le portail de la science politique française
Responsables scientifiques
Matthieu Ansaloni (LaSSP/Sciences-po Toulouse, CED/Sciences-po Bordeaux) matthieuansaloni@yahoo.fr
Antoine Roger (CED/Sciences-po Bordeaux) a.roger@sciencespobordeaux.fr
Dans un texte intitulé « Capitalism strikes back. Why and what consequences for social sciences ? », Robert Boyer (2007) notait un vif regain d’intérêt académique pour l’étude du capitalisme – à distinguer des évolutions communément regroupées sous le vocable « néo-libéralisme ». Les années 1990 marquaient selon lui un tournant auquel la science politique a contribué : en rupture avec les schémas d’analyse qui mettaient l’accent sur des logiques de dépendance internationale (Wallerstein, 1979), quelques politistes anglophones ont formulé des thèses retentissantes. Peter Hall et David Soskice ont notamment ouvert un débat sur les variétés nationales de capitalisme (Hall, Soskice, 2001) en combinant les clés de lecture de l’économie institutionnelle (stratégies des firmes) et du néo-institutionnalisme historique (dépendance au sentier). À quelques exceptions près, la science politique hexagonale est restée à l’écart des discussions engagées sur cette base. La situation ne laisse pas d’étonner. La forme sociale que désigne le capitalisme est en effet à l’origine de questionnements sur les principaux objets de la discipline : la démocratie (Streeck, 2014), l’État (e.g. Levy, 2006), les organisations partisanes et les comportements électoraux (e.g. Bermaendi et al, 2015), les élites (Van Apeldoorn, 2003 ; Robinson, 2004) ou bien encore les mouvements sociaux (Sklair, 1995 ; Buechler, 2000). En France, l’étude du capitalisme, largement délaissée, est principalement le fait d’économistes proches de Robert Boyer, ou bien de chercheurs en sociologie et en science de gestion qui se sont intéressés aux critiques du capitalisme et à leur neutralisation (Boltanski, Chiapello, 1999), sans considérer les modes d’organisation et les rapports de force qui permettent une accumulation du capital (Du Gay, Morgan, 2013).
Dans ce contexte, la section thématique proposée vise à encourager et à mutualiser les travaux de politistes francophones sur le capitalisme. Notre ambition n’est pas de participer à l’importation d’un courant développé dans la recherche anglophone, mais plutôt de nourrir une réflexion critique sur les travaux de science politique qui portent sur le capitalisme, de façon à contribuer à terme au débat académique international. Dans notre perspective, le capitalisme implique l’économie de marché, mais se distingue de la « petite économie marchande » (selon l’expression classique de Karl Marx) par l’insertion du capital dans le processus de production. Ce premier critère permet d’appréhender le capitalisme comme un ordre social – et donc comme une production politique. Pour gagner en précision, cinq rapports sociaux institutionnalisés peuvent encore être distingués (Boyer, 2015) : une économie capitaliste est modelée par le régime monétaire en place, la forme de la concurrence, la forme de l’État, le rapport salarial en vigueur et l’insertion dans les échanges internationaux. Si ces catégories d’analyse permettent une délimitation liminaire de l’objet de recherche « capitalisme », la section thématique invite à les retravailler pour développer un questionnement de science politique.
Sur cette base, des contributions de trois types sont attendues :
– Des communications pourront tout d’abord être consacrées à des études de cas. Elles se réfèreront à une ou plusieurs formes institutionnelles, sur des terrains nationaux (au Nord comme au Sud) et/ou transnationaux.
– Des réflexions critiques pourront ensuite être proposées sur les approches développées jusqu’alors par les politistes pour analyser le capitalisme et ses évolutions. Nous invitons notamment les contributeurs à mettre leurs propositions en rapport avec les travaux qui prédominent à l’échelle internationale. La question pourra être posée de savoir si la science politique francophone est en mesure de porter un (ou des) regard(s) singulier(s) sur l’objet – de forger en d’autres termes une sociologie politique du capitalisme. Les activités du groupe de projet « Science politique de l’économie » mis en place par l’Association française de science politique témoignent des efforts livrés en ce sens.
– Un accueil favorable sera enfin réservé à des communications qui engagent une réflexion méthodologique. Le questionnement pourra porter sur les effets de la division du travail académique observée au cours des dernières décennies et sur les moyens de la dépasser. De nombreux travaux de sociologie économique privilégient d’une part une échelle d’analyse microscopique et portent l’éclairage sur des marchés particuliers, sans mener une réflexion d’ensemble sur le capitalisme ; si leurs auteurs prétendent combattre la théorie néo-classique, ils en retiennent souvent quelques présupposés et se dispensent de tout effort de comparaison (dans le temps ou dans l’espace). Des politistes (anglophones) privilégient d’autre part une approche macroscopique et préconisent un recours quasi-systématique à la méthode comparative, sans même en expliciter les postulats – par exemple le fait de considérer a priori que les États sont les unités de comparaison les plus pertinentes. L’un des enjeux de la section thématique sera de tracer une voie médiane pour développer des recherches à forte densité empirique qui ne tournent pas le dos à la démarche comparative.
In 2007, Robert Boyer (2007) noted that academic references on capitalism dramatically took off since the 1990s: as a concept distinct from neoliberalism, capitalism has aroused a renewed interest in social sciences. Political scientists were seen as providing significant inputs. Since 2001, due to Peter Hall and David Soskice’s contribution (2001), political scientist studies on capitalism referred to a delimited domain, labelled “varieties of capitalism”. However, apart from a few exceptions, French political science has stayed away from that movement. Herein lies a situation which is quite striking: capitalism – as a social order – is a political production. Therefore the very concept questions the main issues of the discipline – democracy (e.g. Streeck, 2014), State (e.g. Levy, 2006), political parties and electoral behaviors (e.g. Beramendi et al, 2015), elites (Van Apeldoorn, 2003; Robinson, 2004) or social movements (Sklair, 1995; Buechler, 2000).
This panel aims at encouraging and spreading French political researches on capitalism. Our objective is not to import a research domain, but to develop critical thinking on the relevant literature to be mobilized in order to contribute in the short term at the international academic debate. Capitalism is not an easy concept to define. In our view, market economy does not equate with capitalism: market economy is one possible component of capitalism. Moreover, capitalism should be distinguished from the petty commodity market linked to the introduction of capital in the production process (Braudel, 1988; Streeck, 2009; Boyer, 2015). In our view, capitalism is a social order – therefore a political construction. More precisely, capitalism refers to five institutionalized social relationships which characterize a specific capitalist economy (Boyer, 2015): the monetary regime, the form of competition, the wage labor nexus, the link between State and economy, and finally the insertion of the domestic economy in international relations. If these analytical categories help us to delimitate our research field, one aim of the panel is to refine them to develop political science research.
On this basis, this panel aims at gathering together three types of paper:
– Empirical papers: we invite contributors to submit in-depth case studies, based on national or transnational fieldwork, on one or several of the institutionalized social relationships distinguished above;
– Theoretical papers: we encourage potential contributors to confront their propositions with mainstream studies of capitalism. One underlying question is to learn whether French political science is able to define one (or several) perspective(s) on the issue – and from there to propose a political sociology of capitalism;
– Methodological papers: studies on capitalism are divided between two poles. On the one hand, economic sociology claims to fight neoclassical economy but mainly relies on its assumptions (by focusing solely on market-making) and neglects comparative thinking. On the other hand, political economy develops comparative methods quasi-systematically, but never clarifies its key assumptions (for instance the choice to compare national political economies). A challenge here is to develop a mediating path between (micro) economic sociology and (macro) political economy.
REFERENCES
BERAMENDI Pablo, HÄUSERMANN Silja, KITSCHELT Herbert, KRIESI Hanspeter (eds.) (2015), The Politics of advanced capitalism, Cambridge, Cambridge University press.
BOYER Robert (2015), Économie politique des capitalismes. Théorie de la régulation et des crises, Paris, La Découverte.
BOYER Robert (2007), « Capitalism strikes back. Why and what consequences for social sciences ? », Revue de la régulation, 1
BRAUDEL Fernand (1988), La dynamique du capitalisme, Paris, Flammarion.
BUECHLER Steven (2000), Social movements in advanced capitalism, Oxford, Oxford University press.
HALL Peter, SOSKICE David (2001), Varieties of capitalism. The institutional foundations of comparative advantages, Oxford, Oxford university press.
LEVY Jonah (ed.) (2006), The State after statism, Boston, Harvard university press.
ROBINSON William (2004), A Theory of global capitalism: Production, class, and state in a transnational world, Baltimore JHU Press.
SKLAIR Leslie (1995), « Social movements and global capitalism », Sociology, Vol. 29, 3, pp. 495-512.
STREECK Wolfgang (2014), Buying time. The delayed crisis of democratic capitalism, London/New York, Verso.
STREECK Wolfgang (2009), Reforming capitalism. Institutional change in German political economy, Oxford, Oxford University press.
VAN APELDOORN Bastiaan (2003), Transnational capitalism and the struggle over European integration, Londres, Routledge.
Président de séance : Antoine Roger (CED/Sciences-po Bordeaux)
Discutant : Bruno Théret (IRISSO/Université Paris-Dauphine)
Modalités d’organisation de la section thématique : nous inviterons les participants à lire les textes qui auront été diffusés à l’avance. Les contributions seront directement introduites et commentées par notre discutant, de façon à ménager un temps important pour l’échange. La section s’organisera autour de trois axes : pour chacun, le discutant disposera d’environ 20 minutes pour introduire et commenter les textes (deux ou trois par axes). Chaque contributeur disposera ensuite de 10 minutes pour réagir. Le reste de la session sera consacré aux échanges avec les autres participants et avec le public. Du fait de cette modalité de présentation, qui fait l’économie des exposés individuels, il nous semble possible de retenir sept contributions.
Axe 1 / Les transformations du régime monétaire : banque, crédit, emprunt
Guillaume Gourgue (CRJFC-CHERPA, Université de Franche-Comté), Clément Fontan (PACTE, Sciences-po Grenoble), Les créatures économiques du docteur Frankenstein : la science politique a-t-elle quelque chose à dire des banques centrales et des multinationales ?
Hadrien Coutant (CSO, Sciences-po Paris), Scott Viallet-Thévenin (CEE, Sciences-po Paris), L’État actionnaire comme figure des transformations contemporaines du capitalisme français
Axe 2 / Les transformations de la régulation de la concurrence : agence, main d’œuvre, service
Sébastien Billows (CSO, Sciences-po Paris), Un capitalisme de consommateurs. Retour sur la régulation des relations distributeurs-fournisseurs
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Clémence Ledoux (DCS, Université de Nantes), Capitalisme et welfare state. Les mobilisations pour la détermination des formes du marché dans le secteur des services aux personnes en France
Éric Verdier (LEST, Aix-Marseille-Université/CNRS), La construction des compétences et les ‘Variétés du capitalisme’ : comment rendre compte de l’hybridation croissante des systèmes de formation ? Une application aux pays du Maghreb
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Axe 3 / Dynamiques macropolitiques : la mise en cohérence des formes institutionnelles
Sabine Montagne (IRISSO, Université Paris-Dauphine), Les configurations politiques de la circulation du capital
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Yann Fournis (Université du Québec à Rimouski), Vers une science politique du capitalisme canadien ?
Guillaume Gourgue (CRJFC-CHERPA, Université de Franche-Comté), Clément Fontan (PACTE, Sciences-po Grenoble)
Les créatures économiques du docteur Frankenstein : la science politique a-t-elle quelque chose à dire des banques centrales et des multinationales ?
Dans l’analyse des mutations récentes du capitalisme, alors que nombre de travaux de science politique se concentre sur la posture des pouvoirs publics vis-à-vis des acteurs économiques, la branche critique de l’Economie Politique Internationale (EPI) propose une analyse radicale de l’évolution du capitalisme consistant à démontrer que les acteurs dominants le marché dominent progressivement le « policymaking » dans nos démocraties. Notre communication, s’inspirant de l’EPI, postule que les formes actuelles de l’économie sont potentiellement incompatibles avec l’autodétermination démocratique et qu’il est possible que les pouvoirs publics n’exercent plus aucune forme de contrôle sur les acteurs économiques. En nous appuyant sur nos recherches empiriques sur les banques centrales et les multinationales, nous tentons de répondre à cette question : est-ce que ces organisations non-élues, qu’elles soient publiques ou privées, manifestent des stratégies de gouvernement explicites, dans le but de faire primer leur propre intérêt contre l’action des autorités publiques et l’autodétermination démocratique ? Ainsi, quand bien même les stratégies et croyances des acteurs publics restent fondamentales dans l’institutionnalisation des banques centrales et les multinationales, nous explorons la manière dont ces dernières se sont émancipées de leur créateur qui en ont perdu le contrôle, comme le Dr. Frankenstein de Mary Shelley. Notre ambition est de contribuer à l’EPI critique en analysant la dimension « politique » d’acteurs économiques rarement étudiés sur le même plan, et à la science politique française en montrant l’intérêt d’assumer des postulats critiques sur la prédominance des acteurs économiques.
The political economy of Frankenstein’s monsters: What does the (French) political science have to say on multinational firms and central banks?
When analysing the recent mutations of the capitalist system, most of the political sciences’ literature focus on the public authorities’ stance towards economic activities. In strong contrast, the critical branch of the International Political Economy (IPE) field engages a radical analysis of the evolution of capitalism by depicting how dominant market players came to dominate policymaking in our democracies. Our communication follows the critical IPE assumptions as we do not presume that the current form of economic development is compatible with democratic self-determination or that public authorities have any form of control over economic players. By taking stock of our previous empirical studies on central banks and multinational firms, we aim at answering the following question: do these non-majoritarian institutions, be them public in the case of central banks or private in the case of multinational firms, deploy explicit governmental strategies, thereby promoting their own interests and undermining public authorities and democratic self-determination? Our intuition is that while political players’ strategies and beliefs have been a crucial factor in the institutional set-up of central banks and multinational firms, the latter group of players have emancipated themselves from their creators. Therefore, we explore whether political players have lost control of their creatures, in a similar fashion than Mary Shelley’s Dr Frankenstein. By doing so, we contribute to both critical IPE literature by providing an original empirical study of two groups of institutions which have never been studied together and to the French political sciences’ literature by underlining the added value of our critical starting assumption on the primacy of economic players.
Hadrien Coutant (CSO, Sciences-po Paris), Scott Viallet-Thévenin (CEE, Sciences-po Paris)
L’État actionnaire comme figure des transformations contemporaines du capitalisme français
Le capital, ses circulations et sa propriété sont un des éléments constitutifs du capitalisme. La nature de la propriété des entreprises est donc une caractéristique centrale pour qualifier la nature d’un système capitaliste. Parmi les différents types de propriétaires, l’Etat constitue une figure singulière, et la propriété publique des moyens de production a connu des périodes de croissance et de repli, chargées de significations idéologiques fortes.
Nous proposons dans cette communication une analyse de l’agence située au centre de l’action de l’Etat propriétaire : l’Agence des Participations de l’Etat (APE), agence du Ministère de l’Economie et des Finances en charge du suivi des grandes entreprises dont l’Etat détient une part substantielle[1]. Depuis 2004, l’APE a pris un rôle croissant voire hégémonique dans les relations entre le champ bureaucratique et les entreprises publiques. Qu’est-ce que son action nous dit de la place de l’Etat dans le capitalisme français ; et sur les évolutions du capitalisme français en second lieu ?
La proposition de communication s’appuie sur deux recherches doctorales menées sur la gouvernance d’une entreprise publique de l’aéronautique (Coutant, 2016) et les relations entre l’Etat et les entreprises publiques de l’énergie (Viallet-Thévenin, 2016).
The Shareholding State and the contemporary transformations of French capitalism
Who owns capital and how it circulates are constitutive of capitalism. Firms ownership is thus key to qualify the nature of a capitalist system. The State is a singular kind of shareholder; and state ownership of the means of production has known back and forth periods, pervaded of strong ideological meanings. Even if State ownership is virtually a continual feature in these sectors, its instruments and justifications have deeply varied and State action through the ownership of the means of production has been through deep changes since the 1980s.
In this paper we study the central agency regarding State ownership – the Agence des Participations de l’Etat (APE, State Holdings Agency), a Ministry of Economy and Finances agency in charge of the large firms of which the State owns significant shares. The APE has been created in 2004 and took a growing or even hegemonic role in the relations between the bureaucratic field and state-owned companies. What do APE and its action tell us about the role of the State in contemporary French capitalism and its dynamics?
The paper relies on two PhD dissertations focusing on the governance of a major State-owned aeronautics firm (Coutant, 2016) and on the relations between the State and State-owned energy firms (Viallet-Thévenin, 2016).
Sébastien Billows (CSO, Sciences-po Paris)
Un capitalisme de consommateurs. Retour sur la régulation des relations distributeurs-fournisseurs
En France, les fournisseurs de produits de grande consommation ont été placés dans une situation de dépendance économique à l’égard des enseignes de supermarchés et d’hypermarchés. Au cours des années 1990, l’Etat a imposé un système de négociation commerciale (les « marges arrière ») extrêmement favorable à ces fournisseurs. Le système des marges arrière figeait la concurrence sur les prix entre les distributeurs et permettait aux fournisseurs de maîtriser leurs tarifs. En l’absence de concurrence par les prix, les produits de grande consommation ont connu une inflation plus forte que l’inflation générale. Face à ce choix politique, la grande distribution et ses alliés n’ont eu de cesse d’invoquer la figure du consommateur, qu’ils ont dépeint comme lésé par les marges arrière, et ce afin d’obtenir la « libéralisation » des négociations avec les fournisseurs. Ces campagnes successives ont fini par payer. En 2008, la loi LME a permis aux distributeurs de négocier librement avec leurs fournisseurs. En mobilisant la figure du consommateur, les enseignes de distribution ont perpétué et renforcé une construction idéologique et juridique qui a émergé au cours des années 1970, alors que les premières lois pro-consommation ont été votées. Même si elle remonte à la théorisation hayekienne du capitalisme, cet usage instrumental de la figure du consommateur pour justifier une mise en concurrence accrue des producteurs constitue une nouveauté du capitalisme contemporain. Par exemple, la première politique de concurrence d’ampleur mise en place en Allemagne, au travers de la loi de 1958 sur les cartels, a été inspirée par la doctrine ordolibérale. Or, l’ordolibéralisme est très éloigné de la préoccupation du « bien-être » du consommateur.
Consumer capitalism: the case of French retailer-supplier relations
En France, les fournisseurs de produits de grande consommation ont été placés dans une situation de dépendance économique à l’égard des enseignes de supermarchés et d’hypermarchés. Au cours des années 1990, l’Etat a imposé un système de négociation commerciale (les « marges arrière ») extrêmement favorable à ces fournisseurs. Le système des marges arrière figeait la concurrence sur les prix entre les distributeurs et permettait aux fournisseurs de maîtriser leurs tarifs. En l’absence de concurrence par les prix, les produits de grande consommation ont connu une inflation plus forte que l’inflation générale. Face à ce choix politique, la grande distribution et ses alliés n’ont eu de cesse d’invoquer la figure du consommateur, qu’ils ont dépeint comme lésé par les marges arrière, et ce afin d’obtenir la « libéralisation » des négociations avec les fournisseurs. Ces campagnes successives ont fini par payer. En 2008, la loi LME a permis aux distributeurs de négocier librement avec leurs fournisseurs. En mobilisant la figure du consommateur, les enseignes de distribution ont perpétué et renforcé une construction idéologique et juridique qui a émergé au cours des années 1970, alors que les premières lois pro-consommation ont été votées. Même si elle remonte à la théorisation hayekienne du capitalisme, cet usage instrumental de la figure du consommateur pour justifier une mise en concurrence accrue des producteurs constitue une nouveauté du capitalisme contemporain. Par exemple, la première politique de concurrence d’ampleur mise en place en Allemagne, au travers de la loi de 1958 sur les cartels, a été inspirée par la doctrine ordolibérale. Or, l’ordolibéralisme est très éloigné de la préoccupation du « bien-être » du consommateur.
Clémence Ledoux (DCS, Université de Nantes)
Capitalisme et welfare state. Les mobilisations pour la détermination des formes du marché dans le secteur des services aux personnes en France
Depuis les années 1990, nombre de travaux ont décrit comment des structures de marché ont été introduites à l’intérieur des welfare states européens, prenant des formes différentes selon les pays et les secteurs, en impliquant de plus en plus des organisations à but lucratif et en s’appuyant sur de nouvelles formes d’instruments : contrats, chèques, incitations socio-fiscales…. Au-delà de l’opposition marché / non marché, il importe de s’interroger sur les formes très différentes prises par le marché dans la production de services associés à des objectifs sociaux et subventionnés.
Alors que les préférences et les stratégies des partis politiques face à ces transformations majeures font l’objet d’une littérature abondante, l’analyse de celles d’autres acteurs prenant part aux processus politiques n’a pas encore été épuisée, en particulier dans les secteurs en marge du salariat, qui sont le lieu de transformations importantes du capitalisme et dans lesquels les relations industrielles sont atypiques.
C’est au secteur des services à la personne, en France, que nous consacrerons cette communication. Alors que les effets de policy feedbacks sont maintenant mieux connus dans ce secteur, l’enjeu de cette communication sera de comprendre les stratégies de mobilisations des associations, des représentants des particuliers employeurs, des entreprises, des syndicats, des experts et du monde académique autour de la détermination des formes du marché.
Mobilizations for shaping markets in personal and household services in France
Since the 1990’s, there are a lot of studies depicting how market’s structures have been introduced within European welfare states, taking different forms across states and sectors involving more and more for-profit organisations, relying on different policy instruments : contracts, vouchers, socio-fiscal incentives… Beyond the opposition market / non market, it’s important to question the different forms taken by the market in the production of services related to social aims and subsidized.
Party’s preferences and political strategies are well known, but the analysis of other actors taking part in political processes is not exhausted, particularly in sectors at the margin of the salariat, which are the place of important capitalism’s transformations and in which industrial relations are atypical.
We will focus this communication on the situation of personal and household services in France. While policy feedbacks effects in this sector are now better known, the issue of this communication will be to understand the mobilisation’s strategies of associations, representatives of personal employers, for profit organisations, trade unions, experts and academics around the determination of market’s forms.
Éric Verdier (LEST, Aix-Marseille-Université/CNRS)
La construction des compétences et les ‘Variétés du capitalisme’ : comment rendre compte de l’hybridation croissante des systèmes de formation ? Une application aux pays du Maghreb
L’approche de la formation développée dans l’ouvrage fondateur de Hall et Soskice (2001) met l’accent sur les arrangements institutionnels qui coordonnent les stratégies de l’entreprise et les choix individuels, des jeunes notamment. Selon que les employeurs privilégient une coordination par le marché ou par des dispositifs institutionnels, sont distinguées des ‘Liberal Market Economies’ et des ‘Coordinated Market Economies’. La manière dont cette distinction traite les questions d’éducation-formation a fait l’objet d’un certain nombre de critiques (Streeck, 2012 ; Busemeyer, 2009 ; Crouch et al, 2009). Nous mettons en exergue deux limites à l’approche de la VoC : 1. Chaque modèle national est doté d’une cohérence structurelle qui rend difficile l’analyse des changements qui peuvent déboucher sur des reconfigurations structurelles. De ce fait, le système de formation tend à perdre toute autonomie. 2. Elle prend mal en compte les facteurs qui favorisent une hybridation croissante des systèmes nationaux de formation tels que l’importation de « bonnes pratiques ». Nous proposons une analyse en termes de régimes d’éducation et de formation, se référant aux principes de justice éducative mobilisés par les acteurs et aux dynamiques politiques qui motivent les réformes de la formation. Il s’agira ici de la mettre à l’épreuve de la formation des compétences dans les capitalismes émergents du Maghreb.
The construction of skills and the ‘varieties of capitalism’: how to account for the increasing hybridization of vocational and education training systems? The case of Maghreb countries
The approach of education and training developed in the seminal book of Hall and Soskice (2001) focuses on the institutional arrangements that coordinate the company’s strategies and individual choices – among young people in particular -. Distinguished between the Liberal Market Economies and the Coordinated Market Economies is the fact that employers favor market coordination or institutional arrangements. The way in which this distinction deals with education-training issues has been the subject of a number of criticisms. (Streeck, 2012; Busemeyer, 2009; Crouch et al, 2009). We focus on two main limitations: 1. VoC affects to each national model a structural coherence which makes it difficult to analyze some changes that could lead to structural reconfigurations; the training system tends to lose its autonomy vis-à-vis the choices of employers’ organizations. 2. It takes little account of the factors that favor the increasing hybridization of national training systems. We propose an analysis in terms of education and training regimes that refer to the principles of justice of education and training institutions and to the political dynamics. We apply this approach to the skills systems of the emerging capitalisms of the Maghreb countries.
Sabine Montagne (IRISSO, Université Paris-Dauphine)
Les configurations politiques de la circulation du capital
La gestion financière de l’épargne des classes moyennes américaines s’est massivement développée depuis les années 1950. L’Etat, les divers groupes sociaux et les professions ont lutté pour établir différentes règles d’investissement qu’ils jugeaient les plus appropriées pour les classes moyennes. Nous pouvons séquencer cette histoire en identifiant les alliances successives entre certaines fractions des mondes financier, industriel et politique. Je nomme «configurations politiques» les compromis sociaux successifs entre ces groupes à propos d’une définition particulière du «meilleur» investissement. Cette notion de «configurations politiques» permet de renouveler l’analyse de la transition du managérialisme fordiste des années 1950 à la financiarisation néolibérale des années 1980-90. Au plan théorique, je rattache cette notion aux concepts de la théorie de la régulation qui considère le capitalisme comme une configuration globale (plutôt que comme un ensemble de marchés distincts étudiés pour eux-mêmes) dont les composants sont interdépendants. Dans cette perspective structurale, je considère que les règles d’investissement ne sont pas le résultat d’un travail institutionnel réalisé par un secteur financier aux frontières bien définies, mais la coproduction de plusieurs rapports sociaux: rapport capital-travail, rapport monétaire, souveraineté de l’Etat. La «configuration politique» complète, au niveau méso, le concept macrosocial de rapport social.
The political configuration of capital circulation
The money management of the American middle classes savings has changed a lot from the 1950s to the 2000s on. The State, various social groups, and professions have struggled to defend different rules of investment which they judged to be the most suitable for middle classes. We can sequence this history by identifying successive alliances between fractions of the financial, corporate, political and labor worlds. I name « political configurations » the successive social compromises between these groups about one particular definition of the “best” investment. This notion of “political configurations” helps to analyze the shift from the fordist managerialism of the 1950-90s to the neoliberal financialization of the 1980-90s in the USA. Drawing from the Theory of Regulation, which considers capitalism a global configuration (rather than as a set of distinct markets studied for themselves as does neoclassical economics) and pays attention to the relation between the various components of a capitalist economy, I consider that the rules of investment are not the result of the institutional work done by a particular financial sector with well-defined boundaries, but the co-production of several social nexus : capital-labor nexus, monetary relationship (money issuing), state sovereignty (monopolization of the rule setting). “Political configuration” is a concept at the meso level that supplements the macrosocial concept of “nexus”.
Yann Fournis (Université du Québec à Rimouski)
Non communiqués / Not communicated
[1] Uniquement les entreprises cotées, les EPIC, telle la SNCF, ne font pas partie de son périmètre.
Lundi 10 juillet 2017 13h30-17h30
ANSALONI Matthieu matthieuansaloniat-yahoo.fr
BILLOWS Billows sebastian.billows@sciencespo.fr
COUTANT Hadrien hadrien.coutant@sciencespo.fr
FONTAN Clément clement.fontan@gmail.com
FOURNIS Yann yann_fournis@uqar.ca
GOURGUE Guillaume guillaume.gourgues@hotmail.com
LEDOUX Clémence clemence.ledoux@univ-nantes.fr
MONTAGNE Sabine sabine.montagne@dauphine.fr
ROGER Antoine a.roger-at-sciencespobordeaux.fr
THERET Bruno bruno.theret@dauphine.fr
VERDIER Éric eric.verdier@univ-amu.fr
VIALLET-THEVENIN Scott scott.vialletthevenin@sciencespo.fr