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Gouverner la sexualité

Governing sexuality

Responsables scientifiques
Gwénaëlle Mainsant (IRISSO) gwenaelle.mainsant@gmail.com
Océane Pérona (CESDIP) oceane.perona@cesdip.fr

« Perçue dans sa fonction biologique de reproduction, enjeu social et économique fondamental, la sexualité a toujours été l’objet, de la part des pouvoirs d’une attention d’autant plus grande que, dans ce domaine, tout écart à la norme est considéré comme une subversion des bases mêmes de la société. […] C’est pourquoi la « police » s’est toujours vue – généralement par le biais du contrôle de la prostitution ou de la débauche – confier la surveillance des mœurs et de la sexualité » (Berlière 1994 : 267).
Ainsi Jean-Marc Berlière, historien de la IIIe République, explique-t-il à la fois, la centralité du contrôle de la sexualité dans la constitution de la puissance étatique et la pérennité de la police des mœurs. Ann-Laura Stoler (2013) ne dit pas autre chose quand elle parle de la sexualité comme matrice du projet colonial. Là où l’historien parle de police des mœurs, cette section thématique interroge à nouveaux frais la place et l’actualité du gouvernement de la sexualité dans l’appareil d’Etat. Dit autrement, il s’agit ici de rassembler des communications portant sur les politiques sexuelles contemporaines, qu’elles touchent explicitement à la sexualité (à la procréation, aux violences sexuelles, à la prostitution, à la prévention du VIH/SIDA) ou que la sexualité constitue un enjeu sous-jacent de politiques plus larges (notamment sur la gestion de la PMA/GPA ; des violences sexuelles lors d’interventions armées en Afrique ; de l’éducation sexuelle dans les politiques scolaires avec la récente controverse autour des ABCD de l’égalité ou de la prévention de la dangerosité dans les politiques pénales). Important en science politique des questionnements foucaldiens, cette section thématique vise à faire dialoguer les études sur la sexualité et la sociologie de l’action publique.
Les recherches sur les liens entre sexualité et politique constituent depuis quelques années un domaine dynamique en science politique comme en témoigne le foisonnement récent de numéros thématiques sur les « politiques sexuelles » (Levêque et Matonti, 2014), les « nationalismes sexuels » (Jaunait, Renard, Marteu, 2013), « l’internationalisation des causes sexuelles » (Broqua, Fillieule, Escoda i Roca, 2016) ou encore sur les rapports entre « sexualité et politique en francophonie » (Paternotte et Perreau 2012). De nombreux travaux ont documenté les mobilisations autour des causes sexuelles – leur histoire et les modes d’engagement (Delage, 2016 ; Verdrager 2013 ; Pavard 2012) –, la construction de problèmes publics autour de la sexualité ainsi que leur mise sur agenda (Boussaguet, 2009 ; Engeli, 2009 ; Mathieu, 2014), les débats publics autour de la sexualité (Chetcuti, 2014 ; Fassin 2003), ou encore l’évolution des lois autour de la sexualité (Mossuz-Lavau 2002). En revanche, peu de recherches se sont intéressées au gouvernement de la sexualité comme « politique publique » mais aussi comme « conduite des conduites ». C’est à ce champ d’étude que se consacre cette section thématique.
Cette section thématique s’inscrit donc dans la lignée de la thèse, désormais célèbre, de Michel Foucault (1976) : dans nos sociétés, le pouvoir n’opère pas par la répression des pulsions sexuelles, mais par la production de multiples sexualités qui, par leur classification, leur distribution et leur hiérarchisation morale, sont soit approuvées comme conduites normales, soit au contraire marginalisées, disciplinées et normalisées. La sexualité n’est pas vue tant sous l’angle de sa construction sociale qu’au niveau des mécanismes locaux de contrainte – perspective ici retenue dans les communications. Cette perspective a durablement marqué le champ des études sur la sexualité en sciences sociales et politiques. Pourtant, quand bien même Foucault estimait nécessaire de s’intéresser aux pratiques (notamment de contrôle), il demeure dans ses écrits une ambiguïté plus générale, relative au statut des acteurs au sein des dispositifs de pouvoir (policiers, gardiens de prison, maître d’école, prêtres, etc.). Cette ambiguïté pourrait fournir une piste d’interprétation de la présence marginale de l’échelon du contrôleur dans le champ des recherches sur la sexualité très marqué par le prisme foucaldien (Mainsant, 2012). A titre d’exemple, les études des politiques de la prostitution accordent la part belle à l’analyse des lois et des politiques (la problématisation/les cadres cognitifs), d’un côté, et à l’expérience du contrôle par les contrôlés (les effets des politiques), de l’autre mais laissent dans l’ombre le travail des policiers chargés de mettre en œuvre ces politiques (à l’exception de Jaksic 2011, Mainsant 2008, Proscrim). Plus encore, même lorsque les travaux sur les violences sexuelles portent sur le contrôle exercé par les institutions pénales, ils privilégient une approche quantitative des dossiers judiciaires au détriment d’une étude des modes de production de ces dossiers par les policiers et magistrats (Pérona, 2016). De ce fait, les logiques organisationnelles (administrative, gestionnaire, bureaucratique) comme professionnelles restent encore peu prises en compte dans l’analyse des politiques sexuelles. Là où des changements des politiques sexuelles ont souvent été interprétés comme des « entreprises de morale » (Becker 1985), l’attention prêtée aux pratiques des agents de l’Etat, à la prégnance de routines professionnelles, aux effets d’hystérésis au sein des organisations, permettrait de livrer de nouvelles pistes d’explication des changements d’action publique ou des entraves à ces changements – pour expliquer par exemple la pérennité du contrôle policier de l’homosexualité après sa dépénalisation.
La sexualité en raison des enjeux moraux qu’elle charrie, des formes de stigmate qu’elle véhicule, des émotions qu’elle suscite, des espaces (privé/public) dans lesquels elle se déploie, constitue un enjeu saillant pour la sociologie de l’action publique, aussi bien sous l’angle des normes et des formes de régulation, que des professionnels engagés.
L’étude de la diversité des normes de régulation de la sexualité constitue le premier axe de cette section thématique. Quelles sont les normes qui participent à la régulation politique de la sexualité ? Par quelles instances sont-elles produites ? Par quelles médiations opèrent-elles ? A titre d’exemple, si le droit constitue un important vecteur de normes sexuelles, les pratiques des institutions répressives produisent également des normes sexuelles relevant du contrôle social. Mais les normes peuvent aussi prendre la forme d’une morale sexuelle publique, existant indépendamment du droit en vigueur et en dehors des institutions pénales, se développant au travers des pratiques des institutions médicales, sociales ou éducatives – comme en témoigne la stigmatisation d’une pratique légale comme l’avortement. Ainsi, cette section thématique reprend ainsi un questionnement ancien sur le statut du droit dans le contrôle social – chez Malinowski (1933) comme chez Levi-Strauss (1958) – visant à éprouver à nouveaux frais l’hypothèse selon laquelle la sexualité est un domaine autant régulé par le droit que par des normes sociales et morales (Benabou 1987 ; Bernstein 2007 ; Scoular 2010).
Le second axe de cette section thématique est centré sur les professionnels engagés dans la régulation de la sexualité. Comment opèrent-ils un travail de classification, de tri entre la norme et la déviance (Darley, Mainsant 2014) en matière de sexualité? De quelle manière le gouvernement de la sexualité engage les agents de l’Etat dans des processus de coopération ou de concurrence avec d’autres professionnels (on pense par exemple aux personnels de l’Education Nationale appelés à collaborer avec la justice dans la lutte contre les violences sexuelles sur mineurs) ? Comment ce contrôle participe-t-il à la redéfinition des fonctions des professions et à déplacer les frontières entre contrôle pénal, médical et social ? Enfin, quelles sont les opérations de qualification par desquelles les professionnels identifient des sexualités dites normales ou déviantes ?

This session deals with the role and the new questions about the government of sexuality in the state apparatus. It aims to gather researches about the current policies regulating sexuality, whether they affect specifically the sexuality (breeding/reproduction, sexual violence, prostitution, STDs prevention) or that sexuality is a special issue of a broader policy (like sexual education in school and the polemic about the ABCD of equality in France, the relations toward the Nazi past in Germany (Herzog 2005), or the prevention of the dangerousness in penitential policies). From a Foucaldian perspective, this session combines sexuality studies and sociology of public action. The papers will question sexuality from the point of view of its regulation, its control and its framing.
Sexuality is now a prolific research fiel in french political science. Researches focus on the history of sexual causes (Delage, 2016 ; Verdrager 2013), the construction of public problems about sexuality and their agenda setting (Boussaguet, 2009 ; Engeli, 2009 ; Mathieu, 2014), the public disputes about sexuality (Chetcuti, 2014), or more rarely the implementing of sexual public by the street-level bureaucrats (Mainsant, 2014 ; Mathieu et Ruault, 2014). However, those researches rarely focus on the government of sexuality as a public policy, or as conduct of conducts. If sexuality is now considered as a political objet (Politix, 2014), whether as a part of the political profession (Matonti, 2014), whether as a field of political intervention (Pinell, 2002), the concrete forms of the political control of sexuality have been little investigated. This session is inspired by Foucault’s now famous thesis (1976): in our societies, modern power doesn’t operate through the repression of sexuality, but produces multiple sexualities that are classified and hierarchized, then approved as normal or marginalized and disciplined. Sexuality is here questioned from the standpoint of the production of local mechanisms of coercion – the choosen point of view in the communications. However, even if Foucault considered it necessary to pay attention to the practices (especially control practices), the status he gave in his writings to the actors that are involved in the power “devices” (police officers, prison warders, schoolmasters, etc) is still ambiguous. This ambiguity may explain why those actors who have a power of control are few investigated in the research field on sexuality. For example, works on the prostitution policies focus on the production of laws from one side, and on the experiment of the control by the controlled on the other side, but neglect the work of police officers who implement those policies (with the exception of Jaksic 2011, Mainsant 2008, Proscrim). Moreover, even when studies focus on the control exercised by the penal institution over sexual violence, they prefer a quantitative approach to the judicial files rather than an interrogation of the way of production of those files by officers and prosecutors (Pérona, 2016). Hence, professional as organisational logics are neglected in the research field on sexuality. Paying attention to the practices of the agents of the state, to the strength of professional routines, to the hysteresis effects inside organisations may open new lines of explanation of the changes in public action, or the impediment to those changes.
Sexuality (and its government) is a main stake for the sociology of public action, because of its moral dimension, the emotions it provokes, and the different spaces in which it takes place (public sphere/private sphere). It questions both the norms and the forms of the regulation, and the professionals enrolled in the regulation.
The first part of the session is dedicated to the study of the diversity of the regulation norms of sexuality (law, morals, social institution, health care institution, school…). What are the norms that contribute to the political regulation of sexuality? What are the authorities that produce these norms? From what mediations do they operate?
The second part of the session focuses on the professionals that contribute to the regulation of sexuality. How does the political control of sexuality enrol public agents in cooperation or concurrence process with other professionals? How does this control redefines the functions of the professions (for example, what happens when public agents have to investigate the intimacy of citizens)? How do the professionals label sexuality as normal or deviant, through which operations of qualification?

REFERENCES

Benabou M.-E., 1987, La prostitution et la police des mœurs au XVIIIe siècle, Perrin, Paris.
Berlière J.-M., 1994, « La Police des mœurs sous la IIIe République. Limites et réalités d’une « police républicaine » », in CURAPP, Les bonnes mœurs, PUF, Paris, p. 267-282.
Bernstein E., 2007, Temporarily yours. Intimacy, Authenticity, and the Commerce of Sex, The University of Chicago Press, Londres, Chicago.
Boussaguet L., Les «faiseuses» d’agenda: les militantes féministes et l’émergence des abus sexuels sur mineurs en Europe, RFSP, 2009/2, Vol. 59, p. 221-246
Broqua Christophe, Fillieule Olivier, Roca i Escoda Marta, « Sur le façonnement international des causes liées à la sexualité. », Critique internationale 2016, n°70, p. 9-19
Chetcuti N., Quand les questions de genre et d’homosexualités deviennent un enjeu républicain, Les Temps Modernes, 2014, n°678, p. 241‑253.
Darley Mathilde, Mainsant Gwénaëlle (coord.), « Police du genre. », Genèses 2014, n° 97
Delage P., Après l’année zéro. Histoire croisée de la lutte contre le viol en France et aux États-Unis, Critique Internationale, 2016, n°70, p. 21‑35.
Engeli I., La problématisation de la procréation médicalement assistée en France et en Suisse, RFSP, 2009/2, Vol. 59, p. 203‑219.
Fassin E., Fabre C., 2003, Liberté, égalité, sexualités, Belfont, Paris.
Foucault M., 1976, Histoire de la sexualité tome 1. La volonté de savoir, Gallimard, Paris.
Herzog D., 2005, Sex after fascism: memory and morality in twentieth-century Germany. Princeton, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, Etats-Unis d’Amérique.
Jaksic M., 2011, « De la victime-idéale à la victime-coupable. Sociologie des politiques de la pitié », Thèse de sociologie, EHESS.
Jaunait, A., Renard, A. L., and Marteu, É., Nationalismes sexuels ? Raisons politiques, 2013, n°49
Levêque S., Matonti F., Politiques sexuelles, Politix, 2014, n°107
Lévi-Strauss C., 1958, Anthropologie structurale, Plon, Paris.
Mainsant G., Comment la « Mondaine » construit-elle ses populations cibles ?, Genèses, 2014, Vol. 97, p. 8‑25.
Mainsant G., L’Etat et les illégalismes sexuels. Thèse de sociologie, EHESS, Paris, 2012.
Malinowski B., 1933, « Le crime et la coutume dans les sociétés primitives », in Mœurs et coutumes des mélanésiens, Payot, Paris.
Mathieu L., 2014, La fin du tapin: sociologie de la croisade pour l’abolition de la prostitution, Editions François Bourin, Paris.
Mathieu M., Ruault L., Prise en charge et stigmatisation des avortantes dans l’institution médicale : la classe des femmes sous surveillance, Politix, 2014, n° 107, p. 33-59.
Matonti F., Adultère présidentiel et politisation, Politix, 2014, n°107, p. 117-142.
Mossuz-Lavau J., 2002, Les lois de l’amour. Les politiques de la sexualité en France (1950-2002), Petite Bibliothèque Payot, Paris.
Pavard B., 2012, Si je veux, quand je veux. Contraception et avortement dans la société française (1956-1979), Presses universitaires de Rennes, Rennes.
Paternotte D. et Perreau B., « Sexualité et politique en francophonie : état des lieux et perspectives de recherche » Politique et Sociétés, 2012/2, vol. 31, p. 3-30.
Pérona O., Sexualität und Strafe. Der Forschungsstand in Frankreich, Beiheift der Zeitschrift Kriminologisches Journal, 2016.
Projet ProsCrim, « La traite des êtres humains saisie par les institutions. Une comparaison France/Allemagne », projet ANR-DFG coordonné par Mathilde Darley et Rebecca Pates. http://www.agence-nationale-recherche.fr/?Projet=ANR-13-FRAL-0014
Scoular J., « What’s Law Got to do with it ? How and Why Law Matters in the Regulation of Sex Work », Journal of Law and Society, 2010/1 Vol. 37, p. 12-39.
Stoler A.-L. (2013 [2002]), La chair de l’empire. Savoirs intimes et pouvoirs raciaux en régime colonial, La Découverte, Paris.
Verdrager P., 2013, L’enfant interdit: comment la pédophilie est devenue scandaleuse. A. Colin, Paris.

INTRODUCTION
Mainsant Gwénaëlle (CNRS-IRISSO-PSL) et Perona Océane (CESDIP UVSQ)

Axe 1 / Les professionnels du gouvernement de la sexualité

Adélaïde Bargeau (SAGE, Université de Strasbourg), Le rapport des enquêteurs à l’intimité : entre contrôle et mise à distance professionnels
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Mathilde Darley (CESDIP CNRS), Lilian Mathieu (CNRS Cente Max Weber), Le proxénète au tribunal : entre figure morale et construction pénale

Léa Linconstant (IDEMEC-CNRS, Université Aix Marseille), Les gynécologues italiens et la sexualité des couples en AMP : entre intimité et technique
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Discutante : Frédérique Matonti (CESSP, Université Paris I)

Axe 2 / Gouvernement des sexualités juvéniles

Gilles Favarel Garrigues (CNRS, CERI-Sciences Po), La cause anti-pédophile et la « société civile » en Russie

Yaëlle Amsellem-Mainguy, Benoît Coquard, Arthur Vuattoux (INJEP), Le gouvernement des sexualités juvéniles en détention : enquête sur la sexualité des jeunes détenu·e·s et sa prise en charge par les professionnel·le·s du monde carcéral
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Gauthier Fradois (ISP, Université Paris X), Sociogenèse d’une politique scolaire. Responsabilité adolescente et morales sexuelles
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Discutant : Michel Bozon (INED)

Adélaïde Bargeau (SAGE, Université de Strasbourg)

Le rapport des enquêteurs à l’intimité : entre contrôle et mise à distance professionnelle
Le contrôle et la régulation des sexualités des individus constituent une caractéristique de la police, et plus spécifiquement de certaines brigades (les mœurs, la mondaine). Une étude ethnographique de quatre mois dans d’autres services d’investigation nous permet pourtant d’affirmer que l’immersion dans la vie privée déborde ces brigades spécialisées pour faire l’objet d’usages diversifiés et ambivalents par les policiers. Nous prendrons pour exemple un service de police (le Quart) en charge du traitement du « tout venant » de la petite et moyenne délinquance, dont les violences conjugales. Au regard des caractéristiques de ce service (enchaînement des dossiers, durée courte d’investigation) et des propriétés des publics (défavorisés), l’exposition aux intimités des individus est bien souvent davantage mise à distance qu’elle n’est recherchée. La confrontation à certaines problématiques sociales et psychologiques – situées aux antipodes de l’image valorisée du métier policier consacré au judiciaire et au répressif – fait alors l’objet de stratégies de distanciation. Nous verrons que cette division symbolique entre « social » et « policier » est également orchestrée par l’institution, avec notamment l’introduction récente d’une psychologue et d’une assistante sociale au sein de l’institution. Nous interrogerons les manières dont la rencontre de logiques différentes, sinon opposées, viennent affecter les pratiques professionnelles et les représentations que les policiers se font de leur métier et invitent à repenser le contrôle de la sexualité par l’institution.

How police investigators deal with intimacy: between control and professional distance
The work of some police brigades leads them to control and regulate sexualities, especially in vice squads. During four months of ethnographic research in other investigative divisions, I observed that intrusions in individuals’ private lives are also made in other squads, and have diversified and ambivalent uses. This paper focuses on the « Quart », a police division in charge of handling all sorts of petty and mid-level crimes, including domestic violence cases. Considering the characteristics of that division (high number of cases, little time for investigation) and of its publics (unprivileged), exposure to individuals’ intimacy is often distanced, kept at arm’s length rather than actively pursued. As officers face social and psychological issues that are far removed from the positive image associated with judicial and repressive work, they resort to distancing strategies. The symbolic division between « social » and « police' » work is also orchestrated by the institution, which has recently hired a psychologist and a social worker. The paper examines how the encounter between different, if not opposing logics affects professional practices and officers’ representations of their job and suggests rethinking the institution’s control of sexuality.

Mathilde Darley (CESDIP CNRS), Lilian Mathieu (CNRS Cente Max Weber)

Le proxénète au tribunal : entre figure morale et construction pénale
Cette communication propose d’interroger les ressorts de la construction pénale de la figure du proxénète à travers les controverses dont elle fait l’objet entre les différents professionnels du droit présents dans l’arène du tribunal. Issue du projet de recherche franco-allemand ProsCrim (ANR-DFG, ANR-13-FRAL-0014-01, coord. : Mathilde Darley et Rebecca Pates) sur le traitement institutionnel de la traite des êtres humains, et en particulier d’un pan de l’enquête concernant la qualification pénale de faits de proxénétisme, elle s’appuie d’une part sur des observations réalisées lors de procès pour proxénétisme jugés en correctionnelle, et d’autre part sur des entretiens conduits avec des magistrats du siège et du parquet ainsi qu’avec des avocats de la défense et de la partie civile. Il s’agit ainsi de chercher à saisir les opérations de classification et de hiérarchisation, par les professionnels du droit, des prévenu-e-s proxénètes et de la sanction dont leurs pratiques doivent faire l’objet. L’enquête ethnographique montre notamment que, en marge des éléments qualifiant pénalement le proxénétisme, une large part des débats portent sur l’évaluation morale, genrée, sexuelle et/ou émotionnelle du/de la prévenu-e pour proxénétisme.

Pimps on trial: The legal construction of a moral panic?
This paper proposes to question the legal construction of pimps in criminal proceedings against procurers and/or traffickers in women for sexual exploitation. Based on the French-German research project ProsCrim (ANR-DFG, Institutionalizing trafficking in human beings, ANR-13-FRAL-0014-01, coordinated by Mathilde Darley and Rebecca Pates) and in particular on ethnographic observations and interviews gathered in French criminal courts, we especially analyze the controversies between the different legal professional groups in the court (defense lawyers, public prosecutors, lawyers of the civil party, judges). Doing so, we aim at understanding the ways legal professionals classify and hierarchize the defendants (pimps) as well as at questioning the potential impact of this classification on the criminal sanctions. In particular, the ethnographic research shows that, besides the legal elements criminalizing procuring, a large part of the debates during trials related to sexual exploitation are embedded in forms of moral, gender, sexual and / or emotional evaluation of the accused.

Léa Linconstant (IDEMEC-CNRS, Université Aix Marseille)

Les gynécologues italiens et la sexualité des couples en AMP : entre intimité et technique
En Italie, comme en France, l’accès au parcours d’assistance médicale à la procréation (AMP) est réservé aux couples ayant une sexualité dite « potentiellement reproductive », ce qui exclut l’accès des couples de même sexe au traitement. Il s’agit pour les législateurs de repousser le spectre de la convenance qui flotte autour de ce champ particulier de la médecine et les gynécologues sont alors considérés comme les garants du modèle thérapeutique défini par la loi (Théry, 2010). Si le déroulement même du parcours d’AMP nécessite que les soignants portent un regard sur l’activité sexuelle des couples au cours des procédures, les questions autour de la sexualité apparaissent parfois dès les premières consultations, bien avant qu’une tentative soit effectuée. Selon la loi, les praticiens italiens doivent certifier de l’origine médicale de l’infertilité et vérifier que les couples aient une sexualité dite « active ». Cependant, dans la pratique, les professionnels tentent de contourner ce contrôle de la sexualité qui leur est délégué. Ils s’interrogent sur leur légitimité à explorer une telle question en amont de la procédure évoquant notamment le respect de l’intimité des couples. Dans quelle mesure la façon dont les gynécologues abordent la question de la sexualité nous permet d’interroger la spécificité du modèle italien en matière d’AMP ? En quoi la multiplicité des points de vue des praticiens sur cet aspect souligne la particularité des normes médicales en vigueur au cours de ce type de parcours ?

Italian gynaecologists and sexuality’s couple during assisting reproductive technologies : between intimacy and technique
In Italy, as in France, the access to the assistance reproductive technologies (ART) is reserved to couples which are supposed to have a sexuality that should be labelled as « potentially reproductive ». That excludes the access for same-sex couples to treatment. This allows legislators to keep at distance the idea of medicine of convenience which threatens this particular field and gynaecologists that are then considered as the guarantors of the specific therapeutic model defined by the law (Théry, 2010). If the ART procedure requires gynaecologists to keep an eye on the couples’ sexual activities, the questions about sexuality sometimes have appeared since the first medical visits, long before a first attempt is performed. According to the law, the italian doctors have to point out and certify the medical origin of the infertility and have to check if the couple has a sexuality considered as « active ». Nonetheless, in practice, the professionals try to circumvent this control of the sexuality that is supposed to be under their responsibility. They question their legitimacy to explore that aspect upstream of the procedure, referring particularly to the respect of intimacy.
In what way does the approach to the sexuality issue by the gynaecologist allow us to question the italian’s model in the AMP’s field ? How does the multiplicity of points of view collected alongside AMP’s professionals underline the particularity of medical standards in this type of treatment ?

Gilles Favarel Garrigues (CNRS, CERI-Sciences Po)

La cause anti-pédophile et la « société civile » en Russie
Alors que le parlement russe a interdit en 2013 « la propagande de l’homosexualité auprès des mineurs », les initiatives citoyennes se multiplient pour traquer les « pédophiles » dans les villes russes. Alors que certaines de ces initiatives sont soutenues par le gouvernement, d’autres émanent de l’extrême-droite. Le développement de cette cause permet de nourrir une réflexion sur les reconfigurations du policing et le développement du vigilantisme dans la société russe contemporaine. Plus généralement, il invite à analyser les relations entre Etat et « société civile » dans le lancement des croisades morales. En soutenant certaines initiatives et en en réprimant d’autres, le gouvernement négocie le droit de violer la loi pour promouvoir un ordre moral, y compris dans le domaine sexuel.

Anti-pedophile cause and « civil society » in Russia
Since the parliament has prohibited « gay propaganda among minors” in 2013, citizens’ initiatives against pedophiles have blossomed in Russian cities. Some of them are supported by the government while other ones are considered as “extremists” and repressed by the police. Anti-pedophile raids reflect the transformation of policing and the development of vigilante justice in Russian society during the 2010’s. They also stress evolving relationships between State and society in the field of moral crusades. By supporting some anti-pedophile mobilizations while repressing other ones, the government negotiates with these groups the right to break the law in order to enforce a moral order.

Yaëlle Amsellem-Mainguy, Benoît Coquard, Arthur Vuattoux (INJEP)

Le gouvernement des sexualités juvéniles en détention : enquête sur la sexualité des jeunes détenu·e·s et sa prise en charge par les professionnel·le·s du monde carcéral
Cette communication sera l’occasion de présenter les premiers résultats d’une recherche menée à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP). L’enquête, réalisée au sein des lieux de détention par entretiens et observations, vise à comprendre les trajectoires sociales, affectives et sexuelles des jeunes incarcérés. Nous interrogeons notamment l’impact de la détention sur ces parcours, ainsi que l’action des professionnel·le·s travaillant auprès d’eux et ayant à gérer, de différentes manières, les sexualités des jeunes. Nous montrerons comment se pose la question de qui est légitime à parler de sexualité avec les jeunes. Quel sont les professionnelles qui interviennent par exemple   dans   la   gestion   des   relations   amoureuses   des   jeunes,   sur   des problématiques sanitaires impliquant la sexualité, ou encore, plus largement, dans la sexualisation des relations entre jeunes ou entre jeunes et professionnel·le·s au cours de la détention ? En l’absence de mandat clair dans chaque groupe professionnel impliqué, nous questionnerons les formes de gouvernement des conduites sexuelles et affectives à l’oeuvre en cours de détention. Par une comparaison de quatre lieux de détention pour mineurs, nous montrerons comment les rapports entre professionnels ainsi que l’organisation architecturale (impliquant ou non la mixité) propre à chaque prison déterminent fortement manière la dont se met en place un gouvernement de la sexualité dans l’institution carcérale.

Governing incarcerated youth’s sexuality. How penitentiary professionals manage young men and women’s sexuality in the penal world.
This presentation will serve as an opportunity to show preliminary results of a nation-wide research project lead by the INJEP, the National Institute for Youth and Popular Education. Based on interviews and observations, this research seeks to understand the social, affective and sexual trajectories of incarcerated youth. We interrogate the impact of detention on their life courses, as well as the work of the professional staff in charge of the youth and having to deal, in one way or the other, with the youth’s sexuality. We will explain why certain penitentiary professionals are more legitimate than others when it comes to talking about sexuality with the youth. Who are the ones that address issues involving romantic relationships? To whom do they talk to about their sexual health? More broadly, how are issues involving sexualized interactions between the youth or between youths and penitentiary staff addressed? Given the lack of clear mandates on this subject for penitentiary professionals, we will interrogate how sexual and affective conducts are governed over the course of the youth’s detention. By comparing four detention centers for minors, we will show how relations among professionals, as well as the architectural organization of the Congrès center (whether there is gender diversity or not), strongly determine the manner in which sexuality comes to be governed in each penitentiary institution.

Gauthier Fradois (ISP, Université Paris X)

Socio-genèse d’une politique scolaire. Responsabilité adolescente et morales sexuelles
Officiellement instaurées en 1973 dans l’enseignement général, l’information sexuelle intégrée dans les programmes scolaires et l’éducation à la responsabilité sexuelle, facultative et hors temps scolaire, s’inscrivent dans une politique de modernisation de la sexualité de la population française, juridiquement mise en forme dans un ensemble de textes relatifs aux techniques médicales de gestion de la reproduction biologique. Le système scolaire participe ainsi à la production d’une morale publique de la vie privée et devient un lieu d’affrontement entre différents groupes sociaux intéressés par l’encadrement et la normalisation des interactions sexuelles à l’adolescence. Le développement d’une politique scolaire concernant l’éducation sexuelle s’enracine en effet dans l’émergence d’un marché concurrentiel du conseil conjugal et familial où se diffuse des représentations antagonistes de la famille. Cette nouvelle spécialité du travail social participe à la structuration d’un espace de luttes pour l’imposition d’une définition légitime du sens de la sexualité juvénile, à travers les interventions scolaires d’agents extérieurs au système d’enseignement. Afin d’esquisser une socio-genèse de cette politique scolaire, l’examen de divers fonds d’archives (Ministère de l’Education nationale, FEN, etc.) permettra de retracer le travail de codification de la circulaire Fontanet (23 juillet 1973) et d’en objectiver les logiques sociales.

Socio-genesis of a school policy. Responsibility for adolescent and sexual morals
Officially introduced in general education in 1973, sexual information integrated into school curricula and education in sexual responsibility, both voluntary and non-formal, are part of a policy of modernizing the sexuality of French population, legally shaped in a set of texts relating to medical techniques for the management of biological reproduction. The school system thus participates in the production of a public morality of private life and becomes a place of confrontation between different social groups interested in the framing and normalization of sexual interactions in adolescence. The development of a school policy on sex education is rooted in the emergence of a competitive marriage and family counseling market where antagonistic representations of the family are spread. This new specialty of social work participates in structuring a space of struggles for the imposition of a legitimate definition of the meaning of juvenile sexuality, through agents’ school interventions foreign the educational system. In order to outline a socio-genesis of this school policy, the examination of various archives (Ministry of National Education, FEN, etc.) will make it possible to trace the work of codifying the Fontanet circular (23 July 1973 ) and to objectify their social logics.

Mercredi 12 juillet 2017 9h00-13h00

AMSELLEM-MAINGUY Yaëlle amsellem-mainguy@injep.fr
BOZON Michel booz@ined.fr
COQUARD Benoît benoit.coquard@jeunesse-sports.gouv.fr
BARGEAU Adélaïde a.bargeau@hotmail.fr
DARLEY Mathilde mathilde.darley@gmail.com
FAVAREL Garrigues Gilles gilles.favarelgarrigues@sciencespo.fr
FRADOIS Gauthier gauthier.fradois@gmail.com
LINCONSTANT Léa lealinconstant@hotmail.fr
MAINSANT Gwénaëlle gwenaelle.mainsant@gmail.com
MATONTI Frédérique frederique.matonti@wanadoo.fr
MATHIEU Lilian (lilian.mathieu@ens-lyon.fr
PERONA Océane oceane.perona@cesdip.fr
VUATTOUX Arthur arthur.vuattoux@gmail.com