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Le genre : un outil de (re)politisation du droit ?

Law and Gender: political agendas

Responsables scientifiques
Charles Bosvieux-Onyekwelu (Laboratoire PRINTEMPS, UVSQ) charles.bosvieux-onyekwelu@normalesup.org
Véronique Mottier (Jesus College, Université de Cambridge & ISS, Université de Lausanne) vm10004@cam.ac.uk

Si quasiment tous les chercheur-e-s en science politique rencontrent, à un moment ou à un autre de leur parcours, le droit, et si, comme l’ont mis en valeur les travaux états-uniens sur le cause lawyering, le droit est partout [Sarat, 1990], tous/toutes ne le prennent pas également au sérieux. Ceux/celles qui l’ont fait se sont notamment employé-e-s à déconstruire l’idée, valorisée par les juristes comme une justification de leur propre pouvoir social, de la « politique saisie par le droit » [Favoreu, 1988], en faisant valoir que « c’est à la condition que le droit soit saisi par la politique pour des raisons non juridiques qu’il peut en retour prétendre, non sans effets, s’en saisir » [François, 2003]. Qu’il soit compris au sens des institutions judiciaires et administratives, des professions juridiques ou bien de la production normative [Thompson, 1975 ; McCann, 2004], le droit a pu être décrit comme un modèle d’action, une ressource du jeu politique, bref, un instrument du répertoire de l’action collective et des mobilisations [Israël, 2009]. Tout en étant sensibles à l’efficace propre du discours juridique, les spécialistes de l’analyse politiste du droit ont ainsi mis en valeur le fait que ce dernier n’avait pas de réalité essentielle et indépendante [McCann, 1994].

Alors que le droit n’est plus l’épouvantail qu’il a longtemps été pour les politistes et les chercheur-e-s en sciences sociales, l’analyse genrée des normes et des systèmes juridiques a en revanche dû (et doit encore) contourner une série d’obstacles, certains propres à la France, d’autres imputables au droit lui-même. Tandis que le courant des Legal Gender Studies essaimait dans le monde anglophone et que les numéros spéciaux « Genre et droit » se succédaient dans les revues juridiques allemandes, autrichiennes ou suisses [Lempen, 2013], l’acculturation du droit et de la science politique françaises aux études de genre a été plus lente à se mettre en place [Achin et Bereni, 2013 ; Bereni, Debauche, Latour, Lempen et Revillard, 2009], peut-être en raison des liens historiques qui ont uni par le passé le droit et la science politique française, et des cadres masculins d’analyse qui pouvaient résulter, même résiduellement, de ce lointain cousinage. Comparativement au système anglo-états-unien et à d’autres pays francophones, ces disciplines se sont en effet révélées particulièrement résistantes aux analyses féministes, et peut-être d’autant plus en raison des caractéristiques intrinsèques de « l’objet » droit : celui-ci apparaît en effet comme un discours de neutralité, une puissance « d’éternisation » du social, en un mot un vecteur de dépolitisation [Dulong, 2008], renforçant les hiérarchies de genre en les rendant invisibles et incontestables. A rebours de cette conception objectiviste et naturalisante, les premières analyses féministes du droit, notamment sur la place des femmes dans le droit au sein des pays scandinaves [Dahl, 1987], ont cherché à mettre l’accent sur le genre comme « façon première de signifier des rapports de pouvoir » [Scott, 1986]. Ces analyses, développées par des personnes bien souvent elles-mêmes juristes, ont montré que le droit, malgré sa prétendue neutralité, reflétait en réalité « un point de vue masculin » [MacKinnon, 1991 & 2005], accoutumant leurs lecteurs/trices à l’idée selon laquelle le droit lui-même était « une pratique genrée » [Smart, 1992]. Aussi, malgré la réticence de certaines théoriciennes et activistes féministes à privilégier le droit comme un instrument de lutte contre les inégalités, s’est constituée une représentation bifide du droit, à la fois facteur d’émancipation et de légitimation des rapports de pouvoir existants [Smart, 1986]. In fine, en poussant à leur maximum les implications du slogan féministe « Le personnel est politique », les théoriciennes des Legal Gender Studies ont permis de mesurer comment la prise en compte de la question du genre pouvait conduire à repenser « les cadres dominants de l’analyse politique » [Caroll et Zerilli, 1993].

Depuis ces travaux pionniers, les études de genre ont entrepris de mettre en relief la dimension genrée du droit dans toute la diversité de ses domaines d’application, que ce soit au travers de la parité dans l’accès aux fonctions électives [Bereni, 2015 ; Sénac-Slawinski, 2008 ; Sénac, 2015], de l’égalité salariale, des violences sexuelles ou encore de la pénalisation de la prostitution [Mathieu, 2003 & 2014]. Adossée à la théorie du droit, la sociologie nord-américaine s’est emparée de l’injure à caractère sexuel pour tenter de penser le street harassing comme un « discours de haine sexiste » [Nielsen, 2006], questionnant le rôle du droit, notamment au travers de la défense de la liberté d’expression, comme justification institutionnelle et culturelle primaire de la tolérance pour cette forme de harcèlement. L’histoire des mobilisations pour la contraception et pour la légalisation de l’avortement a attiré l’attention, non seulement sur la sous-politisation du débat parlementaire en France, mais aussi sur l’impact du « genre » du témoignage sur le sérieux de la preuve du point de vue du droit processuel [Pavard, 2012]. Croisant les analyses héritées des Legal Gender Studies avec le concept d’intersectionnalité du Black Feminism [Crenshaw, 1991] ou de « consubstantialité des rapports de domination » [Kergoat, 2009], les travaux sur la liberté vestimentaire dans son lien avec le port de signes religieux [Hamel, 2005 ; Hennette-Vauchez et Valentin, 2014 ; Guénif-Souilamas 2004 & 2006 ; Scott, 2007 ; Sunder, 2003] se sont rapprochés de l’analyse juridique féministe post-coloniale [Kapur, 2005 ; Volp, 2006]. Enfin, à l’instar de l’ANR (Agence nationale de la recherche) Global Gender, les recherches portant sur le droit international ont pu mettre en évidence le caractère éminemment genré de ce droit, en particulier dans son volet sur les droits fondamentaux [Knop, 2004].

En s’appuyant sur la diversité de l’ensemble des travaux existant, les responsables de la ST souhaiteraient travailler à l’hypothèse d’une utilisation du genre comme instrument de rapprochement du droit avec les sciences sociales, au premier rang desquelles la science politique. Au moment de dresser le bilan d’une manifestation scientifique qui constitue un jalon dans l’histoire de la sociologie du droit en France, les organisateurs du colloque d’Amiens de 2002 écrivaient : « Il a été immédiatement apparent, lorsque nous avons reçu les réponses à l’appel à communications lancé pour ce colloque que la plupart des juristes restaient généralement insensibles aux sollicitations qui leur étaient adressées […] Cette difficulté à trouver des interlocuteurs juristes dans cette entreprise prive ces recherches d’un regard, y compris critique, qui apporterait sans doute beaucoup aux investigations de sciences sociales portant sur le droit » [Israël, Sacriste, Vauchez et Willemez, 2005]. Or on a pu constater ces dernières années en France que certain-e-s juristes (avocat-e-s, magistrat-e-s ou universitaires), « revendiquant des prises de position politiques et l’utilisation de leurs compétences professionnelles pour la défense de causes », s’efforçaient ainsi d’inventer « une nouvelle manière de faire du droit et d’appartenir au champ juridique, à distance de l’orthodoxie juridique mais dans le respect d’un ensemble de règles minimales permettant de continuer à se vivre comme juristes » [Willemez, 2013]. On peut ainsi penser aux responsables de l’ANR REGINE (Recherche et Études sur le Genre et les Inégalités dans les Normes en Europe), et aux publications issues de leurs travaux (Hennette-Vauchez, Möschel et Roman, 2013 ; Hennette-Vauchez, Pichard et Roman, 2014]. Au croisement des études de genre et de l’analyse politiste du droit, la ST nourrit l’ambition de faire dialoguer les juristes avec les chercheur-e-s en sciences sociales, via une interrogation sur ce que la prise en compte du genre implique en termes de conversion méthodologique. Il est clair, en effet, que pour révéler les effets genrés des normes, les études juridiques sont contraintes de mettre en place des méthodes qui ne sont pas majoritaires dans la discipline. On a ainsi en tête le recours à la réalité statistique dans le cas des discriminations indirectes touchant au droit du travail [Conaghan, 1986] ou aux pratiques des actuaires [Grosbon, 2013] ; dans un autre contexte, une enquête collective sur la justice familiale a permis de rendre compte des limites du principe d’égalité et de l’écriture du droit dans un langage universaliste, cette égalité de principe entre conjoint-e-s pouvant aussi fonctionner « comme une limite à la reconnaissance des inégalités de fait, et a fortiori comme un frein à leur remise en cause » [Le collectif Onze, 2013]. Il apparaît donc nécessaire, pour ces juristes ouvert-e-s aux sciences sociales, de se livrer à des investigations de terrain, afin de prendre en compte les expériences vécues des femmes [Sunder, 2003], notamment des femmes lesbiennes [Cain, 1990].

Most political science researchers will encounter the importance of law at some stage in their research, and US works on cause lawyering have thrown the idea that « law is all over » [Sarat, 1990] into relief. However, not all political scientists recognise the key role which is played by law. Some have sought to deconstruct the argument, which some jurists have taken to justify their own social power, of “politics seized by the
law” [Favoreu, 1988], maintaining that “it is only if law is seized by politics for non juridical reasons that it can in turn claim to seize it effectively” [François, 2003]. Be it understood in the sense of judicial or administrative institutions, legal professions or production of rules [Thompson, 1975; McCann, 2004], the law has been described as a model of action, a resource in the political arena, in sum as an instrument in the repertoire of collective action and mobilisations [Israël, 2009]. While sensitive to the proper bearing of legal discourse, political scientists specialized in law analysis have shown it to lack any essential or independent reality [McCann, 1994].

Whereas law is no longer the no-go zone it used to be for political and social scientists, the gendered analysis of norms and legal systems had to (and still has to) overcome a series of obstacles. Some of these are specific to France, others revolve around law in itself. While Legal Gender Studies primarily spread in the English-speaking world, special issues on Law and Gender have also appeared in German, Austrian or Swiss [Lempen, 2013] law journals. In contrast, the acculturation of French jurisprudence and political science to gender concerns occurred at a much slower pace [Achin and Bereni, 2013; Bereni, Debauche, Latour, Lempen and Revillard, 2009], perhaps on account of the historical binds that united legal studies and French political science in the past, and the masculine framework that could result, even sporadically, from these former ties. In comparison with the US, the UK, and other French-speaking countries, these disciplines proved particularly resistant to feminist research in France, possibly all the more so because of the intrinsic features of the object “law”. Indeed, law appears as a neutral discourse, a power to eternalize social life; it can act to depoliticise [Dulong, 2008], strengthening gender hierarchies by making them invisible and unquestionable. Conversely, the first feminist works on law, focusing on the place of women in the legal system in Scandinavia [Dahl, 1987], tried to stress gender as a “primitive way to indicate power relationships” [Scott, 1986]. Developed by scholars who were lawyers themselves, these writings argued that, in spite of its seeming neutrality, law actually reflected “a masculine point of view” [MacKinnon, 1991 & 2005] and that law in itself was “a gendered practice” [Smart, 1992]. Notwithstanding the reluctance of some feminist academics and activists to deploy law as a means to enhance equality, it thus appears to be two-sided: law is a means of emancipation but also of legitimation of current power relations [Smart, 1986]. Drawing on the feminist argument that “The personal is political”, Legal Gender Studies theorists shown that taking gender seriously requires a rethinking of “the dominant framework of political analysis” [Caroll and Zerilli, 1993].

Introduction : Charles Bosvieux-Onyekwelu (Laboratoire PRINTEMPS, UVSQ)

Axe 1 / le droit comme vecteur des inégalités de genre

Alexandre Jaunait (Université de Poitiers – ISP), Le genre comme catégorie juridique : une analyse de l’introduction du concept de genre dans le droit français
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Amélie Bescont (Sciences-po Paris – CEVIPOF) et Taiana Marcon (Université Paris Ouest), Féminicide : les affres de la sexo-spécificité face au droit français
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Réjane Sénac (CEVIPOF – Sciences-po Paris), Prendre le rôle du droit au sérieux dans le dépassement de l’assignation à la binarité et à la complémentarité sexuées
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Fiona Friedli (Université de Lausanne – CRAPUL), La (re)production des normes juridiques et des normes de genre : analyse des pratiques des juges au prisme de la mise en œuvre du droit de la famille en Suisse

Discutant : Alban Jacquemart (Université Paris-Dauphine – IRISSO)

Axe 2 / le genre comme instrument dans les mobilisations autour du droit

Nadia Kamel (Université Hassan II de Casablanca – Laboratoire des politiques publiques), Le statut général de la fonction publique au Maroc : neutre au genre ?
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Lison Guignard (ENS Cachan – ISP), Mobilisation en faveur d’un dispositif juridique sur les droits des femmes en Afrique : une approche sociologique des usages du droit dans un espace transnational
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Jane Freedman (Université Paris 8 – CRESPPA), Intégrer le genre dans le droit international : le cas de la Cour pénale internationale
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Discutante : Aurélie Fillod-Chabaud (IREDU, Université de Bourgogne)

Conclusion : Véronique Mottier (Jesus College, Université de Cambridge & ISS, Université de Lausanne)

Amélie Bescont (Sciences-po Paris – CEVIPOF) et Taiana Marcon (Université Paris Ouest)

Féminicide : les affres de la sexo-spécificité face au droit français
Malgré un contexte national jusqu’à très récemment étranger à la question politique du féminicide, l’adoption de la loi de 2012 sur le harcèlement sexuel et l’introduction concourante de « l’identité sexuelle » de la victime aux termes des circonstances aggravantes en matière d’homicide volontaire (art 221-4 alinéa 7 du Code Pénal), ouvrent une brèche qui semble-t-il, pourrait favoriser la reconnaissance de ce phénomène au sein de notre corpus législatif. Or selon le législateur, créer une telle circonstance aggravante uniquement pour des crimes perpétrés envers les femmes reviendrait à consacrer une inégalité fondée sur le genre. La reconnaissance du crime féminicide contreviendrait ainsi au principe d’égalité devant la loi. Comment alors, concilier les réalités sociologiques des crimes commis à l’égard des femmes avec l’impératif d’égalité de traitement des sujets de droit ? La confrontation des rhétoriques légalistes et féministes fait ressortir les tensions inhérentes à ce problème : les barrières juridico-politiques qui entravent l’inscription du féminicide dans le droit pénal français se situent principalement du côté de la perméabilité de notre contexte national à la sexo-spécificité de cette notion.

Femicide: the Scourge of Sex Specifity in French Law
Despite a national context that was until recently unconcerned by the political notion of femicide, the 2012 bill on sexual harassment and the joint introduction of the victim’s “sexual identity” as an aggravating circumstance of voluntary manslaughter (art. 221-4 §7 French Penal Code), pave a way which seemingly could favor the phenomenon’s recognition in our body of law. But according to the French legislator, only introducing such an aggravating circumstance for crimes perpetrated against women, would lead to sanction a gender-based unfairness. The recognition of the crime of femicide would thus go against the principle of equality before the law. How, in that case, can we reconcile the sociological dimension of crimes committed against women with the imperative of equal treatment of all before the law? The confrontation of legal and feminist discourses outlines the tensions lying within this issue: the legal political barriers which prevent the introduction of femicide in the French criminal law result from the incompatibility of our national law with the sex specificity of this notion.

Fiona Friedli (Université de Lausanne – CRAPUL)

La (re)production des normes juridiques et des normes de genre : analyse des pratiques des juges au prisme de la mise en œuvre du droit de la famille en Suisse Cette communication s’attache à comprendre comment le personnel de l’institution judiciaire met en œuvre le droit de la famille afin d’examiner la coproduction du droit et du genre dans le contexte Suisse. En comparant le travail effectué au sein d’instances de recours et de Cours de première instance, il s’agit d’analyser la manière dont les juges implémentent des catégories juridiques et participent à redéfinir les contours de la famille comme institution et les rôles parentaux.

Law, Gender and Justice : Family Justice Action at Supreme and Lower Courts in Switzerland
The communication aims to analyze how Supreme and lower Courts judges implement family law in Switzerland in order to examine the transformation of family law and gender relations in the Swiss context. I aim to show how judges implement legal categories in a meaningful way to define the outlines of the family institution and parental roles.

Alexandre Jaunait (Université de Poitiers – ISP)

Le genre comme catégorie juridique : une analyse de l’introduction du concept de genre dans le droit français
Cette communication ne porte pas tant sur les « approches genre du droit » que sur l’événement juridique récent que représente l’introduction du concept de genre dans le droit positif français à l’occasion du vote de la loi « Egalité et citoyenneté » au printemps 2016. Le législateur, modifiant la loi de 2012 sur le harcèlement sexuel et les motifs de discrimination, a dans un premier temps désaccolé les notions d’« orientation sexuelle » et d’« identité sexuelle » pour remplacer dans un second la notion d’identité sexuelle par celle d’identité de genre, renvoyant aux discriminations subies par les personnes trans’. Le terme de genre a ainsi fait son entrée dans le droit positif français – là où seule la notion de sexe avait prévalue jusqu’ici – et son acception renvoie à l’histoire du sexe social et psychologique – l’identité de genre – et non à la catégorie analytique de rapport de pouvoir telle qu’elle a été construite par les études sur le genre.
On cherchera à analyser cet événement juridique de deux manières : dans une perspective d’histoire sociale, on s’intéressera à ce que le droit reconnaît en pratique en établissant un troisième étage identitaire distinct du sexe et de la sexualité. D’autre part, on analysera les débats et les stratégies impulsés par l’advocay des mouvements sociaux trans’ et au développement d’un paradigme juridique nouveau de gender self-determination.

Gender as a Legal Category: an Analysis of the Introduction of the Concept of Gender in French Law
This paper doesn’t deal with “gender approaches of law” as much as with the recent legal event that the introduction of the concept of gender in French law has represented, when Parliament adopted the Bill “Equality and citizenship” in 2016. Amending the previous 2012 law on sexual harassment and discrimination, the Legislator has firstly separated the term “sexual orientation” from the term “sexual identity”, and in a second step has replaced sexual identity by the notion of gender identity, referring to the discriminations trans’ people are subjected to. Gender is henceforth a concept of French positive law, while sex had been the only concept prevailing in French law till today. Moreover, its meaning refers to the history of social and psychological sex – gender identity as such – and not to the category of analysis (a structural power relation) that had been so far elaborated by gender studies scholarship. We will attempt to analyze such legal event in two ways. First, from a social history perspective, we will try to get a grasp at what law practically recognizes while acknowledging a third layer of identity, distinct from sex and sexuality. Secondly, we will analyze the debates and strategies of transadvocay and the ways trans’ social movements have recently shaped a new legal paradigm of gender self-determination.

Réjane Sénac (CEVIPOF – Sciences-po Paris)

Prendre le rôle du droit au sérieux dans le dépassement de l’assignation à la binarité et à la complémentarité sexuées
A quelles conditions enlever la mention du sexe de l’état civil ou permettre un choix non-binaire participera-t-il du dépassement d’identifications sources de discrimination ?
Poser cette question, c’est se confronter au dilemme inhérent à la lutte contre les dominations structurelles. Il s’agit en effet de faire conjointement deux mouvements apparemment incompatibles : agir sur le monde tel qu’il est pour déconstruire les inégalités, et rendre possible un autre monde libéré des cadres qui déterminent et conditionnent la reproduction de ces inégalités. Le défi est de trouver un moyen de mesurer les conséquences de l’héritage de l’identification sexuée binaire sans rester enfermé dans de telles identifications sources d’une complémentarité hiérarchisée.
Le module « Genre et politique » de l’enquête pré-électorale du CEVIPOF sur l’élection présidentielle 2017 servira d’étude de cas dans la mesure où y a été inséré la possibilité, pour les plus de 20 000 répondant.e.s, de se déclarer ni homme, ni femme, mais « Autre ». 166 personnes, soit 0,82% de l’échantillon, ont coché la case « Autre » et ont explicité ce que cela signifiait pour eux. Pour la première fois en France, une enquête scientifique permet de mesurer la proportion des personnes qui ne s’accommodent pas du choix sexué binaire en vigueur à l’état civil. Elle permet ainsi d’éclairer le lien entre le dépassement de cette identification binaire, le principe d’égalité et la « liberté de non-domination » (P. Pettit).

Taking Rights Seriously: Beyond the Confines of Binary Gender Identity
Under what conditions might the removal of gender from civil registers or the addition of a non-binary choice contribute to eliminating sexual identity as a source of discrimination?
Addressing this issue entails facing the dilemma inherent to the struggle against structural domination. The dilemma consists of jointly adopting two seemingly incompatible approaches: acting on the world such as it is in order to deconstruct inequalities, and facilitating the creation of another world, free from a set of criteria that determines and conditions the reproduction of such inequalities. The challenge is to find a way to measure the legacy of binary gender identification without remaining confined to such identifications given that they engender and justify a hierarchical complementary.
The “Gender and Politics” module was included in the CEVIPOF pre-electoral survey of the 2017 French presidential election. It will thus serve as a case study as it allowed the 20 000 survey respondents, to identify as Male/Female or “Other”. One hundred and sixty-six people, i.e. 0.82% of the sample, ticked the “Other” box and clarified what ‘Other’ means for them. For the first time in France, a scientific survey measures the proportion of individuals who do not fit into the existing binary gender-based category that regulates civil registration. In this way, it sheds light on the link between going beyond binary identification, the principle of equality and the “freedom of non-domination” (P.Pettit).

Jane Freedman (Université Paris 8 – CRESPPA)

Intégrer le genre dans le droit international: le cas de la Cour pénale internationale
Cette communication propose d’étudier la façon dont les mobilisations féministes pour l’intégration du genre dans le droit pénal international ont eu un impact sur le droit international et son interprétation. Suite à une mobilisation féministe importante, l’intégration du genre dans le Statut de Rome de la cour pénale internationale, a été perçue comme une victoire importante : la première fois que les violences basées sur le genre ont été reconnues comme crime par le droit international. Cependant, les expériences subséquentes ont mené à des sentiments de déception par rapport à la façon générale dont le genre a été interprété par la CPI, et dans certain procès où les crimes liées au genre ont été invoquées. Dans la communication nous allons examiner la façon dont le genre a été intégré dans le Statut de Rome pour analyser les arguments selon lesquels les compromis qui ont été fait pour faire intégrer le genre ont limité le pouvoir et la compétence de la CPI pour avoir un vrai impact sur l’avancement de l’égalité de genre par le droit international. Nous examinerons les possibilités pour une meilleure intégration du genre dans le droit pénal international et pour une meilleure avancée vers la justice de genre aux niveaux international et national.

Integrating Gender into International Law: the Case of the International Criminal Court
This paper proposes to study the ways in which feminist mobilizations for the integration of gender into international criminal law have had an impact on international law and its interpretation. Following a major feminist mobilization, the integration of gender into the Rome Statute of the International Criminal Court was seen as a victory by many feminists: the first time that gender-based forms of violence were recognized under international criminal law. However, subsequent experience has led to some disappointments about the ways in which gender is interpreted within the institution of the ICC and in certain cases which have included charges related to gender-based crimes. In the paper we will examine the way in which gender was integrated into the Rome Statute and assess the arguments that the compromises involved in this integration have limited power and ability of the ICC to have a real impact in terms of advancing gender equality through international law. We will examine the possibilities for a better integration of gender into international criminal law to move towards a greater impact on achieving gender justice at international and national levels.

Lison Guignard (ENS Cachan – ISP)

Mobilisation en faveur d’un dispositif juridique sur les droits des femmes en Afrique : une approche sociologique des usages du droit dans un espace transnational
Cette communication étudie la campagne menée pour l’adoption du protocole additionnel à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes (dit « protocole de Maputo »), ensemble normatif coercitif de 32 articles adopté en 2003 par l’Union africaine. Celui-ci a fait l’objet d’une intense campagne de mobilisation qui donne à voir les usages militants qui découlent de la production du droit, en particulier de la part des membres de « Solidarité pour les droits des femmes africaines-SOAWR », une coalition ad hoc de la cause du protocole de Maputo. Dans cette perspective, le droit est appréhendé à travers son potentiel contestataire en tant que ressource pour les mobilisations en faveur de l’égalité entre les sexes, y compris dans un contexte transnational.
S’appuyant sur des entretiens avec les acteur.rice.s qui ont joué un rôle dans la mobilisation autour de ce protocole ainsi que sur des documents d’archive, l’objectif de cette communication est de mieux saisir les logiques de mobilisation du droit dans une arène transnationale. Sont-elles les mêmes que dans toute autre arène de négociation (par exemple lorsque des textes de droit sont négociés au niveau national ou dans des organisations multilatérales « occidentales ») ? En somme, la mobilisation en faveur d’un dispositif juridique sur les droits des femmes en Afrique témoigne-t-elle d’une spécificité du « transnational » ou du contexte africain ?

Mobilization in Favor of a Legal Instrument for Women’s Rights in Africa: a Sociological Approach of Uses to Rights in a Transnational Space
This communication studies the campaign for the adoption of the Additional Protocol to the African Charter on Human and People’s Rights to Women’s Rights in Africa (called “Maputo protocol), a coercive set of norms composed of 32 articles adopted by the African Union in 2003. “Solidarity for African Women’s Rights”, an ad hoc coalition of the cause of the Maputo Protocol, has been strongly mobilized in this process, which illustrates the activist uses which stem from the production of law. In this perspective, law is analyzed through its dissent potential, as a resource for mobilizations in favor of equality between men and women, included in a transnational context.
Methodologically based on archives and interview campaigns with actors who played a role in the mobilization in favor of this protocol, the objective of this communication is to better understand the logics of mobilization of Rights in a transnational arena. Are they the same that in any other negotiation arena ? (for example when legal texts are negotiated at the national level or in “Western” multilateral organizations ? In sum, is this mobilization for a legal instrument on Women’s Rights in Africa a testimony of the specificity of a transnational or African context ?

Nadia Kamel (Université Hassan II de Casablanca – Laboratoire des politiques publiques)

Le statut général de la fonction publique au Maroc : neutre au genre ?
Prohibant toute forme de discrimination, y compris celle fondée sur le genre, le Statut Général de la Fonction Publique au Maroc prône l’égalité professionnelle. Toutefois, porter une analyse Genre sur les textes de lois régissant la fonction publique au Maroc reviendrait à remettre en question la neutralité de la réglementation en matière de gestion de la carrière du personnel des Administrations Publiques.
Une analyse de la cartographie et du profil des femmes fonctionnaires permet en effet de conforter l’hypothèse de la discrimination et de constater que les inégalités de genre existent dans le secteur public marocain impactant ainsi incontestablement leur accès aux postes décisionnels. L’adoption récente de mesures incitatives et législatives favorables à la parité ne devrait donc pas à priori exclure l’introduction des mécanismes de discrimination positive et l’institutionnalisation d’une représentativité substantive des femmes au sein de la fonction publique et particulièrement dans les postes de responsabilités.
Au-delà de la bi-catégorisation sexuée des règles juridiques, l’enjeu serait d’entreprendre une réforme qui promeut une égalité réelle des chances reposant justement sur la rupture avec l’indifférence de la norme.

The General Statute of the Civil Service in Morocco: Gender Neutral?
Prohibiting all forms of discrimination, including discrimination based on gender, the General Statute of the Civil Service in Morocco calls for professional equality. However, carrying out a gender analysis on the texts of laws governing the civil service in Morocco would be tantamount to questioning the neutrality of the regulations concerning the management of the career of civil servants.
An analysis of the mapping and profile of women civil servants makes possible the reinforcing of the hypothesis of discrimination and to find that gender inequalities exist in the Moroccan public sector thus undoubtedly impacting their access to decision-making positions. The recent adoption of legislative and incentives measures to promote gender equality should therefore not, in principle, preclude the introduction of affirmative action mechanisms and the institutionalization of substantive representation of women in the public service and particularly in responsabilities positions.
Beyond the gendered bi-categorization of legal rules, the challenge would be to undertake a reform that promotes real equality of opportunity based precisely on the break with the indifference of the norm.

Lundi 10 juillet 2017 13h30-17h30

BESCONT Amélie amelie.bescont@sciencespo.fr
BOSVIEUX-ONYEKWELU Charles charles.bosvieux-onyekwelu@normalesup.org
FILLOD-CHABAUD Aurélie aureliefillod@hotmail.fr
FREEDMAN Jane jane.freedman@cnrs.fr
FRIEDLI Fiona fiona.friedli@unil.ch
GUIGNARD Lison guignardlison@gmail.com
JACQUEMART Alban alban.jacquemart@gmail.com
JAUNAIT Alexandre alexjaunait@hotmail.com
KAMEL Nadia nadia.kamel@tgr.gov.ma
MARCON Taina taiana.marcon@gmail.com
MOTTIER Véronique vm10004@cam.ac.uk
SENAC Réjane rejane.senac@sciencespo.fr