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Expériences des discriminations, sentiment d’injustice et engagements dans les quartiers populaires

Experiencing discriminations, apprehending injustice and commitment in working-class neighborhoods

Responsables scientifiques
Samir Hadj Belgacem (SOPHIAPOL – Université Nanterre Paris-Ouest) samir.hb@gmail.com
Sandrine Rui (Centre Émile Durkheim, UMR 5116, CNRS – Univ. de Bordeaux) sandrine.rui@u-bordeaux.fr

Cette section thématique se donne pour objectif de discuter des travaux qui analysent les expériences de discriminations à l’aune du sentiment d’injustice et ses effets en termes de politisation et d’engagements pour les habitants des quartiers populaires. Plus spécifiquement, il s’agit d’étudier la façon dont les expériences de discriminations ont des effets sur la perception du monde social et politique. La discrimination étant une question très large, nous nous concentrerons sur trois aspects particulièrement significatifs dans les quartiers populaires à savoir la discrimination territoriale, la discrimination ethno-raciale, la discrimination religieuse. Nous souhaitons réunir des contributions autour deux axes :

Axe 1 : Expériences des discriminations, perception des injustices et politisation

Les cadres de perception de l’injustice sont multiples et ne conduisent pas tous à une analyse en termes de discriminations. Il s’agit donc de discuter des contextes d’émergence, mais aussi des expériences et des pratiques discursives observées lors des enquêtes. Ainsi, l’attention sera portée aux catégories de perception, d’analyse et d’identification mobilisées par les individus, afin de rendre compte de formes de politisation spécifiques (Hamidi 2010), mais aussi de comprendre les obstacles à la politisation. Ces catégories pourront aussi permettre de discuter les cadres théoriques. Les recherches sur les discriminations reformulent l’appréhension classique des inégalités (Fassin et Fassin 2006). Dans quelle mesure assiste-t-on à un glissement de la question sociale à la question raciale, au passage d’une conception de la justice donnant la priorité à l’égalité des opportunités sur l’égalisation des conditions ? Ne peut-on pas repérer à l’inverse des formes intersectionnelles d’articulation des conceptions ordinaires de la justice (Chauvin, Jaunait, 2015) ? Les discussions permettront également d’interroger les concepts mobilisés par différentes recherches comme la justice, la reconnaissance ou encore les économies morales.

La politisation de l’expérience des discriminations sera interrogée tant dans ses dimensions individuelles que collectives. Comment les acteurs interprètent-ils leur expérience discriminatoire ? A quelles conditions les individus relient-ils la discrimination à des facteurs politiques ou institutionnels plus larges, cadrant dès lors leur expérience selon un sentiment d’injustice ? Dans quelle mesure la souffrance, favorise-t-elle ou empêche-t-elle la politisation de cette expérience ? Les personnes discriminables et/ou victimes peuvent réagir de manières différentes face aux situations et aux pratiques discriminatoires. Tout comme elles peuvent apprécier différemment l’opportunité que constituent (ou pas) les dispositifs de lutte et de réparation, notamment quand on sait que les discriminations font encore rarement l’objet de procédure judiciaire.

Axe 2 : Faire face aux discriminations : de l’évitement à l’action collective

Le second axe s’intéresse aux stratégies mises en oeuvre pour affronter les discriminations et aux conséquences en termes de participation (Talpin 2016) et de représentation politiques (Escafré-Dublet et Simon 2009). Comment les individus réagissent-ils aux discriminations ? À l’échelle individuelle, c’est l’évitement (Eliasoph 2010 ; Dubet et al., 2013), qui semble constituer l’option la plus courante. Mais la lutte contre les discriminations a bien une dimension collective (Leighley 2001; Garbaye 2005). Dans quelle mesure ces collectifs sont-ils initiés par les victimes de traitements inégaux ? Quels sont les stratégies et répertoires d’actions employés par les associations et les collectifs pour mobiliser les victimes de discrimination ? Quelles sont les conséquences sur le champ politique et les politiques publiques ? Dans quelle mesure l’expérience de la discrimination peut-elle conduire à l’engagement civique ou politique d’individus initialement peu politisés ? Il s’agira d’évaluer la portée de ces réponses (Lamont et Mizrachi 2012) individuelles et collectives à la discrimination, tant pour les individus, qu’au sein du tissu associatif local, sur l’action publique ou encore sur le champ politique.

This panel aims at discussing works analyzing the reactions and effects of discriminatory experiences in terms of feeling of injustice and political and civic engagement. More specifically, this section will be studying how discriminatory experiences influence our perception of the social and political worlds. Discrimination being a very large subject, we will focus on three aspects particularly relevant in the working-class neighborhoods, namely territorial discrimination, ethnic/racial discrimination and religious discrimination. We will articulate our reflections around two axes :

Axis I : Experiencing discrimination, apprehending injustice and politicization

The ways of apprehending injustice are manifold and do not all lead to an analysis in terms of discrimination. It is therefore important to deal with the context of emergence but also with experiences and with discursive practices observed during research. Thus, we will pay particular attention to the categories of perception, analysis and identification summoned up by individuals, in order to take into account specific forms of politicization (Hamidi 2010), but also in order to understand the obstacles to such politicization. These categories will also enable us to discuss several theoretical frameworks. Research on discriminations has redefined the classical way of apprehending inequalities (Fassin and Fassin 2006). To what extent are we witnessing a swing from the social to the racial question, and to a conception of justice which gives priority to the equalities of opportunities over equalization of conditions ? On the contrary, can we not point out intersectional tendencies which feed more ordinary conceptions of justice (Chauvin, Jaunait, 2015) ? The discussion will also enable us to question the concepts at work in different studies such as justice, recognition or moral economy.

How experiencing discriminations can be turned into something political will be questioned in its individual as much as in its collective dimensions. How do people who are discriminated against interpret their experience? Under which conditions do individuals connect discrimination to larger political or institutional factors, thus apprehending their experience through a feeling of injustice? To what extent does suffering help or prevent these experiences from being turned into something political? People prone to discrimination and/or discriminated against may react in various ways to discriminatory situations and practices. They may as well apprehend differently the opportunity that new jurisdiction implemented to fight discrimination and set things right may (or may not) represent to them, especially when we know that cases of discriminations are still seldom prosecuted.

Axis II : Facing discriminations : from exit to collective action

The second axis deals with strategies used to fight discriminations and to the consequences as far as participation (Talpin 2016) and political representation (Escafré-Dublet and Simon 2009) are concerned. How do individuals react when facing discriminations? On an individual level, exit and avoidance strategies (Eliasoph 2010 ; Dubet et al., 2013) seem to prevail. But fighting discriminations has also a collective dimension, embodied in several civic groups and associations (Leighley 2001 ; Garbaye 2005). To what extent are such organizations created by victims of unequal treatment? What are the strategies and modes of actions used by associations and civic initiatives to make victims of discrimination act and participate? What are the consequences on the political level and on the public policies? To what extent the experience of discrimination lead someone who was originally little or not involved politically to commit him/herself on a civil or political level? It will be one of our goals to assess the range of these individual and collective responses to discrimination (Lamont et Mizrachi 2012), as much for individuals on their own, as for those being part of a local associational network, over public or political action ?

REFERENCES

Dubet, F., Cousin, O., Macé, E., Rui, S. (2013) Pourquoi moi ? L’expérience des discriminations, Paris, Seuil.
Fassin, D., Fassin, E. (eds.) (2006) De la question sociale à la question raciale, Paris, La Découvrte.
Garbaye, R. (2005) Getting into Local Power: The Politics of Ethnic Minorities in British and French Cities, Oxford, Blackwell.
Lamont, M., Mizrachi, N. (eds.) (2012). “Ordinary People Doing Extraordinary Things: Responses to Stigmatization in Comparative Perspective”. Ethnic and Racial Studies, 35(3), pp. 365-381.
Talpin, J. (2016) Community organizing, De l’émeute à l’alliance des classes populaires aux États-Unis, Paris, Raisons d’agir.

Axe 1 / Expériences des discriminations, perception des injustices et politisation
Discutant : Julien Talpin (CNRS, Université de Lille 2)

Marion Carrel (Université de Lille 3, EHESS), Sümbül Kaya (IFEA, Université de Lille 2 et CNRS), Anaïk Purenne (Université de Lyon, ENTPE et CNRS), L’expérience de la discrimination, frein ou support de citoyenneté dans les quartiers populaires ? Une perspective comparée France-Québec
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Élodie Druez (Sciences-Po Paris), Les politisations de la racisation chez les diplômé.e.s d’origine subsaharienne : Une comparaison France/Royaume-Uni
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Vincent-Arnaud Chappe (CNRS, Mines ParisTech, PSL), Narguesse Keyhani (Université de Paris-Ouest Nanterre, ENS Paris-Saclay), La dénonciation judiciaire des discriminations : une conscientisation sans politisation ? Le cas des cheminots marocains en procès contre la SNCF

Axe 2 / Faire face aux discriminations : de l’évitement à l’action collective
Discutant : Guillaume Roux (Sciences-Po Grenoble, Université de Grenoble Alpes, CNRS)

Marion Lang (Université Jean Monnet de Saint-Étienne et Universitat Autònoma de Barcelona), L’influence de la stigmatisation et des discriminations dans l’action collective des quartiers populaires. Retour sur deux expériences participatives à Marseille et Barcelone
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Silyane Larcher (CNRS, Université Paris Diderot), « Nos vies sont politiques ! » Du vécu du racisme et du sexisme à l’engagement afroféministe
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Anthony Pregnolato (Université de Paris-Ouest Nanterre, Centre Marc Bloch), Discriminations et déviances policières violentes dans les quartiers populaires. Les rébellions de Cureghem en 1997

Marion Carrel (Université de Lille 3, EHESS), Sümbül Kaya (IFEA, Université de Lille 2 et CNRS), Anaïk Purenne (Université de Lyon, ENTPE et CNRS)

L’expérience de la discrimination, frein ou support de citoyenneté dans les quartiers populaires ? Une perspective comparée France-Québec
L’expérience des discriminations met à l’épreuve l’identité des personnes comme leur conception de l’ordre social et politique et fournit par hypothèse autant de raisons d’agir et de « ressources épistémiques » ordinaires pour y faire face. Mais la dénonciation ou l’acceptation des discriminations n’est pas seulement affaire de dispositions et de ressources individuelles : le sentiment d’appartenance à un groupe, autant que les imaginaires politiques qui mettent en scène cette identité collective, constituent des variables importantes pour rendre compte de la plus ou moins forte propension des personnes à dénoncer ces pratiques. Dans le prolongement de ces réflexions, cette communication propose d’interroger plus spécifiquement les conditions d’engagement dans des associations de lutte contre les discriminations dans les quartiers populaires, autant que dans des pratiques de résistance à bas bruit relevant de la « politicité » ou de l’infra-politique des groupes subalternes. Les données recueillies confirment à cet égard l’importance du capital culturel et de la socialisation familiale dans l’engagement dans des formes conventionnelles de politisation, mais d’autres facteurs liés aux trajectoires des individus jouent également un rôle de catalyseur. Le caractère horizontal et inclusif des actions collectives (attention accordée à l’expérience vécue, à l’humour, au care, etc.) semble particulièrement favoriser l’engagement, tout en dénotant d’un rapport particulier au politique.

The experience of discrimination, brake or support of citizenship in working-class neighborhoods ? A comparative perspective France-Québec
The experience of discrimination challenges the identity of individuals as well as their conception of social and political order and hypothetically provides as many reasons for action and ordinary « epistemic resources » to face them. However, the denunciation or acceptance of discriminations is more than a matter of individual dispositions and resources: the feeling of belonging to a group, as much as the political imaginings that portray this collective identity, are important variables to make account of the greater or lesser propensity of individuals to denounce these practices. As a follow-up to these reflections, this paper proposes to examine more specifically the conditions of commitment in anti-discrimination associations in working-class neighborhoods, as well as in low-noise resistance practices of « politicity » or infrapolitics of subordinate groups. The gathered data confirms the importance of cultural capital and family socialization in engaging in conventional forms of politicization, but other factors related to individual trajectories also play a catalytic role. The horizontal and inclusive nature of collective actions (attention to lived experience, to humor, to care, etc.) seems to be particularly conducive to commitment, while at the same time reflecting a particular relationship to politics.

Élodie Druez (Sciences-Po Paris)

Les politisations de la racisation chez les diplômé.e.s d’origine subsaharienne : Une comparaison France/Royaume-Uni
Les diplômé.e.s d’origine subsaharienne politisent-ils.elles leur expérience de la racisation (et, plus largement, la question raciale) de la même manière en France et au Royaume-Uni ? Cette communication vise à comparer les différences d’outils et de registres utilisés par les enquêté.e.s britanniques et français.e.s. Elle s’appuie sur une définition élargie du concept de politisation reposant sur l’expression d’un sentiment d’injustice et la réalisation de montées en généralité (Gamson, 1992 ; Boltanski ; 1990) que l’on peut comprendre notamment comme une capacité à remettre en cause les normes dominantes et à déconstruire la place assignée aux minoré.e.s dans l’espace social. A partir d’une méthode qualitative composée de 80 entretiens individuels et de 6 entretiens collectifs menés à Londres et à Paris, je montrerai premièrement que le cadrage de l’expérience de la racisation est différent dans chaque pays. Les Britanniques parlent plus volontiers d’inégalités dues à un racisme institutionnel et se réfèrent fréquemment aux statistiques ethniques quand les Français.e.s mettent l’accent sur les inégalités sociales et territoriales dont pâtissent les immigré.e.s et leurs descendant.e.s. Deuxièmement, j’analyserai en quoi, dans les deux cas, les outils de politisation dépendent des trajectoires individuelles et notamment des socialisations universitaires et politiques : les diplômé.e.s en sciences sociales et les individus très politisés disposent de plus de ressources pour porter un regard politique sur leur vécu et leur identité.

Politicizations of racialization : the case of university graduates of sub-Saharan descent in France and in the UK
Do university graduates of African descent politicise their experience of racialisation (and more broadly racial issues) in the same way in France and in the UK? This papers aims at comparing the different tools and registers used by British and French interviewees. It is based on the a broad definition of politicisation defined as the expression of a feeling of injustice and of a process of generalisation which can be understood as a capacity to contest dominant norms and to deconstruct the assigned place of minorities in the social space. Thanks to a qualitative methods composed of 80 individual interviews and 6 focus groups realised in London and in Paris, I show that the frame of the experience of racialisation is different in each country. The British speak more frequently about inequalities created by institutional racism and refer themselves to ethnic statistics whereas French insist on social and territorial inequalities experienced by migrants and second generations. Secondly, I show that in both cases, tools of politicisation depend on individual trajectories and on political and academic socialisation: University graduates in social sciences and politicised individuals have more resources to shape a political understanding on their experience and identity.

Vincent-Arnaud Chappe (CNRS, Mines ParisTech, PSL), Narguesse Keyhani (Université de Paris-Ouest Nanterre, ENS Paris-Saclay)

La dénonciation judiciaire des discriminations : une conscientisation sans politisation ? Le cas des cheminots marocains en procès contre la SNCF
Près de 850 cheminots marocains, engagés dans les années 1970 par la SNCF et pour la plupart aujourd’hui à la retraite, ont engagé contre leur employeur un procès aux prud’hommes pour dénoncer la discrimination en raison de la nationalité qu’ils auraient subie. Cette mobilisation valorise leur subjectivité politique, à distance d’une représentation des « Chibanis » comme acteurs vulnérables et non-mobilisés. Reposant sur l’observation ethnographique des permanences organisées par une association (Ismaïlia) à destination des plaignants, et sur celle des audiences au tribunal des prud’hommes de Paris, la communication porte sur la trajectoire de cette dénonciation judiciaire et sur ses effets sur la perception des injustices – et du système judiciaire par les cheminots marocains. Notre communication s’inscrit dans la continuité des travaux de Michael McCann sur les relations entre action judiciaire et mobilisations collectives. Nous retrouvons ses conclusions plutôt « optimistes » sur les effets de cadrage de l’action judiciaire : la mobilisation a bien des effets de conscientisation chez ces plaignants, du fait de l’identification entretenue à un groupe de salariés discriminés et de l’inscription de l’action judiciaire dans la durée. L’ethnographie met pourtant en évidence une dépossession du mouvement par les formes mêmes de l’action judiciaire. Cela s’explique par la violence symbolique des professionnels du droit sur les plaignants, par les caractéristiques socio-démographiques de ces derniers (faiblement dotés en ressources sociales) et par les motivations des entrepreneurs de mobilisation, peu soucieux de faire du procès un levier d’affirmation individuelle ou collective. Pour autant, les plaignants se manifestent sous diverses formes dans l’arène judicaire et à ses marges, et le procès comme sa médiatisation suscitent par effet de ricochet des formes d’engagement de la part des « ayant-droits » des cheminots marocains.

Judicial action against discrimination: awarness without politization ? The case of Moroccan railway workers against the SNCF
Nearly 850 Moroccan railway workers, employed in the 1970s by the SNCF and who are for the most part now retired, have filed a lawsuit against their employer for discrimination on grounds of nationality. This mobilization highlights their political subjectivity, far from a general representation of the « Chibanis » as vulnerable and non-mobilized actors. Based on the ethnographic observation of the office of a non-profit organization (Ismaïlia) and hearings of the Paris industrial tribunal, the paper analyses the trajectory of this judicial action and its effects on the perception of injustice – and of the judicial system- by the Moroccan railway workers. The paper is in keeping with Michael McCann’s work on the relationship between judicial action and collective mobilizations. Regarding the effects of legal framing action, our findings are consistent with McCann rather « optimistic » conclusions : due to the identification process to a group of discriminated employees and to the long term judicial action, the mobilization favors the complainant’s awareness. However, the ethnographic study reveals a dispossession of the movement because of the very forms of the judicial action. This is due to the symbolic violence of legal professionals on the plaintiffs, the socio-demographic characteristics of the latter (who are poorly endowed with social resources), and the motivations of the mobilization entrepreneurs, who are unconcerned about individual or collective empowerment. However, the plaintiffs manifest themselves in various forms in the judicial arena and at its margins. And the trial as well as its media coverage have favored different forms of commitment of the Moroccan railwaymen heirs.

Marion Lang (Université Jean Monnet de Saint-Étienne et Universitat Autònoma de Barcelona)

L’influence de la stigmatisation et des discriminations dans l’action collective des quartiers populaires. Retour sur deux expériences participatives à Marseille et Barcelone
Cette communication questionne le lien entre la stigmatisation et l’expérience des discriminations au niveau individuel d’une part, et les mobilisations collectives dans les quartiers populaires d’autre part. A partir de l’étude de deux quartiers populaires périphériques à Marseille et Barcelone, notre analyse des formes de participation articule les notions de stigmatisation et de discrimination. En effet, ceux qui se mobilisent dans les expériences participatives vivent des discriminations territoriales et ethno-raciales qui ont des conséquences sur différents aspects de leur vie. Pourtant, ce ne sont pas tant les traitements discriminatoires que leur dimension symbolique qui façonne ces mouvements sociaux. En faisant dialoguer les notions de stigmatisation et discrimination, nous mettons à jour les mécanismes de politisation de l’injustice qui oscillent à la fois entre stigmatisation et discrimination, ainsi qu’entre discriminations ethno-raciales et territoriales. Le passage de l’expérience des discriminations au niveau individuel à une mobilisation collective est rendu possible par la valorisation de l’identité stigmatisée dans les discours et mobilisations et les évènements de revendications. A travers l’action collective, les individus renforcent leur compétence politique et s’ouvrent à de nouveaux modes de revendication. Enfin, ces mobilisations peuvent avoir des effets en termes de reconnaissance et de redistribution.

The influence of stigmatization and discrimination in collective action in lower-class neighborhoods. Participation and mobilization in Marseille and Barcelona
This presentation questions the connection between stigmatization and the experience of discriminations at an individual level on the one hand, and collective action in lower-class neighborhoods on the other hand. Through the study of two suburban working-class neighborhoods of Marseille and Barcelona, our analysis of different types of political participation articulates the concepts of stigmatization and discrimination. Indeed, the main actors of collective mobilization face territorial as well as racial discriminations in their everyday life. However, it appears that the symbolic dimension of stigmatization plays a more important role than concrete discrimination in the development of social movements. By crossing the concepts of stigmatization and discrimination, we show the mechanisms of politicization of injustices which swing between stigmatization and discrimination on one side and between racial and territorial discriminations on the other. The possibilities of building collective action from the experience of discrimination are made possible by the valorization of the stigmatized identity in the speeches of mobilization and in the actions. Through mobilization, individuals reinforce their political competency and open themselves to new means of claiming. Finally, these mobilizations can achieve results in terms of recognition and redistribution.

Silyane Larcher (CNRS, Université Paris Diderot)

« Nos vies sont politiques ! » Du vécu du racisme et du sexisme à l’engagement afroféministe
Quelles sont les conditions sociales et biographiques de subjectivation politique de jeunes femmes (et personnes trans et queers) françaises d’origine antillaise et d’Afrique subsaharienne se déclarant « afroféministes » ? Telle est la question qui guide une recherche qualitative actuellement en cours sur l’essor et la diffusion de l’afroféminisme en France aujourd’hui. À l’appui d’une quinzaine d’entretiens prenant la forme de récits de vie menés auprès de femmes âgées entre 23 et 37 ans à Paris et en Ile-de-France, il s’agira d’une part de présenter l’espace hétérogène et mobile de l’afroféminisme qui présente une militance peu structurée, mais pourtant cohérente. Puis, on s’arrêtera sur les « profils » d’afroféministes qui ressortent des entretiens effectués. Nées sur le territoire français (Hexagone et départements d’outre-mer), filles de migrants postcoloniaux – incluant les « migrants-nationaux » des Antilles et de la Guyane –, ces militantes sont pour la plupart issues des classes populaires, moyennement éduquées (de bac à bac +3) et souvent en situation précaire. Leurs discours, d’une grande réflexivité, bien que parfois construite, font apparaître qu’outre la confrontation avec les discriminations racistes, l’apprentissage social, parfois très ancien (dès la petite enfance), mais surtout ordinaire, voire routinier de la stigmatisation, articulé à l’identité de genre, détermine la cristallisation d’une conscience minoritaire. À défaut d’apporter des hypothèses définitives sur les conditions de politisation du vécu de ces femmes, nous voudrions surtout interroger à partir de notre terrain la place qu’occupe l’expérience composite de la racialisation et de la sexualisation ordinaire dans leur « carrière morale » et affective. Notre communication visera donc plutôt à soumettre à la discussion l’interprétation du passage de l’expérience accumulée des épreuves du racisme et du sexisme à l’affirmation en acte, c’est-à-dire publique, d’une identité sociale de « femme noire », autrement dit à sa politisation.

“Our lives are of politics !” From the living experience of racism and sexism to Afro-feminist activism
What are the social and biographical conditions of political subjectivation for young French women (and queer) of Antillean and Sub-Saharan descent who declare to be Afro-feminists? This is the key question of an ongoing qualitative research about the rise and spread of Afro-feminism in contemporary France. Leaning on approximatively fifteen life-story interviews conducted in Paris and Ile-de-France with women aged from 23 to 37 years old, I would like first to introduce the heterogeneous and mobile space of Afro-feminist militancy, which can be considered as unstructured, yet cohesive. Thereafter, I would like to focus on the « profiles » of Afro-feminist activists that emerged from the interviews. Born in France, daughters of postcolonial migrants (the « national-migrants » from French West Indies and French Guyana are also included), these activists are mainly from the working classes, with an average level of education (from baccalauréat to licence degree), and are often of a precarious social condition. Their discourses, which are highly reflexive, though constructed sometimes, reveal that, beyond their confrontation with discriminations, they have for long experienced racial stigmatization (often since their childhood) and more importantly, this experience remains constant or even mundane in their social life. Related to their gender, this social learning determines their minority consciousness’ construction. Instead of addressing strong hypotheses about the conditions of politicization of these women’s experiences, more specifically I would like interrogate the significance of this composite experience of racialization and of ordinary sexualization in their emotional and “moral career”. Consequently, this communication aims to discuss the understanding of the shift from the accumulated experience of racism and sexism to the public affirmation of a « black women » social identity, that is its politicization.

Anthony Pregnolato (Université de Paris-Ouest Nanterre, Centre Marc Bloch)

Discriminations et déviances policières violentes dans les quartiers populaires. Les rébellions de Cureghem en 1997
En novembre 1997, dans le quartier de Cureghem (un quartier populaire d’Anderlecht, dans la Région de Bruxelles-Capitale), des rébellions urbaines éclatent suite à la mort de Saïd Charki, tué par balle par des gendarmes lors d’une tentative d’interpellation pour trafic de stupéfiants. Après trois jours de rébellions urbaines, des habitant-e-s du quartier forment le collectif des Citoyennes responsables et l’association Alhambra. Alors que le premier collectif se donne pour mission de porter la voix des habitant-e-s de Cureghem, le second s’engage dans la formation militante de jeunes du quartier. Notre communication se propose d’étudier les conditions de possibilité de ces mobilisations (rébellions urbaines puis création de collectifs militant-e-s) comme des mobilisations contre les violences des forces de l’ordre dans les quartiers populaires. À travers une analyse configurationnelle permettant l’étude des rapports de force locaux – notamment des relations entre police, politique et habitant-e-s de Cureghem – et des modes d’actions militants de ces deux collectifs, nous montrerons comment la dénonciation des violences des forces de l’ordre s’articule avec la dénonciation d’une discrimination structurelle des habitant-es des quartiers populaires qui s’appuie sur le territoire et la race. Notre démonstration s’appuie sur des entretiens avec plusieurs acteur-rices en jeu au moment des faits, et sur la consultation d’archives.

Discriminations and police violences in a poor district of Bruxelles : the Cureghem rebellions in 1997
In November 1997, in the district of Cureghem (a poor district of Anderlecht, in the Region of Bruxelles-Capitale), urban rebellions emerge after the death of Saïd Charki, shot by the police while they were attempting to arrest him for drug trafficking. After three days of urban rebellions, residents of the district creat the group of Citoyennes responsables and the association Alhambra. While the mission of the first group is to carry the voice of residents of Cureghem, the second one initiate the activist education of the young people of the district. Our presentation will study the conditions of possibility of this mobilizations (urban rebellions and creation of activist groups) understood as mobilizations against police violences in poor district. Using a configurational analysis, enables the study of local power relations – especially the relationships between police, politicians and residents of Cureghem – and the activists mode of action of this two groups, we will explain how the contestation of police violences is coherent with the contestation of a structural discrimination of the resident of poor districts, based on area and race criterias. Our presentation is based on interviews with actors who were in the set at this time, and on the archives.

Mercredi 12 juillet 2017 9h00-13h00

CARREL Marion marion.carrel@free.fr
CHAPPE Vincent-Arnaud vincent.chappe@gmail.com
DRUEZ Elodie elodie.druez@sciencespo.fr
HADJ BELGACEM Samir samir.hb@gmail.com
KAYA Sümbül kayasumbul@hotmail.com
KEYHANI Narguesse narguesse_keyhani@yahoo.fr
LANG Marion marion.lang@univ-st-etienne.fr
LARCHER Silyane Silyane.LARCHER@cnrs.fr
PREGNOLATO Anthony a.preg@protonmail.com
PURENNE Anaïk Anaik.PURENNE@entpe.fr
ROUX Guillaume rouxguiep@gmail.com
RUI Sandrine sandrine.rui@u-bordeaux.fr
TALPIN Julien julien.talpin@univ-lille2.fr