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Au-delà de la “crise des réfugiés” : (re)penser la capacité d’action et de représentation des réfugiés syriens

Being a Syrian Refugee: Representation and Agency in the “Syrian Refugee Crisis”

Responsables scientifiques
Cecilia Baeza (Pontificia Universidade Católica de São Paulo, Brésil) cecilia.baeza.k@gmail.com
Maaï Youssef (CESSP, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) maai.youssef@gmail.com

La poursuite de la guerre en Syrie continue à pousser la population de ce pays hors des frontières nationales. En avril 2016, plus de 4,8 millions de personnes provenant de Syrie ont éte enregistrées par le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies, principalement en Turquie, au Liban et en Jordanie. Bien que ces pays reçoivent de loin le plus grand nombre de réfugiés, l’Europe et dans une moindre mesure les Amériques ont connu au cours de la dernière année un afflux de Syriens sans précédent, faisant de la « crise des réfugiés syriens » une question non seulement moyen-orientale, mais de plus en plus européenne, voire globale.
La façon dont les médias rendent compte de cet afflux de réfugiés repose essentiellement sur une victimisation des Syriens, présentés comme la dernière vague de cette « mer misérable de l’humanité » (Malkki, 1996) en quête d’un refuge. Pour l’anthropologue Liisa Malkki, cette perception conduit à dés-historiciser la situation des réfugiés et à en faire une catégorie générique, universelle et muette. Si contextualisation il y a, celle-ci renvoie à un Orient sauvage, dominé par le fanatisme religieux. En écho à ces représentations, l’Occident est dépeint comme mutique et incapable d’apporter des réponses. L’image iconique du corps du petit Aylan al-Kurdi, échoué sur une plage turque après avoir péri en mer alors que sa famille tentait de rejoindre la Grèce en septembre 2015, résume ce tableau.
La tragédie de la guerre syrienne et les déplacements massifs de population sont incontestables. Pourtant, les trajectoires individuelles, les récits subjectifs et leurs complexités sont facilement perdus dans la masse anonymisée des réfugiés, tels que réifiés par les représentations médiatiques et par les politiques gouvernementales ou d’acteurs régionaux, au premier rang desquels l’Union européenne. Cette section thématique (ST) cherche à restituer qualitativement et par une approche résolument comparative, ce qui relève de la capacité d’action (agency) des réfugiés syriens au regard des contraintes imposées par les différents contextes d’accueil. Il s’agit, à partir du cas syrien, d’approfondir et questionner notre compréhension théorique de la condition de réfugié (refugeeness) en explorant les stratégies d’ajustement, d’intégration ou encore de résistance et de contournement déployées par les réfugiés eux-mêmes. Les questions qui structurent notre ST seront ainsi les suivantes :

1/ Traverser les frontières. Quelles sont les ressources mobilisées (capital économique, capital social, capital révolutionnaire, services légaux/illégaux) par les réfugiés syriens pour traverser les frontières ? De quelle manière les différents dispositifs nationaux de contrôle aux frontières impactent-ils leurs choix et leurs stratégies ?

2/ S’adapter à la société d’accueil. Comment les réfugiés parviennent-ils à échapper ou au contraire bénéficier des politiques gouvernementales qui leur sont destinées? Comment, au-delà des contraintes administratives, s’adaptent-ils à leurs sociétés d’accueil sur les plans du travail, du logement, et des relations sociales ?

3/ Se jouer de / déjouer les représentations. De quelle façon le label de « réfugié » est-il reçu : est-il accepté, rejeté ou sollicité par les Syriens eux-mêmes? Comment cette catégorie est-elle investie, voire transformée par les Syriens en exil? Comment les récits et les expériences des Syriens se rapportent-ils aux représentations médiatiques, politiques et institutionnelles produites à leur égard?
Sur le plan méthodologique, cette ST privilégiera les terrains et enquêtes ethnographiques,  afin d’interroger la condition de réfugié telle que vécue par les acteurs eux-mêmes. La diversité des trajectoires – des hommes d’affaires qui ont fui avec du capital, des militants et des artistes poussés hors du pays pour leurs convictions politiques, des familles, de jeunes hommes célibataires, entre autres – permettra de faire la lumière sur la question de l’agency en rendant compte de la pluralité des voix des réfugiés syriens
Collectivement, nous tenterons de dresser un tableau des différentes étapes et/ou escales qui constituent les trajectoires migratoires des réfugiés syriens. Les interventions de cette section thématique devront proposer d’aborder la situation des réfugiés syriens au travers de cas variés : français, allemand, égyptien, turc, brésilien et danois, mais aussi libanais et jordanien. L’approche comparée devra permettre d’établir une éventuelle typologie des “pays d’accueil” (ou de rejet) des réfugiés syriens en fonction non seulement des politiques mises en oeuvre  mais également de leur position géographique respective sur cette route migratoire. Les pays frontaliers; le deuxième cercle des pays arabes tels que l’Egypte; les pays de l’Union Européenne, avec ses grandes disparités internes; et enfin, les pays de réinstallation lointains à l’instar du Canada ou du Brésil: tous présentent des caractéristiques propres qu’il convient de mettre à jour.
Cette ST s’inscrit en ce sens dans la cadre des études sur les réfugiés (refugee studies), un champ de recherches qui s’est autonomisé à partir des années 1980 et qui connaît depuis un développement important, en termes de revues, associations et congrès. Inter-disciplinaire par définition, le champ est surtout dominé par un dialogue parfois difficile entre la science politique et l’anthropologie. Poser la question de la capacité d’action individuelle des réfugiés tout en tenant compte des contraintes politiques qui pèsent sur leurs décisions vise, entre autres, à contribuer à nourrir ce dialogue inter-disciplinaire.

The continuation of the Syrian war has caused Syrians in increasing numbers to seek refuge primarily in Turkey, Jordan and Lebanon. While these countries receive by far the largest numbers of Syrians, Europe and other places have seen an unprecedented influx during the last year making the “Syrian refugee crisis” not just a Middle Eastern problem, but increasingly a “European” and “Global” problem.

Popular media accounts represent the victimization of Syrians as the latest “miserable sea of humanity” (Malkki 1996) from the savage, neo-Orientalized East dominated by religious fanaticism. For the anthropologist Liisa Malkki, this perception leads to dehistoricizing the constitution of the refugee and making it a generic, universal and mute category. Likewise, depictions of the muted West’s inability of response are also prevalent – epitomized by the iconic image of the dead body of Aylan al-Kurdi.

The tragedy of the Syrian War and the massive displacements of people itself is unquestionable. Yet individual characteristics, narratives and complexities are easily lost in those anonymified, endless rows of refugees often targeted by media depictions and by regulations of governments and regional actors, such as the EU. This thematic section (TS) seeks to qualitatively draw out the agency of Syrians as they navigate through host communities, cross borders, unravel media depictions and government regulations. The Syrian case should help us to deepen and question our theoretical understanding of refugeeness by exploring the strategies of adjustment, integration or resistance deployed by the refugees themselves. The issues tackled by our ST include:

(1) Crossing Borders. What are the resources mobilized (economic capital, social capital, revolutionary capital, legal/illegal services) by Syrian refugees to cross borders? How the different border control policies impact their choices and strategies?

(2) Adapting to the host society. How do refugees manage to escape or benefit from government policies? How, beyond the administrative constraints, do they adapt to their host societies, regarding labor, housing, and social relationships?

(3) Politics of Representations. How is the “refugee” label received: is it accepted, rejected or acted upon by the Syrians themselves? How is this category invested or transformed by Syrians in exile? How personal narratives and experiences do relate with media depictions and political and institutional representations?

Methodologically, the TS will be based on ethnographic fieldwork as a way to address refugeeness as experienced by actors themselves. The diversity of trajectories –  businessmen who fled with the capital, activists and artists driven out of the country for their political beliefs, families, young single men, among others – will shed light on the question of agency through the plurality of Syrian refugees’ voices.

Collectively, the TS will show the different steps and/or stops which form the migration routes of Syrian refugees. Interventions of this thematic section will propose to address the situation of Syrian refugees through various case: French, German, Egyptian, Turkish, Brazilian and Danish, as well as Lebanese and Jordanian. The comparative approach will help us to establish a possible typology of the “host countries” according not only to their asylum policies but also to their respective geographic location on the migration route. Neighboring countries; the second circle of Arab countries such as Egypt; the countries of the European Union, with its large internal disparities; and finally, the countries of distant relocation like Canada or Brazil: all have specific characteristics that need to be analyzed.

In that sense, this thematic section seeks to contribute to the discussions in the Refugee Studies, a research field that has become autonomous from the 1980s and which has witnessed since a significant development, with the creation of journals, associations and congresses. Inter-disciplinary by definition, the field is mainly dominated by a sometimes difficult dialogue between political science and anthropology. Articulating refugees’ agency with political constraints aimed, among others, at enriching  this interdisciplinary dialogue.

REFERENCES

BACZKO, A., DORRONSORO, G., QUESNAY, A., “Le capital social révolutionnaire”, Actes de la recherche en sciences sociales, 2015.
DOBSON, S., Cultures of Exile and the Experience of Refugeeness, Peter Lang, 2004.
GUIRAUDON, V., “Lutte contre les passeurs: une politique qui ne protège pas les victimes de l’immigration illégale”, Terra, p. 1-13, 2008.
MALKKI, L. H., Speechless emissaries: Refugees, humanitarianism, and dehistoricization, Cultural anthropology, v. 11, n. 3, p. 377-404, 1996.
NYERS, P., Rethinking Refugees: Beyond State of Emergency, Routledge, 2013.
RITAINE, E., “Dramaturgie de l’intrusion migratoire”, L’identité en jeux, Khartala, 2010.
SPIVAK, G. C., Can the subaltern speak ?, Macmillan Education UK, 1988.
WITHOL DE WENDEN, C., « La globalisation des migrations », Alternatives Economiques, 2015.
ZOLBERG, A. R., SUHRKE, A., & AGUAYO, S., Escape from violence: Conflict and the refugee crisis in the developing world, Oxford University Press on Demand, 1992.
ZOLBERG, A. R., SUHRKE, A., & AGUAYO, S., Escape from violence: Conflict and the refugee crisis in the developing world, Oxford University Press on Demand, 1992.

Laura Ruiz de Elvira (CNRS, IREMAM Aix-en-Provence), De l’action révolutionnaire locale au travail humanitaire depuis l’exil. Trajectoires, significations et politisation de l’action humanitaire syrienne (2011-2016)

Léo Fourn (Aix Marseille Univ, CNRS, LAMES, LabexMed), Entre adaptation et représentation : variations du militantisme des réfugiés syriens en France

Thomas Vladimir Brond (Royal Danish Defence College), Les enjeux d’identification dans le temps et dans l’espace: Réfugiés et révolutionnaires au Liban et en Europe

Maaï Youssef (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (CESSP-CRPS), CEDEJ, Le Caire, Egypte), Réfugiés syriens en Egypte : une voix commune contre la propagande et l’incertitude en exil

Laura Ruiz de Elvira (CNRS, IREMAM Aix-en-Provence)

De l’action révolutionnaire locale au travail humanitaire depuis l’exil. Trajectoires, significations et politisation de l’action humanitaire syrienne (2011-2016)
Sur la base de deux enquêtes de terrain conduites au Liban et en Turquie en 2014 et en 2016, cette communication porte sur les acteurs révolutionnaires syriens qui à partir de 2011 se sont tournés vers le travail humanitaire en exil. Trois objectifs guident cette recherche. En prêtant attention aux pratiques et récits de ces activistes, ainsi qu’à leurs trajectoires individuelles et aux logiques de situation dans lesquelles ils évoluent, je cherche tout d’abord à mettre en lumière comment ces acteurs adaptent leur capital social et savoir-faire révolutionnaire acquis sur le terrain syrien pour le reconvertir dans le cadre d’une action d’aide sociale qu’ils doivent désormais mener depuis les pays limitrophes et dans un contexte de guerre. J’explore ensuite le sens qu’ils attribuent à leur action actuelle. J’analyse enfin leur rapport ambigu et prudent au politique.
Je fais l’hypothèse que leurs pratiques, discours et stratégies sont façonnés par des dynamiques contradictoires : d’une part les logiques internes de l’opposition politique syrienne, les opportunités de financement et les politiques des pays d’accueil ; d’autre part l’expérience propre vécue lors du processus révolutionnaire, leurs ambitions et besoins personnels et les raisons qui les poussent à agir. Ces dynamiques produisent des répertoires d’action collective particulièrement originaux dans lesquels la contestation, la résistance et le registre religieux coexistent (non sans tension) avec une volonté affichée de neutralité et d’apolitisme.

From Local Revolutionary Actors to Exiled Humanitarian Workers. Trajectories, Meanings and Politicization of Syrian Humanitarian Action (2011-2016
Based on empirical material collected in Lebanon and Turkey in 2014 and 2016, this paper focuses on former Syrian revolutionary actors who, from 2011 onwards, have become aid workers operating from exile and who, explicitly and implicitly, contribute to supporting/constructing Syrian communities affected by conflict both inside and outside Syria. Paying attention to what they do and say, to their individual trajectories and to their immediate “system of contexts” my objective is threefold. First, I seek to show how they convert their previous militant resources into means for social action in a war context. Second, I aim to shed light on how these actors construct and give meaning to their current humanitarian and social activity. Third, I explore their ambiguous and cautious relation to politics.
I argue that the strategies, discourses and practices of these social networks are shaped and constrained by particularly contradictory dynamics. On the one hand: Syrian oppositional dynamics, funding opportunities, and local politics, including those of the hosting countries. On the other: social actors’ previous contentious experiences within the Syrian uprising, their personal ambitions and needs, and the reasons for their involvement in such social and humanitarian activities. Against this framework, Syrian exiled humanitarian actors resort to original repertoires of collective action in which contention, resistance, and religion go hand in hand with claims of apoliticism and neutrality, not without tensions.

Léo Fourn (Aix Marseille Univ, CNRS, LAMES, LabexMed)

Entre adaptation et représentation : variations du militantisme des réfugiés syriens en France
A partir de l’étude de trajectoires de jeunes Syriens arrivés en France à partir de 2011, cette contribution propose d’analyser des processus d’adaptation à la société française autour de la pratique du militantisme. Je reviendrai sur les trajectoires de protagonistes du soulèvement de 2011 afin de réfléchir à la manière dont leurs pratiques militantes, antérieures et actuelles, façonnent leurs expériences d’exil en France.
De nombreux réseaux de soutien à la contestation syrienne se sont structurés à partir de 2011 en France, en regroupant des Syriens antérieurement installés dans le pays ainsi que des Français sensibles à la cause des contestataires syriens. Comment les activistes récemment arrivés s’insèrent-ils dans ces réseaux préexistants et bénéficient-ils de soutien de leur part pour s’installer en France ? Comment ces réseaux participent-ils à la politique migratoire française en sélectionnant des candidats à l’asile et comment façonnent-ils ainsi la catégorie d’exilé politique en collaboration avec les services administratifs de l’asile ? Le militantisme peut-il être une ressource favorisant la migration et l’adaptation à la société française ? A l’inverse, qu’est-ce que l’absence de reconnaissance comme « activiste », y compris pour ceux qui ont été très actifs en faveur du soulèvement, implique-t-elle dans les processus d’adaptation à la société française ?
Certains réfugiés persévèrent dans leurs pratiques militantes après leur arrivée, que ce soit pour de nouvelles causes sans liens avec la Syrie ou à nouveau pour la cause syrienne. Dans le premier cas, ces reconversions militantes participent de volontés d’inscription de leur engagement dans le contexte de leur nouvelle société d’installation. Dans le second cas, cela prend la forme d’actions à vocation humanitaire envers les Syriens de l’intérieur et les réfugiés, ainsi que d’un travail de témoignage et de plaidoyer envers la société française. Ce dernier, à travers des manifestations, des débats, des témoignages médiatiques et autres vise à définir les cadres d’interprétation du conflit syrien et de la « crise des réfugiés » qui en découle. Il contribue activement à façonner les représentations des réfugiés syriens auprès de « l’opinion publique » française.

Between adaptation and representation : variations in the activism of Syrian refugees in France
By tracking the trajectories of young Syrians arrived in France since 2011, my presentation intends to analyze the adaptation process to French society from the experience of activism. Tracing 2011 uprising protesters’ paths enables to show how their previous and current activism shape their exile experience.
Several networks supporting the Syrian uprising organized themselves in France from 2011, gathering Syrian migrants previously settled in the country as well as French people sympathizing with the Syrian protesters’ cause. How do newcomers join these existing networks? How do these networks contribute to French migration policy by providing support to settle in France and selecting asylum seekers, and thus shape the category of “political exile” in collaboration with the administrative services ? May the activism be a resource favoring migration and adaptation to French society ? By contrast, what does the lack of recognition as an « activist », even for those who have been very active during the uprising, imply for the adaptation process to French society ?
Some refugees have pursued their activism after their arrival, either joining new political causes without any link to Syria or continuing the struggle for the Syrian cause. In the first case, this activism change pertains to a will to locate their commitment in the context of their new society of settlement. In the second case, it may be through humanitarian action towards Syrian in Syria as well as refugees. It may also take the form of « testimonies » and advocacy intended for the French society. In this way, through demonstrations, public debates, media testimonies and so on, it aims to frame the representations of the Syrian conflict and the « refugee crisis ».

Thomas Vladimir Brond (Royal Danish Defence College)

Les enjeux d’identification dans le temps et dans l’espace: Réfugiés et révolutionnaires au Liban et en Europe
Quelle est la relation dialectique entre « réfugiés » et « révolutionnaires » dans le cas de la Syrie ? Ce texte prend pour point de départ la perplexité empirique face au fait que certains groupes de Syriens adhèrent activement à l’étiquette de « réfugié » alors que d’autres esquivent cette catégorisation. Comme l’ont montré les études sur les réfugiés, l’extrême violence inhérente à de nombreuses révolutions a souvent déclenché de grandes vagues de réfugiés (Zolberg et al., 1989). Les « réfugiés » en mouvement témoignent d’une crise dans la relation entre l’État d’origine et ses citoyens, et représentent « un problème » à résoudre par la communauté internationale. Les « révolutionnaires », quant à eux, utilisent la crise pour renverser les régimes politiques et provoquer des transformations sociales radicales en bouleversant les relations entre citoyens subalternes et dominants. Bien que le maintien du régime autoritaire puisse faire de la Syrie un cas de révolution infructueuse, des transformations sociales sont toujours en cours et plus de la moitié de la population est considérée comme réfugiée ou déplacée interne.
Les Syriens ici interviewés sont membres du mouvement révolutionnaire pacifique sévèrement réprimé en Syrie. Basée sur neuf mois de terrain ethnographique multi-situé en 2013-2015 et plus de 150 entretiens, cette présentation explore de manière comparative comment les Syriens se sont adaptés dans leur premier pays hôte, le Liban, et dans leurs deuxièmes sociétés d’accueil en Europe. Les politiques formelles et informelles ainsi que les attitudes sociétales envers les Syriens sont analysées. Le papier met en lumière les enjeux sous-jacents au refus persistant ou à l’auto-identification tactique vis-à-vis de l’étiquette de réfugié. Le rejet de ce label apparait en effet fortement attaché à une propension subjective à agir. Etre « réfugié » au Liban est souvent associé aux Syriens misérables de la vallée de Beqaa et des camps palestiniens. Pourtant, après leur fuite vers l’Europe, ces Syriens se qualifient souvent eux-mêmes de « réfugiés » vis-à-vis de leurs nouvelles communautés d’accueil. Pour comprendre l’appropriation tactique comme le rejet du label de réfugié, la présentation met l’accent sur un certain nombre d’éléments, parmi lesquels comptent tout particulièrement la proximité géographique et culturelle du Liban et de la Syrie (par rapport à une lointaine Europe), la poursuite des destructions en Syrie, et la question de la sécurité. Le papier conclut en analysant la condition de « réfugié » comme un label discursif plutôt que comme un simple statut légal dépolitisé/dépolitisant. Dans ce contexte, rejeter l’étiquette de « réfugié syrien » sur le plan subjectif peut être considéré comme une critique révolutionnaire du régime politique syrien – et du système étatique international qui le défend.

Contentious Labels Through Time and Space: Refugees and Revolutionaries in Lebanon and Europe
What is the dialectical relationship between “refugees” and “revolutionaries” in the case of Syria? This paper begins from the empirical puzzlement of why some groups of Syrians actively endorse the label of refugee while others dodge this categorization. As refugee studies have shown, the extreme violence inherent to many revolutions historically has often triggered large movements of refugees (Zolberg et al. 1989). “Refugees” on the move signal a crisis in the relationship between the country of origin and its citizens and represent “a problem” to be solved by the international state system. Similarly, revolutionaries in history have used crisis to violently overthrow of political regimes and induce radical social transformations by subverting relations between subordinate and dominant citizens. Through the persistence of the authoritarian regime Syria might be a case of unsuccessful revolution, yet social transformations are ongoing and more than half of the population are considered refugees or internally displaced.
The Syrians in focus are members of the peaceful, but severely marginalized revolutionary movement in Syria. Based on nine months of multi-sited ethnographic fieldwork in 2013-2015 and more than 150 interviews, the paper explores comparatively how Syrians navigate in their first host country of Lebanon and in their second host communities in Europe. Formal and informal policies as well as popular attitudes towards Syrians are explored. Through a number of examples the paper argues that a persistent rejection, but also tactical self-identification of the refugee label can be identified. It is argued that the rejection is strongly attached to a subjective propensity to act. Being “a refugee” in Lebanon was often associated with deprived Syrians in the Beqaa’ Valley and in the Palestinian camps. After flight to Europe, these Syrians are suddenly themselves being labelled “refugees” by their new host communities. To understand the tactical endorsement as well as the persistent rejection of the refugee concept, the paper argues that a number of features must be taken into consideration. Geographical and cultural proximity of Lebanon and Syria (vs. distance of Europe), the continuation of destruction inside Syria, and levels of security are all identified as important facets. The paper concludes by considering the implications of viewing “refugee” as a discursive label more than de-politicized judicial status. In this context, rejecting “Syrian refugeeness” on the subjective level can be viewed as a revolutionary critique of the Syrian political regime – and the international state system upholding it.

Maaï Youssef (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (CESSP-CRPS), CEDEJ, Le Caire, Egypte)

Réfugiés syriens en Egypte : une voix commune contre la propagande et l’incertitude en exil
Basé sur différents terrains conduits entre 2013 et 2016, cette communication questionne comment niveaux local et national façonnent les contours de l’incertitude rencontrée par les Syriens, réfugiés en Egypte depuis 2011. Elle vise à montrer comment ces derniers créent leurs propres stratégies d’ajustement et tentent de réunir une « communauté syrienne », avec ses pratiques, réseaux, mises en récit et labellisations.
Depuis le mouvement révolutionnaire du 25 janvier 2011, le système politique égyptien a traité la question de l’accueil des Syriens comme une opportunité politique puis comme une menace. Sous Mohamed Morsi, des regroupements d’activistes en exil et associations religieuses participent ouvertement à une opposition à distance au régime de Bachar al-Assad. La politique pro-mouvement révolutionnaire syrien du président égyptien favorise le développement de ces mobilisations. La chute de Mohamed Morsi le 3 juillet 2013 marque la fin d’une période favorable aux réfugiés syriens. Un climat de stigmatisation et de répression autoritaire l’emporte alors. Une propagande virulente se met alors en place dans les médias locaux, contre les Frères musulmans et les Syriens accusés de les soutenir.
Le flou juridique autour de l’asile offre ainsi à l’Etat égyptien de basculer des discours volontaristes d’un pays d’accueil à l’encadrement basé sur des politiques sécuritaires d’un pays de transit. En marginalisant les Syriens, l’Etat les prive d’une existence sociale officielle dans l’espace public et donc les empêche de développer un discours contestataire. Face à ce contexte, cette communication explore la capacité d’agency des réfugiés syriens en Egypte et montre comment ils continuent de résister pour construire une voix et une mémoire collective en exil.

Syrian refugees in Egypt : a common voice to face propaganda and uncertainty in exile
Based on various fieldworks conducted between 2013 and 2016, this paper questions how local and national levels shape the situation of uncertainty experienced by Syrian refugees in Egypt. It shows how Syrian refugees create their own adjustment strategies, and try to initiate a « Syrian community » with specific practices, networks, narratives and labelling.
Since the Revolution of 25 of January, the Egyptian political system has treated the issue of Syrian refugees both as an opportunity and as a threat, largely communicated to the Egyptian society through official medias. Under Mohamed Morsi, groups of exiled activists and religious associations openly participated to an external opposition to the Syrian regime. The pro-revolution policy statements of Mohamed Morsi favoured the rise of this mobilisation. The fall of Mohamed Morsi on the 3rd of July 2013 put an end to the favourable climate towards Syrian refugees and gave rise to stigma and authoritarian repression. A propaganda machine has since then been set up against both Muslim Brotherhood and Syrians.
The haziness surrounding the legal framework regarding asylum offers to the Egyptian state to change an host attemp of public policy to a safe management of refugees. By ostracizing refugees, it denies them any social existence in the public space and prevents them from articulating a discourse of contestation against the State’s authority. Against this background, this paper explores the agency of Syrian refugees in Egypt and shows how they are still managing to build a collective voice and memory.

Mercredi 12 juillet 2017 9h00-13h00

BAEZA Cecilia cecilia.baeza.k@gmail.com
BROND Thomas Vladimir thbr@fak.dk
FOURN Léo leofourn@gmail.com
RUIZ DE ELVIRA Laura ruiz@mmdh.univ-aix.fr
YOUSSEF Maai maai.youssef@gmail.com