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La citoyenneté au prisme de l’action publique : comment l’État travaille-t-il la citoyenneté ?

Citizenship through the prism of public policy: how does the state shape citizenship?

Responsables scientifiques
Núria Garcia (Centre d’études européennes de Sciences Po/Chaire de politique comparée, Universität Augsburg) nuria.garcia@sciencespo.fr
Antoine Mandret-Degeilh (Centre d’études européennes de Sciences Po/LaSSP Toulouse) antoine.mandret@sciencespo.fr

Bien que l’action publique et la citoyenneté soient deux objets de recherche classiques au fondement de la science politique française et internationale, les logiques de division du travail de la discipline entre spécialistes de l’analyse des politiques publiques, d’un côté, et spécialistes de sociologie politique, de l’autre, ont longtemps fait du lien entre action publique et citoyenneté un angle mort de la discipline (Duchesne et Muller 2003).
Au cours des dernières années, les recherches visant à établir un dialogue entre ces deux champs de recherche séparés se sont cependant multipliées, à l’instar des travaux conduits dans le cadre du groupe de projet « Opinion publique et action publique » de l’AFSP. De manière plus générale, on a assisté récemment à un essor de travaux sur les « publics » des politiques publiques et notamment les policy feedback aux niveaux français et international (Pierson 1993, Mettler et Soss 2004 ; Dupuy et Van Ingelgom 2015), s’intéressant à l’influence de l’action publique sur les attitudes politiques des citoyens (Gerstlé 2003). Dans ces recherches, les citoyens ont été principalement envisagés sous l’angle de la participation politique ou de l’opinion publique, comme adressant des demandes à l’État, influençant et contribuant à légitimer l’action publique. S’inscrivant dans le sillage de ces recherches, la section thématique proposée déplace la focale de l’analyse des citoyens, envisagés comme public des politiques publiques, vers l’institution de la citoyenneté.

Quoiqu’elle fasse l’objet d’une « pluralité de significations » (Duchesne 1997), la citoyenneté peut être définie comme l’institution à travers laquelle chaque État « se constitue et se reconstitue perpétuellement » (Brubaker 2000). Si les analyses classiques de la citoyenneté ont analysé cette institution principalement au prisme des droits qui y sont attachés (Marshall 1950), en distinguant entre citoyennetés civile, sociale et politique, les travaux plus récents ont souligné que les droits ne constituent qu’une des différentes dimensions de la citoyenneté : Rainer Bauböck distingue ainsi entre la citoyenneté comme droit, comme appartenance et comme pratique (Bauböck 2001). Dans la même optique, il conviendrait de distinguer entre la citoyenneté comme statut (être citoyen) et la citoyenneté comme rôle (se comporter comme citoyen) (Leca 1983).
La section thématique proposée ici vise à étudier le lien entre action publique et citoyenneté en adoptant une définition « intermédiaire », qui se distingue à la fois d’une acception minimaliste et d’une acception maximaliste des « politiques de citoyenneté ». Dans une définition restreinte, les politiques de la citoyenneté seraient celles qui déterminent et confèrent le statut de citoyen (Morjé Howard 2009), telles que les politiques de réforme du Droit de la nationalité, les politiques de naturalisation ou encore les politiques d’immigration. Dans une acception extensive, qui est souvent le propre des approches d’analyse des politiques publiques (Duchesne et Muller, 2003), l’ensemble des politiques publiques pourraient au contraire être qualifiées de politiques de citoyenneté, dans la mesure où elles produisent une citoyenneté sectorielle (le citoyen-consommateur, le citoyen-usager de la route, etc.). A rebours de ces deux acceptions, la notion de « régime de citoyenneté » que propose Jane Jenson permet de s’interroger de manière plus large sur la manière dont l’État produit et reproduit la citoyenneté à travers la mise en place de politiques publiques. Envisageant la citoyenneté comme une relation à la fois entre individus et entre les individus et l’État, la notion de régime de citoyenneté décrit « les arrangements institutionnels, les règles et les représentations qui guident simultanément l’identification des problèmes par l’État et les citoyens, les choix de politiques, les dépenses de l’État, et les revendications des citoyens » (Jenson 2001). S’inscrivant dans une approche de néo-institutionnalisme historique, le concept de régime de citoyenneté permet ainsi d’envisager la citoyenneté comme une institution qui est gouvernée et dont les contours varient à ce titre dans le temps, selon les idées et les pratiques de l’époque. Cette dimension historique est également soulignée par Pierre Muller selon qui chaque « cycle » d’action publique correspondrait à un régime de citoyenneté, « définissant le rapport entre les individus et l’espace civique à partir des critères en fonction desquels ils ‘existent’ dans l’espace public » (Muller 2015).

Bien que la citoyenneté ainsi délimitée ne relève donc pas d’un secteur de politique publique précis, il s’agit cependant d’une institution qui est gouvernée par l’État et qui est définie et redéfinie par des choix de politiques publiques opérés dans différents domaines d’action publique – on mentionnera ici, entre autres exemples, les politiques d’éducation, les politiques des langues et les politiques de la conscription, traditionnellement considérées comme étant au fondement de la construction de la citoyenneté (Déloye 2003).
Ce sont ces choix de politiques publiques que cette section thématique entend ainsi étudier prenant en compte des objets et des questions ayant notamment trait à la socialisation civique et qui n’ont jusqu’ici été que peu étudiés par la science politique, à travers deux grands axes.

Un premier axe se focalisera sur l’impact de l’action publique sur la relation entre les citoyens et l’État en étudiant les effets de différentes politiques sectorielles sur les comportements politiques des citoyens : comment s’effectue le cadrage des « droits » et des « devoirs » du citoyen dans le cadre des différentes politiques sectorielles mises en œuvre par l’État ? Dans quelle mesure l’État promeut-il de manière plus ou moins directe certaines formes de participation politique à travers l’action publique ? Comment les dispositifs étatiques prescrivant la participation politique évoluent-ils dans le temps et dans l’espace et notamment dans le contexte du tournant néo-libéral en Europe ? Un second axe sera consacré à l’étude des mécanismes de délimitation du corps démocratique et de production du rôle de citoyen par l’action publique : comment l’État contribue-t-il à la définition et la redéfinition du statut de citoyen ? Comment l’action publique participe-t-elle à la « fabrique » des citoyens et à l’acculturation de ces derniers au vote ? Dans quelle mesure les frontières de la communauté politique évoluent-elles sur le temps long et dans des contextes politiques et géographiques très différents ?

Ces questions seront abordées à travers des contributions empiriques s’appuyant sur des études de cas inédites et se situant à la croisée de la sociologie de l’action publique et de la sociologie politique. Une importance particulière sera accordée aux temporalités moyennes et longues ainsi qu’à la démarche comparée.

While public policy and citizenship are two central objects of research at the foundation of French and international political science, logics of division of labour between specialists of public policy analysis on the one hand, and specialists of political sociology, on the other hand, have entailed that the link between public policy and citizenship has for a long time remained a blind spot in political science research.
Over the last years, various authors have tried to establish a dialogue between these two separate fields of research. In this body of literature, citizens have been primarily analysed through the angle of political participation or public opinion, as making claims towards the state and contributing the legitimization of public policy. In the wake of this strand of research, the proposed thematic section displaces the initial focus from the analysis of citizens as publics of public policy towards the institution of citizenship.
While the classical literature on citizenship has analysed this institution primarily through the prism of the rights attached to it (Marshall 1950), distinguishing namely between civil, social and political citizenship, more recent works have stressed that rights are only one of the various dimensions constitutive of citizenship: Rainer Bauböck thus distinguishes between citizenship as right, as belonging and as practice (Bauböck 2001). In a similar perspective, it appears necessary to distinguish between citizenship as status (being a citizen) and citizenship as role (acting as a citizen) (Leca 1983).
The thematic section proposed here aims to investigate the link between public policy and citizenship through adopting a “mid-range” definition, situated between a minimalist delimitation – where citizenship policies are understood as restricted to policies determining and conferring citizenship status (Morjé Howard 2009), such as laws regulating access to citizenship status, naturalization policies, and migration policies – and a maximalist designation (Duchesne and Muller, 2003) – according to which all public policies could be qualified as citizenship policies, in as far as they produce a sectorial citizenship (the consumer-citizen, the road user-citizen, etc.). In contrast to both of these definitions and analysing citizenship at the same time as relation between individuals and between individuals and the state, the concept of citizenship regimes (Jenson 2001) describes ‘the institutional arrangements, rules and understandings that guide and shape concurrent policy decisions and expenditures of states, problem definitions by states and citizens, and claims-making by citizens’ and allows to analyse citizenship as an institution that is governed and whose boundaries change across time, according the ideas and the practices of context.

Although citizenship, such as defined above, does not fall into a specific field of public policy, it is nevertheless an institution that is governed by the state and defined and redefined through public policy choices operated in different policy fields.
This thematic section seeks to investigate these policy choices through taking into account objects and questions related to civic socialization: a first axis focuses on the impact of public policy on the relation between citizens and the state, through the analysis of the mechanisms by which public action shapes citizens’ political behaviour: the role of citizen: how do state institutions frame citizens’ ‘rights’ and ‘duties’? How does the state promote certain forms of political participation through different public policies? A second axis will investigate how public policies contribute to define and redefine the boundaries of the political community and the role of citizen: how does the state regulate access to citizenship status? What role do public policies play in the ‘fabrication’ of citizens and their acculturation to civic duties?

REFERENCES

Bauböck, Rainer. 2001. “Recombinant Citizenship.” In Inclusions and Exclusions in European Societies, edited by Alison E. Woodward and Martin Kohli, 38–58. London: Routledge.
Brubaker, Rogers. 2000. Citoyenneté et nationalité en France et en Allemagne. Paris: Belin.
Déloye, Yves. 2003. Sociologie historique du politique. Paris: La Découverte.
Duchesne, Sophie. 1997. Citoyenneté à la française. Paris: Presses de la FNSP.
Duchesne, Sophie and Muller, Pierre. 2003. « Sociologie politique et analyse de l’action publique : Représentations croisées de l’Etat et des citoyens. » In Être gouverné. Études en l’honneur de Jean Leca, edited by Pierre Favre, Jack Hayward and Yves Schemeil, 35-51. Paris: Presses de Sciences Po.
Dupuy, Claire, and Virginie Van Ingelgom. 2015. “Les politiques publiques et la légitimation dans un contexte multi-niveaux.” Gouvernement et action publique, no. 1: 27–59.
Gerstlé, Jacques. 2003. “La réactivité aux préférences collectives et l’imputabilité de l’action publique.” Revue française de science politique 53 (6): 859–85.
Jenson, Jane. 2001. “D’un régime de citoyenneté à un autre: la rémunération des soins.” Travail, genre et sociétés 6 (2): 43–58.
Leca, Jean. 1983. « Questions sur la citoyenneté. » Projet 171-172: 113-125.
Marshall, Thomas Humphrey. 1950. Citizenship and Social Class: And Other Essays. Cambridge: Cambridge University Press.
Mettler, Suzanne, and Joe Soss. 2004. “The Consequences of Public Policy for Democratic Citizenship: Bridging Policy Studies and Mass Politics.” Perspectives on Politics 2 (01): 55–73.
Morjé Howard, Marc. 2009. The Politics of Citizenship in Europe. Cambridge University Press.
Muller, Pierre. 2015. La société de l’efficacité globale. Paris: Presses Universitaires de France.
Pierson, Paul. 1993. “When Effect Becomes Cause: Policy Feedback and Political Change.” World Politics 45 (4): 595–628.

Axe 1 / Les effets de l’action publique sur les comportements politiques des citoyens

Présidente : Núria Garcia (CEE -Sciences Po Paris/Universität Augsburg)

Discutant : David Smadja (LIPHA – Université Paris-Est Marne-la-Vallée)

Tom Chevalier (CEE/LIEPP, Sciences Po Paris), Devenir citoyen en Europe : de la citoyenneté sociale à la citoyenneté politique des jeunes
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Thomas Chevallier (CERAPS, Université Lille 2 /Centre Marc Bloch, Université Humboldt, Berlin), Publics précaires et injonction à la participation associative dans un quartier populaire de Berlin. L’« activation » par la contrainte en régime néolibéral
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Guillaume Petit (CESSP, Université Paris 1), Des politiques de participation publique constitutives d’une « nouvelle citoyenneté » ? Retours d’expériences d’alternances participatives locales
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Axe 2 / La fabrique du rôle et du statut de citoyen par l’action publique

Président : Antoine Mandret-Degeilh (CEE, Sciences Po Paris /LaSSP, Sciences Po Toulouse)

Discutant : Emilien Fargues (CEVIPOF, Sciences Po Paris)

Soizic Brohan (LAM, Sciences Po Bordeaux), Quand l’Etat se mêle de la citoyenneté politique des femmes. De l’octroi du droit de vote à l’avènement de l’ère de la parité en Guadeloupe et en Jamaïque
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Juliette Ruaud (LAM, Sciences Po Bordeaux)/Université Laval à Québec), L’État colonial et le citoyen « politiquement mature »
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Daniela Trucco (ERMES, Université Nice Sophia Antipolis) et Yumiko Tahata (URMI, Université Nice Sophia Antipolis), La « fabrique » des citoyens nationaux au travers de deux dispositifs d’action publique : le contrat d’accueil et d’intégration (CAI) en France et l’« article 4 » en Italie
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Tom Chevalier (CEE/LIEPP, Sciences Po Paris)

Devenir citoyen en Europe. De la citoyenneté sociale à la citoyenneté politique des jeunes
La sociologie politique a montré dans quelle mesure l’âge pouvait avoir un effet sur les attitudes et la participation politiques. Les jeunes ont ainsi un rapport distinct au politique et vivent différemment leur rôle de citoyen politique, que ce soit un effet cycle de vie ou un effet génération. Or le rapport au politique des jeunes diffère grandement d’un pays à l’autre, alors même que peu de travaux cherchent à expliquer ces différences nationales. Nous souhaitons ici rendre compte de cette diversité du rapport au politique des jeunes en intégrant les politiques publiques à l’analyse grâce à l’approche en termes de « policy feedback ». Nous faisons l’hypothèse que les modalités d’accès aux aides publiques, c’est-à-dire leur « citoyenneté sociale », ont des effets sur le rapport au politique des jeunes (leur « citoyenneté politique ») et notamment sur leur participation électorale. Lorsque cette citoyenneté sociale est familialisée, les jeunes sont considérés comme des enfants, ce qui à la fois diminue leur participation électorale et renforce l’influence de leurs parents sur cette participation. A l’inverse, lorsqu’elle est individualisée, les jeunes sont considérés comme des adultes et par conséquent participeront davantage, tout en limitant l’influence de leur famille d’origine. Pour tester cette hypothèse, nous précéderons à des analyses statistiques multiniveaux en utilisant la base de données European Social Survey.

Becoming a citizen in Europe. From social citizenship to political citizenship for young people
Political sociology has shown that age has an effect on political attitudes and political participation. Young people have a specific relation to politics and live differently their role of political citizen (be a life cycle effect or a generation effect). Still, young people’s relation to politics varies greatly from one country to another, while few studies try to explain this cross-national diversity. I wish to explain this diversity by taking policies into account, through the use of the policy feedback literature. I hypothesize that the way young people can claim for public benefits (their “social citizenship”) has an effect on their relation to politics (their “political citizenship”) and especially on their electoral participation. When their social citizenship is familialized, young people are seen as children, which hampers their participation and strengthens their parents’ influence. On the contrary, when it is individualized, they are viewed as adults. Consequently, they participate more and are less influenced by their families. In order to test this hypothesis, I will proceed to multilevel analyses, by using the European Social Survey dataset.

Thomas Chevallier (CERAPS, Université Lille 2 /Centre Marc Bloch, Université Humboldt, Berlin)

Publics précaires et injonction à la participation associative dans un quartier populaire de Berlin. L’« activation » par la contrainte en régime néolibéral
Depuis les réformes Hartz, les nouvelles politiques d’intégration et de développement des quartiers populaires entreprises sous les gouvernements Schröder, l’Allemagne est aujourd’hui bien avancée dans la néolibéralisation de ses politiques sociales. Cette communication décrit les conséquences de ces réformes sur la participation associative dans un quartier populaire de Berlin. Par l’observation participante et une approche interactionniste critique au sein d’un projet d’animation de quartier, notamment un atelier cuisine, dans une association essentiellement dédiée à dispenser des cours d’allemand à des migrants, elle montre quelles normes interactionnelles découlent des différentes formes d’injonction à participer dont les participant-e-s sont les objets et comment ceux et celles-ci sont amené-e-s à se conformer à ce que les institutions attendent d’eux-elles et ne sont par contre pas amené-e-s à thématiser voire remettre en cause leur position dominée dans l’espace social.

Disadvantaged people and compulsory associative participation in a poor neighborhood of Berlin. The enforced “activation” under neoliberal regime
Since the Hartz reforms, the new integration and development policies of poor neighborhoods which were implemented under the Schröder governments, Germany is now well advanced in the process of neoliberalizing social policies. This presentation describes the consequences of those reforms on associative participation in a poor neighborhood of Berlin. Through participant observation and a critical-interactionist approach in a local animation project, and more specifically a cooking class that takes place and is organized within an association that provides German lessons for migrant people, this presentation shows which interaction norms arise from different forms of compulsory participation; how the participants tend to adopt behaviors expected from them by the institutions; and how they tend not to discuss, if to question, their dominated position within social space.

Guillaume Petit (CESSP, Université Paris 1)

Des politiques de participation publique constitutives d’une « nouvelle citoyenneté » ? Retours d’expériences d’alternances participatives locales
Des politiques de participation publique, concrétisées localement par des dispositifs participatifs, peuvent-elles être constitutives d’une « nouvelle citoyenneté » ? Nous étudions en ce sens la production et la réception d’offres municipales de participation pour interroger le façonnage, l’appropriation ou la subversion de régimes et de normes de citoyenneté. Notre enquête se fonde sur trois cas, des villes de 20 000 habitants où des listes de gauche associative et citoyenne ont construit une alternance par la démocratie participative, revendiquant une meilleure gestion municipale mais aussi un renouvellement de la citoyenneté au-delà du vote. En plus de la logique de l’offre, porter l’attention sur l’ancrage social et les appropriations différenciées de ces opportunités encadrées de participation livre une tension entre trois pôles types de figures de citoyenneté : universaliste, résidentielle ou sectorielle. Saisir en contexte la réception de ces stimuli politiques permet d’appréhender les contours et les limites de ces tentatives d’extension de la citoyenneté et leurs effets sur les trajectoires des participants. Contre la seule mobilisation d’un registre civique comme raison d’un engagement participatif, s’intéresser aux logiques sociales de la participation incite à poser l’hypothèse d’une extension de la citoyenneté autant partielle que partiale, incitant alors plus généralement à réfléchir sur les conditions autant objectives que subjectives de son exercice.

Public participation policies and the frame of a “new citizenship”? Empirical feedback from local participatory alternations
Can public participation policies, as they are locally concretized through participatory devices, frame a new citizenship? In that way we examine the production and the reception of institutional public participation opportunities at municipal scale, to question the shaping, appropriation or subversion of citizenship norms. Our study is based on the cases of three towns of 20,000 inhabitants, where left-wing associative and citizen lists have won elections with a program based on participatory democracy, asserting a better municipal management but also a renewal of citizenship beyond the vote. Besides these statements made by the promotors, focusing on social context and how these supervised opportunities are variously appropriated by participants allows a glimpse of three contrasted ideal types of citizenship: universal, residential and sectorial. Understanding the context of the reception of such political stimuli can help to grasp the limits of these experimentations and how it can impact participants’ trajectories. Against the unilateral reference to civic motives, this approach underlines how such extension of citizenship is limited and biased, prompting then to reflect more generally about both objective and subjective conditions of its exercise.

Soizic Brohan (LAM, Sciences Po Bordeaux)

Quand l’État se mêle de la citoyenneté politique des femmes. De l’octroi du droit de vote à l’avènement de l’ère de la parité en Guadeloupe et en Jamaïque
La Guadeloupe et la Jamaïque sont deux territoires caribéens issus d’une matrice socioculturelle commune, la société de plantation esclavagiste née de la colonisation. L’abolition de l’esclavage par l’État colonial coïncide avec l’acquisition par les nouveaux libres de la citoyenneté. L’enjeu est de mettre fin au « paradoxe » de la citoyenneté de l’homme noir considéré comme un « autre citoyen » (Larcher, 2014, 2015). Ce n’est que lorsque l’État colonial se dessaisit, volontairement, de l’ordre politique pour conserver son emprise sur l’ordre économique dans ses colonies (Blérald, 1986) que le débat sur la citoyenneté des (hommes) noirs laisse alors la place à un débat, plus timide, sur la citoyenneté des femmes, au nom de l’égalité des droits entre les sexes. Les femmes finissent par accéder formellement à la citoyenneté en 1944 mais continuent à se heurter à la « démocratie exclusive » (Fraisse, 1995) et sont représentées de façon marginale dans le champ politique, devenant à leur tour une « autre citoyenne ». Au tournant du XXI° siècle, les démocraties étant désormais tenues d’inclure les femmes afin de respecter l’impératif participatif de la démocratie (Paxton, 2008), les États sont contraints de s’investir dans la représentation des femmes en politique.
L’analyse proposée mobilise un corpus de données variées (entretiens, archives) collectées lors de deux terrains de recherche réalisés en Guadeloupe et en Jamaïque de janvier à mai 2014 et de janvier à mai 2015.

When women’s political citizenship is shaped by the state. From women’s suffrage to an era of equal representation in Guadeloupe and Jamaica
Guadeloupe and Jamaica are two Caribbean territories shaped by a common sociocultural past: the slave plantation society produced by colonization. The abolition of slavery by the colonial state coincides with the newly freed black men becoming legal citizens. The challenge became the resolution of the “citizenship paradox” for black men perceived as “other citizens” (Larcher, 2014, 2015). Only when the colonial state abandoned its hegemony over the political order of its colonies as a means of economic control (Blérald, 1986) did the debate over the citizenship of black (male) individuals was then replaced by a more timid debate about women’s citizenship, in the name of equal rights between men and women. In 1944, women were accorded formal citizenship but still obstructed by an “exclusive democracy” (Fraisse, 1995) that left them underrepresented in the political field, where they became the new “other citizen”. Now at the turn of the 21st Century, democracies are required to include women in order to respect the fundamental precepts of participative democracy (Paxton, 2008), obliging states to promote female representation in politics.
The intended analysis uses a diversified body of evidence (interviews, archives) that was collected during two research field trips conducted in Guadeloupe and Jamaica between January and May 2014 and between January and May 2015.

Juliette Ruaud (LAM, Sciences Po Bordeaux /Université Laval à Québec)

L’État colonial et le citoyen « politiquement mature »
Dans le Sénégal colonial, l’accès à la citoyenneté pour les Africains a impliqué un nombre important d’injonctions et de recommandations de la part de l’État. Ici, on voudrait se centrer sur l’après-Seconde guerre mondiale et sur une injonction spécifique, celle d’être politiquement « mature ». En effet, cette idée de maturité politique est encore présente dans les esprits jusqu’à aujourd’hui et mérite d’être explorée. Dans les rapports administratifs de surveillance de l’opinion, on peut identifier certains traits prêtés aux électeurs sénégalais, qui ont des aspects communs à la fois avec la figure de l’électeur incompétent en Europe et avec les représentations racistes d’hommes noirs perçus comme « enfantins ». On examinera les liens entre ces considérations et la notion de maturité, de manière à comprendre son sens (dans un contexte où les observateurs coloniaux avaient une vision fortement psychologisante de la politisation). On discutera des traces de cette attention dans l’organisation même des élections (à travers les tracts, les affiches…) et de son usage pour mobiliser la participation électorale. Finalement, même si cela reste parcellaire en raison des sources, on discutera de la manière dont l’univers politique local a pu réagir à ce nouvel impératif. On peut faire l’hypothèse qu’il a existé des formes de réappropriation de ces discours sur la maturité (à une époque où certains discours politiques locaux étaient en outre marqués par l’évolutionnisme), en particulier chez les élites politiques qui s’étaient donné pour mission de former les esprits.

The colonial state and the “politically mature” citizen
In colonial Senegal, the access to citizenship for the black population involved a large number of demands and advices from the state. Here, we would like to focus on the post second world war period and on a specific demand, that of being politically « mature ». Thus, this idea of political maturity is still fresh in people’s minds until today and deserves to be explored. In the administrative reports about opinion, we can identify some conceptions of the Senegalese voter, which shares some characteristics both with the figure of the European incompetent voter and with the broader racist figure of the childish black man. We will examine the links between these views and this notion of maturity in a way to understand its meanings (in a context where administration’s observers strongly psychologize politicization). We will discuss some traces of that interest in the organization of elections (in tracts, posters…) and its uses to strengthen political participation. Finally, even if it is quite incomplete due to the fragmented data, we will discuss how the local political world reacted to this new imperative. We can consider some kind of re-appropriation of these discourses on maturity (in a time where some political conceptions could be influenced by evolutionism), especially by the literate political elites which get herself involved in the mission of shaping political minds.

Daniela Trucco (ERMES, Université Nice Sophia Antipolis) et Yumiko Tahata (URMI, Université Nice Sophia Antipolis)

La « fabrique » des citoyens nationaux au travers de deux dispositifs d’action publique : le contrat d’accueil et d’intégration (CAI) en France et l’« article 4 » en Italie
Cette communication présente l’analyse croisée de deux études de cas sur les démarches institutionnelles dans le cadre du « parcours de citoyennisation » du candidat à la citoyenneté nationale en Italie et en France. Cette analyse révèle le caractère paradoxal de ces actions publiques – officiellement qualifiées d’intégration et de citoyennisation – qui oscille entre l’intégration et l’altérisation. Les enquêtes ethnographiques sur deux pratiques publiques – les démarches dites d’« élection » de la nationalité italienne de jeunes majeurs nés sur le territoire italien et la mise en place du Contrat d’Accueil et d’Intégration en France – nous montrent la tension et la frustration, aussi bien chez les agents que chez les usagers, engendrées par ce caractère paradoxal. Alors qu’elles sont censées créer le « même », inclure dans la « communauté nationale », ces démarches, en participant aux définitions de la citoyenneté étatique-nationale, altérisent les usagers à qui ces démarches s’imposent. Ces constats nous amènent à qualifier ces démarches – malgré leurs spécificités – comme des rites d’institution qui sanctionnent une différence « entre ceux que ce rite concerne et ceux qu’il ne concerne pas » (Bourdieu, 1982). Dans les deux cas analysés, derrière les critères affichés pour être citoyen, se cache et se construit, par l’action publique, une distinction entre un « Nous » et un « Eux » qui remet en question tout universalisme citoyen.

The “making” of national citizens through two public actions: The Welcome and Integration Contract (CAI) in France and the “article 4” in Italy
This communication presents a cross-analysis of two case studies on institutional steps within the “citizen-making processes” that candidates to national citizenship must undertake, in Italy and in France. The analysis reveals the paradoxical dimension of these public actions – officially qualified of integration and citizen-making measures – but fluctuating between integration and othering. Ethnographical studies of two public practices – the procedure to acquire Italian citizenship “by claim” for young adults born on Italian soil and the implementation of the “Welcome and Integration Contract” in France – highlight the tension and frustration expressed by users as well as by officials which result of this paradoxical dimension. Whereas these practices are supposed to produce the “same” and lead to the inclusion in the national community, they ascribe otherness on those affected by these procedures. These findings lead us to qualify these actions – despite their specific features – as “instituting rites” which sanction the difference “between those the rite concerns and those it does not” (Bourdieu, 1982). In the two cases examined, behind the requirements needed to become a citizen, we observe public action’s construction of the distinction between “Us” and “Them”, which calls the universalism of citizenship into question.

Mercredi 12 juillet 2017 14h00-18h00

BRONAN Soizic soizic.brohan324@orange.fr
CHEVALIER Tom tom.chevalier@sciencespo.fr
CHEVALLIER Thomas thomas.chevallier@outlook.com
FARGUES Emilien emilien.fargues@sciencespo.fr
GARCIA Núria nuria.garcia@sciencespo.fr
MANDRET-DEGEILH Antoine antoine.mandret@sciencespo.fr
PETIT Guillaume guillaume.petit@univ-paris1.fr
RUAUD Juliette juliette-ruaud@hotmail.fr
SMADJA David david.smadja@u-pem.fr
TAHATA Yumiko ytahata@unice.fr
TRUCCO Daniela daniela.trucco@unice.fr