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ST 40

Regards décentrés sur l’autoritarisme : acteurs, relations et espaces

Taking a decentered look at authoritarianism: actors, relationships and space

 

Responsables scientifiques :

Marie-Eve Desrosiers (École de développement international, Université d’Ottawa) mdesros3@uottawa.ca
Anne-Laure Mahé (Institut de Recherche Stratégique de l’École militaire – IRSEM) anne-laure.mahe@irsem.fr

Plus de la moitié de la population mondiale vit dans des régimes non-démocratiques (Freedom House 2018), un chiffre qui serait en augmentation étant donné les processus de recul démocratiques observés sur tous les continents (Bermeo 2016). La majeure partie de ces régimes est constituée de régimes dits hybrides (Diamond 2002) ou d’autoritarismes compétitifs (Levitsky and Way 2002), dont l’expansion semble aujourd’hui être l’héritage de ce qui a été appelé la troisième vague de démocratisation. La section thématique vise à développer notre compréhension du phénomène autoritaire en posant une question centrale: comment la domination de type autoritaire se reproduit-elle au quotidien et/ou au niveau local? Ce questionnement est abordé dans une perspective décentrée: le regard est posé sur des acteurs, des espaces et des relations non centraux, ou plus régulièrement délaissés par les études institutionnalistes dominantes. Il s’agit d’une exigence autant théorique qu’empirique et méthodologique, puisque cela implique pour les chercheurs d’enquêter sur des terrains et à des échelles souvent moins accessibles et plus méconnus, mais néanmoins d’importance égale.

Cette perspective contraste avec littérature récente sur les régimes autoritaires, en particulier nord-américaine, qui s’intéresse principalement aux acteurs et institutions du niveau national. Ces recherches démontrent que la résilience autoritaire, au cœur de la plus récente vague d’écrits sur l’autoritarisme, s’explique tout particulièrement par les mêmes institutions qui leur confèrent les apparences de la démocratie (Brownlee 2007; Gandhi 2008; Magaloni 2008; Valéri 2008). Les processus électoraux, les organes législatifs et les partis politiques remplissent des fonctions essentielles telles que la récolte d’information ou le transfert d’avantages symboliques et matériels. Ces analyses se fondent souvent sur une approche rationaliste de l’ordre autoritaire et ses acteurs, ce qui les conduit à se focaliser sur les élites centrales des régimes dans une perspective concevant le pouvoir autoritaire comme un système de gouvernance bien organisé et cohérent s’exerçant du haut vers le bas. Cela témoigne d’un biais institutionnel au détriment des réalités plus sociales et sociologiques de l’autoritarisme et de la prise en compte de la dimension multiple, fragmentaire, ambiguë voire même contradictoire de la gouvernance autoritaire. Ces éléments sont essentiels pour expliquer non seulement le maintien des régimes, mais également les processus de restauration autoritaire qui font régulièrement suite à l’éviction d’un autocrate (Allal and Vannetzel 2017). L’existence d’ordres politiques distincts et même contradictoires à des échelles territoriales différentes a été explorée dans les démocraties avec le concept de subnational authoritarianism (Gelman 2010; Gibson 2010). L’hybridité d’un ordre politique se révèle à travers la prise en compte de sa dimension spatiale. Par ailleurs, une nouvelle vague de recherches préfère au terme de régime autoritaire celui de fait autoritaire (Planel 2015), qui permet de penser les relations et pratiques concrètes qui fondent cet ordre dans une perspective non essentialisante. Caractérisées par leur plasticité et leur dimension routinière, les relations et pratiques sont ainsi conçues comme polysémiques, car leur signification est produite autant par leurs auteurs que leurs récepteurs. En s’appuyant sur ces travaux, la section entend donc mettre l’accent sur la construction de configurations locales du pouvoir qui questionnent sa linéarité, mais également sur les vécus autoritaires locaux qui témoignent de plus de complexité, d’ambiguïté et même de contradictions que supposés dans les travaux institutionnalistes.

L’objectif de cette section est donc d’encourager une discussion scientifique sur les apports heuristiques d’un regard décentré sur l’autoritarisme dans une perspective résolument comparative visant à favoriser les échanges entre spécialistes de différentes aires géographiques (Afrique, Moyen-Orient, Caucase etc.) Deux axes de recherche peuvent se dessiner :

– Approches sociologiques de l’autoritarisme: multiplicité des acteurs de la domination autoritaire, rencontre entre ceux qui produisent et ceux qui vivent le système, ‘publics’ de l’autoritaire;

– Approches géographiques: spatialité des régimes, relations entre acteurs et institutions appartenant à des niveaux de gouvernance différents, marges et marginalisation.

 

More than half the world’s population lives in nondemocratic regimes (Freedom House 2018). This number may even be growing given the current processes of democratic backsliding happening on all continents (Bermeo 2016). The major part of those regimes is constituted of so-called hybrid regimes (Diamond 2002) or competitive authoritarianisms (Levitsky and Way 2002), whose multiplication seems to be the main legacy of the phenomenon known as the third wave of democratization. This thematic section aims to develop our understanding of the authoritarian phenomenon. It asks a central question: how is this type of domination reproduced on a daily and/or local basis? This issue is tackled from a decentered perspective that looks at actors, relationships and spaces that are not central and often overlooked by the dominant institutionalist perspective. This is a theoretical, empirical and methodological imperative. Indeed, it implies that researchers collect data on areas and scales of governance that are often less accessible and well-known than their more central counterparts, though equally important.

Such a perspective stands in contrast with recent literature on authoritarian regimes, especially in North America, which has been mostly interested in actors and institutions at the national level. This research demonstrates that authoritarian resilience can be explained by the hybrid nature of the regimes, with the institutions that grant them the appearances of democracies contributing to their longevity (Brownlee 2007; Gandhi 2008; Magaloni 2008; Valéri 2008). Electoral processes, legislatures and political parties fulfill essential functions such as gathering information and distributing symbolic and material goods. Those analysis are often based on a rationalist framework and focus on central elites in a perspective that considers authoritarian power as a well-organized and cohesive governance system being applied from top to bottom. They present an institutional bias at the expense of the more social and sociological reality of authoritarianism and of the acknowledgement of the multiple, fragmented and potentially contradictory nature of autocratic governance. Those dimensions play an important role in the explanation of authoritarian resilience but also of processes of authoritarian restoration that often follow the autocrat’s ousting (Allal and Vannetzel 2017).

The existence of distinct and even contradictory political orders at various territorial scales has been explored in democratic regimes with the development of the concept of subnational authoritarianism (Gelman 2010; Gibson 2010). Here, political orders’ hybridity becomes visible when we pay attention to their spatial characteristics. Furthermore, a new strand of research prefers to use the term “authoritarian phenomenon” (Planel 2015) rather than authoritarian regime, in an attempt to think about the concrete practices upon which autocratic political order is founded in a non-essentialist perspective. Malleable and mundane, those practices are also polysemous since their meanings are produced as much by those who implement them than those who experience them. Building on these works, the section intends to highlight the construction of local configurations of power as well as the lived experiences of authoritarianism at the local level, all of which demonstrates that authoritarian power is more complex, ambiguous and contradictory than represented in institutionalist works.

The aim of the section is thus to foster scientific discussion on the heuristic benefits of a decentered point of view on authoritarianism in a comparative perspective, promoting dialogue between area specialists (Africa, Middle East, Caucasia…). Two main research avenues can be identified:

  • Sociological approaches of authoritarianism: multiplicity of the actors of authoritarian dominations; encounters between those who produce the system and those who live in it, “audiences” of the authoritarian phenomenon;
  • Geographical approaches: spatiality of the regimes, relationships between actors and institutions across levels of governance, margins and marginalization.

 

REFERENCES

Allal, Amin, and Marie Vannetzel. 2017. “Des Lendemains Qui Déchantent? Pour Une Sociologie Des Moments de Restauration.” Politique Africaine, no. 2: 5–28.

Bayart, Jean-François. 1984. “Le Politique Par Le Bas En Situation Autoritaire.” Esprit (1940-), no. 90 (6: 142–54.

Bermeo, Nancy. 2016. “On Democratic Backsliding.” Journal of Democracy 27 (1): 5–19.

Brownlee, Jason. 2007. Authoritarianism in an Age of Democratization. Cambridge University Press.

Diamond, Larry Jay. 2002. “Thinking about Hybrid Regimes.” Journal of Democracy 13 (2): 21–35.

Freedom House. 2018. “Freedom in the World 2018. Democracy in Crisis.” Freedom House.

Gandhi, Jennifer. 2008. Political Institutions under Dictatorship. Cambridge University Press Cambridge.

Gelman, Vladimir. 2010. “The Dynamics of Subnational Authoritarianism: (Russia in Comparative Perspective).” Russian Politics & Law 48 (2): 7–26.

Gibson, Edward L. 2010. “Politics of the Periphery: An Introduction to Subnational Authoritarianism and Democratization in Latin America.” Journal of Politics in Latin America 2 (2): 3–12.

Levitsky, Steven, and Lucan Way. 2002. “The Rise of Competitive Authoritarianism.” Journal of Democracy 13 (2): 51–65.

Magaloni, Beatriz. 2008. “Credible Power-Sharing and the Longevity of Authoritarian Rule.” Comparative Political Studies 41 (4–5): 715–41.

Planel, Sabine. 2015. “Espaces Autoritaires, Espaces (in) Justes?” Justice Spatiale-Spatial Justice, no. 8.

Valéri, Marc. 2008. “Le Conseil d’Oman, Une Instance Bicamérale de Consolidation de l’autoritarisme Sultanien.” Revue Internationale de Politique Comparée 15 (2): 189–204.

Axe 1 / Acteurs et agentivités alternatifs au cœur de l’autoritarisme / Alternative actors and forms of agency within authoritarianism

Discutante : Marie-Eve Desrosiers (École de développement international, Université d’Ottawa)

Sidney Leclercq (Université libre de Bruxelles) et Guillaume Ndayikengurutse (Univesité de Namur), Multiplier pour mieux diviser : émergence et légitimation d’une société civile ‘gouvernementale’ au Burundi

Toussaint Kounouho (Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan), Qui sont-ils ces intermédiaires en développement ? L’espace du courtage associatif comme lieu de recomposition autoritaire dans l’arène politique locale au Bénin

Alexander Dukalskis (University College Dublin), Authoritarian Image Management: Controlling the Message from Contemporary China

Mathilde Grandgonnet (Université d’Ottawa), Les PIOs en Ouganda : l’ombre de l’autoritarisme dans les relations entre groupes sociaux

Anne-Laure Mahé (IRSEM), Négocier les relations centre – périphéries au Soudan : le rôle des élites intermédiaires

Axe 2 / Échelles et espaces de l’autoritarisme / Scales and spaces of authoritarianism

Discutante : Anne-Laure Mahé (Institut de Recherche Stratégique de l’École militaire – IRSEM)

Sabine Planel (Institut des Mondes Africains et Institut de Recherche pour le Développement), L’autoritarisme au ras du sol – Approches scalaires

Marie-Eve Desrosiers (Université d’Ottawa), ‘Making Do’ with Authoritarianism: Understanding the Liminal Realm of the Abaturage in Pre-genocide Rwanda

Florence Brisset-Foucault (Institut des Mondes Africains – Paris 1), Les papiers du Chairman : La production sociale et localisée de l’autoritarisme en Ouganda

Jérôme Doyon (University of Oxford), Concentration du pouvoir dans un autoritarisme décentralisé : évolution de la gestion des cadres de l’État-Parti chinois sous Xi Jinping

Suzan Gibril (Université libre de Bruxelles), Effacing spaces of resistance and digitising collective memory in post-revolutionary Egypt

BRISSET-FOUCAULT Florence florence.brisset-foucault@univ-paris1.fr

DESROSIERS Marie-Eve mdesros3@uottawa.ca

DOYON Jérôme jerome.doyon@area.ox.ac.uk

DUKALSKIS Alexander alexander.dukalskis@ucd.ie

GIBRIL Suzan sgibril@ulb.ac.be

GRANDGONNET Mathilde mgran100@uottawa.ca

KOUNOHO Toussaint Toussaint.kounouho@gmail.com

LECLERCQ Sidney sidney.leclercq@ulb.ac.be

MAHE Anne-Laure anne-laure.mahe@irsem.fr

NDAYIKENGURUSTE Guillaume guillaume.ndayikengurutse@unamur.be

PLANEL Sabine Sabine.Planel@ird.fr