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Rapports ordinaires au genre en politique

Ordinary links to gender in politics

Responsables scientifiques
Christine Guionnet (Université Rennes 1 – CRAPE/ARENES) christine.guionnet@univ-rennes1.fr
Bleuwenn Lechaux (Université Rennes 2 – CRAPE/ARENES) bleuwenn.lechaux@univ-rennes2.fr

Si l’on établit un bilan des recherches en science politique sur le genre aujourd’hui, on peut considérer que deux axes principaux ont été explorés : d’une part, la question de ce que font les identités de genre aux pratiques politiques (le genre comme variable objective), que l’on soit un/une professionnel(le) de la politique, ou un(e) citoyen(ne) ordinaire ; d’autre part, la construction des identités stratégiques de genre par les acteurs politiques. Au-delà de ces deux dimensions, il demeure un troisième angle d’analyse possible qui n’a guère été exploré jusqu’à présent : les rapports ordinaires au genre dans le domaine politique. Par « rapports ordinaires au genre », on entend les rapports au genre qui ne s’inscrivent pas dans un cadre militant accompagné d’un discours préétabli. Typiquement, le militantisme féministe ou antiféministe ne constitue pas un rapport « ordinaire », mais politiquement construit au genre. De même, une femme qui indique « faire de la politique autrement » pour être élue ne se situe pas dans un rapport « ordinaire » au genre, mais dans un rapport construit centralement en tant qu’identité stratégique. Sans nier que ces différentes dimensions puissent être corrélées et sous-tendues les unes par les autres, il s’agit au sein de cette ST de déplacer le regard en prenant comme point de départ et comme angle d’analyse la façon dont les acteurs mobilisent ou non, au quotidien, des problématiques afférentes au genre (identités hommes/femmes, relations entre sexes, etc.) pour construire leur propre rapport au politique, déchiffrer le jeu politique, ou encore habiter leur rôle politique, en dehors de tout débat politique lié spécifiquement à des questions de genre (parité, féminisation des noms de métiers, etc.).
Par exemple, si on les interroge sur leur propre estimation de leurs compétences ou clefs de lecture en politique, les citoyens lambda mobilisent-ils les questions d’identité hommes/femmes pour appréhender celles-ci ? Le genre constitue-t-il une variable qu’ils s’approprient pour interpréter leurs comportements politiques et ceux de leurs concitoyens ? Analysent-ils le fonctionnement du jeu politique en mobilisant des problématiques en lien avec le genre ? Si pour le politiste il est évident qu’être un homme ou une femme en politique engendre des conséquences importantes, qu’en perçoivent les citoyens ? Comment se réapproprient-ils (ou non), dans leur quotidien, les discours tenus sur le genre dans la sphère politique, les discours féministes (Albenga, Jacquemart, Bereni, 2015) ou antiféministes, ou encore les identités stratégiques produites par exemple par une femme jouant du registre de « la politique autrement au féminin » ?
En ce qui concerne les rapports ordinaires au genre chez nos concitoyens en matière de politique, seuls des sondages ponctuels existent, qui privilégient des questions types récurrentes, ne permettant pas une analyse poussée de leurs résultats. Les travaux relatifs aux rapports ordinaires à la politique ne se sont guère interrogés sur la façon dont les acteurs, dans leur appréhension du politique, mobilisent ou pas les questions afférentes aux identités et relations de genre. L’optique de cette ST consiste donc notamment à se demander dans quelles conditions les citoyens mobilisent les questions de genre dans leurs rapports ordinaires au politique.
La problématique que nous privilégions peut en outre concerner les militants politiques. S’inspirant des travaux relatifs aux rapports ordinaires au politique, on peut en effet se poser la question des coûts éventuels liés à la mobilisation des questions de genre dans des activités militantes : l’évitement de ces questions correspond-il à une volonté de ne pas engendrer de conflits (Hamidi, 2006, Agrikoliansky, 2014, Eliasoph, 1998), par exemple lorsque des femmes, agacées par une division du travail militant dans une AG étudiante, ne prennent pas la parole pour protester, par peur d’entraîner un conflit ou de se voir traitées de « féministes » ? Le sociologue sait combien existe souvent une répartition genrée implicite des tâches militantes (Fillieule, Roux, 2009). Qu’en est-il pour les militants, lorsque ces rapports sont centraux sans être le sujet explicite de la discussion ? Le genre constitue-t-il une clef d’interprétation des pratiques militantes pour les acteurs eux-mêmes ? Là aussi, les analyses relatives à ces questions ont surtout mis en exergue le poids de la variable genre d’un point de vue objectif et n’ont pas centralement interrogé la façon dont les militants se réapproprient (ou non) cette dimension du genre pour déchiffrer leurs propres pratiques, (en dehors des militantismes féministes ou antiféministes), même s’il existe des exceptions (voir, par exemple, Dunezat, 2007 ; Avanza, 2009 ; Meuret-Campfort, 2010 ; Johsua, 2015).
On voit donc combien ces questionnements liés aux rapports ordinaires au genre portent à la fois sur les citoyens et sur les militants. Mais ils peuvent également porter sur les représentants politiques eux-mêmes. En dehors des situations ou débats où le genre est explicitement et centralement présent, voire mis en scène dans les assemblées, il arrive que certains acteurs politiques se saisissent ponctuellement de la problématique du genre pour appuyer ou au contraire discréditer les actes, propos, croyances de leurs adversaires politiques. Ainsi, lorsqu’un député refuse de féminiser la fonction de président de séance et accuse une ministre d’être féministe alors qu’elle présente un projet de politique générale, on assiste à une forme d’appropriation ordinaire du genre. Les acteurs politiques tentent alors d’influer sur des rapports de forces politiques (en cherchant par exemple à stigmatiser une ministre accusée de détourner l’attention de l’intérêt général) en usant stratégiquement des questions de genre là où, a priori, les termes du débat ne laissaient nullement présupposer que celles-ci seraient mobilisées. Comment expliquer ces comportements ?
A quelles conditions ces discours ordinaires sur le genre constituent-ils des ressources ou des contraintes pour celles et ceux qui les mobilisent, allant parfois jusqu’à réactiver des attendus normatifs liés à la « féminité » (Comer, 2015) ou à la « masculinité » pour justifier des pratiques militantes ? Et quels effets (performatifs ou non) produisent-ils, tant sur le plan de la « fabrique du genre » (en paroles et en actes) qu’en tant qu’éléments structurants des univers où ils sont mobilisés, des carrières ou encore des définitions de soi ? Telles sont quelques-unes des questions centrales qui seront abordées dans cette section thématique.
Les analyses seront ancrées sur des enquêtes de terrain actuelles ou passées, relues au prisme de la problématique centrale de cette ST. Que les réflexions se placent du point de vue de citoyens, de militants politiques, ou encore de professionnels de la politique à l’échelle nationale ou internationale, elles ne traiteront pas centralement de la question du genre en politique en tant que variable objective produisant des effets réels, ni en tant que ressource stratégique dont jouent les acteurs politiques dans la présentation de soi. Il s’agira bien de privilégier une approche jusqu’alors peu explorée de façon systématique dans les enquêtes de terrain en France ou à l’étranger : celle des réappropriations ordinaires du genre en politique, dans des situations ponctuelles qui seront spécifiées, en dehors des débats militants féministes ou antiféministes. Les interrogations de type méthodologique seront donc également explorées. Dans quelle mesure les appropriations, lectures et interprétations différenciées des pratiques politiques en termes de genre dépendent-elles de contextes d’énonciation (Hamidi, 2006), y compris du contexte instauré par la relation d’enquête (Bargel, Fassin, Latté, 2007) ? Comment analyser la façon dont un citoyen mobilise la variable du genre dans son interprétation du jeu politique sans lui imposer cette problématique ? Comment repérer empiriquement les rapports ordinaires au genre lorsqu’ils ne s’expriment pas ? En mobilisant, par exemple, les outils que nous invite à saisir la démarche ethnographique (Avanza, Fillieule, Masclet, 2015) ?

In political science research on gender, two main themes have been explored so far: first, the question of what gender identities do to political practices (gender as an objective variable), may it refer to political officials or ordinary citizens; second, the construction of strategic identities by politicians. Beyond these two dimensions, a third possible angle of analysis remains little explored: ordinary links to gender in politics. The expression “ordinary links to gender” refers to relations to gender that do not fall within an activist framework supported by a pre-established speech. Typically, feminist or anti-feminist activism is not an “ordinary” but a politically constructed relation to gender. Similarly, a woman asserting that she is “doing politics differently” to be elected is not in an “ordinary” relation to gender: her link to gender is centrally built as a strategic identity. Without denying that these different dimensions can be correlated, this panel takes as a starting point and as a perspective the way that actors mobilize or not, in everyday life, issues related to gender (men/women identities, relations between them, etc.) to build their own relationship to politics, decipher the political game, or appropriate their political role, apart from any political debate specifically related to gender issues (parity, feminization of professions names, etc.).
For example, when ordinary citizens are questioned on their own assessment of their political skills or interpretations of politics, do they mobilize men/women identities to describe them? Is gender a variable that they appropriate to interpret their political attitudes and those of their fellow citizens? Do they decipher the functioning of the political game by raising issues related to gender? When, for political scientists, it is clear that being a man or a woman in politics generates significant consequences, how do citizens perceive it? How do they appropriate (or not), in their daily lives, the speeches on gender uttered within the political sphere, feminist or anti-feminist issues (Albenga, Jacquemart, Bereni, 2015), or else strategic identities performed by a woman playing on the “doing politics differently” register?
Regarding our fellow citizens’ regular links to gender in politics, only punctual surveys exist, that favour recurring standard questions and do not allow thorough analyses of their results. Researches on ordinary links to politics have hardly questioned the way that citizens, in their understanding of politics, mobilize or not questions related to gender and identity relations.
The question of ordinary links to gender in politics also applies to surveys on political activists. Indeed, inspired by the work on ordinary links to politics, one can analyze the possible costs related to the mobilization of gender issues in activism: does the avoidance of these issues refer to a desire not to engender conflict (Hamidi, 2006 Agrikoliansky, 2014, Eliasoph, 1998), for example when women, annoyed by a division of labor in a student activist assembly, do not speak to protest, for fear of causing a conflict or being treated as “feminists”? The sociologist knows about the frequent existence of an implicit gendered division of activist tasks (Fillieule, Roux, 2009). What about for the activists, when these links to gender are central without being an explicit topic of discussion? Is gender an interpretation key of activist practices for the militants themselves? Again, the analyses related to these issues have mainly highlighted the weight of the gender variable from an objective point of view and have not centrally questioned how the militants are taking back (or not) this dimension in order to decipher their own practices, aside from exceptions (for instance, Dunezat, 2007; Avanza, 2009; Meuret-Campfort, 2010; Johsua, 2015).
One sees how these questions related to ordinary links to gender deal with both citizens and activists. But they also deal with political representatives themselves. Apart from situations or debates in which gender is explicitly and centrally present or even staged in political assemblies, some politicians may punctually seize gender issues to support or on the contrary discredit the actions, discourses or beliefs of their political opponents. Thus, a deputy’s refusal to feminize the “chairman” function and accusation of “feminist” as a (woman) minister presents a general policy project is a form of ordinary link to gender. Political actors then try to influence the political power relations (seeking for instance to stigmatize a minister accused of diverting the attention from the general interest) by strategically making use of gender issues where, a priori, the terms of the debate did not let presuppose that they would be mobilized. How can we explain those behaviors?
Under what conditions are these ordinary discourses on gender resources or constraints for those who mobilize them, sometimes reactivating expectations related to “feminity” (Comer, 2015) or “masculinity” to justify activist practices? And what (performative or not) effects do they produce, both in terms of the “gender fabric” (in words and actions) and in terms of structuring elements in the universes within which they are mobilized, in careers or self-definitions? These are some of the central issues that will be addressed in this panel.
Paper presentations will be anchored in current or previous field surveys, read over through the prism of the questions broached in this panel. They will tackle the point of view of citizens, political activists and professional politicians on a national or international scale by not centrally addressing the gender issue in politics as an objective variable producing real effects, or as a strategic resource centrally used by political actors in their self-presentations. This panel will develop an approach hitherto little systematically explored in field surveys in France or abroad: analyzing ordinary links to gender issues in politics, in punctual situations that will be characterized, apart from feminist or anti-feminist debates. Methodological questions will also be broached. To what extent do differentiated appropriations and interpretations of political practices in terms of gender depend on the contexts of enunciation (Hamidi, 2006), including the fieldwork context (Bargel, Fassin, Latté, 2007)? How analyzing the way a citizen mobilizes the gender variable in his interpretation of the political game without imposing this question? How empirically identifying ordinary relations to gender, especially when they are not expressed? By mobilizing, for example, the tools that the ethnographic approach invites us to grasp (Avanza, Fillieule, Masclet, 2015)?

REFERENCES

Albenga V., Jacquemart A., Bereni L. (eds), « Appropriations ordinaires des idées féministes », Politix, 109, 2015.
Avanza M., « Les femmes padanes militantes dans la ligue du nord. Un parti qui “ l’a dure ” » in Fillieule O., Roux P. (eds), Le sexe du militantisme, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 143-165.
Avanza M., Fillieule O., Masclet C., « Ethnographie du genre. Petit détour par les cuisines et suggestions d’accompagnement », SociologieS [On line], La recherche en actes, Ethnographie du genre, put on line on May 26, 2015, consulted on May 1st, 2016. URL: http://sociologies.revues.org/5071.
Agrikoliansky E., « La politisation ordinaire d’une population extra-ordinaire : les électeurs des “ beaux quartiers ” en campagne électorale (2006-2008) », Politix, 106, 2014, p. 135-157.
Bargel L., Fassin E., Latté S., « Usages sociologiques et usages sociaux du genre. Le travail des interprétations », Sociétés & Représentations, 24, 2007, p. 59-77.
Comer C., « Agricultrices ou médiatrices ? Prise en charge “ féminine ” de l’image de la profession et conservatisme agricole », Mouvements, 16 décembre 2015 [On line], URL : http://mouvements.info/agricultrices-ou-mediatrices-prise-en-charge-feminine-de-limage-de-la-profession-et-conservatisme-agricole/#_ftn17.
Dunezat X., « La fabrication d’un mouvement social sexué : pratiques et discours de lutte », Sociétés & Représentations, 24, 2007, p. 269-283.
Eliasoph N., Avoiding Politics : How Americans Produce Apathy in Everyday Life, Cambridge, UK, Cambridge University Press, 1998 (2010 for the French edition, Éviter le politique, Paris, Economia, translated by Camille Hamidi).
Fillieule O., Roux P. (eds), Le sexe du militantisme, Paris, Presses de Sciences Po, 2009.
Hamidi, C., « Eléments pour une approche interactionniste de la politisation. Engagement associatif et rapport au politique dans des associations locales issues de l’immigration », Revue française de science politique, 56 (1), 2006, p. 5-25.
Johsua F., Anticapitalistes. Une sociologie historique de l’engagement, Paris, La Découverte, 2015.
Meuret-Campfort E., « Luttes de classe, conflits de genre »: les ouvrières de Chantelle à Nantes », Savoir/Agir, 12, 2012, p. 43-50.

Introduction par les deux organisatrices de la section thématique (C. Guionnet et B. Lechaux)

Axe 1 / Mobiliser le genre pour décrypter le jeu politique
Présidente de séance et discutante : Emilie Biland

Mickaël Durand (CEE, Science po), Comment le genre politise-t-il les gays et lesbiennes ? Enquête sur la socialisation politique des homosexuel.le.s en France

Sophie Thevenaud (Institute of Political Science, National Sun Yat Sen University, Taiwan) et Emily Pfefer (School of Business and Management and School of Politics and International Relations, Queen Mary University of London, United Kingdom), Stéréotypes de genre dans l’évaluation des candidats politiques à Taiwan

Axe 2 / Les enjeux des mobilisations ordinaires du genre en politique
Présidente de séance et discutante : Christine Guionnet

Virginie Dutoya (CNRS, centre Emile Durkheim à Bordeaux), Saisir les rapports ordinaires au genre dans la construction de la représentativité politique : quels défis méthodologiques ?

Pauline Delage (Université de Lausanne, Centre en Etudes Genre) et Marta Roca I Escoda (Université de Lausanne, Centre en Etudes Genre), Des usages du genre dans la problématisation des violences dans le couple en Suisse romande

Béatrice Damian-Gaillard (Univ. Rennes 1, CRAPE-ARENES) et Eugénie Saitta (Univ. Rennes 1, CRAPE-ARENES), Le genre comme ressource dans les rapports de pouvoir entre journalistes et représentants politiques

Axe 3 / Comprendre l’évitement du genre en politique
Présidente de séance et discutante : Bleuwenn Lechaux

Zoé Haller (Université de Rouen, laboratoire Dysolab), Quelles mobilisations du genre dans les différents contextes de l’activité militante ?

Lucile Ruault (CERAPS, Université de Lille), L’évitement des problématiques de genre en contexte militant : le cas des luttes en mixité pour l’avortement libre dans les années 1970

Conclusion et discussion générale

Mickaël Durand (CEE, Science po)

Comment le genre politise-t-il les gays et lesbiennes ? Enquête sur la socialisation politique des homosexuel.le.s en France
Cette communication aborde la question de l’effet du genre dans la politisation des homosexuel.le.s, plus spécifiquement des lesbiennes. En considérant le genre comme une dimension de la socialisation politique des individus, il s’agit de comprendre les mécanismes sous-jacents à l’effet du genre dans l’affiliation gauche/droite des lesbiennes. La communication montrera d’une part que le genre n’intervient dans la politisation qu’en cas de faible socialisation politique primaire, et analysera d’autre part le rôle du féminisme dans la politisation à gauche de certaines femmes lesbiennes. Le matériau est issu d’un corpus de 90 entretiens de type récit de vie menés avec des individus s’auto-définissant comme gays ou lesbiennes en France. Le regard portera plus spécifiquement sur les trajectoires des 35 femmes lesbiennes, qui sont ou non engagées en association LGBT ou féministe.

How does gender politicize gays and lesbians? Insights on the political socialization process of homosexuals in France
This communication deals with the question of gender in the politicization process of homosexual people, more specifically lesbian women. Considering gender as a dimension of political socialization, the communication analyzes the mechanisms leading to a specific effect of gender in the left/right positioning of lesbians. It shows first that gender has an effect in the individual politicization process only in case of low primary political socialization, and secondly, it analyzes the role of feminism in some lesbians’ leftist positioning. The material comes from 90 interviews with individuals identifying as gay or lesbian in France. The analysis will focus more specifically on the trajectories of the 35 lesbian-identified women, who are involved or not in LGBT or feminist organizations.

Sophie Thevenaud (Institute of Political Science, National Sun Yat Sen University, Taiwan) et Emily Pfefer (School of Business and Management and School of Politics and International Relations, Queen Mary University of London, United Kingdom)

Stéréotypes de genre dans l’évaluation des candidats politiques à Taiwan
Depuis les années 1990, le nombre de femmes en politique n’a cessé d’augmenter partout dans le monde et a atteint son niveau le plus élevé de l’histoire moderne. Cependant, les femmes restent sous-représentées en politique et particulièrement aux plus hauts niveaux de l’exécutif. Alors que toutes les études dans ce domaine attestent que les électeurs usent de stéréotypes de genre lors de l’évaluation des candidats, les chercheurs restent divisés quant au rôle joué par ces stéréotypes dans les succès et les échecs électoraux des candidates. Cette absence de réponse claire appelle à continuer les recherches sur ce sujet. Ce papier veut relancer le débat en apportant des données provenant d’un pays encore non exploré dans ce domaine. En effectuant une enquête expérimentale à Taiwan, ce papier veut enrichir le corpus afin de tenter d’expliquer le rôle que joue le sexe des candidats dans l’évaluation faite par les électeurs. En 2016, les Taiwanais ont élu la première femme Présidente et actuellement, 38% de femmes siègent au Parlement. Cette forte représentation des femmes en politique à Taiwan tendrait à penser que les électeurs taiwanais attribuent maintenant aux hommes et aux femmes politiques les mêmes traits de personnalité et les mêmes compétences. Pourtant, les résultats de notre expérience suggèrent que les électeurs taiwanais usent toujours de stéréotypes de genre lorsqu’ils évaluent des représentants politiques.

Gender Stereotypes in the Evaluation of Political Leaders in Taiwan. Evidence from a Survey Experiment.
Since the 1990s, the number of women politicians has significantly increased in many parts of the world and has reached its highest level in modern history. However women remain outnumbered, especially in high executive levels. Studies that addressed this issue all assessed the existence of gender stereotypes in voter’s evaluation of women candidates. These stereotypes tend to confine women to traditional gender roles and might translate into voter’s reluctance to be represented by a woman. But scholars are divided on the role played by stereotypes in female candidates’ failures or successes. Absence of clear answer about the role of stereotypes appeals for more research on this topic. This paper aims to revive debate on this issue and provide a novel data set within a new country for this line of research. By conducting a survey experiment in Taiwan between February and April 2016, this paper aims to create new data to help explain the role of a candidate’s sex in voters’ evaluation of candidates. In 2016, Taiwan elected its first female President and 38% of the Legislative Yuan members are women. The country ranks in the top 20 for female representation in Parliaments worldwide. The high representation of women in politics in Taiwan tends to suggest that voters would ascribe the same personality traits and competence areas to women and men politicians. However, the experiment suggests that voters still hold traditional gender stereotypes when evaluating political leaders.

Virginie Dutoya (CNRS, centre Emile Durkheim à Bordeaux)

Saisir les rapports ordinaires au genre dans la construction de la représentativité politique : Quels défis méthodologiques ?
Cette présentation porte sur la place des rapports ordinaires au genre dans la construction sociale de la représentation et met en regard trois enquêtes distinctes : la première sur les parlementaires indien.ne.s et pakistanais.es, la seconde sur les candidat.e.s aux élections législatives et présidentielles françaises, la dernière sur les dispositifs participatifs en région parisienne. Par cette mise en regard, il apparaît que la représentation, en tant construction sociale de sujets représentants et d’objets représentés, constitue un site particulièrement propice à l’observation des rapports ordinaires au genre (et vice versa). Par ailleurs, les différences entre les enquêtes en termes de méthodologie (entretiens, étude de documents, observation) et de positionnement de l’enquêtrice (tour à tour identifiée comme étrangère ou locale, étudiante ou jeune mère) permettent de s’interroger sur les outils adéquats pour saisir les rapports ordinaires au genre. Ainsi, si l’ethnographie apparaît souvent comme l’approche idéale, d’autres méthodes peuvent être utilisées avec succès. Par ailleurs, on montrera comment la relation enquêtrice-enquêté.e.s participe de la production des rapports au genre, sans que cela doive nécessairement être considéré comme un biais à minimiser, mais plutôt comme un possible levier et révélateur. Enfin, en comparant les trois enquêtes, cette présentation met en évidence l’importance des rapports ordinaires au genre dans la construction de la représentation politique, notamment parce que le genre permet de signifier et moduler d’autres marqueurs sociaux tels que l’âge, la classe, la caste ou la religion.

Ordinary gender representations and the construction of representativity: Some methodological issues
This presentation looks at the role of “ordinary gender representations” in the social construction of political representation. It relies on three surveys; one on Pakistani and Indian MPs, the second on French candidates to the legislative and presidential 2017 elections, and the third on participatory devices in Paris and its suburbs. This comparison shows that representation, as a social construction of representing subjects and represented objects, is a particularly heuristic site to observe ordinary gender representation (and vice versa). Moreover, the three surveys use different methods (interviews, discourse and content analysis, observation), and imply different positions for the researcher on the field (a foreigner vs a local, a student vs a young mother). This makes it possible to reflect on the adequate tools to grasp ordinary gender representation. It appears that often, ethnography is the ideal approach, yet other methodologies can be successful. Moreover, while the relationship between the researcher and her field participates in the construction of gender norms and representations, this does not need to be treated as a bias that one should minimize, as it can also be an important tool to reveal gender representations. Last, comparing these three studies, this presentation highlights the importance of ordinary gender representations, norms and performances in the construction of political representation, particularly because gender can be used to signify and modulate other social markers such as age, class, caste or religion.

Pauline Delage (Université de Lausanne, Centre en Etudes Genre) et Marta Roca I Escoda (Université de Lausanne, Centre en Etudes Genre)

Des usages du genre dans la problématisation des violences dans le couple en Suisse romande
Étudier les transformations de la définition du problème de la violence conjugale montre comment une pensée en termes de genre est mise en pratique, reformulée ou contestée dans la société. À partir d’entretiens menés avec des acteurs de l’action publique, cette communication éclaire les usages multiples, parfois contradictoires, du terme de genre dans le champ de l’action publique contre les violences conjugales en Suisse romande. On proposera une typologie des usages du genre, fondée sur le discours des acteurs sur les violences, leurs positions institutionnelles et professionnelles ainsi que les types de savoirs mobilisés pour expliquer les liens entre genre et violence.
Le premier usage souligne l’asymétrie quantitative qui structure le phénomène de la violence conjugale, sans relever l’asymétrie qualitative dans le rapport à la violence et dans le contexte où la violence s’exerce. Largement partagée par les acteurs des mondes institutionnel et associatif, cette approche permet de reconnaître le fait que les femmes restent les principales victimes et les hommes les principaux auteurs tout en considérant que le genre serait un facteur de second plan pour comprendre le phénomène des violences conjugales.
Le deuxième type appréhende la dimension socialisatrice du genre pour expliquer les rapports différenciés à la violence ; le genre est toutefois limité à une focale microsociale et s’articule pleinement aux savoirs psychologiques. Enfin, un autre type s’appuie sur les politiques internationales, les données de l’OMS et sur une conception de la violence en termes de santé publique. Le genre est alors entendu comme un facteur de risque parmi d’autres.

The multiple uses of gender. Definitions and definitional struggles around domestic violence in Switzerland
A study of the transformations in the definition of domestic violence shows how the concept of gender is put into practice, reformulated and sometimes contested by a diversity of social actors. Based on interviews with key public policy actors, this presentation highlights the multiple, and even sometimes contradictory, meanings ascribed to gender in the field of public action against domestic violence in francophone Switzerland.
In our research, we set up a typology of the uses of gender based on the actors’ discourse on domestic violence, their professional and institutional positions and the types of knowledge they refer to when explaining the relationship between domestic violence and gender.
This first use we identify emphasizes the gendered quantitative asymmetry that structures the phenomenon of domestic violence, without stressing the qualitative asymmetry in the relationship to violence and in the context in which it occurs. This approach is widely shared by actors who belong to the non-profit and institutional worlds; it reconciles the idea that survivors are mostly women and abusers are mainly men, and the idea that gender is a secondary factor. The second use captures gender socialization and how it shapes different relationships to violence; gender is thus mainly envisioned as a micro-social dimension which is easily articulated to psychological concepts. Finally, the last use stems from the WHO data and is rooted in a public health perspective of interpersonal violence. Gender is perceived as one of many risk factors.

Béatrice Damian-Gaillard (Univ. Rennes 1, CRAPE-ARENES) et Eugénie Saitta (Univ. Rennes 1, CRAPE-ARENES)

Le genre comme ressource dans les rapports de pouvoir entre journalistes et représentants politiques
Notre réflexion a pour point de départ la publication, le 5 mai 2015, d’une tribune dans le quotidien national Libération intitulée « Nous, femmes journalistes politiques et victimes de sexisme… », signée par quarante et une femmes, de façon anonyme pour la majorité d’entre elles. Celle-ci se présente comme une dénonciation du « sexisme  ambiant » et des « habitudes machistes » d’une partie des « élus de la République » qui engendrent « des conditions de travail délicates » pour les femmes journalistes politiques, contraintes de ne pas faire « tout à fait comme [leurs] camarades masculins » dans les relations de « proximité » et le « lien de confiance » qu’elles entretiennent à leurs sources. Ce texte, visant à publiciser les comportements jugés répréhensibles d’élus politiques, invite à nous interroger sur les usages ordinaires du genre dans le rapport de force mouvant qui existe entre journalistes et personnel politique pour la maîtrise du processus de communication politique. Comment le genre est-il utilisé comme clé de lecture du rapport de force entre journalistes et sources politiques par les acteurs impliqués dans le processus de communication politique (journalistes, personnel politique, communicants) ? Comment ces acteurs déconstruisent-ils leur propre rapport au genre dans ces relations d’« associés-rivaux » ? Comment et à quelles conditions mobilisent-ils le genre comme ressource stratégique pour influencer ce rapport de force ? Quels sont les effets de ces usages ordinaires du genre sur les univers, carrières et identités professionnelles de ces acteurs ?

How do ordinary appropriations of gender balance the power relationships between journalists and political sources?
The publication, on 5th May 2015, of a tribune in the national daily newspaper Libération entitled « We, women political journalists and victims of sexism … » and signed anonymously by the most part of forty-one women provides a starting point for our analysis. This text presents itself as a denunciation of the « ambient sexism » and the « macho habits » of the « elected representatives of the Republic » which produce « delicate working conditions » for women political journalists, constrained not to do « Quite like their male colleagues » in the « proximity » relationships and the « bond of trust » they keep with their sources. This text which aims to publicize the behavior considered as reprehensible of some politicians also invites to question the gender ordinary appropriations in the moving balance of power that exists between journalists and political representatives for the control of the political communication process. How is gender used to read the balance of power between journalists and political sources by the individuals involved in the political communication process (journalists, politicians, political advisers)? How do these individuals deconstruct their own relationship to gender in these « partners-competitors » relationships? How and under what conditions do they use gender as a strategic resource to influence this balance of power? How do ordinary gender appropriations impact professional spaces, carriers and identities?

Zoé Haller (Université de Rouen, laboratoire Dysolab)

Quelles mobilisations du genre dans les différents contextes de l’activité militante ?
Dans le cadre de cette communication, je propose d’étudier de quelles manières le genre est mobilisé par les militant·e·s dans les différents contextes du travail syndical. J’appuierai mes propos sur une enquête réalisée auprès de la FSU et de quatre syndicats de l’enseignement primaire et secondaire rattachés à cette fédération : le SNUIPP (Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs d’écoles et PEGC), le SNES (Syndicat national des enseignants du second degré), le SNUEP (Syndicat national unitaire de l’enseignement professionnel) et le SNEP (Syndicat national de l’éducation physique de l’enseignement public). Nié ou minimisé aux niveaux les plus élevés des instances syndicales, le genre peut être mobilisé ponctuellement par les mêmes militant·e·s, en tant que clef de lecture de l’organisation du travail syndical, notamment dans le quotidien de l’activité syndicale et dans les lieux régis par des normes organisationnelles peu contraignantes. Observer l’activité militante dans différents contextes et à différents niveaux des structures syndicales a permis de saisir les rapports mouvants que certain·e·s militant·e·s entretiennent avec le genre et de mettre en regard les pratiques ordinaires avec les discours portés lors des moments de représentations que sont souvent les situations d’assemblées.

How gender is mobilized in the different contexts of the militant activity?
In this paper, I propose to study how gender is mobilized by activists in the different contexts of union work. My analyze is based on a qualitative research carried out in four trade unions of primary and secondary school from the FSU (Fédération Syndical Unitaire): the SNUIPP (Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs d’écoles et PEGC), the SNES (Syndicat national des enseignants du second degré), the SNUEP (Syndicat national unitaire de l’enseignement professionnel) and the SNEP (Syndicat national de l’éducation physique de l’enseignement public). If gender can be denied or minimized at the highest levels of trade union structures, it can be mobilized from time to time by the same militants, as a key to the interpreting of the trade union organization, especially in the daily activities. Observing the activist activities in different contexts and at different levels of trade union structures has enabled us to mirror relationships that some activists have with gender in their ordinary practices with speeches made during moments of representations such as congresses or meetings.

Lucile Ruault (CERAPS, Université de Lille) 

L’évitement des problématiques de genre en contexte militant : le cas des luttes en mixité pour l’avortement libre dans les années 1970
Emblématique de la cause des femmes, la lutte pour l’avortement repose pourtant sur un nombre conséquent d’activistes dépourvu×es d’adhésion préalable au féminisme. La faible politisation des rapports de sexe dans les réalités militantes ordinaires est patente au sein du Mouvement pour la liberté d’avortement et de la contraception (MLAC), dont la mixité est tenue pour une propriété distinctive par rapport au MLF. À propos des rapports de séduction, de la prééminence des hommes dans la stratégie politique, de leur rôle de référents techniques, etc., la non contestation de pratiques masculines relève tantôt de la cécité, tantôt de l’évitement. En partie en raison de l’inégale répartition des ressources symboliques et matérielles, problématiser le genre des pratiques militantes semble trop coûteux.
Dans des « MLAC dissidents » (perdurant après la loi Veil), les hommes sont en définitive « invités » à partir. Mais même dans cette situation où les rapports de sexe sont centraux, les militant×es tendent à éluder l’affrontement sur les logiques patriarcales, à les faire disparaître sous une lecture individuelle ou d’autres antagonismes (expert/non experte). Le genre de cet impensé, dans les récits rétrospectifs, invite aussi à une réflexion méthodologique.
Grâce à un riche matériau empirique (entretiens et archives), il s’agit de retracer la manière dont les militant×es, alternativement, contournent ou mobilisent des interprétations de genre pour déchiffrer les rapports de forces internes et les pratiques différenciées.

Avoiding gender issues in mixed-sex groups struggling for abortion in the 1970s
Activism for abortion, though emblematic of women’s struggle, is based on a large number of activists without prior commitment to feminism. The low politicization of gender relations is evident in the MLAC groups (the Movement for the Liberation of Abortion and Contraception), where men’s involvement is often considered to be a distinctive property compared to some repellent feminist modes of activism. The absence of contestation of male practices – about seduction, their prominent role in political strategy, gender differences in technical skills, etc. – is a matter either of blindness, or of avoidance. Partly due to the unequal distribution of resources between men and women, it appears that problematizing and challenging gender-based hierarchies is very uneasy.
In some “dissenting MLAC” (those remaining after the Veil law), men are eventually “invited” to leave. Yet even in this situation where gender relations come to the fore, activists tend to avoid confronting the issue, or, more precisely, to sweeten it with individual approaches or with other antagonisms (medical/non-medical). Moreover, gender differences in retrospective interviews imply a few methodological remarks.
Using interviews and archives, I’ll examine how activists circumvent, or alternatively mobilize gender interpretations in order to decipher power mechanisms and differentiated practices.

Mardi 11 juillet 2017 9h00-13h00

BILAND Emilie emilie.biland@univ-rennes2.fr
DAMIAN-GAILLARD Béatrice beatrice.damian@univ-rennes1.fr
DELAGE Pauline pauline.delage@unil.ch
DURAND Mickaël mickael.durand@sciencespo.fr
DUTOYA Virginie v.dutoya@sciencespobordeaux.fr
GUIONNET Christine christine.guionnet@univ-rennes1.fr
HALLER Zoé zoe.haller@hotmail.fr
LECHAUX Bleuwenn bleuwenn.lechaux@univ-rennes2.fr
PFEFER Emily e.d.pfefer@qmul.ac.uk
ROCA I ESCODA Marta martarocaescoda@unil.ch
RUAULTLucile lucile.ruault@yahoo.fr
SAITTA Eugénie eugenie.saitta@univ-rennes1.fr