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Responsables scientifiques
Solenne Jouanneau (IEP de Strasbourg – UMR SAGE) jouanneau@unistra.fr
Laurent Bonelli (Université Paris 10 – UMR ISP) laurent.bonelli@u-paris10.fr
La sociologie a établi de longue date que les institutions religieuses sont productrices de discours sur le genre. Elles façonnent un système social de dichotomisation et de hiérarchisation de l’humanité en deux catégories sexuées : les hommes et les femmes (Rochefort&Sanna, 2013). Ad intra, ces discours ont d’abord pour objet de prescrire les comportements attendus des individus en fonction de leur sexe sur le plan cultuel ou spirituel (Lautman, 1998 ; Bano & Kalmbach, 2012 ; De Gasquet 2012). Ne se réduisant pas au seul domaine du sacré, ils tendent aussi réguler les relations entre les individus en fonction de leur appartenance à un ou l’autre des deux sexes: la sexualité, l’éducation des enfants, la famille, le travail, la politique, l’économie, font également l’objet de prescriptions religieuses pouvant renforcer, atténuer ou questionner les normes de genre en vigueur dans d’autres champs (Woodhead, 2012). Parmi elles, les « questions sexuelles » (Fassin, 2012) font l’objet d’une attention centrale.
Pour autant, et ce fut l’un des apports des études de genre, les institutions religieuses ne sont pas les seules qui cherchent à imposer leur régime de vérité tant sur les identités sexuées et sexuelles, que sur les rapports sociaux de sexe. Dans le sillage de l’Histoire de la sexualité (Foucault, 1976) et du tournant linguistique, des travaux ont questionné la production du genre par la science et la médecine (Fausto-Sterling, 2000), par les médias etc. Le projet de cette section thématique est d’articuler cette perspective de recherche avec une analyse empirique des conditions d’efficacité des discours religieux sur le genre. Or de toutes les institutions avec lesquelles les religions sont aujourd’hui en compétition pour définir les normes de genre légitimes (la médecine, les médias, les associations féministes et LGBTI, les universitaires spécialisées dans les études de genre, etc.), les pouvoirs publics semblent occuper, au côté des instances internationales (ONU, UE, etc.) une place prépondérante. Les gouvernants, avec le soutien des assemblées législatives, se trouvent en position de donner force de loi aux normes de genre. Les fonctionnaires peuvent infléchir ou conforter ces interprétations, comme les différentes affaires religieuses soumises à la justice administrative l’ont montré (Regine, 2014).
Cette section thématique s’inscrit dans le prolongement des recherches de sociologie politique sur le genre et les mobilisations religieuses. En France, les contestations suscitées par l’interdiction du voile en France (dans certains lieux ou certaines formes) et ses effets en terme de discriminations religieuses genrées (De Galembert 2008 ; Koussens &Roy, 2013), ainsi que plus récemment les mobilisations contre «la théorie du genre » ou le mariage civil au couple de même sexe – portées majoritairement par des collectifs d’inspiration religieuse soutenus plus ou moins ouvertement par les autorités de leur culte de référence – ont récemment participé à relancer la production scientifique sur la contribution des groupements et des institutions religieuses à la politisation des questions de genre (Béraud, 2011 ; Carnac, 2012 ; Favier, 2013 ; Rochefort, 2014 Béraud & Portier, 2015).
Cette section thématique propose cependant un déplacement du regard consistant à analyser non plus la place du « genre » dans les récentes mobilisations des groupes religieux, mais son incidence sur la nature des relations qu’entretiennent aujourd’hui les pouvoirs publics avec les organisations religieuses présentes sur leur territoire. Plus précisément, elle voudrait réunir des contributions s’interrogeant sur la manière dont les représentations respectives des représentants des autorités publiques (élus et fonctionnaires) et des cultes en matière de genre tendent ou non à affecter les positionnements que ces différentes catégories d’acteurs adoptent généralement les uns vis-à-vis des autres. Peut-on identifier un impact du genre sur les processus d’assistance, de coopération, d’encadrement ou de surveillance qui les mettent habituellement en présence ?
Notre objectif est en effet de prendre au sérieux la dynamique entre la promotion religieuse de normes de genre et l’intervention de l’État sur les questions sexuelles, ce qui soulève deux types d’interrogation. On peut d’abord se demander si les politiques publiques en matière de questions sexuelles sont en mesure de modifier ou d’altérer la nature des relations (officielles ou officieuses) qui se nouent entre représentants de l’État et représentants des différentes « communautés religieuses » ou cultes reconnus ? Et si les institutions religieuses ou leurs fidèles peuvent-ils être à l’origine de la mise à l’agenda de question de genre ou de sexualité ? Ou encore s’ils sont en mesure de susciter une intervention étatique en ce domaine ? Mais l’analyse de cette dynamique nécessite aussi d’interroger la manière dont les autorités religieuses gèrent, à l’intérieur de leurs institutions et groupement religieux, les situations de consensus ou au contraire de conflits entre leurs positions doctrinales sur les questions sexuelles et celles de l’État. Il s’agira alors de se demander en quoi la manière dont les autorités publiques considèrent les questions sexuelles détermine la capacité des groupements religieux à défendre une vision divergente ou commune du genre et de la sexualité.
Dans ce cadre seront dès lors privilégiées les communications participant d’une réflexion tout à la fois empirique, socio-historique et comparatiste quant à l’évolution des relations entre pouvoirs publics et autorités religieuses, non plus uniquement à l’aune de la régulation juridique des relations entre sphère politique et sphère religieuse, mais également au prisme des questions sexuelles. Quels positionnements concrets les autorités religieuses adoptent-elles vis-à-vis des pouvoirs publics lorsqu’elles les pensent capables d’adopter des législations susceptibles de venir renforcer – ou au contraire de contester – la légitimité de leur éthique en matière de genre ou de sexualité ? En l’état des relations actuelles entre l’État et les institutions religieuses, l’apparition ou l’existence de désaccords parfois profonds sur les questions de genre est-elle véritablement en mesure de transformer les relations entre ces deux entités ? Ainsi, au Portugal, en 2010, le gouvernement et le législateur ont pu autoriser le mariage civil des couples de même sexe sans que l’épiscopat ne s’oppose outre-mesure au texte alors qu’en France la « loi Taubira » a suscité d’importantes mobilisations. Ces clivages sont-ils fondamentaux ou secondaires ? Arrive-t-il aussi qu’ils puissent être instrumentalisés afin de venir légitimer des positionnements ne trouvant pas leur fondement dans la problématique du genre ?
Sociologists have long established that religious institutions produce discourses on gender. They shape a social system that hierarchises and divides humanity into two sexual categories: man and woman (Rochefort & Sanna, 2013). Internally, these discourses are primarily aimed at prescribing expected religious or spiritual behaviours for individuals on the basis of their sex (Lautman, 1998; Bano & Kalmbach, 2012; De Gasquet 2012). They are not limited to the realm of the sacred. They also tend to regulate relationships between individuals depending on sex. Sexuality, education, family, work, politics, economy are also subject to religious prescriptions that may reinforce, lighten or challenge gender norms applying in other fields (Woodhead, 2012). Among them, ‘sexual questions’ (Fassin, 2012) stand out.
However, gender studies have taught us that religious institutions are not the only organizations seeking to impose their truth on gendered and sexual identities and on gender relations. In the wake of Foucault’s History of Sexuality (1976) and of the linguistic turn, scholars have investigated the production of gender by science and medicine (Fausto-Sterling, 2000), the media, etc. This thematic section intends to combine these research approaches with empirical analysis of the conditions of effectiveness of religious discourses on gender. Out of all the institutions currently competing with religions to define legitimate gender norms (medicine, the media, feminist and LBGTI associations, academics specialized in gender studies, etc.), public authorities appear to play a leading role. Governments, with the support of legislative assemblies, find themselves in a position to give legal effect to gender norms. The treatment of various religious cases by administrative courts has shown that officials can deflect or bolster these interpretations (Regine, 2014).
This thematic section builds on political sociology research on gender and religious mobilisations. The scientific output on the contribution of religious groups and institutions to the politicisation of gender-related issues has experienced a recent boost in France (Béraud, 2011; Carnac, 2012; Favier, 2013; Rochefort, 2014; Béraud & Portier, 2015). These studies have in particular examined the controversy triggered by the ban on face covering (in some places and in certain forms) and its effects in terms of gendered religious discriminations (De Galembert 2008; Koussens & Roy, 2013). More recently they have also addressed mobilisations against ‘gender theory’ and civil marriage for same-sex couples, most of which were organised by religiously inspired groups more or less openly supported by religious authorities.
This thematic section proposes a shift in outlook. Instead of analysing the place of ‘gender’ in recent mobilisations by religious groups, it will study its impact on the nature of relations between states and religious organisations. Contributors are encouraged to look into how the respective representations of public officials (elected representatives and civil servants) and religious officials tend to affect (or not) their respective positions towards one another. Does gender have an impact on the processes of assistance, co-operation, monitoring or surveillance in which they are routinely involved?
Our objective is to scrutinise the dynamic at work between the religious promotion of gender norms and state intervention on sexual matters, which raises two types of questions. First, it is worth considering whether public policy on sexual matters can change or alter the nature of the (official and informal) relations between state representatives and their counterparts from recognised religions or ‘religious communities’. Can religious institutions or their followers put gender or sexuality matters on the agenda and trigger state intervention in those fields? Analysing this dynamic also requires looking into the way in which religious authorities manage consensus and conflicts between their doctrinal positions on sexual matters and the state’s positions internally. Hence contributors should also ask to what extent the way in which public authorities deal with sexual matters determines the ability of religious groups to defend a diverging or shared vision of gender and sexuality.
Papers are expected to display an empirical, socio-historic and comparatist approach to the evolution of relations between public and religious authorities. Sexual questions will be considered in addition to the legal regulation of the relations between political and religious spheres. In practice, what positions do religious authorities adopt towards public authorities when they consider them capable of introducing laws that will reinforce or challenge the legitimacy of their ethics in matters of gender or sexuality? Can the emergence or existence of sometimes deep-seated disagreements truly change the relations between state and religious institutions? For instance, in Portugal, the government and lawmakers authorized civil marriage for same-sex couples without outright opposition from the church, whereas in France the Taubira law triggered large-scale protests. Are these cleavages fundamental or secondary? Might they be instrumentalised for the purpose of legitimising positions that have no basis in the discussion on gender?
REFERENCES
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Marième N’Diaye (CNRS, Institut des sciences sociales du politique – ISP), Réformer le privé et l’intime dans le cadre d’une nouvelle clôture islamique. La famille, l’avortement et l’homosexualité en débat au Sénégal
Béatrice de Gasquet (Université Paris Diderot), L’arrangement des sexes dans les synagogues françaises, question politique ou religieuse ?
Gauthier Fradois (Université Paris-Ouest-Nanterre, Institut des sciences sociales du politique), Produire des consensus sur la sexualité au sein du champ bureaucratique dans les années 1970-1980. L’espace social du Conseil supérieur de l’information sexuelle, de la régulation des naissances et de l’éducation familiale
Sara Garbagnoli (ILPGA – Université de Paris 3 – Sorbonne Nouvelle), Le genre dans la patrie de la « différence sexuelle ». Sur les succès politiques et épistémiques des mobilisations « anti-genre » en Italie
Hanane Karimi (Université de Strasbourg – Laboratoire Dynamiques Européennes), Politisation du voile et concurrence des pouvoirs politique et religieux
Magali Della Sudda (CNRS, Centre Émile Durkheim), Des femmes sous surveillances ministérielles
Marième N’Diaye (CNRS, Institut des sciences sociales du politique – ISP)
Réformer le privé et l’intime dans le cadre d’une nouvelle clôture islamique. La famille, l’avortement et l’homosexualité en débat au Sénégal
La communication proposée porte sur le rôle joué par les acteurs religieux musulmans dans l’élaboration des « politiques publiques du genre » (Jacquot, Mazur, 2010) au Sénégal. Plus précisément, on va s’intéresser aux trois principaux projets qui suscitent des (contre) mobilisations importantes de la part des acteurs religieux, à savoir : la réforme du droit de la famille, la dépénalisation de l’avortement et celle de l’homosexualité.
Le Sénégal constitue un cas d’étude particulièrement intéressant pour comprendre l’incidence du genre sur les rapports entre pouvoirs publics et institutions religieuses.
En effet, bien que la laïcité soit un principe constitutionnellement établi, les rapports entre les acteurs étatiques et les confréries musulmanes ont toujours été particulièrement étroits, participant à la construction d’un « Etat à deux têtes » (O’Brien, 2002). Celui-ci se fonde sur le « contrat social sénégalais », qui suppose un échange de bons procédés entre les deux pôles et une collaboration indirecte des chefs religieux à la vie politique (Cruise O’Brien, 2002). Ce mode de fonctionnement est cependant remis en question, notamment en raison des mutations que connaît le champ religieux islamique, au sein duquel les confréries se voient concurrencées en interne par des courants dissidents (Samson, 2005 ; Audrain, 2004) et, en externe, par un courant réformiste désormais bien ancré dans la société (Gomez-Perez, 2005 ; Diouf, Leichtman, 2009). Ces acteurs émergents revendiquent une participation plus directe à la vie politique et renégocient ainsi les modalités du contrat social sénégalais.
Cette reconfiguration des rapports entre pouvoirs publics et champ religieux islamique a des effets directs sur les politiques qui touchent aux questions de genre. En effet, malgré une opposition « de principe », les confréries n’avaient pas fait obstacle à l’adoption du code de la famille en 1972. A contrario, dans la dernière décennie, les courants réformistes émergents ont contribué à politiser le débat et surtout à l’inscrire dans le cadre d’une « clôture islamique » en dehors de laquelle toute discussion est exclue (Roussillon, Zryouil, 2006).
C’est dans ce nouveau contexte qu’il faut replacer la proposition de certains groupes réformistes d’instaurer la charia en matière familiale (Brossier, 2004 ; N’Diaye, 2016) et leurs mobilisations contre la dépénalisation de l’avortement et de l’homosexualité.
L’objectif du papier est de revenir sur la politisation des questions de genre par les acteurs islamiques à travers ces trois débats, pour voir d’une part comment elle participe de la reconfiguration des rapports entre pouvoirs publics et acteurs religieux et, d’autre part, quel a été son impact sur les politiques du genre.
L’investissement désormais plus direct des groupes réformistes (via la création de partis politiques et de groupes d’intérêts) dans l’arène politique traduit à la fois la pluralisation et la montée en puissance de la parole religieuse, avec laquelle les pouvoirs publics doivent désormais composer.
Cette reconfiguration des rapports entre acteurs religieux et étatiques dans le cadre de la clôture islamique permet de comprendre la réserve des pouvoirs publics et leur choix du statu quo en matière d’homosexualité et de droit de la famille. Néanmoins si la politisation des questions de genre par le religieux contribue à limiter les cadres du débat, elle ne l’exclut pas pour autant. De ce point de vue, la légalisation annoncée de l’avortement médicalisé offre une entrée intéressante pour analyser les conditions de possibilité de la réforme dans ce nouveau contexte.
La communication se fondera sur les données tirées des enquêtes de terrain (entretiens, observations, dépouillement d’archives) menées au cours de ma thèse de doctorat sur le droit de la famille (entre 2007 et 2010), et sur celles réalisées dans le cadre de mes recherches actuelles sur l’avortement et l’homosexualité.
Reforming the private and intimate spheres within a new Islamic frame. Family, abortion and homosexuality under debate in Senegal
The communication deals with the role played by Muslim religious actors in the “gender public policies” making (Jacquot, Mazur, 2010) in Senegal. More precisely, I will focus on three main legislative topics, which have generated important (counter) mobilizations from religious leaders, namely: the reform of the Family law and the decriminalization of both abortion and homosexuality.
Senegal is an interesting case study to understand the impact of the question of gender on the relationships between public authorities and religious institutions.
Indeed, even if secularism is a constitutional principle, the relationships between state actors and Muslim brotherhoods have always been extremely close, participating in the construction of a “two head state”. Based on the “Senegalese social contract”, it implies partnerships and exchanges between the two poles and also an indirect involvement of the religious chiefs in political life (O’Brien, 2002). However, this functioning mode is partly jeopardized, in particular because of the changes within the Islamic religious field. Brotherhoods are actually challenged from inside by dissident groups (Samson, 2005; Audrain, 2004), and from outside by a reformist Islamic current nowadays deeply rooted in the society (Gomez-Perez, 2005; Diouf, Leichtman, 2009). These emerging actors call for a more direct participation to political life and thus renegotiate the terms of the Senegalese social contract.
The reconfiguration of the relationships between public authorities and the Islamic religious field has direct effects on gender policies. As a matter of fact, despite an opposition in principle, the brotherhoods did not obstruct the adoption of Family law in 1972. Conversely, in the last decade, the emerging reformist groups have contributed to politicize the debate and, more importantly, to anchor it within an Islamic frame outside which there is no arguing (Roussillon, Zryouil, 2006). The proposals put forward by some reformist groups about introducing sharia in family law (Brossier, 2004; N’Diaye, 2016) and their mobilizations against the decriminalization of abortion and homosexuality must be viewed on account of this new background.
We will analyze the impact of the politicization of gender by the Islamic actors in two different ways. On one hand, we will see how it participates in the reconfiguration of the relationships between public authorities and religious actors. On the other hand, we will analyze its effect on gender policies.
The more direct involvement of reformist groups in the political sphere (through the creation of political parties and lobbies) shows the coincident diversifying and increasing power of the religious speech political authorities have to face from now on.
This new deal in the relationships between religious and state actors within the Islamic frame helps to understand why political authorities are reluctant to reform and choose the status-quo regarding homosexuality and family law. Nevertheless, if the politicization of gender by religious actors contributes to set limits to the frames of the debate, it does not shut out the debate itself. In this new prospect, the announced decriminalization of medical abortion offers an interesting case to analyze the necessary conditions to realize such a reform in this new context.
The paper will be based on my fieldwork data (interviews, observations and archives) about family law (my doctoral research), abortion and homosexuality (my current research).
Béatrice de Gasquet (Université Paris Diderot)
L’arrangement des sexes dans les synagogues françaises, question politique ou religieuse ?
Les questions de genre sont aujourd’hui peu saillantes dans les relations entre les pouvoirs publics et le judaïsme français, tout en étant au sein du champ religieux un enjeu majeur de conflictualité, notamment à propos de la question de la séparation ou non des sexes dans les synagogues. Le judaïsme français contemporain correspond ainsi à une configuration de séparation ou d’autonomie forte du champ religieux et du champ politique. Cependant, si aujourd’hui les argumentaires qui s’échangent sur la place des femmes à la synagogue mobilisent rarement le registre politique, il s’agit d’une situation récente. Cette communication reviendra sur la configuration qui a prévalu du XIXe siècle jusque dans l’après 1968, à savoir une prédominance du registre politique sur le registre religieux dans les débats sur la place des femmes dans les synagogues. Plus précoce dans d’autres pays, l’émergence de discours spécifiquement religieux de justification de la non séparation des sexes a pu paradoxalement être freinée par la centralisation religieuse et l’injonction assimilationniste imposées par l’État français.
Seating arrangements in French synagogues: how political and how religious?
Gender plays a very limited role in the contemporary relationships between public authorities and French Judaism, despite being a most contentious issue within the religious field, where the question of mixed or separate seating in synagogues is a major divide. French Judaism today thus illustrates a case of strong separation or autonomy between the religious and political fields. However, it is fairly recent that arguments in favor or against mixed seating in synagogues mostly refer to purely religious logics and not to politics. This paper will discuss how from the 19th century until after 1968s, political arguments prevailed over religious references in discourses on women in synagogues. In comparison with other countries, the attitude of the French state towards Judaism – mandatory centralization and assimilationist pressures – may have delayed the emergence of specifically religious arguments in favor of mixed seating.
Gauthier Fradois (Université Paris-Ouest-Nanterre, Institut des sciences sociales du politique)
Produire des consensus sur la sexualité au sein du champ bureaucratique dans les années 1970-1980. L’espace social du Conseil supérieur de l’information sexuelle, de la régulation des naissances et de l’éducation familiale
Officialisé en juillet 1973, le Conseil supérieur de l’information sexuelle, de la régulation des naissances et de l’éducation familiale (CSIS) est un exemple typique de lieu neutre où s’élabore et se formalise les lieux communs de la pensée d’État. Dépendant du Ministère de la Santé et composée de représentants d’associations, majoritairement familiales, de syndicats, et d’agents du champ bureaucratique, cette institution a été peu étudiée. Elle constitue pourtant un espace social d’interrelations central pour la définition des politiques sexuelles nationales dans la seconde moitié des années 1970 : financement de la recherche médicale, distribution différenciée de crédit symbolique aux agents mobilisés, production d’une doxa et planification de sa circulation médiatique, etc. En charge d’assurer la liaison entre différents groupes intéressés tant par la définition d’une morale publique de la vie privée que par la production de recommandations afférentes à la régulation des relations sexuelles et des structures familiales de la population, ses commissions travaillent dans les années 1980 sous l’égide de la secrétaire générale, Marielle Boutonnat, catholique pratiquante, à la production de consensus pour la mise en œuvre d’une politique publique concernant l’éducation sexuelle, indexée au développement d’un marché du conseil conjugal et familial. La mise en forme symbolique d’un programme d’éducation à la vie en 1986 pour développer le «potentiel de fécondité», biologique et sociale, des adolescent-e-s, en réévaluant l’affectif par rapport à la sexualité, résulte ainsi des mécanismes bureaucratiques, apparemment neutres, de gestion des rapports de force entre associations opposées sur l’éthique et les techniques de reproduction biologique.
Enracinée dans le secteur social de l’État, spécifiquement investi par des professionnels et des profanes du champ religieux plus ou moins proches du centre de domination du sous-champ catholique (le Vatican), le CSIS a contribué à l’intégration de leurs prises de position dans les catégories de la pensée dominante pour l’appréhension du sens de la sexualité et la perpétuation d’une hiérarchie symbolique entre les sexualités. Il s’agit, en définitive, de préserver l’ordre familial, du moins, d’imposer les schèmes de perception les plus propices à sa reproduction. En s’appuyant sur les archives de cette institution, l’étude des trajectoires et des propriétés sociales des agents qui l’incarnent permettra de mieux comprendre les logiques de transformation d’intérêts particuliers en intérêts universels, autrement dit, les conditions sociales de possibilité d’une magie d’Etat productrice, ici, d’une représentation officielle des relations genrées, chargée de références religieuses. Cette enquête repose plus largement sur une une sociologie historique de l’éducation sexuelle au sein du système d’enseignement en France, de 1945 au début des années 2000 (thèse en cours).
How to produce consensus on sexuality within the bureaucratic field in the 1970s and 1980s. The Social Space of the Higher Council for Sexual Information, Regulation of Births and Family Education
Officialized in July 1973, the High Council for Sexual Information, Birth Control and Family Education (Conseil Supérieur de l’Information Sexuelle, de la régulation des naissances et de l’éducation familiale – CSIS) is a typical example of neutral place where develops and takes offence the commonplaces of the thought of State. Depending on the Ministry of Health and composed of representatives of associations, mostly familialist, unions, and agents of the bureaucratic field, this institution has been little studied. It is, however, a central social space of interrelations for the definition of national sexual policies in the second half of the 1970s: financing of medical research, differentiated distribution of symbolic credit to mobilized agents, production of a doxa and planning of its circulation media, etc. In charge of liaison between different stakeholder groups interested both by defining a public morality of private life and by producing recommendations relating to the regulation of sexual relations and the family structures of the population, its commissions work in 1980s under the aegis of the general secretary, Marielle Boutonnat, practicing Catholic, to the production of consensus for the implementation of a public policy on sex education, indexed to the development of a marriage and family counseling market. The symbolic shaping of a life education program in 1986 to develop adolescents’ « fertility potential », biological and social, by re-evaluating the emotional in relation to sexuality, thus results from the mechanisms Bureaucratic, apparently neutral, management of the balance of power between opposing associations on ethics and biological reproduction techniques.
Rooted in the social sector of the State, specifically invested by professionals and laymen of the religious field more or less close to the center of domination of the Catholic sub-field (the Vatican), the CSIS contributed to the integration of their stands in the categories of the dominant thought for the apprehension of the meaning of the sexuality and the perpetuation of a symbolic hierarchy between the sexualities. The ultimate aim is to preserve the family order, at least, to impose the schemes of perception most conducive to its reproduction. Based on the archives of this institution, the study of the trajectories and social properties of the agents who embody it will allow to better understand the logics of transforming particular interests into universal interests, in other words, the social conditions of possibility of a state-producing magic, here, of an official representation of gender relations, charged with religious references. This survey is rested more widely on a historical sociology of sex education within the educational system in France, from 1945 to the early 2000s (current thesis).
Sara Garbagnoli (ILPGA – Université de Paris 3 – Sorbonne Nouvelle)
Le genre dans la patrie de la « différence sexuelle ». Sur les succès politiques et épistémiques des mobilisations « anti-genre » en Italie
Depuis juillet 2013 des vagues de mobilisation « anti-genre » ont été organisées en Italie par des acteurs liés à l’associationnisme catholique et, en particulier, aux groupes anti-avortement et traditionalistes. Comme en France, ces protestations ont été activées à la suite de la croisade lancée par le Vatican dès la moitié des années 1990 contre l’emploi du concept de genre et au nom de « la défense de l’Humain ». Dans le dispositif discursif inventé par le Vatican et mobilisé par les acteurs « anti-genre », le genre fonctionne, à la fois, comme la métonymie de toute entreprise de dénaturalisation de l’ordre sexuel, comme étiquette déformante pour constituer un ennemi et comme devise de ralliement pour créer un front de mobilisation.
Mon intervention sera consacrée à l’analyse des succès, à la fois épistémiques et politiques, des mobilisations « anti-genre » en Italie. Elle poursuit trois objectifs – Reconstituer la structure, la forme et les fonctions du dispositif discursif « anti-genre » qui, à la fois, invente et fait exister de manière performative dans le champ politique italien l’objet « le genre » tel que le Vatican l’a conçu (en ce sens, je parle de victoire épistémique de la croisade du Vatican)
– Étudier la métamorphose du discours « anti-genre » à la protestation « anti-genre », en analysant les mises en forme et les mises en espace de ce dispositif discursif, ses performances et ses incarnations. J’aspire à montrer comment l’Italie a été l’une des premières fabriques de la rhétorique « anti-genre » et l’un des laboratoires les plus productifs des formes d’action et d’engagement qu’elle a engendré (conférences, veilles, « Family Days »). Cela me permettra d’analyser les succès politiques produits par ces mobilisations (retrait du projet de loi contre les violences homophobes et transphobes, modification du texte de loi sur les unions civiles, blocage de cours de formation pour enseignants sur l’égalité entre les sexes …).
– Analyser l’émergence et les caractéristiques de la controverse publique sur le genre que les mobilisations « anti-genre » ont produit, dresser une cartographie des argumentaires et des acteurs en jeu (les « anti-genre », les anti-« anti-genre », l’État dans ses différentes formes d’existence) afin de porter à jour les spécificités nationales qui ont fait de l’Italie un terrain si fertile pour cette croisade politique réactionnaire.
Trois ans après l’essor des mobilisations « anti-genre », le genre, tel que le Vatican l’a défini, figure désormais dans des circulaires de l’administration publique, dans des textes de projets de loi, il a été incarné dans des choses (panneaux de signalisations, bâtiments, nouveaux rayons dans des librairies), en devenant un nouveau principe de vision et de perception efficient au sein de l’espace public italien. Dans mon intervention, je tacherai d’étudier les facteurs nationaux qui expliquent une telle victoire épistémique et politique des mouvements « anti-genre » qui ont su imposer les cadres de l’entendement à travers lesquels on pense désormais les questions liées au genre et à la sexualité. Parmi ces facteurs de succès, je me focaliserai, sur l’hégémonie du « pensiero della differenza » et sur les effets néfastes qu’une telle pensée a produit au sein du champ intellectuel et politique, sur les paradoxes du familialisme italien (sacralisation de la famille conjugale hétérosexuelle qui se conjugue avec une grave insuffisance de politiques familiales) et sur le rôle joué par le Vatican dans l’élaboration d’une référence identitaire nationale construite autour de l’idée de « racines chrétiennes ». Dès la constitution de l’unité nationale, la création d’un familialisme d’État calqué sur le familialisme d’Eglise, c’est à dire fondé sur la primauté de la famille sur les individus et sur la croyance dans la naturalité du couple hétérosexuel, a caractérisé les complexes rapports entre l’Église catholique et État Italien. L’invention du dispositif discursif « anti-genre » s’inscrit, donc, au cœur de la longue bataille menée, de façon parfois concurrentielle, parfois collusive, entre l’État italien et l’Église catholique pour l’établissement de la définition légitime de qu’est-ce qu’une famille, de qu’est-ce qu’un couple, et, plus en général, de quel est le mode de reproduction pensé comme naturel, normal, moral, légitime au sein du contexte national italien.
Gender in the fatherland of “sexual difference”. On the political and epistemic success of “anti-gender” demonstrations in Italy
Since July 2013, waves of “anti-gender” demonstrations have been organized in Italy by participants tied to Catholic associationism and, in particular, to anti-abortion and conservative groups. As in France, these protests were instigated following the Vatican’s mid-1990s crusade against the use of the concept of « gender » and in the name of the “defense of the Human. » In the discursive device invented by the Vatican and mobilized by these “anti-gender” actors, gender functions at once as a metonymy of any enterprise that denaturalizes the sexual order, as a distorting label that serves to constitute the enemy, and as a rallying cry that enables the creation of a mobilizing front.
My presentation will treat the analysis of the epistemic and political success of « anti-gender » protests in Italy. It has three objectives :
– Reconstituting the structure, form, and functions of the “anti-gender” discursive apparatus that performatively invents and creates, in the Italian political context, the object “gender” such as the Vatican conceives it (in this sense, I speak of the epistemic victory of the Vatican’s crusade)
– Studying the metamorphosis of “anti-gender” discourse into “anti-gender” demonstrations, by analyzing the shaping and staging of this discursive device, its performances and its incarnations. I aim to show how Italy was one of the first states to fabricate this “anti-gender” rhetoric, and one of the most productive laboratories of the forms of action that it engendered (congresses, street vigils, “Family Days”). This allows me to analyze the political success produced by these mobilizations (withdrawal of the bill against homophobic and transphobic violence, modification of the legal text on civil unions, blocking teacher training courses on equality between the sexes, etc.)
– Analyzing the emergence of characteristics of public controversy around gender that these “anti-gender” demonstrations produced, establishing a cartography of arguments and actors at play (the “anti-gender”, the anti-“anti-gender,” the State in its different forms of existence) in order to bring to light the national specificities that made Italy such a fertile terrain for this politically-reactionary crusade. Three years after the rise in “anti-gender” protests, “gender”, such as the Vatican has defined it, figures henceforth in the memorandums of public administration and in the texts of its bills; it has appeared in objects (road signs, buildings, new sections in bookstores), by becoming a new and efficient principle of vision and perception within the Italian public sphere. In my presentation, I attempt to study the national factors that explain the epistemic and political victory of these “anti-gender” movements, movements that were able to impose a framework of understanding within which we now consider questions tied to gender and to sexuality. Among the factors of this success, I will focus on the hegemony of “pensiero della differenza” and on the harmful effects this mode of thought produced in the intellectual and political field, on the paradoxes of Italian familialism (sacralization of the heterosexual family combined with a deep lack of family policies) and on the role played by the Vatican in the elaboration of a national identitary reference point founded on the idea of “Christian roots.” From the formation of national unity, the creation of a familialism of the State modeled on a familialism of the Church — which is to say, founded on the family’s primacy on individuals and on the belief in the naturalness of the heterosexual couple — characterized the complex relations between the Catholic Church and the Italian State. The invention of an “anti-gender” discursive device thus inscribes itself in the heart of a long-waged relationship between the Italian State and the Catholic Church in order to establish the legitimate definition of what is the family, what is the couple, and more generally, what is the mode of reproduction considered, within the Italian national context, as natural, normal, moral, and legitimate.
Hanane Karimi (Université de Strasbourg – Laboratoire Dynamiques Européennes)
Politisation du voile et concurrence des pouvoirs politique et religieux
Les principales organisations islamiques françaises tentent de maintenir leur influence sur les sujets musulmans pratiquants en diffusant des discours religieux normatifs et hégémoniques. L’islam consulaire s’est également frayé un chemin d’influence à travers les réseaux de mosquées auxquelles ils ont apporté un soutien financier et à travers les intérêts partagés avec les gouvernements français successifs. Les organisations islamiques et les représentants consulaires, tous deux détenteurs d’une légitimité religieuse institutionnelle, essaiment une vision figée des relations hommes-femmes, des rôles sexués et des manières de « croire en acte » à travers la diffusion d’une éthique religieuse hégémonique.
A ce fonctionnement classique des institutions religieuses, s’ajoute une dimension qui vient perturber ou consolider la légitimité des leaders religieux. L’histoire des multiples tentatives d’institutionnalisation de l’islam de France, concrétisé par Nicolas Sarkozy en 2003 ou par la Fondation de l’Islam, impulsée après les attentats de juillet 2016 sont des moments historico-politiques qui ont été la scène d’une concurrence conservatrices et une course à la légitimité de la représentation “des musulmans” de France.
L’entreprise politique de la loi sur le voile a positionné les filles musulmanes qui portent le foulard en “sujets de droit” qui aboutit à la désignation légale d’une figure indésirable dans l’institution scolaire française qui marque un hiatus prématuré entre l’Etat et son nouvel interlocuteur le CFCM. Les uns comme les autres alimentent une fétichisation du “voile” de manière positive ou négative.
A partir d’une analyse de l’entreprise politique de la loi sur le voile, je décrirai les allégeances et défiances des pouvoirs à la fois politique et religieux. Elle a également démarqué les frontières identitaires et nationales qui se jouent principalement sur le corps de femmes musulmanes. Je propose d’analyser la construction de ces frontières , les épisodes de ces rapports ainsi que leurs résonnances treize ans après l’adoption de la loi du 15 mars 2004.
Politicization of the veil and competition between political and religious powers
The main French Islamic organizations try to maintain their influence on observant Muslims by diffusing normative and hegemonic religious discourses. Consular Islam has forced his way on mosques network that benefit on its financial support and through interests shared by the successive French governments. Islamic organizations and consular representatives, as religious legitimacy holders, spread a rigid vision on men and women relationship, gendered roles and way of “belief in practice” through the diffusion of a hegemonic religious ethic.
To this classical functioning of religious institutions is added a dimension which disrupts or consolidates the legitimacy of religious leaders. The history of the multiple attempts to institutionalize Islam in France, concretized by Nicolas Sarkozy in 2003 or by the Foundation of Islam, impelled after the Nice attacks of July 2016, are historico-political moments that have been the scene of a conservative competition and a race for the legitimacy of the representation of « Muslims » in France.
The political enterprise of the law on the veil has positioned Muslim girls who wear the headscarf in « subjects of law » which results in the legal designation of an undesirable figure in the French school that marks a premature hiatus between the State and its new interlocutor CFCM. Both feed a fetishizing of the « veil » in a positive or negative way.
From an analysis of the political enterprise of the law on the veil ban, I will describe the allegiances and suspicions of both political and religious powers. It has also demarcated the identity and national borders that are played mainly on the body of Muslim women. I propose to analyze the construction of these borders, the episodes of these reports and their resonances thirteen years after the adoption of the law of 15 March 2004.
Magali Della Sudda (CNRS, Centre Émile Durkheim)
Des femmes sous surveillances ministérielles
Cet article se penche sur la surveillance du culte dans un moment de crise politique – de l’Affaire Dreyfus à celle des Fiches – et de définition des contours de la laïcité. Au lendemain du Second Empire, la question de l’avenir de la police politique, « celle qui fait honte aux autres », est rapidement évacuée par les républicains qui arrivent au pouvoir. Le mouvement ouvrier et les actions violentes des anarchistes européens dirigent le regard de l’État vers ces figures de l’ennemi de l’ordre républicain. Les gouvernements radicaux s’affrontent aussi avec les nationalistes et des catholiques lorsqu’ils s’engagent dans la mise en place d’un régime de laïcité dont la loi de 1905 sur la séparation est l’aboutissement. Alliés du régime impérial, les catholiques deviennent des menaces pour l’ordre républicain : suspects d’allégeance à une puissance étrangère, le Vatican ; hostiles à un ordre politique libéral ; pourfendeur de l’égalité sociale. Parmi eux, les jésuites sont le fer de lance du péril noir. Parallèlement, le nouveau régime se dote d’un dispositif modernisé de la surveillance policière. La réorganisation concomitante des services de police au sein de l’administration centrale et au sein de la Préfecture de police de Paris témoigne de ce souci croissant de surveiller pour mieux contrôler les groupes religieux pouvant porter atteinte à l’ordre républicain. L’ « affaire des fiches » – qui éclate en août 1904 par la publication dans le Figaro de documents indiquant l’existence d’un système de surveillance des officiers catholiques dans l’armée et provoque la chute du ministère Combes – accélère la mise sur agenda de la séparation. Mais parce que cette politisation des questions religieuses amène l’intervention dans le champ politique des femmes, jusqu’alors exclues ou minorisés, la menace religieuse prend peu à peu une nouvelle figure. En effet, une fois les jésuites mis hors d’état d’influencer les consciences des futurs citoyens par le décret du 29 mars 1880 et le « phénomène congréganiste » conjuré par la loi de 1901, le péril clérical fait place à la suspicion des laïcs et, en particulier, des laïques qui s’organisent en ligues féminines en se saisissant de la loi sur les associations (1901). Pour l’ordre républicain, s’institue alors un ennemi d’un nouveau genre : parce qu’il s’agit de femmes, qui sont en tant que telles exclues de la citoyenneté politique ; qui plus est de femmes qui, par leur position sociale et positionnement politique (elle appartiennent à la grande bourgeoisie et l’aristocratie catholiques) se distinguent des ennemis habituels de la République. A cette époque, qui est aussi celle où la République prend la forme d’un empire colonial, l’État se garde bien d’intervenir dans les affaires religieuses dans les territoires colonisés. En particulier, le sort des épouses sujet françaises de statut musulman ou coutumier, est défini par les cadis et les juges coutumiers pour tout ce qui relève des affaires « privées ». Elles échappent donc, dans une certaine mesure, à la surveillance ministérielle républicaine.
Partant de ces constats, cet article se donne pour objet de comprendre la manière dont l’Etat a appréhendé les militantes catholiques dès lors qu’elles se trouvent constituées en menaces pour l’ordre politique et social républicain. Il s’appuie sur un dépouillement de différents fonds d’archives. La série F7 « Police générale » du Ministère de l’Intérieur, les fonds de la série F19 « administration du Culte » (direction des Cultes, devenu Bureau central des cultes du Ministère de l’Intérieur en 1911), et ceux de la Préfecture de police de Paris. Il est complété par les archives secrètes vaticanes relatives à la surveillance intra-ecclésiale : le fonds des Affaires ecclésiastiques extraordinaires et celui de la secrétairerie d’État, sont complétés par le fonds du cardinal Begnini, instigateur d’un réseau de surveillance intra-ecclésial, la Sapinière (Poulat, 1965). Les archives coloniales ont été sondées et n’ont pas, à ce jour offert de documents relatifs à la surveillance politique des femmes en raison de leur confession.
Précisant les contours de ce « nouvel ennemi » de la République, il s’agira d’abord de rendre compte du caractère profondément genré de l’appréhension du péril clérical par les agents de l’État, ainsi que ses effets sur la définition des frontières de la citoyenneté. Il s’agira ensuite d’analyser comment ces représentations guident un ensemble de dispositifs et de technique de surveillance susceptibles de révéler des divergences au sein même de l’appareil d’État et de la police sur la manière d’appréhender ces femmes. Enfin, l’étude de ces dispositifs étatiques, mis en regard de l’organisation intra-ecclésiale de contrôle de l’orthodoxie et l’orthopraxie des fidèles de sexe féminin, amène à complexifier la métaphore de la « guerre religieuse ». Celle-ci vient, en effet, souligner les convergences des institutions religieuse et étatique quant à la surveillance des reléguées de l’ordre politique et symbolique. On montrera ainsi comment, sous le régime de séparation sont actualisés des dispositifs de surveillance ministérielle, étatique et cultuelle, qui prennent pour cible des femmes suspectes de troubler l’ordre républicain et l’ordre religieux.
Between Church and State : Catholic Women under Surveillance
The articulation of individual liberties and state security is a recurring challenge for democracies. The birth of the Third Republic is a crucial moment of legal recognition of individual rights. The Republicans quickly resolve the fate of the Second Empire Political police, “the disgraceful one”: the emergence of labor movements and anarchist attacks rapidly defeat political liberalism. Meanwhile, state officials were very concerned about the allegiance of Catholics to the foreign power of the Vatican. In august 1904, the « Affaire des fiches » revealed the existence of a monitoring system of Catholic officers in the army led to a vast scandal. If Catholic men are the primary targets of State surveillance, Catholic women – religious and secular ones – were not spared. The observation of women by a masculine police raises a first question about the kind of control of associations and congregations were dealing with. It calls for further analysis of the gendered representations of the religious threat. By so doing we aim to understand the gendered dimensions of public order as related to religious matters. The confrontation of intra-ecclesial surveillance sources with those of the state, will bring a fresh light on circulations and convergence of the state and the Catholic Church in the way each of them controlled women. This communication provides an insight on republican regulation of individual freedom, and more specifically on gender as a crucial feature of religious republican.
Mercredi 12 juillet 2017 9h00-13h00
BONELLI Laurent laurent.bonelli@u-paris10.fr
DE GASQUET Béatrice beatrice.degasquet@univ-paris-diderot.fr
FRADOIS Gauthier gauthier.fradois@gmail.com
GARBAGNOLI Sara sara.garbagnoli@gmail.com>
JOUANNEAU Solenne jouanneau@unistra.fr
KARIMI Hanane hkarimi@unistra.fr
DELLA SUDDA Magali m.dellasudda@sciencespobordeaux.fr
N’DIAYE Marième m-ndiaye@hotmail.fr