine.girard@univ-rouen.fr

LEBLANC-HUARD Gabrielle gabrielle.leblanc-huard.1@ulaval.ca

MANAC’H Léo leopoldine.manach@gmail.com

NICOLAS Frédéric frederic.nicolas@univ-rouen.fr

PICAUD Myrtille myrtille.picaud@sciencespo.fr

PILLON Jean-Marie jean_mariepillon@msn.com

ROCALVE Bérangère berangere.rocalve@orange.fr

SALLEE Nicolas nicolas.sallee@gmail.com

SIGALO-SANTOS Luc luc.sigalo-santos@univ-amu.fr

SORIAT Clément csoriat@yahoo.fr

VIVES Claire claire.vives@lecnam.net

WEILL Pierre-Edouard pierreedouard.weill@gmail.com