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Militer dans les médias

Mobilizing in the Media

Responsables scientifiques
Benjamin Ferron (Département de communication politique et publique, Université Paris-Est Créteil, CEDITEC) benjamin.ferron@u-pec.fr
Erica Guevara (UFR Culture et Communication, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, CEMTI) erica.guevara@univ-paris8.fr

Initiées dans les années 1970, les recherches sur la communication médiatique des mouvements sociaux et de l’action collective font l’objet d’un intérêt renouvelé, en particulier depuis le déclenchement des « révolutions arabes » et des nombreuses mobilisations des années 2010 (Anonymous, Indignados, Occupy Wall Street…) qui ont eu recours aux technologies du Web pour appeler à l’action et sensibiliser à leurs « causes ». L’abondante production académique internationale sur ces mobilisations gagnerait toutefois à explorer des questions essentielles du point de vue des sciences sociales du politique : les conditions socio-historiques de possibilité et de légitimation politique de ces pratiques militantes de communication médiatique ; les processus de division, de différenciation et de hiérarchisation du travail politique et médiatique à l’intérieur et entre les organisations du mouvement social ; l’étude prosopographique des agents qui, tels les « médiactivistes » sont investis parfois durablement dans les enjeux d’information et de communication et en retirent des rétributions spécifiques.
De nombreux travaux se sont efforcés, en France notamment, d’adopter une approche sociologique analysant la complexité des relations d’« associés-rivaux » entre les médias de masse et les mouvements sociaux. D’autres travaux se sont particulièrement intéressés à la professionnalisation des services de communication des organisations militantes, ou au rapport des journalistes à l’engagement dans des organisations syndicales et associations professionnelles. Cependant, peu d’études ont mobilisé l’appareillage conceptuel et méthodologique de la sociologie politique pour analyser de façon relationnelle et critique ces formes de militantisme qui opèrent non seulement « par » et « pour » les médias (Patrick Champagne) mais également, de part en part, « dans » les médias. On pensera ici à l’essor depuis les années 1970 de la presse parallèle et underground, des radios libres et communautaires, des télévisions pirates et associatives ou plus récemment des formes multiples de « webactivisme ».
L’objectif de cette section thématique est donc de participer à renouveler l’analyse des différents répertoires d’intervention médiatique et de construction militante des problèmes publics par les médias, et d’ouvrir une réflexion théorique et méthodologique sur leurs processus de production, de diffusion et de légitimation. De nombreuses recherches récentes sur les rapports entre médias et mobilisations collectives ayant été réalisées sur des terrains non-européens, nous privilégions également une perspective comparative, soit à travers la comparaison de cas, soit en mobilisant des notions de la sociologie politique sur de nouveaux terrains.

Les communications s’articuleront autour des trois axes suivants :

Axe 1 : Trajectoires et multi-positionnement des militants des médias
Quelles sont les conditions sociales d’accès, d’usage et d’appropriation des instruments de médiatisation, notamment numériques, dont se saisissent les acteurs d’une action collective ? Peut-on parler d’une spécificité des trajectoires de ces agents, de « carrières de médiactivistes » ? Quelles propriétés sociales (genre, génération, profession, socialisation) prédisposent à s’investir dans ce militantisme et permettent ou non de s’y positionner ? Quels rapports entretiennent ces individus avec les différents univers sociaux (journalisme, associations, syndicats, partis, élus, fonctionnaires, artistes, informaticiens…) où ils interviennent ? Dans quelle mesure sont-ils susceptibles de reconvertir, dans ce militantisme, les capitaux accumulés dans d’autres activités, ou inversement de mobiliser les savoirs et savoir-faire acquis dans ces pratiques militantes dans d’autres espaces, notamment professionnels ? Comment étudier plus spécifiquement les trajectoires des « militants en ligne » ?

Axe 2 : Pratiques et ressources organisationnelles des médias et des dispositifs de communication militante
Quelles sont les propriétés internes des médias et des dispositifs de la communication militante ? Quelles sont les pratiques des « journalistes des mouvements sociaux » ? Quelles sont les contraintes spécifiques, par exemple techniques, économiques ou rédactionnelles auxquelles doivent faire face les agents ? Quelles routines de production et de diffusion sont susceptibles d’émerger de leur travail quotidien ? Quelles croyances et mythologies sont partagées par ces acteurs et comment s’expriment les éventuelles dissensions internes ? Quelles dynamiques organisationnelles émergent dans les formes de « cyberactivisme », ou lorsque les réseaux sociaux font l’objet d’un usage militant ? Quelles recompositions de la division du travail militant produit l’investissement dans les enjeux de communication ? L’objectif est ici d’ouvrir la « boite noire » des dispositifs et des organisations, de saisir au plus près, en particulier par l’observation ethnographique, l’entretien et l’usage d’archives internes, le détail des interactions entre acteurs et leurs implications pour l’ensemble du travail de mobilisation.

Axe 3 : Les médias des mouvements sociaux comme entrepreneurs de problèmes publics
Quels sont les effets des stratégies communicationnelles déployées par les organisations de mouvement social pour influencer les pouvoirs publics ou les médias ? Dans quelle mesure le répertoire de communication médiatique des mouvements sociaux est-il redevable des transformations internes des champs politique et journalistique ? Peut-on parler d’une autonomisation du répertoire d’intervention médiatique, qui conduirait à mobiliser pour des problèmes publics spécifiques portant sur la critique des médias, la démocratisation du système médiatique ou la promotion de médias « alternatifs » ? Quelles sont les conséquences de cette éventuelle autonomisation pour les formes de mobilisation plus « traditionnelles » ? On s’intéresse ici notamment aux réactions d’adaptation et/ou de rejet des organisations de mouvement social face aux répertoires de mobilisation médiatique et aux revendications particulières que portent leurs militants.

After the outbreak of the « Arab Spring » and the numerous mobilizations such as Anonymous, Indignados, Occupy Wall Street…, which have used new digital technologies to call for action and increase public awareness on political issues, there has been a renewed interest in academic researches on the communication of social movements and collective action by the media. However, the rich international literature on these protests would gain from exploring crucial questions raised by political sociology: the socio-historical conditions of possibility and legitimacy of this media-centered political activism; the processes of division, differentiation and prioritization of the political and media work, within and between social movement organizations; the prosopographical study of agents who, like « media-activists », are sometimes lastingly invested in communication and information issues and reap specific benefits from this investment.
Many studies have tried to adopt a sociological perspective to analyze the complex « associates-competitors » relationships between the mass media and social movements. Others have focused on the professionalization of communication services of activist organizations, or the activist commitment of journalists in trade unions or professional associations. However, few studies have used the conceptual and methodological apparatus of political sociology to analyze, from a relational and critical point of view, these forms of activism which don’t operate only « through » or « for » the media (Patrick Champagne) but also fully « in » the media. We think about the rise, since the 1970s, of the parallel and underground press, free and community radio, pirate or non-for-profit television channels or, more recently, multiple forms of “web activism”.
The aim of this thematic section is thus to participate to a renewal of the analysis of the different media repertoires and the activist construction of public problems, and to open a theoretical and methodological reflection on the processes of production, diffusion and legitimization of social movements media. Numerous recent researches dedicated to the study of media and collective actions have been made on non-European fieldworks. The section will give a special attention to comparative approaches, comparing case studies or exporting concepts from the political sociology field on new cases.
The contributions will address the following interrelated issues:
– Career paths and multi-organizational positions of media activists
– Practices and organizational resources of activists’ media and communication devices
– Social movement media as entrepreneurs of public problems

REFERENCES

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Benjamin Ferron (Université Paris-Est Créteil, CEDITEC EA 3119), Erica Guevara (Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, CEMTI EA 3388), Militer dans les médias : introduction de la section thématique

Axe 1/ Trajectoires et multi-positionnement des militants des médias

Denis Ruellan (Université Paris-Sorbonne Paris IV, École des hautes études en sciences de l’information et de la communication-Celsa), ThiNgocNhung Tran (Can Tho University, Vietnam), Des reporters-soldats nord-vietnamiens lors de la guerre d’indépendance.

Sandrine Lévêque (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Centre Européen de Sociologie et de Science Politique-CESSP UMR 8209, CNRS), Engagement politique et engagement professionnels au tournant des années 1970 et 1980 (les expériences de F. Magazine et Histoires d’Elles)

Discussion des papiers par Nicolas Kaciaf et Mayada Madbouly

Axe 2/ Pratiques et ressources organisationnelles des médias et des dispositifs de communication militante

Ivan Chupin (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, Printemps UMR 8085, CNRS) & Pierre Mayance (Paris I Panthéon Sorbonne, Centre Européen de Sociologie et de Science Politique-CESSP UMR 8209, CNRS), Une presse syndicale au défi de sa professionnalisation. Journalistes et militants dans les médias agricoles.

Marta Roca i Escoda (Université de Lausanne, Institut des sciences sociales, Centre en études genre), Le processus de professionnalisation des sources. Le cas des actions médiatiques de l’association catalane Familles Lesbiennes et Gaies.

Thomas Posado (Université Paris-VIII, Centre de Recherches Sociologiques et Politiques de Paris-CRESPPA-CSU UMR 7217, CNRS), Le média comme « organisateur collectif » : le cas de revolutionpermanente.fr.

Discussion des papiers par Sandrine Lévêque, Denis Ruellan et ThiNgocNhung Tran

Axe 3/ Les médias « engagés » comme entrepreneurs de problèmes publics

Mayada Madbouly (Université Paris Ouest Nanterre la Défense, Institut des Sciences sociales du Politique-ISP UMR 7220, CNRS), Les e-Nubiens : devenir cyberactivist en Egypte post-2011.

Nicolas Kaciaf (Institut d’Etudes Politiques de Lille, Centre d’Études et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales-CERAPS UMR 8026, CNRS), Quand la possible victoire du FN « inquiète » La Voix du Nord. Conditions et limites d’un engagement médiatique sur la scène électorale.

Discussion des papiers par Ivan Chupin, Pierre Mayance et Marta Roca i Escoda

Denis Ruellan (Université Paris-Sorbonne Paris IV, École des hautes études en sciences de l’information et de la communication-Celsa), ThiNgocNhung Tran (Can Tho University, Vietnam)

Des reporters-soldats nord-vietnamiens lors de la guerre d’indépendance
Pendant la seconde phase de la guerre d’indépendance du Vietnam (1964-1975), de nombreux journalistes nord-vietnamiens ont rapporté sur les événements en partant de la capitale du Nord, Hanoi. Leur rôle est méconnu. Plus de 400 seraient morts, soit près du triple des journalistes étrangers et locaux travaillant depuis la capitale du Sud, Saigon, dont le rôle et l’action ont été déjà étudiés. Les auteurs de cette communication ont réalisé dix-huit entretiens de reporters impliqués. Ils s’appuient aussi sur des livres autobiographiques. Ils étudient leurs motivations, pratiques, conditions de travail et trajectoires. Ces reporters étaient des employés de médias, en particulier de l’Agence vietnamienne d’information, organe gouvernemental. L’engagement de tous ces reporters était double : être journaliste était leur manière de participer au mouvement d’indépendance, ils se considéraient comme des « journalistes combattants » ou des « soldats du coude », ils portaient une arme pour se défendre et combattre si nécessaire. Les auteurs étendent leur regard à d’autres reporters qui partaient en zone de guerre dans de cadre des « brigades de choc ». Ils participaient à la propagande et à l’animation culturelle des soldats et des populations rurales dans les zones de guerre.

North Vietnamese soldiers-reporters during the war of independence
During the second phase of the independence war of Vietnam (1964-1975), many Vietnamese journalists in the North of Vietnam started to report the events from the capital of the North, Hanoi. More than 400 died, approximately triple the number of foreign and local journalists working from the southern capital, Saigon. The North journalists’ roles have been unknown while the foreign journalists’ roles and actions have already been studied. In this report, the authors conducted eighteen interviews with the involved Vietnamese reporters and also relied on autobiographical books to study their motivations, practices, working conditions and trajectories. These reporters were media employees. In particular, most of them worked for the Vietnam News Agency, a governmental organ. The commitment of these reporters was double: to be journalist was their way to participate in the independence movement, they considered themselves as « soldier journalists » or « elbow soldiers », they carried a weapon to defend and fight if necessary. The authors extend their views to other reporters who went to war zones in the framework of « shock brigades ». This force participated in the propaganda and cultural activities with the soldiers and the rural people in the war zones.

Sandrine Lévêque (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Centre Européen de Sociologie et de Science Politique-CESSP UMR 8209, CNRS)

Engagement politique et engagement professionnels au tournant des années 1970 et 1980 (les expériences de F. Magazine et Histoires d’Elles)
L’histoire des mouvements féministes est indissociable de l’histoire des journaux qui l’ont porté et accompagné. Supports de revendications politiques, nombre de journaux féministes ont permis la féminisation du groupe journalistique et ont été des espaces de discussion des normes professionnelles. Des femmes telles Marguerite Durand ou Benoîte Groulte, journalistes et militante ont ainsi lutté sur deux tableaux : celui de la cause des femmes et celui plus spécifique de la cause journalistique, entremêlant les deux combats. Nous aimerions revenir dans cette communication sur deux expériences singulières menées au tournant des années 70 et 80 – celle de F. Magazine et celle d’Histoires d’Elles– pour montrer comment s’imbriquent engagements militants et engagements professionnels. A partir d’une analyse des projets éditoriaux des deux titres ainsi que des trajectoires sociales et professionnelles de celles qui les animent, nous montrerons que ce double combat, féministe et journalistique peut-être rapporté aux trajectoires personnelles et professionnelles des journalistes porteuses de ces projets.

Political Commitment and Professional Commitment in the early 1980s’: the experience of two feminist newspapers, Histoire d’Elles and F. Magazine.
The history of feminist movements cannot be dissociated from the history of the newspapers that carried and accompanied it. Supports of political demands, some of feminist newspapers enabled the feminization of journalistic group and were spaces to discuss professional standards. Women, as Marguerite Durand or Benoîte Groulte, journalists and activists have struggled on two tables: one is the “cause of women” and the other one, more specific, is the journalistic cause, intermingling this two battles. We would like to study, in this communication, two singular experiences: the one of F. Magazine and the one of Histoires d’Elles, two feminist newspapers published in the early 1980s’- to show how political commitments and professional commitments are interacted. Based on a content analysis of the two title’s editorial projects and on a biographical analysis of the women who support this projects, our survey shows that feminist and journalistic struggles can be related to the personal and professional path of these (women) journalists.

Ivan Chupin (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, Printemps UMR 8085, CNRS) & Pierre Mayance (Paris I Panthéon Sorbonne, Centre Européen de Sociologie et de Science Politique-CESSP UMR 8209, CNRS)

Une presse syndicale au défi de sa professionnalisation. Journalistes et militants dans les médias agricoles
Cette contribution revient sur un cas particulier de militantisme « dans » les médias qui est celui des journaux syndicaux dans le secteur agricole en France. Le champ est aujourd’hui structuré par cinq organisations syndicales qui disposent chacune de leur titre. Cette presse syndicale s’inscrit dans le temps long, dans une forme consolidée de militantisme, mais aussi dans un espace journalistique particulier, celui d’une presse professionnelle agricole très abondante. Notre propos ici est d’interroger les ressources organisationnelles ainsi que les trajectoires biographiques et les pratiques de ces journalistes afin de réfléchir à la question déjà anciennement posée de l’articulation en tensions du militant et du professionnalisme. Ces titres ne sont pas homogènes politiquement. Si certains journaux appartenant aux forces syndicales les plus dominantes ont intensifié le recours à des « professionnels » davantage issus du monde journalistique, d’autres privilégient au contraire la participation à l’écriture des agriculteurs-adhérents. Si les premiers ont entrepris de désyndicaliser le contenu de leurs journaux pour en faire des supports de communication à destination d’un public plus large, les seconds veillent à diffuser un message plus politisé à destination de leurs adhérents. On examinera comment cette tension entre le militant et le « professionnel » peut se traduire dans le choix de certains traitements médiatiques à caractère moins « politiques » et plus « sociétaux ».

Professionalization of an Union Press. Journalists and Activists in Agricultural Media
This contribution focuses on a specific case of activism « in » the media, the farmers’ union press in the agricultural sector in France. The union field is structured by five organisations which own at least one title. This union press has a long history, path with activism, but also in a specific journalism space: a numerous agricultural press. We analyse organizational resources, the career paths and practices of those “journalists” in order to question the articulated tension between activism and journalist professionalism. This agricultural union press are not politically homogenous. If the titles which belong to the strongest farmers’ union have increasingly hired professionals from the journalism field, the others have favoured the participation in writing of the unionist farmers. If the first have initiated a decline of the unionism editorial line to communicate to a broader public, the second focus on keeping a politicised message to their union members. This tension between activist and professional could initiate a less political and more societal media handling.

Marta Roca i Escoda (Université de Lausanne, Institut des sciences sociales, Centre en études genre)

Le processus de professionnalisation des sources. Le cas des actions médiatiques de l’association catalane Familles Lesbiennes et Gaies.
L’évolution des luttes des mouvements homosexuels de ces trois dernières décennies montre que celles-ci impliquent le plus souvent des demandes adressées à l’Etat et mobilisent le droit. Pour illustrer ces nouvelles dynamiques, nous allons présenter une étude de cas sur l’histoire des actions et mobilisations de l’association catalane Familles Lesbiennes et Gaies (FLG) visant la reconnaissance des familles homoparentales. Pour ce faire, nous allons traiter des formes que prennent aujourd’hui les luttes pour la reconnaissance, en lien avec l’action collective et la question de la visibilisation, à travers les interactions que cette association a entamé avec la scène médiatique.

The process of professionalization of sources. The case-study of media actions of the catalan association FLG
The evolution of the gay rights movement’s struggles during the last three decades shows that these have often involved addressing demands to the state and using the law. The history of the actions and mobilizations of the Catalan organization Lesbian and Gay Families is a good case-study for highlighting these new dynamics. In this article, I will look at the different forms taken by the struggle for recognition, in terms of collective action and the issue of visibility, by focusing on the interactions between this organization and the media.

Thomas Posado (Université Paris-VIII, Centre de Recherches Sociologiques et Politiques de Paris-CRESPPA-CSU UMR 7217, CNRS)

Le média comme « organisateur collectif » : le cas de revolutionpermanente.fr
Le site www.revolutionpermanente.fr a été créé en juin 2015. En un peu plus d’un an, avec un noyau militant relativement réduit (une centaine de personnes), il s’est imposé comme un média militant de premier plan dépassant les 600 000 visites mensuelles. Le développement de ce site internet constitue une transformation majeure pour le Courant Communiste Révolutionnaire (CCR), à l’initiative de ce projet, au sein du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA). Le passage à une mise à jour quotidienne et l’utilisation de nouvelles techniques de communication telles que la vidéo constitue une mutation du mode de fonctionnement militant et de l’audience de son discours politique. La construction de ce site part du constat du développement de sites aux orientations politiques xénophobes capitalisant une audience importante. Les militants à l’origine de www.revolutionpermanente.fr veulent ainsi diffuser « l’information du bon côté de la barricade », en s’appuyant, comme leurs opposants d’extrême-droite, sur la viralité de l’information sur les réseaux sociaux. Les concepteurs du site entendent dépasser ce qui peut constituer un paradoxe entre d’une part, un courant politique fidèle aux classiques du marxisme, imaginant son média comme « organisateur collectif » dans la lignée léniniste et l’utilisation de toutes les possibilités des nouvelles techniques de communications, ce qu’ils appellent un « léninisme 2.0 ». Cette communication est basée sur des observations du fonctionnement de ce média militant, des entretiens avec les concepteurs et les militants qui font vivre le site ainsi qu’une analyse des informations produites sur le site complétée par une étude de l’évolution de l’audience du site à partir des outils classiques de type Alexa.

The media as « collective organizer »: the case of revolutionpermanente.fr.
The site www.revolutionpermanente.fr was created in June 2015. In just over a year, with a relatively small militant nucleus (a hundred people), it has established itself as a prominent activist media with more than 600,000 monthly visits. The development of this website constitutes a major transformation for the Communist Revolutionary Movement (CCR), at the initiative of this project, within the New Anti-Capitalist Party (NPA). The transition to a daily update and the use of new communication techniques such as video represent a change in the militant mode of operation and the audience of his political discourse. The construction of this site starts from the observation of the development of sites with xenophobic political orientations capitalizing a significant audience. The activists at the origin of www.revolutionpermanente.fr want to disseminate « information on the right side of the barricade », relying, like their opponents of extreme right, on the virality of information on social networks. The designers of the site intend to go beyond what can constitute a paradox between a political current faithful to the classics of Marxism, imagining its media as a « collective organizer » in the Leninist lineage and using all the possibilities of new techniques of what they call a « Leninism 2.0 ». This communication is based on observations of the functioning of this militant media, interviews with the designers and activists who support the site as well as an analysis of the information produced on the site completed by a study of the evolution of the audience of the site from the classic Alexa tools.

Mayada Madbouly (Université Paris Ouest Nanterre la Défense, Institut des Sciences sociales du Politique-ISP UMR 7220, CNRS)

Les e-Nubiens : devenir cyberactivist en Egypte post-2011
Le soulèvement arabe a offert aux sciences sociales un terrain fertile pour analyser comment militer dans les médias. Ainsi, le cas égyptien nous semble intéressant dans la mesure où il montre comment se mobiliser dans les réseaux sociaux pourrait contribuer au changement dans les politiques publiques. Ce cas pose la question de l’émergence d’un nouveau répertoire d’action dans la sociologie de l’action collective. En travaillant sur le cas égyptien, nous allons mettre l’accent dans cette communication sur le mouvement protestataire (numérique) des Nubiens, un groupe ethnique disposant d’une mémoire collective liée à quatre déplacements forcés, suite à la mise en œuvre d’une politique présidentielle remettant en cause des droits acquis aux Nubiens par la Constitution. Dans un contexte politique caractérisé par la répression politique, et surtout après la mise en œuvre de la loi sur les manifestations, le coût du militantisme a augmenté. C’est pourquoi une nouvelle stratégie de militantisme a été adoptée pour s’opposer au gouvernement, où les réseaux sociaux ont joué un rôle primordial. Ainsi, en analysant les différents hashtags partagés par les militants, cette communication va s’interroger sur le rôle des réseaux sociaux comme des dispositifs de communication permettant à toute personne de prendre part d’une action collective précise. Après avoir enquêté sur cette mobilisation, deux questions ont surgi. Comment les réseaux sociaux ont contribué à la construction d’une action connective au sein d’une génération précise s’auto-distinguant des générations précédentes? Outre cela, comment le cyberactivisme – accusé du slaktivisme – pourrait être considéré comme un des outils de résistances dans les contextes politiques autoritaires, en créant des chaînes alternatifs pour militer ?

The e-Nubians: becoming a cyberactivist in post 2011 Egypt
The Arab Uprising offered a fertile field for social sciences scholars to highlight the activism in the Media. The Egyptian case shows us how activism in social Media might change the public policies. Thus, a new repertoire of action emerged in the sociology of collective action. By working on the Egyptian case, we will emphasize in this paper the numeric protest movement led by Nubians (an ethnic group having a collective memory related to their four forced displacements) after the announcement of a presidential policy contradictory to the rights given to Nubians in the Constitution. In a political context characterized by political repression, especially after the promulgation of the protest law, the cost of activism increased. That is why a new strategy of activism was adopted by Nubians to oppose the government, where social Media plays a primordial role. Thus, by analyzing the different hashtags, this paper will examine the role of social Media as communication tools enabling anyone to take part in a specific collective action. By examining this mobilization, two questions arise: how have these hashtags contributed to the construction of a connective action within a specific generation distinguishing itself from the previous generations? Moreover, how cyberactivism – accused of slaktivism – could be considered as one of the mechanisms of resistance in authoritarian contexts, by creating alternative chains to militate.

Nicolas Kaciaf (Institut d’Etudes Politiques de Lille, Centre d’Études et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales-CERAPS UMR 8026, CNRS)

Quand la possible victoire du FN « inquiète » La Voix du Nord. Conditions et limites d’un engagement médiatique sur la scène électorale
Les 31 novembre et 1er décembre 2015, La Voix du Nord prend explicitement position contre le Front National à l’occasion des élections régionales. Suscitant de violentes réactions de la part du FN, cet engagement bénéficie d’une singulière mise en valeur par les médias nationaux. Sa saillance tient à son caractère exceptionnel dans une PQR qui revendique habituellement sa neutralité face aux luttes partisanes. Les lecteurs ont perçu ce caractère extraordinaire, au regard du volume de courriers reçus et de la vigueur des investissements émotionnels pour féliciter le journal ou marquer son indignation. L’ampleur de ces réactions invite à se pencher sur cet événement au cours duquel se reconfigure le rôle d’un journal local vis-à-vis de la compétition politique et vis-à-vis de son lectorat. Reposant sur la réalisation d’entretiens avec différents membres de la direction et sur l’exploitation de l’ensemble des courriers reçus par le journal, l’enquête vise à analyser cet engagement comme une épreuve, en étudiant les logiques qui ont amené les dirigeants à adopter un parti pris qui n’allait pas de soi, puis en examinant les arguments échangés pour brocarder ou justifier ce parti pris. Mettant en jeu de nombreuses dimensions de l’activité journalistique en locale, ce cas permet d’identifier l’espace des possibles rédactionnels pour un quotidien omnibus, ainsi que les conditions d’un éventuel déplacement des frontières de cet espace.

When the possible victory of the FN worries La Voix du Nord. Conditions and limits of a journalistic commitment
On November 31st and December 1st, 2015, La Voix du Nord explicitly takes a stand against the National Front during the regional elections. Arousing violent reactions from the FN, this commitment became newsworthy on the national media. This interest is the consequences of its exceptionality in a PQR which usually claims its political neutrality. The readers also perceived that it was an extraordinary involvement, with regard to the volume of mails and the importance of the emotional investment to congratulate the newspaper or mark its indignation. The scale of these reactions invites to deal with this event which changed the role of a local newspaper towards the political competition and towards its readership. Based on interviews with members of the direction and on the analysis of all the written or electronic mails received by the newspaper, the investigation aim at analyzing this commitment as a sociological challenge, by studying the logics which brought the leaders to adopt a bias which was not obvious, then by examining the arguments exchanged to criticize or justify this bias. Involving numerous dimensions of journalistic activity, this case allows identifying the space of the editorial possibilities for a regional newspaper, as well as the social conditions of the changes beyond the borders of this space.

Mardi 11 juillet 2017 9h00-13h00

CHUPIN Ivan chupinivan@yahoo.fr
FERRON Benjamin benjamin.ferron@u-pec.fr
GUEVARA Erica erica.guevara@univ-paris8.fr
KACIAF Nicolas kaciaf@yahoo.fr
LEVEQUE Sandrine sandrine.leveque882@orange.fr
MADBOULY Mayada mayada.madbouly@gmail.com
MAYANCE Pierre mayancep@gmail.com
PSADO Thomas thomas.posado@gmail.com
ROCA I ESCODA Marta marta.roca.escoda@gmail.com
RUELLAN Denis denis.ruellan@celsa.paris-sorbonne.fr
TRAN ThiNgocNhung ttnnung@ctu.edu.vn