le portail de la science politique française

rechercher

ST12

L’action publique comme action collective : enquêter sur les acteurs « relais » de la régulation politique

Policy as collective action : how professional groups act as relays for political regulation

Responsables scientifiques
Caroline Frau (Lyon 2/TRIANGLE) caroline.frau@univ-lyon2.fr
Anne-France Taiclet (Lyon 2/TRIANGLE) anne-france.taiclet@univ-lyon2.fr

Les recherches contemporaines sur l’action publique ont bien établi son appréhension dans une démarche de sociologie politique attentive à l’ensemble des relations, des pratiques, des représentations qui participent à la production de modes de régulation des rapports sociaux (Hassenteufel, 2008 ; Dubois, 2009). De nombreux travaux sur les configurations d’acteurs de l’action publique ont été produits : des hauts fonctionnaires européens (Georgakakis, 2010) aux street-level bureaucrats (Dubois, 1999 ; Spire, 2005) ; des groupes d’intérêt, syndicats, associations, groupes professionnels (Michel, 2010) aux bénéficiaires qui recourent ou pas à ces actions (Warin, 2011 ; Weill, 2013), parfois en les détournant ou en s’y accommodant (Barrault, 2013).
Dans la continuité de cette démarche, cette section thématique consiste à poursuivre l’articulation entre politiques publiques et logiques professionnelles (Le Bianic et Vion, 2008). Toutefois, son intérêt n’est pas seulement de considérer la contribution de divers espaces professionnels à la fabrication d’éléments d’action publique, il est également d’interroger la capacité d’orientation, de contrôle, d’intégration et de légitimation des pouvoirs publics, en particulier de l’Etat, sur l’activité d’un certain nombre de groupes et d’agents qui constituent, de façon plus ou moins formalisée, des relais et des opérateurs d’objectifs politiques. Il s’agit donc de prolonger l’investigation de « la construction de l’action collective dans le cadre de l’Etat régulateur » (Hassenteufel, 2008), considérant que la capacité politique des gouvernements ne relève pas seulement d’une activité de pilotage mais aussi de « tissage », consistant à faire tenir ensemble une multiplicité de groupes, d’organisations et d’intérêts variés, la mise en cohérence de ces nombreux fils dessinant les mailles de l’action publique (Parsons, 2004). Cette perspective s’inscrit dans les débats relatifs à la complexification des chaînes et mécanismes de co-production de l’action publique (Bovaird, 2013 ; Alford, 2013), notamment dans un contexte de réformes néo-managériales dont les modalités (privatisation, sous-traitance, décentralisation) intensifient les enjeux du gouvernement à distance (Salamon, 2002). L’action publique apparaît ainsi comme le résultat de l’entrelacement d’une variété d’inputs émanant pour partie d’acteurs et/ou d’organisations qui n’appartiennent pas formellement à une institution publique officiellement chargée de produire un bien ou service public donné (Ostrom, 2012). Les partenariats public-privé et les formes hybrides d’action publique qui en découlent (Huré, 2013), y compris dans des domaines régaliens supposés rétifs à la privatisation, comme la santé publique (Bergeron, Castel et Nouguez, 2011), constituent des exemples fructueux pour interroger les effets de ce mouvement d’externalisation.
Pour prolonger cette perspective, il s’agit ici de s’intéresser aux acteurs qui participent à l’action publique tout en demeurant quelque peu dans l’ombre de la cartographie officielle des policymakers, ceux qui par leurs pratiques ordinaires relayent et diffusent les normes et valeurs des actions publiques. Plus des « porteurs de morale » que des « entrepreneurs de morale », ils s’apparentent à des auxiliaires de l’action publique par leur rôle dans la diffusion, l’actualisation et le rappel des objectifs moraux de certaines formes de régulations sociales. Des soignants qui relayent des discours de prévention sanitaire, aux opérateurs privés de placement qui accompagnent les demandeurs d’emploi, en passant par les travailleurs sociaux, les contrôleurs de métro, les conseillers bancaires, les pharmaciens, les buralistes, les agents immobiliers, les patrons de bar… ces acteurs informels et parfois invisibles de l’action publique participent à son existence pratique. Souvent sans délégation, sans cahier des charges contraignant, sans évaluation spécifique, ils contribuent à l’action publique « sans en avoir l’air » (Le Gall, Offerlé, Ploux, 2012).
En s’intéressant à la fois aux acteurs et aux instruments d’action publique, cette section thématique a pour ambition de questionner les activités de gouvernement des conduites reliables à des objectifs politiques qui supposent dans leur exécution la participation de groupes sociaux, en particuliers des groupes professionnels. C’est notamment le cas des politiques qui visent à agir sur des comportements, ou encore à opérer un « gouvernement des corps » (Fassin et Memmi, 2004) par des instruments pédagogiques : les politiques de prévention routière ou sanitaire (Berlivet, 1997), les politiques de sensibilisation aux questions de discrimination)… Au-delà des sanctions ou de l’interdiction, l’éradication de pratiques considérées comme néfastes pour la vie en société passe aussi par la normalisation de certaines pratiques (considérer les femmes comme égales aux hommes, boire ou conduire…) et à la dé-normalisation d’autres (fumer, administrer une fessée à un enfant…). Les débats contemporains sur le statut légal du cannabis (et les réformes de légalisation engagées par certains Etats) mettent en lumière un déplacement de la responsabilité du gouvernement des pratiques individuelles de consommation depuis les services d’application de la loi (police, justice) vers des acteurs privés. Qu’il s’agisse des acteurs du marché du cannabis récréatif (producteurs, distributeurs), des pharmaciens, ou encore des clubs de consommateurs, ils encadrent, contrôlent, orientent voire éradiquent ou stimulent cette pratique. Se pose alors la question de savoir comment les objectifs politiques sont portés, relayés par des acteurs qui ne sont pas formellement inscrits dans la chaîne de commandement des pouvoirs publics. Selon quelles modalités ces relais sont-ils suscités, alimentés, contrôlés ? Les travaux d’Elizabeth Chiarello montrent par exemple les modalités d’enrôlement des pharmaciens américains dans une extension de la « guerre à la drogue » aux médicaments sur ordonnance, à travers l’instrument du monitoring qui les place en position de gatekeeper (à la fois pour l’accès aux produits et pour l’exposition aux poursuites en cas d’usage frauduleux), position exercée par ces professionnels de façon plurielle en fonction de la norme (médicale, légale ou morale) à laquelle ils se réfèrent, mais qui les expose simultanément à la surveillance des pouvoirs publics, les bases de données du système de monitoring permettant un suivi des patients ainsi que des pratiques de prescription des médecins et de délivrance des médicaments par les pharmaciens. Ce dispositif apparaît à la fois incitatif et rédhibitoire, produisant des formes différentielles d’adhésion à l’objectif de contrôle des médicaments (Chiarello, 2015).
A travers les contributions, il s’agira d’identifier les instruments par lesquels les pouvoirs publics cherchent à « faire faire » en stimulant la mobilisation de certains groupes dont il est attendu qu’ils relaient, à travers leurs activités ordinaires, des objectifs politiques. Les modalités d’enrôlement, plus ou moins avéré et maîtrisé, de groupes notamment professionnels comme auxiliaires de l’action publique offrent un support pour interroger autrement l’exercice du gouvernement à distance. Par analogie, la théorie du two-step flow of communication de Lazarsfeld et Katz peut permettre de penser l’action de ces intermédiaires non institutionnels comme « leaders d’opinion », relais des normes et des valeurs de l’action publique. Comment ces agents intègrent-ils les objectifs de l’action publique et participent-ils à la diffusion de ses normes, de ses valeurs et de ses objectifs ? Quels savoirs, quelles sources, quelles circulations, quels filtrages, quels tris, quelles réappropriations (Rozier, 2013) accompagnent cette contribution à la production de normes sociales ? Quels freins (cognitifs, normatifs, pratiques, institutionnels) entravent la réappropriation de certains objectifs (Perrier, 2015) ? Quels sont les cadres, les contraintes, les ressorts pratiques de ces apprentissages (Breton, 2014)?
Il s’agit de comprendre la façon dont l’action publique, appréhendée dans le cadre de cette ST du point de vue de ses outputs, et, si possible, de ses outcomes, est le produit d’écologies liées (Abbott, 2003). Ce faisant, l’objectif de la ST est également de susciter une réflexion méthodologique à propos de l’objectivation des espaces de l’action publique et du repérage des acteurs pertinents. Elargir l’analyse de la structuration des relations de l’action publique à ces acteurs, revient en effet à s’interroger sur les contours de l’action publique, ses marges, ses limites et, si l’on prend acte de leur « démographie galopante » (Massardier, 2003), à ouvrir à nouveaux frais la question de la définition et de la caractérisation des « acteurs de l’action publique ».

Recent research has well established policy analysis as a branch of political sociology, with an interest for the interlocking of multiple actors, institutions, interests, resources, ideas, and types of legitimacy (Dubois, 2009). Regulation definitely appears as the result of an ever more complex set of collective action (Hassenteufel, 2008) where public actors are far from being the only policymakers. The sociological analysis of public policy encompasses a variety of actors, ranging from European top civil servants (Georgakakis, 2010) to street-level bureaucrats (Dubois 1999 ; Spire 2005), from interest groups, trade-unions, associations, professional groups (Michel, 2010), to the very beneficiaries (or « targets ») who may or may not take up the goods or services that are delivered through the policy process (Warin, 2001; Weill, 2013). In this panel, we wish to further investigate the collective dimension of policy-making, in line with current academic discussions about the co-production of policy (Alford, 2013; Bovaird, 2013). Recent managerial reforms (including privatisation, out-sourcing, decentralisation and more generally the use of indirect tools of government) have strengthened the process of externalisation in policy networks, raising new challenges regarding arm’s length regulation (Salamon, 2002). Notably, public policy more and more appears as a process through which diverse inputs are contributed by individuals and organisations that are not part of an official government agency primarily responsible for producing a particular good or service (Ostrom, 2012). The papers presented in this section are expected to provide more insight into such groups of actors who somehow remain in the shadow of official policy settings but who contribute, through their daily performances, to the diffusion of policy norms and values. Rather « moral holders » than actual « moral entrepreneurs », such actors appear as policy « assistants » insofar as they de facto act as vehicles and/or reminders of policy moral goals. Healthcare professionals relaying prevention guidelines, outplacement agencies in charge of jobseekers, social workers, tobacconists, real estate agents, bank advisors, bar managers, pharmacists, bus drivers, those are some examples of groups or individual who participate in the shaping of policy delivery, even though they may not be officially identified as policymakers. Quite often, some professionals are involved in the implementation of social regulation somehow matter-of-factly, without any specific mandate, mission statement or explicit evaluation. This is particularly the case in policies aiming at regulating individual and/or collective behaviours by using « pedagogical » tools (e.g. prevention campaigns (Berlivet, 1997), health recommendations, awareness campaigns on discrimination problems). Beyond prohibition or punishment, some policies for instance aim at the eradication of types of conduct that are considered as harmful, negative, degrading or more generally detrimental to society. One prominent method to achieve such goals resides in the normalisation of some practices (considering men and women as equals, drinking or driving, …) and the de-normalisation of others (smoking, spanking a child,…), such a method obviously requiring normative relays in everyday life. We intend to understand how some professionals, in various fields of activity, may act as « policy assistants » by incorporating policy goals and relaying political and social norms in daily interactions. This implies to scrutinise the circulation of knowledges, the selections, sorting of references, appropriations, hybridations that are operated through this process of norm diffusion. What kind of obstacles (cognitive, normative, practical, institutional) hinders this process (Perrier, 2015)? Which conditions frame the social learning underlying policy appropriation (Breton, 2014)?
Papers in this panel are expected to document the arrangements through which political and administrative actors may elicit the mobilisation of other actors, who are supposedly outside the policy process, to behave in accordance with policy recommendations and goals. Papers may identify the instruments by which some groups are (more or less willingly, more or less completely, more or less formally) “enrolled” as policy assistants or relays, or they may focus on the contribution of non official policy actors to the implementation (or subversion) of regulation, or better yet, they may try to link both those perspectives. Secondly, by studying the policy process as a co-production by “linked ecologies’ (Abbott, 2003), the panel also ambitions to stir a methodological reflection about policy analysis. The extension of policy networks, the inclusion of new categories of actors into the list of policy protaganists raise issues such as the delimitation of policy milieus, the objectivation of public policy frontiers, the identification of relevant actors and in fine the very definition of what/who is an actor of public policy.

REFERENCES

Abbott A., « Ecologies liées : à propos du système des professions », Menger P.M (dir.), Les professions et leurs sociologies, Paris, Maison des sciences de l’homme, 2003, p.29-50.
Alford, J., « The Multiple Facets of Co-Production : Building on the work of Elinor Ostrom », Public Management Review, 16/3, p. 299-316, 2013.
Barrault L., Gouverner par accommodements. Stratégies autour de la carte scolaire, Paris, Dalloz-Sirey, 2013.
Bergeron H., Castel P., Nouguez E., « Un entrepreneur privé de politique publique. La lutte contre l’obésité, entre santé publique et intérêt privé », Revue française de science politique, 61/2, 2011, p. 201-229.
Berlivet L., « Naissance d’une politique symbolique : l’institutionnalisation des ‘grandes campagnes’ d’éducation pour la santé », Quaderni, n°33, 1997, p. 99-117.
Bovaird, T., « Context in Public Policy : Implications of Complexity Theory » in Pollitt C. (ed.), Context in Public Policy and Management : the Missing Link ?, Cheltenham, Edward Elgar, 2013, p. 155-177.
Breton E., « Répondre à l’appel (à projets). Récits d’un apprentissage silencieux des normes de l’action publique patrimoniale », Politix, 105/1, 2014.
Chiarello E., « The War on Drugs Comes to the Pharmacy Counter : Frontline Work in the Shadow of Discrepant Institutional Logics », Law and Social Inquiry, 40/1, p. 86-122, 2015.
Dubois V., La vie au guichet, Paris, Economica, 1999.
Dubois V., « L’action publique », in Cohen A., Lacroix B. Riutort P., Nouveau manuel de science politique, Paris La Découverte, 2009, p. 311-325.
Fassin E., Memmi D., Le gouvernement des corps, Paris, Editions de l’EHESS, 2004.
Georgakakis D. (dir.), Le champ de l’Eurocratie, Paris, Economica, 2010.
Hassenteufel P., Sociologie politique : l’action publique, Paris, Armand Colin, 2008.
Huré M., « Une action publique hybride ? Retour sur l’institutionnalisation d’un partenariat public-privé, JC Decaux à Lyon (1965-2005) », Sociologie du travail, vol. 54, n°2, p. 233-253.
Le Bianic T., Vion A. (dir.), Action publique et légitimités professionnelles, Paris, LGDJ, 2008.
Le Gall L., Offerlé M., Ploux F., La politique sans en avoir l’air, Rennes, PUR, 2012.
Massardier G., Politiques et action publiques, Paris, Armand Colin, 2003.
Michel H., « Groupes d’intérêt, mouvements sociaux et politiques publiques », in Guiraudon V. et Olivier Borraz O. (dir.), Politiques publiques 2., Paris, Presses de science po, 2010, p. 140-156.
Ostrom E., Foreword, in Pestoff, Brandsen, Verschuere (eds), New Public Governance. The Third Sector and Co-Production, Abingdon, Routledge, 2012.
Parsons W., « Not Just Steering but Weaving : Relevant Knowledge and the Craft of Building Policy Capacity and Coherence », Australian Journal of Public Administration, 63/1, p. 43-57, 2004
Perrier G., 2015, « L’objectif d’égalité des sexes dans la mise en peuvre des politiques d’emploi à Berlin. De la diffusion professionnelle aux difficiles réappropriations profanes », Politix, 2015/1, n°109, 2015, p. 111-133.
Rozier S., « Ordre scolaire et ordre économique. Conditions d’appropriation et d’usages des « mini-entreprises » dans des établissements scolaires français », Politix, 2014/1, n°105, p. 163-184.
Salamon L. M. (ed), The Tools of Government. A Guide to the New Governance, Oxford, Oxford University Press, 2002.
Spire A. Etrangers à la carte, Paris, Grasset, 2005.
Warin P., « Le non-recours par désaccord. Welfare stigma et catégorie du non-recours » in Jaeger M. (dir.), Usagers ou citoyens ? De l’usage des catégories en action sociale et médico-sociale, Paris, Dunod, 2001, p. 115-136.
Weill P-E., « Le droit au service des personnes défavorisées ? Les effets pervers de la mise en œuvre du droit au logement opposable », Gouvernement et action publique, vol. 2, n°2, 2013, p. 279-302.

Axe 1 / Gouverner sans en avoir l’air ? Des professionnels relais invisibles de l’action publique

Collectif CANDELA (Université Lille 2/CERAPS), Les patron.nes d’établissement de nuit entre production du désordre et gestion de l’ordre

Rémi Habouzit (UVSQ-Printemps/LEST), Les gardiens d’immeubles dans la rénovation urbaine : des professionnels en appui à la volonté de transformation des quartiers

Amélie Corbel (Sciences Po/CEE), Les ‘conseilleurs légaux’ (gyôsei shoshi) comme relais de l’action publique
Télécharger la communication

Axe 2 / La diffusion de normes comme produit de luttes de porteurs de l’action publique

Marion Charpenel (CMH, ENS/EHESS), Marion Rabier (UHA / SAGE), Les relais de l’égalité professionnelle : redéfinition et managérialisation d’une politique ‘négociée’

Yohan Selponi (CESAER/LaSSP), La politique publique de prévention des conduites addictives en milieu scolaire, un instrument de lutte entre associations de soin aux consommateurs de psychotropes

Audrey Mariette, Laure Pitti (Université Paris 8/CRESPPA-CSU), Des agents « relais » ou co-producteurs de la « santé publique » à l’échelle locale ? Le cas d’une commune populaire de la région parisienne

Discutantes :
Gwenola Le Naour (Sciences Po Lyon/ TRIANGLE)
Sabine Rozier (Université Paris Dauphine/IRISSO)

Collectif CANDELA (Université Lille 2/CERAPS)

Les patron.nes d’établissement de nuit entre production du désordre et gestion de l’ordre
Le métier de patron d’établissement de nuit dessine un secteur professionnel aux contours flous. Composé de savoirs et de savoir-faire peu formalisés tout en étant en voie de professionnalisation, marqué par l’éclatement des réglementations qui s’y rapportent, il fait également l’objet d’une pluralité de représentations de la part de ceux qui l’exercent (finalité commerciale, rôle culturel et social). Le bar, espace à mi-chemin entre espace public et espace privé fini de dessiner une profession à la fois entrepreneur privé et acteur public.
La multiplication des législations sécuritaires, sanitaires et environnementales (à l’instar de l’interdiction du tabac ou de la réglementation des nuisances sonores) ont par ailleurs modifié le métier de tenanciers les amenant à participer à une gestion oblique de l’ordre public la nuit. Appréhendés par les pouvoirs publics comme étant à la fois des producteurs de nuisances à responsabiliser par la sanction, objet d’un fort contrôle policier, et comme d’inévitables partenaires du point de vue de l’attractivité du territoire et de la « disciplinarisation » des comportements festifs, les tenanciers cherchent de leur côté à peser sur les activités des pouvoirs publics pour amoindrir les contrôles et/ou promouvoir une réglementation ajustées à leurs intérêts et leur conception de la « fête » légitime.
À partir d’une monographie de la ville de Lille, la communication vise à montrer dans quelle mesure ces « professionnels de la nuit » entretiennent des relations différenciées avec les autorités locales (municipalité et forces de police), selon leur localisation géographique, leur clientèle et leur réputation auprès de leurs pairs.

Production of disorder and management of order: the night establishment owners’ challenge
The profession of night establishment owners refers to a set of unclear working practices. Mobilizing knowledge and know-how sparsely formalised despite of certifications drafted by public authorities and union representatives, it is subject to a plurality of representations from those who exercise it (from sheer business purposes to cultural or social missions). In addition to such diversity of roles, there is also an ambiguity regarding the nature of their establishments, halfway between public and private spaces.
The multiplication of safety, health and environmental regulations (such as the smoking ban or the regulation of noise pollution) alters the job of club and bar owners since they are strongly invited to participate in an oblique management of public order at night. One the one hand, public authorities see them as producers of disturbance and, as such, they face many legal sanctions, but on the other hand, club and bar owners are also considered as necessary partners regarding territorial marketing or the control of party behaviours. Consequently, these entrepreneurs struggle to safeguard their interests as they try and negotiate with public authorities to downsize controls and/or promote regulatory frameworks that are adjusted to their business case and to their conception of what are legitimate “parties”. Building on a monograph in Lille over the past decade, the communication aims at analysing the ambiguous relationships that the night establishment owners sustain with public authorities within the government of urban nightlife.

Rémi Habouzit (UVSQ-Printemps/LEST), Les gardiens d’immeubles dans la rénovation urbaine : des professionnels en appui à la volonté de transformation des quartiers

Amélie Corbel (Sciences Po/CEE)

Les ‘conseilleurs légaux’ (gyôsei shoshi) comme relais des régulations politiques
La présente communication s’intéresse au rôle joué par la profession de gyôsei shoshi (traduite ci-après par « conseillers légaux ») – des spécialistes des procédures administratives – dans la diffusion des régulations politiques auprès de leurs clients, ici, des couples mixtes effectuant des démarches pour obtenir un « visa conjoint » à l’époux non-japonais.
Notre intervention interroge la manière dont les conseilleurs légaux relayent – au travers de leurs pratiques quotidiennes – les normes et les valeurs portées par le Bureau de l’Immigration. Cette interrogation structurante sera approfondie au travers de deux angles distincts. Le premier abordera la manière dont les conseillers légaux encouragent l’adoption d’une posture de déférence à l’égard des pouvoirs publics japonais. Le second examinera la manière dont les conseillers légaux contribuent à la diffusion des normes de genre qui transparaissent dans les règles d’obtention des visas « conjoint de Japonais » ou « séjour familial ».
Cette communication s’appuie sur des sources de première main recueillies au terme d’une observation participante de plusieurs mois au sein de deux cabinets de conseillers légaux ainsi que d’une série d’entretiens semi-directifs auprès de conseiller légaux (N=10) et d’anciens fonctionnaires du Bureau de l’Immigration (N=2).

Gyôsei shoshi as relays for political regulations
This paper deals with the role that is being played by gyôsei shoshi (translated as ‘immigration lawyers’ – a professional group specialized in administrative procedures) in diffusing political regulations to their clients, here, couples in international marriages who are applying to a ‘spouse visa’.
We will investigate how these ‘immigration lawyers’ – through their daily practices – relay the norms and values promoted by the Immigration Bureau. This will be analyzed through two different angles. The first one will address how ‘immigrations lawyers’ act as an incentive for their clients to adopt an attitude of deference towards Japanese state authorities. The second one will investigate how ‘immigration lawyers’ contribute to the diffusion of gender norms that are embedded in the procedure and rules for obtaining a “family stay” visa or a “spouse of Japanese national” visa.
This paper is based on first-hand data that was collected through a half-year long participant observation at two immigration lawyers’ offices and semi-structured interviews of immigration lawyers (N=10) and former Immigration Bureau’s civil servants (N=2).

Marion Charpenel (CMH, ENS/EHESS), Marion Rabier (UHA / SAGE)

Les relais de l’égalité professionnelle : redéfinition et managérialisation d’une politique ‘négociée’
Depuis la loi Roudy de 1983, les pouvoirs publics ont choisi de faire de la négociation collective la voie privilégiée pour la mise en œuvre de l’égalité professionnelle. L’Etat confie donc aux partenaires sociaux la responsabilité de la définition et de l’application de cette action publique. L’objet de cette communication est de s’interroger sur un paradoxe de la politique publique d’égalité professionnelle : pensée pour amener les entreprises à établir un diagnostic des inégalités à l’œuvre dans leur organisation et à proposer des mesures adaptées à leur situation, comment expliquer qu’elle conduise à des textes homogènes quels que soient les contextes locaux et les secteurs d’activité ? Pour mieux comprendre les raisons de ce détournement, cette communication s’intéresse aux acteurs « relais » de cette politique publique, à leurs trajectoires, leurs ressources, mais aussi aux instruments par lesquels les pouvoirs publics cherchent à les impliquer.
Dans une première partie, nous verrons que les outils développés par l’Etat pour mobiliser les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle conduisent à orienter fortement leur action et participent, en contradiction avec le souci d’adaptation à la situation de l’entreprise, à standardiser les textes. Dans une seconde partie, nous nous concentrerons sur la mise en œuvre de ces accords signés en entreprise. Cette dernière semble largement laissée à la responsabilité d’acteurs que l’on pourrait qualifier de « relais invisibles » de la politique publique, dont les ressources et les motivations ne sont pas toujours compatibles avec l’objectif d’égalité professionnelle.

The agents of gender equality : Redefinition and managerialization of a collectively-bargained policy
Since the Roudy Law of 1983, collective bargaining at both sectoral and local (company or workplace) levels has become the main vehicle of equal pay and equal employment policy in France. The State therefore entrusts the social partners with responsibility for defining and applying this public action.
This paper will examine a paradox of public policy of workplace gender equality : while this policy was designed to encourage companies to make an assessment of inequalities in their organization and to propose measures suitable for their own situation, how to explain that it leads to standardized texts whatever the local contexts and business sectors?
To better understand the reasons for this miappropriation, this paper focuses on the « relay » actors of this public policy, their trajectories, their resources, but also the instruments by which the public authorities try to involve them.
In the first part, we will see that the tools developed by the State to mobilize the social partners on gender equality shape their action and lead to a standardization of texts, in contradiction with the need to adapt the measures to the situation of the company. In a second part, we will focuse on the implementation of these agreements. The application seems largely left to the responsibility of actors who could be described as « invisible relays » of public policy, whose resources and motivations are not always compatible with the objective of gender equality.

Yohan Selponi (CESAER/LaSSP)

La place des politiques publiques de prévention des conduites addictives en milieu scolaire dans la concurrence entre associations de soin aux consommateurs de psychotropes
Selon le code de l’éducation, chaque année les élèves de tous les établissements scolaires français sont censés avoir suivi une séance de formation « sur les conséquences de la consommation de drogues sur la santé, notamment concernant les effets neuropsychiques et comportementaux du cannabis ». Dans cette communication, nous étudions les conditions sociales de la mise œuvre de cette politique publique dans un département rural du sud de la France en analysant son appropriation par des agents chargés de son application. Nous analysons en particulier les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux membres de deux associations gérant des centres de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa). Comment les conditions sociales de production des actions publiques préventives influent-elles sur la concurrence entre les deux associations et, in fine, sur la structuration de ce que l’on peut nommer l’espace de la prise en charge des consommateurs de psychotropes dans le département ? Par exemple, comment la réalisation d’actions préventives permet, aux membres des deux associations, de légitimer, auprès de différents agents publics, le travail « ordinaire » réalisé dans leur institution ? En retour, comment les commanditaires de ces actions participent-ils à la construction et à la légitimation de la professionnalité des agents ?

Addiction prevention policies at school in the competition between associations subsidized for addiction treatment in France
Every year in France, according to educational laws, prevention initiatives on drugs and alcohol addiction/addiction behavior should be organized in every school. In this communication, we study the social conditions of the implementation of such interventions in rural department of southern France. We study social worker’s professional practices of two associations subsidized to take care of drug abusers, called “Centres de soin, d’accompagnement et de prevention en addictologie” (Csapa).[”Prevention and care centers in addictology”?] How do the production conditions of prevention policies interfere in the competition between Csapas ? And how does it influence the social space of drug consumers local care? How do the investments of agents in preventive actions legitimate their ordinary work? How do public actors build the professional legitimacy of these social workers?

Audrey Mariette, Laure Pitti (Université Paris 8/CRESPPA-CSU)

Des agents « relais » ou co-producteurs de la « santé publique » à l’échelle locale ? Le cas d’une commune populaire de la région parisienne
On propose dans cette communication d’analyser la mise en œuvre d’une politique locale de « santé publique » par différentes catégories d’agents : agents municipaux et associatifs ; administratifs et professionnels du soin. Enquêter auprès de ces agents locaux permet de questionner les marges de manœuvre dont ils disposent dans le cadre d’un travail aux frontières floues : en quoi ces agents se font-ils le relais du cadrage national des politiques de santé publique et/ou les co-producteurs d’une action publique locale différenciée ? Comment se co-construit et/ou se déconstruit une politique de santé publique à l’échelle d’une commune ? En analysant leur travail au quotidien et leurs interactions, leurs pratiques et les tensions que celles-ci génèrent, en comparant leurs trajectoires et leurs dispositions, il s’agit d’interroger la manière dont ces agents résistent et/ou dont ils se réapproprient les injonctions et dispositifs édictés à l’échelle nationale.
Nous nous appuierons sur une enquête sociologique relative aux pratiques et praticiens de santé en territoires populaires, à partir du cas d’une municipalité communiste située au nord de Paris, investie de longue date sur les questions de santé, et où l’offre de soins est singulièrement développée. Réalisée depuis 2013 par entretiens, observations et recherches documentaires, cette enquête croise deux entrées : les acteurs des politiques de santé et les professionnels de soins de premier recours à l’échelle locale.

“Intermediaries” or co-producers of « public health » local policies? A case study in a poor city in the North of Paris
This presentation aims to analyze how different categories of agents – agents in the local public sector or in non-profit organizations; officials and health professionals – shape a « public health » local policy. Focusing on these different kinds of local agents leads us to study the margins they have in their every day work, which is not clearly defined. How do they relay the national framework of public health policies? And/or how do they co-produce a differentiated local public action? Can we speak of a co-constructed public health policy and/or of a deconstructed one at the level of a city? By analyzing the local agents’ daily work, their interactions, activities and the tensions these activities may generate, by comparing their trajectories and their dispositions, we study how these agents resist and/or embrace injunctions and political or administrative devices built at the national level.
Our fieldwork is centered on two kinds of actors – local public officials in charge of health policy at the local level and primary care professionals – and the work they made in socially deprived areas. This research, made since 2013 through interviews, observations and public reports, is based on a case study in a communist city in the North of Paris, which has a longstanding history on health issues, and where there are many public health care facilities comparing to other cities.

Lundi 10 juillet 2017 13h30-17h30

CHARPENEL Marion marion.charpenel@sciencespo.fr
CORBEL Amélie amelie.corbel@gmail.com
FRAU Caroline caroline.frau@univ-lyon2.fr
HABOUZIT Rémi remi.habouzit@gmail.com
LE NAOUR Gwenola gwenola.lenaour@sciencespo-lyon.fr
MARIETTE Audrey audrey.mariette@univ-paris8.fr
PITTI Laure laure.pitti@cnrs.fr
RABIER Marion marion.rabier@ens.fr
ROZIER Sabine sabine.rozier@dauphine.fr
SELPONI Yohan yohan.selponi@ehess.fr
TAICLET Anne-France anne-france.taiclet@univ-lyon2.fr