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ST 69

Les détournements du « genre » comme outil de légitimation pour les formations populistes d’extrême-droite

The mobilisation of gender issues by radical right and far right populist organisations

 

Responsables scientifiques :

Christèle Lagier (LBNC EA 3788, FR Agor@nTIC, Université d’Avignon et CHERPA, Science-po Aix) christele.lagier@univ-avignon.fr
Francesca Scrinzi (Université de Glasgow, Royaume-Uni et CRESPPA/GTM (Genre Travail Mobilités, Paris) Francesca.Scrinzi@glasgow.ac.uk

Le genre se trouve au cœur de l’évolution récente des formations populistes d’extrême-droite en Europe occidentale. La catégorie « formations populistes d’extrême-droite » est ici utilisée par facilité, dans une perspective exploratoire et sans être envisagée comme un concept opérationnel. Loin de faire l’unanimité (Fassin 2017 ; Mouffe, 2016 ; Akkerman, Mudde, Zaslove, 2014), l’appellation « populisme » ne s’impose pas moins à l’échelle internationale pour décrire des phénomènes que l’on peine à qualifier autrement.

Dans un contexte d’hostilité croissante vis-à-vis des populations musulmanes, le thème de l’égalité des sexes est mis en avant par ces formations pour légitimer leur position « anti-immigration ». Cette propagande se fonde sur la représentation de l’égalité entre les sexes comme un acquis de la « culture » européenne et de l’immigration comme une menace pour les droits des femmes natives, et sur l’obscurcissement des inégalités de genre qui structurent les sociétés d’accueil (Meret et Siim 2013). Alors qu’en général ces formations traditionnellement « masculinisées » maintiennent des positions plutôt conservatrices en matière de famille et dans les questions de genre, celles-ci sont en train d’évoluer vers un plus grand pragmatisme (Akkerman 2015). Des leaders femmes mobilisent les stéréotypes de genre qui veulent que les femmes ne soient pas agressives afin de transformer l’image publique de ces groupes et partis, en les rendant plus « respectables ». L’écart traditionnellement observé entre les votants et les votantes des partis populistes d’extrême-droite en Europe occidentale est progressivement en train de se réduire (Barisione et Mayer 2013). Les femmes sont aussi en train d’augmenter parmi les militants de ces partis. Tandis que les différences de genre dans les électorats de ces partis ont été longuement étudiées (Kitschelt et McGann 1997), les travaux scientifiques qui s’intéressent à leurs stratégies à l’égard des femmes ainsi qu’à la place des femmes et au rôle du genre au sein de ces organisation, ainsi que dans les mouvements sociaux d’extrême-droite sont encore rares (Avanza 2009, Scrinzi 2017).

L’étude du genre est ici envisagée du point de vue du sous-champ de la sociologie du personnel politique, pour questionner l’ascension des femmes dans les formations populistes d’extrême-droite ; du sous-champ de la sociologie du militantisme, pour saisir comment les rapports sociaux de sexe façonnent les trajectoires des membres – femmes et hommes – de ces partis ; et enfin, du sous-champ de l’étude de l’idéologie et communication politique de ces partis, pour mettre en lumière les dimensions genrées de leur propagande.

Cette section thématique entend ainsi mettre à profit les apports des études de genre pour interroger les transformations -réelles, proclamées, commentées, fantasmées- des formations populistes d’extrême-droite.

Premièrement, nous visons à explorer le rôle du genre dans les parcours et les pratiques du militantisme dans ces formations. D’une part, les rapports sociaux de sexe façonnent les motivations à l’engagement, le déroulement des « carrières militantes » et la division du travail au sein des groupes militants ; d’autre part, le militantisme peut transformer les rapports sociaux de sexe et reformuler la division public/privé dans d’autres sphères sociales telles que la famille et le travail (Fillieule et Roux 2009). Les formations populistes d’extrême-droite contribuent à construire et transformer les rapports sociaux de sexe, classe, ethnicité, âge et sexualité, offrant à des individus qui sont différemment positionnés par rapport à ces divisions sociales, des opportunités diverses de s’identifier avec les groupes militants et de mobiliser leur discours afin d’interpréter et donner un sens à leur propre vie (Bacchetta et Power 2002, Blee 2002).

Deuxièmement, c’est l’instrumentalisation notamment médiatique et communicationnelle du genre que nous souhaiterions placer au cœur des réflexions de cette section thématique. Si le genre s’avère « un langage politique central pour valoriser ou dévaloriser des candidatures politiques » (Achin et Béréni, 2009), il semble constituer également un enjeu devenu incontournable dans les luttes interne et externe des acteurs de l’extrême-droite du champ politique dans les stratégies de conquête de nouveaux électeurs et militant.e.s. Par un étrange retournement –et sans doute davantage détournement- du stigmate (Goffman, 1975), le genre trouve ainsi à s’actualiser comme « ressource contingente » (Dulong et Lévêque, 2002) dans des environnements politiques sur-masculinisés et remarquablement servi par le cadrage médiatique (Boudillon, 2005).

 

The notion of ‘populist far right organizations’ is employed here for ease of use, in an exploratory perspective and not as an analytical concept. ‘Populism’ is a controversial category, which however appears as relevant in the current global context to describe diverse political formations and movements which present significant transnational continuities. In Europe, there is heated academic debate on the usefulness of the notion of ‘populism’, which is used to define highly different phenomenon (Fassin 2017; Mouffe, 2016 ; Akkerman, Mudde, Zaslove, 2014).

Gender emerges as a significant (and largely understudied) dimension of current developments in populist radical right and far right politics in Western Europe. These male-dominated organizations, historically championing traditional models of the family, paradoxically frame their anti-immigration agenda as a struggle for gender equality, depicting Islam as incompatible with women’s rights, and Muslims migrants as backward on gender matters (Meret and Siim 2013). Through this new and paradoxical mobilization of gender issues, radical right parties and far right organizations aim at addressing a wider audience beyond its traditional (largely male) constituency and membership, and at ‘normalizing’ their public image (Kitschelt and McGann 1997). In many countries, the traditional ‘gender gap’ in the electoral support of populist radical right parties has progressively narrowed and, in some contexts, has come, at least temporarily, to a close (Barisione and Mayer 2013). New female leaders mobilize stereotypes of women as caring and non-aggressive, countering the stigmatization of these groups. There is some evidence that the number of women their members is growing (Köttig and al. 2017). While a substantial literature exists on the ‘gender gap’ in the electoral support of populist radical right parties, there is a paucity of studies on the gendered dimensions of the ideology of these organizations as well as on their membership (Avanza 2009, Scrinzi 2017).

Gender is studied here from a sociological point of view to analyze increasing of women within far-right politicians and far-right activists. How sex social relationships impact men and women trajectories in these movements? Finally, we want to describe uses of gender in political communication and propaganda. This panel makes good use of gender studies to question transformations –real, claimed, analyzed, dreamed or fantasized- of far right populist movements.

First, we intend to assess the role of gender in the trajectories and practices of the members of these organizations. On the one hand, gender shapes the motives for affiliation, the activists ‘careers’ and the division of work within these organizations. On the other, political engagement and activism can redefine the public/private divide and affect gender relations in other spheres such as the family and work (Fillieule and Roux 2009). Populist radical right and far right organizations construct, reproduce and transform gender at the interplay with other unequal social relations, shaping differential symbolic and material opportunities for men and women of different classes, sexualities and ages, to join and use their ideologies to make sense of their lives (Bacchetta and Power 2002, Blee 2002).

Secondly, papers have to focusing on strategic uses of gender in the field of political communication. In fact, gender is now a distinguishing feature in political field, to increase or decrease the value of candidacies (Achin and Béréni, 2009). It is at the core of struggles for political positions and attraction of voters or activists. By a strange turnaround –and more probably misappropriation- of stigma (Goffman, 1975) gender become a contingent attribute (Dulong and Lévêque, 2002) in media-friendly ultra-male political landscape (Boudillon, 2005).

 

REFERENCES

Akkerman, Tjitske (2015) ‘Gender and the radical right in Western Europe’, Patterns of Prejudice 49(1-2): 37-60

Amengay, Abdelkarim, Anja Durovic, et Nonna Mayer. « L’impact du genre sur le vote Marine Le Pen ». Revue française de science politique 67, no 6 (2017): 1067‑87. https://doi.org/10.3917/rfsp.676.1067.

Avanza, Martina (2009) ‘Un parti qui “l’a dure”’, in Olivier Fillieule and Patricia Roux (eds), Le sexe du militantisme. Paris: Presses de Sciences Po, pp143-165.

Bacchetta, Paola et Margaret Power (eds) (2002) Right-wing women. New York: Routledge.

Blee, Kathleen, et Sandra Mc Gee Deutsch. Women of the Right. Comparisons and Interplay across Borders. The Pensylvania State University. USA, 2012.

Boudillon, Julie. « Une femme d’extrême droite dans les médias. Le cas de Marine Le Pen ». Mots. Les langages du politique, no 78 (1 juillet 2005): 79‑89. https://doi.org/10.4000/mots.392.

Dezé, Alexandre. « La construction médiatique de la “nouveauté” FN ». In Les faux-semblants du Front national. Sociologie d’un parti politique, par Sylvain Crépon, Alexandre Dezé, et Nonna Mayer, 455‑504, Presses de Sciences Po. Paris, 2015.

Dulong, Delphine, et Sandrine Lévêque. « Une ressource contingente. Les conditions de reconversion du genre en ressource politique ». Politix. Revue des sciences sociales du politique 15, no 60 (2002): 81‑111. https://doi.org/10.3406/polix.2002.1242.

Dutoya, Virginie, et Samuel Hayat. « Prétendre représenter ». Revue française de science politique 66, no 1 (22 février 2016): 7‑25. https://doi.org/10.3917/rfsp.661.0007.

Fillieule Olivier and Patricia Roux (dir.) (2009), Le sexe du militantisme, Paris: Presses de Sciences Po.

Givens, Terri. « The Radical Right Gender Gap ». Comparative political studies 37, no 1 (2004): 30‑54.

Meret, Susi, Birte Siim and Etienne Pingnaud (2016) ‘Men’s parties with women leaders: a comparative study of the right-wing populist leaders Pia Kjærsgaard, Siv Jensen and Marine Le Pen’, in Gabriella Lazaridis and Giovanni Campani (eds) Understanding the Populist Shift: Othering in a Europe in Crisis. London: Routledge, pp122-149.

Paxton, Pamela, et Melanie M. Hugues. Women, Politics, and Power. A global perspective. Sage / CQPRESS. USA, 2017.

Scrinzi, Francesca. « A “new” National Front ? Gender, Religion et secularism and the French Populist radical Right ». In Gender and Far Right Politics in Europe, par Michaela Köttig, Renate Bitzan, et Andréa Petö, 127‑40, Palgrave Macmillan., 2017.

Scrinzi, Francesca (2017) « Caring for the elderly in the family or in the nation? Gender, women and migrant care labour in the Lega Nord », West European Politics, 40:4, 869-886.

Axe 1 / Sociologie genrée des leaders et des militant.e.s des formations classées à l’extrême-droite / A gendered sociological perspective on far right/radical right leaders and activists

Président.e : Francesca Scrinzi
Discutant.e.s : Marion Jacquet-Vaillant / Margherita Crippa

Prunelle Aymé (Sciences Po – CERI), Powerful women, powerful families, powerful Turkey » : ambivalences of a « pro-women » stance in AKP’s Turkey.

M.C. (IRISSO, Université Paris Dauphine/PSL), From « family mothers » to « reactionary professional women » and « new men ». The ephemeral gender reconfigurations within the Front National.

Marion Jacquet-Vaillant (Université Panthéon-Assas Paris 2), Female activists in the french Identitarian movement : faces of the normalization strategy

Mehr Latif (University of Pittsburgh, United States), Do Far-Right Women Adopt Its Archetypes of Mother, Whore, and Fighter?

Cinzia Padovani (Marie S. Curie Fellow University of Loughborough, UK), The significance of Gender within Fascist social movements: an Ethnographical approach

Gianluca Passarelli, Dario Tuorto (Sapienza University of Roma / University of Bologna, Italy), Normalising the extremism. Why does Matteo Salvini’s League become more attractive for women?

Aleksandra Sygnowska (Polish Academy of Sciences, Poland), Far-right women and the endorsement of gender equality in anti-Muslim crusades

Axe 2 / Détournements de la ressource « genre » par les formations populistes d’extrême-droite et conditions d’efficacité / Mobilisation of gender and political performance  in far right and radical right movements

Président.e : Christèle Lagier
Discutant.e.s : Adeline Branthonne / Massimo Prearo

Adeline Branthonne (Université de Montréal, Canada), Reaffirmations of Masculinity in the US Alt-Right: A netnographic study of the « Neo-Masculinist » Blog « Return of Kings”

Judith Goetz and Stefanie Mayer (Universität Wien / Wien/Public Management, Austria), With God and nature against gender: Ideology and rhetoric of right-wing (extremist) anti-feminism in Austria

Virginie Julliard (Laboratoire COSTECH, groupe EPIN / Université de technologie de Compiègne), The Strategic Use of « Difference of the Sexes » in the Political Communication of French Nationalist and Far Right Organizations

Florian Lang (Universiteit/EDGE Programme, Brussel), Collaborative Adversarial Movements – The unlikely collaboration between Anti-Islam Feminists and the Radical Populist Right in Germany

Cécile Leconte (IEP de Lille – CERAPS), Mobilizing a gender-based identity in order to circumvent the stigma? A comparative analysis of the self-presentation techniques of Marine Le Pen (Front national) and Frauke Petry (Alternative for Germany)

Massimo Prearo (University of Verona, Research Center PoliTeSse, Italy), After anti-gender mobilizations: understanding the neocatholic project through the Italian nationalist and populist alliances

AYME Prunelle prunelle.ayme@sciencespo.fr

BRANTHONNE Adeline adeline.branthonne@umontreal.ca

GOETZ Judith judith.goetz@univie.ac.at

JACQUET-VAILLANT Marion marion.jacquet90@gmail.com

JULLIARD Virginie virginie.julliard@gmail.com

LAGIER, Christèle christele.lagier@univ-avignon.fr

LANG Florian Florian.Lang@vub.be

LATIF Mehr mel93@pitt.edu

LECONTE Cécile cecile.leconte@sciencespo-lille.eu

MAYER Stefanie stefanie.mayer@fh-campuswien.ac.at

PADOVANI Cinzia cinzia.padovani@gmail.com

PASSARELLI Gianluca gianluca.passarelli@uniroma1.it

PREARO Massimo massimo.prearo@gmail.com

SCRINZI, Francesca Francesca.Scrinzi@glasgow.ac.uk

SYGNOWSKA Aleksandra aleksandra.sygnowska@gmail.com

TUORTO Dario dario.tuorto@gmail.com