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ST63

Vers une typologie des formes de reconnaissance asymétrique dans les relations internationales

Towards a Typology of the Forms of Asymmetrical Recognition in International Relations

Responsables scientifiques
Benjamin Brice (EHESS / University of Sydney) benjamin.brice@gmail.com
Maéva Clément (Helmut-Schmidt Universität Hamburg / Université Versailles Saint-Quentin / Goethe Universität Frankfurt) maeva.clement@gmail.com

Les travaux liés à la dimension symbolique des interactions sociales occupent depuis les années 1990 une place de plus en plus importante en sciences sociales, où elles ont permis de renouveler un certain nombre de questionnements (Bourdieu 1994 :173-211 ; Braud 2004 : 162-187). Cette perspective a notamment ouvert un vaste champ d’investigation en relations internationales (RI), discipline traditionnellement dominée par les explications faisant surtout intervenir différentes variantes des théories du choix rationnel au service de la maximisation des intérêts matériels (Klotz et Lynch 1999 : 58 ; Lindemann 2010 : 19). À rebours de ces approches, les travaux se sont multipliés critiquant la compréhension figée de la notion d’intérêt dans les théories du choix rationnel (Wendt 1999 : 314-317 et 368). Le vaste champ d’étude qui se construit autour des problématiques liées à la notion de « reconnaissance » s’inscrit dans cette dynamique. Cette thématique s’est ancrée comme objet d’étude légitime ces dernières années en RI (Lindemann et Saada 2012 ; Brincat 2014 ; Geis et al. 2015). La section thématique 63 a pour objectif d’explorer un aspect spécifique des différentes formes que la reconnaissance peut recouvrir en RI, en restreignant l’analyse aux cas de « reconnaissance asymétrique ».
Le concept de reconnaissance a été introduit dans les sciences sociales relativement récemment, en privilégiant une certaine orientation qui fait de la notion de reconnaissance, un dépassement des rapports sociaux de force. C’est particulièrement le cas chez Axel Honneth pour qui l’objectif est de parvenir à une « bonne » reconnaissance, aussi bien à l’échelle individuelle qu’à l’échelle collective, permettant l’inclusion et la concorde. Pour être « juste », la reconnaissance se doit ainsi d’être réciproque et égalitaire (Honneth 2000 ; Caillé et Lazzeri 2009 : 32-33). De fait, les théoriciens en sciences sociales ont largement mis l’accent sur le besoin qu’ont les acteurs de voir reconnue leur « dignité » plutôt que leur « supériorité » (Rawls 2006 : 49 et 64 ; Taylor 2009 : 43-44). Or comment interpréter les attentes de reconnaissance qui se veulent non-égalitaires et non-réciproques ? Afin de resituer la dimension potentiellement conflictuelle de certaines demandes de reconnaissance, il paraît pertinent de s’intéresser aux processus de résistance et de domination qui les accompagnent et informent les luttes des acteurs internationaux, qu’il s’agisse d’acteurs étatiques ou non-étatiques.
Notre hypothèse est que la notion de « reconnaissance asymétrique » (i. e. limitée, inégalitaire et en termes de « supériorité ») permet de rendre compte de certaines données empiriques beaucoup mieux que celle de « reconnaissance symétrique » (i.e. réciproque, égalitaire et en termes de « dignité »). Ces revendications de reconnaissance asymétrique peuvent être observées historiquement (Kagan 1996 : 8) et semblent garder toute leur pertinence aujourd’hui, qu’il s’agisse des conflits entre acteurs étatiques ou des conflits entre acteurs étatiques et acteurs non-étatiques (Hassner 2005 : 302 ; Lebow 2008 : 505 ; Saurette 2006 : 495 ; Lindemann 2014 ; Clément 2014 : 438-439).
L’objectif de cette section est de parvenir à une première ébauche de typologie de la reconnaissance asymétrique dans les relations internationales. Deux axes thématiques sont proposés, pour lesquels les intervenants chercheront à comparer les demandes des acteurs internationaux en termes de « supériorité » et la manière dont ils justifient ces dernières.
– Le panel 1 se concentrera sur les demandes de reconnaissance entre acteurs étatiques. Dans quelle mesure l’aspiration à une reconnaissance asymétrique varie-t-elle en fonction du régime politique ? Les justifications avancées pour obtenir la reconnaissance d’une certaine supériorité sont-elles comparables entre diverses démocraties libérales ? Entre démocraties et régimes dits « autoritaires » ? Certaines institutions socio-politiques sont-elles plus enclines que d’autres aux revendications de reconnaissance asymétrique ?
– Le panel 2 mettra l’accent sur les acteurs non-étatiques portant des demandes de reconnaissance vis-à-vis d’acteurs étatiques. Comment varient les demandes de reconnaissance asymétrique en fonction des acteurs non-étatiques en jeu ? Quels sont les discours de reconnaissance asymétrique du côté des acteurs (ex : ONG, groupes armés sub-étatiques, groupes terroristes transnationaux, etc.) qui contestent la reconnaissance (limitée) dont ils bénéficient et revendiquent à l’inverse une certaine supériorité (souvent en termes moraux) par rapport aux autres acteurs internationaux ?
Ces deux panels permettront de dresser une première typologie des demandes des acteurs et de leurs justifications dans le cas des deux axes thématiques retenus. D’une part, la reconnaissance asymétrique se caractérise par des demandes (ou des attentes) de la part des acteurs concernés, c’est-à-dire la revendication d’une part relativement plus grande que celles qu’ils avaient jusque-là et/ou plus grande que celle des autres parmi les biens symboliques et matériels que se partagent les acteurs sociaux à l’échelle internationale : territoires, ressources, honneurs, positions de prestige, définition des normes, légitimité, etc. D’autre part, ces acteurs produisent généralement un discours de justification : la reconnaissance asymétrique peut être revendiquée au nom d’une prétendue supériorité militaire et technologique, et/ou économique, et/ou morale, ou encore au nom de croyances religieuses ou de revendications historiques (Aron 2004, Lebow 2008, Wolf 2011).
Il s’agira de mettre en lumière dans quels contextes les situations ainsi que les demandes de reconnaissance asymétrique se développent, la manière dont elles s’élaborent et par quels biais elles sont communiquées ou justifiées. Aussi, pour étudier cette notion et la rendre opérationnelle, il sera important de comparer et de distinguer en fonction des configurations, afin de construire en commun une typologie des demandes et des justifications de reconnaissance asymétrique dans l’une ou l’autre des deux configurations étudiées.

The notion of “recognition” has known increasing interest in International Relations (IR) over the past decade. The section 63 of the 2017 AFSP General Conference aims to explore a specific aspect of the diverse forms which demands for recognition may take in international politics by focusing specifically on cases of “asymmetrical recognition”.
The concept of recognition has been introduced somewhat recently in the social sciences, with a highlight on its potential for overcoming unequal power relations. This is especially the case in Axel Honneth’s work, which emphasizes how “proper” recognition would contribute to inclusion and social peace. In this perspective, recognition would have to be reciprocal and egalitarian (Honneth 2000; Caillé et Lazzeri 2009). Scholars have stressed social actors’ needs to have their dignity recognized, while often leaving aside cases where actors looked for the recognition of their superiority (Rawls 2006; Taylor 2009). How can we make sense of actors’ demands which rest on a non-egalitarian and non-reciprocal understanding of recognition? In order to make room for conflicting demands of recognition, one cannot neglect the processes of resistance and domination that accompany such demands for recognition and shape struggles between international actors (state as well as non-state actors).
Thie section suggests that the notion of “asymmetrical recognition” (i.e. limited and non-egalitarian, with an emphasis on “superiority”) is much more in tune with empirical evidence on conflicts in international politics than the notion of “symmetrical recognition” (i.e. reciprocal and egalitarian recognition, with an emphasis on “dignity”). Such claims for asymmetrical recognition can be observed throughout historical contexts and seem to still account for present conflicts between state actors or conflicts between state and non-state actors (Hassner 2005; Lebow 2008; Saurette 2006; Lindemann 2014; Clément 2014).
The section’s goal is thus to sketch a typology of asymmetrical recognition in international politics. Two main themes are proposed, mirrored in two panels, in which contributors will assess and compare international actors’ expectations in terms of superiority and the way they justify such claims.
– The 1st panel will focus on state actors’ struggles for asymmetrical recognition. Is the longing for asymmetrical recognition connected to regime type? Are liberal democracies using the same justifications to gain asymmetrical recognition? Are they comparable to justifications put forward by authoritative regimes?
– The 2nd panel will focus on non-state actors and their claims to recognition towards state actors. How demands for asymmetrical recognition are connected to the type of non-state actors implied? What are the asymmetrical recognition’s discourses for those (i.e. NGO, armed non-state actors, transnational terrorist groups, etc.) who contest limited recognition and claim a position of superiority over other international actors?
These two panels will contribute to the elaboration of a typology of actors’ demands and justifications for each of the two configurations. First, asymmetrical recognition is characterized by actors’ demands (or expectations), i. e. the claim to benefit from a greater share than previously enjoyed and/or a greater share than other actors, in terms of material and symbolic goods, be them territories, resources, honors, status, ability to frame norms, legitimacy, etc. Second, these actors develop specific discourses of justification: claims for asymmetrical recognition can be based on an alleged military, and/or technological, and/or economic, and/or moral superiority, on religious believes, on historical claims (Aron 2004, Lebow 2008, Wolf 2011). These claims and discourses of justification will be contextualized and compared throughout the two panels.

REFERENCES

Aron Raymond, Paix et guerre entre les nations (1962), Paris, Calmann-Lévy, 2004.
Brincat Shannon, « Recognition, Conflict and the Problem of Ethical Community », numéro spécial, Global Discourse, vol. 4, n°4, 2014.
Caillé Alain et Christian Lazzeri, La Reconnaissance aujourd’hui, Paris, CNRS Éditions, 2009.
Clément, Maéva, « Al-Muhajiroun in the United Kingdom: The role of international non-recognition in heightened radicalization dynamics », Global Discourse, vol. 4, n°4, 2014, p. 428-433.
Geis Anna (et al.), Recognition in International Relations: Rethinking a Political Concept in a Global Context, Palgrave Macmillan, 2014.
Hassner Pierre, « La revanche des passions », Commentaire, vol. 28, no. 110, été 2005, p. 299-312.
Honneth Axel, La lutte pour la reconnaissance (1992), trad. Pierre Rusch, Paris, Gallimard, 2000.
Kagan Donald, On the Origins of War and the Preservation of Peace, New York, Anchor Books, 1996.
Klotz Audie and Cecelia Lynch, « Le constructivisme dans la théorie des relations internationales », tr. fr., Critique internationale, no. 2, hiver 1999, p. 51-62
Lebow Richard N., A Cultural Theory of International Relations, Cambridge, Cambridge University Press, 2008.
Lindemann Thomas, La guerre : Théories, causes, règlements, Paris, Armand Colin, 2010.
Lindemann Thomas, « Recognizing (mis)recognition from the inside and the outside: some criteria for ‘seizing’ a slippery concept », Global Discourse, no4, 2014, p. 542-549.
Lindemann Thomas et Julie Saada, « Théorie de la reconnaissance dans les relations internationales : Enjeux symboliques et limites du paradigme de l’intérêt », Cultures & Conflits, no. 87, automne 2012, p. 7-25.
Rawls John, Paix et démocratie : Le droit des peuples et la raison publique, trad. Bertrand Guillarme, Paris, La Découverte, 2006.
Saurette Paul, « You dissin me? Humiliation and post 9/11 global politics », Review of International Studies, vol. 32, no. 3, July 2006, p. 495-522.
Taylor Charles, Multiculturalisme : Différence et démocratie, trad. Danis-Armand Canal (1994), Paris, Flammarion, 2009, p. 43 et 44
Wendt Alexander, Social theory of International Politics, Cambridge, Cambridge University, Press, 1999.
Wolf Reinhard, « Respect and Disrespect in International Politics: The Significance of Status Recognition », International Theory, 3/1, 201, p. 105–142.

Axe 1 / Les dynamiques de reconnaissance asymétrique entre acteurs étatiques
Présidente de session : Maéva Clément (Université Helmut-Schmidt de Hambourg)
Discutant : Benjamin Brice (EHESS / University of Sydney)

Živilė Kalibataitė (Université de Namur / Université Paris-Est), Focus sur la démocratie libérale dans la quête de reconnaissance(s) internationale(s) des pays baltes : Affirmer la supériorité pour gagner en dignité

Manon-Nour Tannous (Collège de France), Quand la France conseillait la Syrie : la coopération comme principe de reconnaissance asymétrique
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Maja Spanu (University of Cambridge), Les hiérarchies après l’empire : autodétermination et constitution de l’inégalité
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Axe 2 / Les dynamiques de reconnaissance asymétrique acteurs étatiques et non-étatiques
Président de session : Benjamin Brice (EHESS / University of Sydney)
Discutante : Manon-Nous Tannous (Collège de France)

Robert Fankem (Université de Yaoundé II), « Sovereignty-free actors » versus « State-centric actors », un modèle de reconnaissance asymétrique à la base de la construction de la « responsabilité de protéger »
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Okan Germiyanoglu (CERAPS, Université Lille 2), Des croyances stato-centrées pour délégitimer ? La vision de la lutte contre le terrorisme par les diplomates français
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Maéva Clément (Helmut-Schmidt Universität Hamburg / UVSQ / Goethe Universität Frankfurt), Le rôle de la (non-)reconnaissance dans les dynamiques collectives de radicalisation : le cas de l’organisation britannique al-Muhajiroun
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Živilė Kalibataitė (Université de Namur / Université Paris-Est)

Focus sur la démocratie libérale dans la quête de reconnaissance(s) internationale(s) des pays baltes. Affirmer la supériorité pour gagner en dignité.
Cette communication étudie le discours des autorités publiques sur la démocratie libérale en Estonie, en Lettonie et en Lituanie depuis 1990. L’objectif est d’interroger l’articulation des différentes formes de la reconnaissance internationale et plus précisément la signification, les demandes et les justifications de la reconnaissance asymétrique dans ces pays. La quête de reconnaissance des Etats baltes semble s’articuler autour de deux enjeux principaux : la différenciation par rapport à la grande puissance régionale qu’est la Russie, d’une part ; et l’identification avec la communauté occidentale, d’autre part. La demande de reconnaissance est ainsi insérée dans un jeu multidimensionnel où le discours sur la démocratie libérale est tantôt utilisé pour affirmer la différence, voire la supériorité, des valeurs libérales portées par ces pays par rapport à la Russie, tantôt pour mettre en avant des points d’identification communs avec la communauté occidentale, généralement incarnée aux yeux des dirigeants baltes par l’Union européenne, l’OTAN et les Etats-Unis. Nous interrogeons ainsi la continuité et la compatibilité entre la demande de supériorité (reconnaissance asymétrique) et la demande de dignité (reconnaissance d’égalité) dans la quête de reconnaissance internationale de ces trois Etats.

Focus on liberal democracy within the quest for international recognition of Baltic States. Assert superiority in order to gain dignity
This paper studies the discourse of public authorities on liberal democracy in Estonia, Latvia and Lithuania since 1990. It aims at questioning the link between different forms of international recognition and more precisely the meaning, requests and justifications of asymmetric recognition in these countries. The quest for recognition of Baltic States seems to rely on two major concerns: differentiation from Russia, which is the greatest regional power on the one hand, and identification with the western community on the other hand. The request for recognition is thus part of a multidimensional game in which discourse on liberal democracy is used either to assert the difference and even the superiority of liberal values upheld by those countries unlike Russia, or to emphasize common points with the western community embodied, according to Baltic leaders, by the European Union, NATO and the United States. This paper therefore questions the continuity and compatibility between the claim for superiority (asymmetric recognition) and the claim for dignity (recognition of equal dignity) in the quest for international recognition of these three states.

Manon-Nour Tannous (Collège de France)

Quand la France conseillait la Syrie : la coopération comme principe de reconnaissance asymétrique
Lorsqu’en 2000 Bachar Al-Assad devient président de la Syrie, succédant à son père, la France parie sur la modernisation du régime. Jacques Chirac conditionne alors son soutien à la mise en place, en 2002-2003, d’une coopération originale. À partir d’archives diplomatiques inédites et d’entretiens, notre communication entend étudier trois de ces coopérations : la création de l’Institut National d’Administration à Damas, le rapport sur la réforme administrative en Syrie et celui sur la modernisation du ministère des Finances.
Ces initiatives répondent à une opportunité réciproque. D’une part, l’adoption de sanctions américaines (le SALSA) provoque chez Bachar Al-Assad une demande de légitimation internationale. D’autre part, la France encourage l’émergence de conseillers syriens susceptibles de devenir les vecteurs d’une relation franco-syrienne approfondie.
Pourtant, la coopération achoppe. Au-delà de l’instrumentalisation du processus de coopération, notre communication analysera l’asymétrie perçue par le régime syrien et ses causes cumulatives (relation dominant-dominé, obtentions d’informations par les experts français, influence politique par le biais des recommandations). La coopération change de statut : ce qui apparaissait comme la condition d’une reconnaissance réciproque, devient perçu par la Syrie comme l’instrument de l’accentuation de l’asymétrie entre les deux pays.

When France advised Syria: cooperation as a principle of asymmetrical recognition
When Bashar Al-Asad succeeded his father as president of Syria in 2000, France bet on the modernisation of the regime. Jacques Chirac thus made his support contingent on the setting up, in 2002-2003, of a new form of cooperation. Based on interviews and hitherto unseen diplomatic archives, our paper intends to analyse three facets of this cooperation: the creation of the National Institute of Administration in Damascus, the report on Syrian administrative reform, and that on the modernisation of the Ministry of Finance.
These initiatives stemmed from a convergence of goals. On the one hand, the imposition of American sanctions against Syria (through the Syria Accountability and Lebanese Sovereignty Restoration Act) brought Bashar Al-Asad to seek international legitimacy. On the other, France encouraged the emergence of Syrian advisors, likely to become vectors for a strengthened relationship between France and Syria.
Yet the cooperation failed. Beyond the instrumentalisation of the cooperation process , our paper analyses the asymmetry perceived by the Syrian regime and its cumulative causes (an unequal relationship, access to information by French experts, political influence exerted through recommendations). The cooperation gradually changed in nature, what at first appeared as a precondition for mutual recognition became perceived by Syria as only increasing the two countries’ asymmetric relation.

Maja Spanu (University of Cambridge)

Les hiérarchies après l’empire : autodétermination et constitution de l’inégalité
Cet article examine l’expansion de la société internationale au XXe, pendant lequel l’ambiguïté du principe d’autodétermination des peuples devient centrale. Une grande partie des travaux en relations internationales appréhendent l’idée d’autodétermination comme un principe égalitaire, menant à une globalisation progressive de la souveraineté et à la diffusion des normes libérales dans le sillage des empires. Ce papier questionne le caractère téléologique de ces approches, en se demandant s’il ne s’agit pas d’un tableau inadéquat de l’expansion de la société internationale. Ce texte suggère que l’idée selon laquelle le droit à l’autodétermination se termine là où la souveraineté commence sous-estime le rôle ambivalent que celui-ci a joué avant et, surtout, après la reconnaissance de nouveaux États. En plaçant la discussion au-delà de la reconnaissance formelle de la souveraineté, cet article suggère que la réalisation du droit à l’autodétermination implique une tension récurrente entre les aspirations égalitaires de l’autodétermination et les pratiques qui lui sont associées qui produisent, elles, des stratifications entre les États et à l’intérieur de ceux-ci. Cela a été le cas tout au long du XXe, mais la tension a pris des formes différentes pour chacune des vagues de création de nouveaux États : après la première guerre mondiale, lors de la phase de décolonisation après 1945, et à la fin du XXe siècle avec la dissolution de la Yougoslavie et de l’Union soviétique.

Hierarchies After Empire: self-determination and the constitution of inequality
This article re-examines the twentieth century expansion of international society, in which an ambiguous idea of self-determination is central. Most literature in International Relations understands self-determination as an egalitarian principle leading to a linear globalisation of sovereignty and diffusion of liberal norms in the wake of empire. This paper challenges the teleological character of these perspectives, arguing that they constitute an inadequate depiction of the expansion of international society. It suggests that the assumption that self-determination ends where sovereignty starts underestimates the ambivalent role that the former has played before and, crucially, after statehood is recognised. By shifting the discussion beyond formal recognition of sovereignty, the article sketches how the realisation of self-determination involves a recurrent tension, a tension between the egalitarian aspirations of self-determination and the practices associated with it that produce stratifications among and within states. While this has been true throughout the twentieth century, this article shows that the tension has taken different forms for each of its waves of state formation: after World War I, in the post-1945 decolonisation years, and with the break-up of the Soviet Union and Yugoslavia in the late twentieth century.

Robert Fankem (Université de Yaoundé II)

Sovereignty-free actors » versus « State-centricactors », un modèle de reconnaissance asymétrique à la base de la construction de la « responsabilité de protéger
La responsabilité de protéger est un concept récent (2005) de sécurité nationale qui fait de l’État le premier responsable de la sécurité de sa population et s’inscrit dans un contexte de transformation de la sociologie des conflits désormais caractérisés par les atrocités sur le genre humain : les crimes de masse, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité. Cet état de chose choque la conscience humaine et une catégorie d’acteurs non-étatiques se mobilisent autour de l’émergence du concept de sécurité humaine face à la toute-puissance de l’État. Aux guerres injustes se dresse le jugement moral entretenu par ces acteurs non-étatiques, notamment les ONG qui formulent la « demande de justification », laquelle contribue à les sortir de la reconnaissance limitée que les entités étatiques leur conféraient jusque-là.
Certaines ONG disposant de ressources réputationnelles comme International Crisis Group et d’autres de ressources financières comme Carnegie Fondation construisent des discours allant dans le sens de la reddition des comptes de l’État, mettant ainsi à mal les tendances monopolistiques de celui-ci.
La R2P apparaît dès lors comme un exemple empirique de définition de nouvelles normes inspirées par ces acteurs non-étatiques qui jouissent subséquemment d’une reconnaissance asymétrique.

Sovereignty-free actors » versus « State-centric actors », a model of asymetrical acknowledgement at the basis of “the responsibility to protect.
The responsibility to protect is a new concept (2005) of national security which considers the state as the first responsible of the security of the population. This concept is part of the context of the transformation of the sociology of conflicts characterised by some casualties like atrocities against humans, mass crimes, war crimes, ethnic cleansing and crime against humanity.
This situation is rather shocking for human conscience and a category of political entrepreneurs and non-State actors mobilize around the advent of the concept of human security in opposition to the State which is always ready to brandish the claim of sovereignty of action. Unfair wars face the moral judgement harnessed by the non-state actors, namely the NGOs which formulate for the « request of justification. This request takes them out of the limited sphere of recognisance in which the State entities had put them until then.
Some non-State actors, namely the NGOs who have reputational resources like the International Crisis Group and those with financial resource like the Carnegie Foundation build rhetoric’s geared towards accountability, thus putting into question monopolistic trends of States.
The R2P appears from this point of view as an empirical example for the definition of new norms inspired by these non-state actors who subsequently enjoy an asymmetrical acknowledgement.

Okan Germiyanoglu (CERAPS, Université Lille 2)

Des croyances stato-centrées pour délégitimer ? La vision de la lutte contre le terrorisme par les diplomates français
L’objet de cette contribution est de renouveler l’analyse du processus décisionnel en politique étrangère à travers la lutte contre le terrorisme par les diplomates français. En effet, si la France mène une « guerre » contre le terrorisme depuis les attentats de 2015, les orientations stratégiques conçues par ses diplomates ne se limitent pas à des pratiques bureaucratiques ou à des intérêts corporatistes [Allison, Zelikow, 1999]. Nous proposons ainsi de les aborder sous l’angle d’un « constructivisme matérialiste » [Lindemann, 2010]. Dans cette démarche, et à partir d’un matériel empirique (entretiens, Livres blancs), nous souhaitons confronter les croyances des diplomates français à l’idéologie de groupes terroristes (Daesh). Nous mobilisons pour cela le « code opérationnel » [George, 1969], permettant de cerner les croyances porteuses d’un puissant déni de reconnaissance, avec les « modèles de reconnaissance intersubjective » [Honneth, 1992 ; 2000]. Dès lors, la lutte contre le terrorisme menée par la France est-elle basée sur un modèle de reconnaissance intersubjective lié au respect du droit international ? Cette contribution va démontrer qu’il existe des processus bien plus complexes pour délégitimer la violence terroriste.

“State-Centric” Beliefs to Delegitimize? The Vision of the Fight Against Terrorism by French Diplomats
This paper proposal aims to extend renew the decision-making process analysis in Foreign policy, through the vision of the fight against terrorism by French diplomats. Indeed, France lead a “war” against terrorism over the last few years, especially after Paris’ attacks. French diplomats strategic guidelines do not limit to organisational interests or routines [Allison, Zelikow, 1999]. The goal is to study it by a “materialist constructivism” [Lindemann, 2010]. From an empirical approach, I propose to confront French diplomats’ beliefs with the ideology of terrorist groups (Daesh). The operational code will be mobilized [George, 1969] to underlying beliefs linked with a strong recognition deny. This pattern will be connected to “models of intersubjective recognition” [Honneth, 1992; 2000]. Is the French fight against terrorism based on a model of intersubjective recognition closed to respect of International law? This paper argues that it exists more complex subjective processes to delegitimize terrorist violence.

Maéva Clément (Helmut-Schmidt Universität Hamburg / UVSQ / Goethe Universität Frankfurt)

Le rôle de la (non-)reconnaissance dans les dynamiques collectives de radicalisation : le cas de l’organisation britannique al-Muhajiroun
Cette contribution interroge les dynamiques entre non-reconnaissance, réelle ou perçue, et l’adoption de discours et pratiques violents, prenant comme cas le groupe islamiste britannique Al-Muhajiroun (AM). Trois évènements internationaux marquants– les attaques du 11 Septembre, le déclenchement de la guerre en Afghanistan et l’invasion de l’Irak – ont été interprétés par le groupe comme rabaissant le statut de la ummah (communauté islamique transnationale) et attaquant son intégrité physique (dénis de reconnaissance). D’un narratif de discrimination, le discours d’AM évolue vers une représentation systématique de l’ordre international comme la source de l’oppression de la ummah, qui ne cesserait qu’avec la création d’un état islamique mondial. En termes de reconnaissance, les prétentions d’AM change alors diamétralement : alors que sa lutte s’attachait à la reconnaissance de la dignité de la ummah, le groupe met l’accent, au tournant 2002-2003, sur sa supériorité morale par rapport à l’Occident, abandonnant ainsi l’horizon d’une reconnaissance réciproque. Ce discours transformé se traduit alors par la promotion d’un jihad total afin d’établir le califat comme ordre international alternatif et supérieur. Cette contribution souligne ainsi comment AM, acteur non-étatique, a transformé un déni perçu de reconnaissance en discours stratégique cherchant à dépasser la non-reconnaissance de la ummah qu’il prétendait représenter.

The role of (non-)recognition in group radicalization dynamics: A case study of the British organization al-Muhajiroun
This paper questions the dynamics between non-recognition – real or perceived – and increasingly violent discourses and practices, with a case study of the radical British Islamist group Al-Muhajiroun (AM). Three international events – the 9/11 attacks, the outbreak of the war in Afghanistan in 2001 and the invasion of Iraq in 2003 – were interpreted by the group as a lowering of the ummah’s social status and an attack on its physical integrity, i.e. as instances of non-recognition. AM’s discourse evolved from a narrative of discrimination against Muslims to the systematic representation of the international order as the source of the ummah‘s oppression, which would only cease with the implementation of a world Islamic state. In terms of recognition, AM’s claims thereby dramatically changed: while previously striving for the equal recognition of the worldwide Muslim community (struggle for dignity), the group increasingly stressed the ummah’s moral superiority, abandoning the goal of reciprocal recognition towards the end of 2002. This discourse translated into policy prescriptions advocating an all-out jihad to establish a world caliphate as an alternative, superior international order. The paper thereby discusses how AM, as a non-state actor, transformed denials of recognition into a strategic discourse aiming at reversing the non-recognition of the community it claimed to represent.

Mercredi 12 juillet 2017 14h00-18h00

BRICE Benjamin benjamin.brice@gmail.com
CLEMENT Maéva maeva.clement@gmail.com
EPSTEIN Charlotte charlotte.epstein@sydney.edu.au
FANKEM Robert robertfankem@yahoo.fr
GERMIYANOGLU Okan okan.germiyanoglu@gmail.com
KALIBATAITE Živilė kalibataite@gmail.com
SPANU Maja ms2406@cam.ac.uk
TANNOUS Manon-Nour manon.nour.tannous@gmail.com