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ST56

Quelle histoire politique écrivent les séries télévisées ?

Political History in TV Shows

Responsables scientifiques
Antoine Faure (CIDOC – Universidad Finis Terrae) antoinelucienfaure@gmail.com
Emmanuel Taïeb (Sciences Po Lyon/Triangle, IUF) emmanuel.taieb@sciencespo-lyon.fr

Attention spoilers ! Et de différentes natures, qui plus est : certains sont narratifs et gâchent l’effet de surprise des séries mentionnées plus en avant ; d’autres sont historiques, puisque de nombreuses séries télévisées réécrivent aujourd’hui des évènements passés (Treme), des épisodes historiques (Boardwalk Empire) ou des époques (Downtown Abbey). Comment les séries télévisées se saisissent-elles de l’Histoire ? Et quelle histoire politique montrent-elles ?

Sur la base de ces deux questions intimement liées, cette section thématique propose d’interroger les usages du passé que fait un format audiovisuel aujourd’hui à la mode, mais dont une rapide genèse montre qu’il avait émergé avec Twin Peaks (1990), et surtout avec la réorientation de la production et la programmation de la chaîne câblée Home Box Office (HBO), en 1998. Face à l’intensification de la diffusion de séries depuis 25 ans, et aux évolutions des conditions de visionnage (binge watching, téléchargement…), les questionnements se sont faits plus précis, et ont offert de la légitimité à l’objet dans le champ de la recherche en science politique et en sciences sociales, comme dans à leur utilisation pédagogique (Garcia & Leroux, 2015).
Surtout ils se diversifient désormais entre, d’un côté, la question des représentations (Bacqué et al., 2014 ; Boutet, 2015 ; Durán Cid, 2015 ; Faure & Taïeb, 2015a ; Faure & Taïeb, 2015b ; Godet, 2012) et de l’autre, celle de leur influence sur les téléspectateurs (Adkins & Castle, 2013 ; Belletante, 2008 ; Brandao, 2016 ; Chaouni, 2016).

C’est dans ce prolongement que la ST s’inscrit, en partant des caractéristiques narratives des dramas, séries aux épisodes longs (42 mn à 1 heure), avec une narration complexe et des esthétiques sophistiquées, pour poser la question de la (ré)écriture de l’Histoire. Car le format filmique des séries engage des choix de périodes et d’évènements, des modes de traitement, et des objets représentés (institutions, acteurs, etc.), ou au contraire absentés, chaque fois de façon signifiante.
La question discutée vise à cerner les usages de l’Histoire et l’ancrage de ces usages dans le présent : comment le passé est-il re-présenté dans ces fictions ? Comment est-il fait fiction ? Entre histoire et mémoire, quelle est l’opération historique que réalisent les séries télévisées dans leurs esthétiques narratives ?

A titre d’exemple, on pense à la genèse du métier de publicitaire faite par Mad Men, dans une période où le marketing semble être devenu une « science de gouvernement » (Ihl, Kaluszynski, Pollet, 2003). Inspirée d’une histoire vraie, la série Show Me A Hero illustre, quant à elle, une histoire du temps présent, qui apparaît ici comme une double fiction : la série extirpe l’histoire de tout déterminisme et emprunte le format de la fiction pour mieux la mettre en récit. Et de nombreuses séries venues de continents ou pays moins traités revisitent les conflits historiques que ces sociétés ont eu à affronter (pour aller vite, pensons au Chili et à la Turquie où les nouveaux dramas s’attaquent aux épisodes traumatiques les plus récents, provoquant de nombreuses critiques mais relançant aussi le travail de mémoire parfois délaissé).

Quatre angles d’analyses sont proposés afin de stimuler la discussion. Le premier consiste à interroger l’architecture du temps historique dans les séries, c’est-à-dire les périodes montrées et leurs projections politiques. Est-on plutôt face à des travaux sur le temps long, qui mettent en intrigue des vagues de fond, ou face à des histoires événementielles ? Pour prendre un seul exemple, existe-t-il une vision du monde, et donc de l’Histoire, dans la série Game of Thrones ? Certains, en tous cas, voient dans l’intrigue une illustration fantastique des thèses de P. Bourdieu (Lemaire, 2013) et d’autres l’incarnation du marxisme dans le projet portée par le personnage de la « reine des dragons » (Kriss, 2015).
Un deuxième angle problématique consiste à chercher la distance qui existe entre les représentations sérielles du passé et les analyses de la socio-histoire du politique, autrement dit les modèles narratifs de l’Histoire (chronologique, répétitif, cyclique, stratifié). Synthétiquement, les séries télévisées fonctionnent-elles comme des manuels d’histoire ? Autrement dit, comment participent-elles à la construction d’identités collectives ? Cet axe rejoint les larges discussions sur le réalisme de The Wire (Dreier & Atlas, 2014) ou sur le caractère de docudramas (documentaire-fiction) des séries chiliennes traitant de la dictature de Pinochet (Valenzuela & Brandao, 2015).
Une troisième approche consiste à questionner l’ordonnancement du temps historique dans les séries, c’est-à-dire le regard porté sur ces périodes dans le présent à travers les intrigues développées. Comment les temps de l’Histoire sont-ils travaillés par les temporalités propres à ce format ? Et comment problématisent-ils des modes de vie actuels ? On pensera par exemple aux anachronismes dans Versailles, pour discuter de la mise en scène d’une histoire téléologique à forte portée politique dans le contexte de diffusion actuel marqué les discours de la crise.
Une quatrième perspective interroge le propos politique des séries à partir de leurs « esthétiques narratives » (Faure & Taïeb, 2015b) : le grain de l’image, le découpage et le montage jouent-ils sur la façon de reconstituer le passé et lui donnent-ils une dimension politique ? Comment la narrativisation des expériences ordinaires ouvre-t-elle de nouvelles possibilités ? Dans le jeu sur les frontières entre fiction et réalisme, comment les outils filmiques proposent de nouvelles ruptures et insistent sur des initiatives, comme pour mieux privilégier les mouvements simultanés mais divergents des différentes temporalités historiques ? Ce quatrième axe vise à questionner l’histoire des possibilités non-advenues dans les séries.

Finalement, et d’un point de vue formel, les participants devront forcément s’appuyer sur des extraits pour asseoir leur argumentation. Ce choix est un pré-requis incontournable pour parler de séries télévisées, notamment sur la base d’un travail filmique sur leurs caractéristiques narratives. Car il ne s’agit pas seulement d’analyser le message des séries, et de décrire leur intrigue, mais plutôt de traiter leur propos comme l’articulation de nombreux mécanismes et pratiques filmiques qui donnent sens à ce message. C’est seulement à partir de cet effort qu’il nous semble fécond de sonder les possibilités qu’il existe dans leurs réécritures de l’Histoire. Sur ces bases, les deux responsables de la ST, qui prendront en charge la discussion des différentes expositions et l’animation de la séance de travail.

The purpose of this section is to analyze the connections between TV shows and politics (Bacqué et al., 2014; Belletante, 2008; Boudet, 2015 ; Faure & Taïeb, 2015) by questioning their use of History (Durán Cid, 2015 ; Godet, 2012). Indeed, many TV shows include a historical perspective but they do so in different ways. On the one hand, they locate their action in the past: amongst other things, some kind of fantastic Middle-Aged (Game of Thrones), Prohibition (Boardwalk Empire), and even some more recent historical episodes (such as Hurricane Katrina and Treme). On the other hand, TV shows incorporate history through different angles: the social evolutions (changes during the Victorian era like in Downton Abbey), political and geographical scale (Baltimore in The Wire, Yonkers in Show Me A hero) and occupations (Mad Men’s advertisers).

We therefore want to question the political vision involved in the writing of TV shows. How are the periods of time selected? Why are they treated in the TV show format? What use do they make of History, and how do they rebuild the Present? How is the Past re-presented in these fictions? How is the Past transformed into fiction? At the border of history and memory, we question the historical process featured in TV shows in their “aesthetic narratives”.

A first angle of the analysis consists in questioning the timeframes represented in TV shows: are we watching a long-term scenario or just mere events? This first perspective aims at questioning the architecture of historical time in TV shows. Many TV shows’ analysts are looking for a global vision of the world and therefore of history as in Game of Thrones. Some of them even consider that the scenario illustrates (in a fantasized way) Bourdieu’s (Lemaire, 2013) and Marxist theories (Kriss, 2015).

A second angle consists in assessing the distance between the representations of the past in TV shows and socio-historical analysis. In other words, can we compare TV shows to what is done in history textbooks? This perspective questions the narratives of History in TV shows (chronological, recurrent, cyclical, stratified?). For instance, is the audience of Downton Abbey given a faithful representation of the time during which English bourgeoisie starts supplanting the nobility?

A third approach consists in questioning TV shows’ plots in order to better grasp their conception of the present. What do historical TV shows tell us on contemporary events? What is the link between historical time and the temporality of TV shows? This third perspective therefore aims at analyzing the sequencing of historical time in TV shows. For instance, we suggest taking into consideration the anachronisms present in Versailles, in order to question the representation of a teleological history, especially in a context where discourses on decline and crisis are overly common.

Last, a fourth perspective questions the degree of historical realism in TV shows judging their narrative aesthetics (Faure & Taïeb, 2015b): to what extent do image quality, sequencing and editing developing play a role in restoring the past? What is their political purpose? Between fiction and realism, to what extent do film tools suggest new ruptures and focus on initiatives in order to highlight simultaneous, though divergent, moves located in different periods of time. This fourth angle therefore questions the history of unrealized possibilities (“possibles non advenus”) in TV shows. For instance, we suggest to look at the birth of certain occupations such as advertisement in Mad Men, in a period in which marketing seems to be a « governing science » (Ihl, Kaluszynski, Pollet, 2003). Show me a Hero may be a good example of a present history which takes the form of a fiction in at least two ways: not only does the TV show drag history out from determinism, but it also uses fiction in order to better transform it into a narrative.

REFERENCES

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Reinhart Koselleck, Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, Ed. de l’EHESS, 1990
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Jacques Rancière, Les noms de l’histoire, Paris, Seuil, 1992
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Présidents de séance : Antoine Faure (Universidad Finis Terrae / CIDOC) et Emmanuel Taïeb (Sciences Po Lyon / Triangle)

Discutant : A définir.

Jean-Pierre Esquenazi (Université Lyon 3), Temps sériel et temps politique

Amélie Férey (Sciences Po Paris / CERI), Violence et politique dans Game of Thrones
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Eve Gianoncelli (Université Paris 8 / CRESPPA-GTM), Normes de genre, féminité et féminisme dans Mad men
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Cécile Gonçalves (EHESS / CESPRA), La désacralisation de la Révolution des Oeillets dans la culture populaire : la question des « retornados » – « rapatriés » dans la série télévisée « Depois do Adeus » (2013)
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Luis Rivera Vélez (Sciences Po Paris / CERI), Narcos, une histoire déshistoricisée de la Colombie
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Jean-Pierre Esquenazi (Université Lyon 3), Temps sériel et temps politique

Amélie Férey (Sciences Po Paris / CERI)

Violence et politique dans Game of Thrones
Mettant en scène un Moyen Age mythique, Game of Thrones réactive un questionnement sur la constitution de la politique comme activité spécifique. L’épisode 9 de la saison 6, intitulé : « La Bataille des Bâtards » figure le conflit entre le conséquentialisme de la morale politique, autorisant toutes les compromissions, et le déontologisme des valeurs, majoritairement incarnées par la loyauté à la famille. Nous appuierons notre analyse sur le concept de Raison d’Etat, pensé au Moyen Age comme résolution de l’opposition entre logique clanique et autonomie de la politique.
Nous verrons dans un premier temps comment les figures de John Snow et de Ramsay Bolton incarnent respectivement la loyauté à l’égard du clan et la poursuite personnelle du pouvoir politique. (I)
Cette opposition recoupe deux discours moraux sur l’utilisation de la force. La pureté morale est tragique et conduit vers la mort. A l’inverse, la ruse politique est payante : elle permet de renverser les rapports de force. (II)
Le personnage de Sansa Stark permet une résolution des dichotomies entre ruse et force, entre loyauté et raison d’Etat. (III)
Nous conclurons en proposant une lecture de Game of Thrones comme mettant en scène le processus de civilisation décrit par Norbert Elias, où les luttes intestines de l’âge du féodalisme donnent progressivement lieu à l’établissement de l’Etat moderne.

Violence and Politics in Game of Throne
In a mythical Middle Age, Game of Thrones reactivates a questioning on the nature of politics as a specific activity. Our paper offers a journey through the different understandings of Reason of State in the episode 9 of the season 6 : «  The battle of bastards ». Our hypothesis is the following : Game of Thrones represents the conflict between a consequentialist approach of political morality, which authorizes every transgression, and a deontological commitment to non-negotiable values, such as loyalty to one’s family.
In the first part of the paper, I explore how John Snow and Ramsay Bolton embody the loyalty to the clan and the eagerness of political quest for power. (I)
The second part of the paper is dedicated to analyzing how those two morals discourses entail a justification of the use of force. John Snow’s moral purity is tragic and leads to death. On the opposite, perfidy is politically working : it allows to reverse the status quo and changes the balance of power. (III)
In the last part of the paper, I discuss how Sansa Stark is bringing a way out of this dead-end conflict between force and perfidy, moral purity and Reason of State. (III)
To conclude, Game of Thrones illustrates the theological process of civilization, theorized by Norbert Elias, where the quest for power entailed by feudalism progressively turns into the emergence of Modern State.

Eve Gianoncelli (Université Paris 8 / CRESPPA-GTM)

Normes de genre, féminité et féminisme dans Mad men
Cette communication vise à interroger la question du genre et du féminisme dans Mad Men. Il s’agit de comprendre de quels types de féminité la série rend compte et en particulier d’analyser comment les différents personnages féminins reflètent à la fois les formes possibles d’émancipation féminine et les contraintes qui pèsent sur les femmes dans les années 1960. On s’intéressera d’abord à la figure de l’épouse, en particulier à travers le cas de Betty Draper, la première femme du personnage principal de la série, Don Draper et à la façon dont elle incarne les contraintes structurelles de l’existence féminine. On examinera dans un second temps à la façon dont la temporalité de Mad Men permet d’appréhender le passage d’une féminité stéréotypée à une figure de la femme émancipée. Ce cas est incarné par deux personnages féminins, Peggy Olson et Joan Holloway, qui parviennent, à des moments et selon des modalités et des finalités différentes, à obtenir des rôles significatifs dans l’agence publicitaire et qui, différemment, transgressent progressivement les normes de genre. On s’interrogera enfin sur la figure de la fille de Betty et de Don en essayant de comprendre ce que son rapport à sa mère, le sort que cette dernière connaît ainsi que son appartenance générationnelle peuvent révéler des possibilités de constitution de soi pour un sujet féminin.

Gender norms, femininity and feminism in Mad Men
This presentation aims to question gender and feminism in the TV show Mad Men. The aim is to understand what kinds of femininity are displayed in the show and to analyze in particular how the different female characters reflect the possible forms of emancipation but also the constraints which weigh upon women in the sixties. We will first observe the figure of the spouse, in particular through the case of Betty Draper, the first wife of the main character, Don Draper, and the ways in which she embodies the structural constraints which are imposed on women. Second, we will examine the ways in which the temporality in Mad Men allows to grasp the passage from a stereotyped femininity to the figure of the emancipated woman. This case is embodied by two female characters, Peggy Olson and Joan Holloway who manage to get, at different times, through different modalities and endings, valuable positions in the advertising agency and who, though in differing ways, infringe gender norms. Last, we will question Betty and Don’s daughter figure and we will try to understand what her relationship to her mother, the final days of the latter, and her generational belonging might suggest in terms of possibilities of self-constitution for a female subject.

Cécile Gonçalves (EHESS / CESPRA)

La désacralisation de la Révolution des Oeillets dans la culture populaire : la question des « retornados » – « rapatriés » dans la série télévisée Depois do Adeus (2013)
Depois do adeus est une série télévisée portugaise diffusée en prime time sur RTP1 entre les 19 janvier et 23 juillet 2013. S’appuyant sur de nombreuses sources d’époque qu’elle intègre à sa trame narrative, la série de 26 épisodes traite de la difficile période de « transition démocratique » (1975-1976) au Portugal. La série conjugue deux narrations souvent traitées séparément tant par l’historiographie que par les arts : celle du retorno – rapatriement des portugais “blancs” des anciennes colonies africaines et celle de la radicalisation politique du processus révolutionnaire (PREC). Démarrant son intrigue à l’“été chaud” de 1975 et choisissant de centrer sa focale sur les Mendonça, une famille de retornados et autres “vaincus” de la révolution, la série de Patricia Sequeira tente de faire voler en éclats plusieurs mythes tenaces dans la mémoire collective à propos de l’intégration « harmonieuse » des retornados dans la société portugaise ou l’alliance “MFA-Povo” – “MFA-Peuple” qui a développé l’idée que le pays a unanimement et naturellement résisté à la dictature salazariste et fait bloc derrière les militaires du MFA pour construire la démocratie.

The desecration of the Carnation Revolution in popular culture: the question of “retornados” – “repatriated people” in the TV show “Depois do Adeus” (2013)
Depois do adeus is a Portuguese television series broadcast in prime time on RTP1 between January 19 and July 23, 2013. Drawing on numerous sources from the period and integrating it into its narrative story, the series of 26 episodes deals with the difficult period of « democratic transition » (1975-1976) in Portugal. The series combines two narratives, often treated separately by historiography and the arts: the repatriation of the « white » Portuguese from the former African colonies and the political radicalization of the revolutionary process (PREC). Starting his plot in the « hot summer » of 1975 and choosing to center its focal point on the Mendonça, a family of retornados and other « defeated » of the revolution, the series of Patricia Sequeira attempts to shatter several tenacious myths in the collective memory about the « harmonious » integration of retornados into Portuguese society or the alliance « MFA-Povo » – « MFA-People » which developed the idea that the country unanimously and naturally resisted the dictatorship Salazarist and is behind the MFA military to build democracy.

Luis Rivera Vélez (Sciences Po Paris / CERI)

Narcos, une histoire déshistoricisée de la Colombie
Malgré quelques imprécisions, la série Narcos (dans sa première saison de 2015) illustre assez fidèlement la vie de Pablo Escobar et son cartel de la drogue à Medellín (Colombie). Grâce à son fondement historique, et aussi à une campagne de publicité et markéting entreprise par Netflix, Narcos est arrivée très vite dans les hauts postes des classements des séries télévisés. Narcos incarne donc le double succès d’une série historique où la télévision permet de remémorer l’histoire d’un pays, et où l’histoire (tragique) d’un pays est un canevas artistique qui vend.
Toutefois l’ambigüité de Narcos est incarnée par la double réception que la série a suscité : à l’intérieur de la Colombie, la série est rejetée et critiquée de « publiciser et promouvoir » la vie d’un « criminel et assassin » tel Pablo Escobar. Or, cette critique est contradictoire si l’on compare à la télénovela sur Escobar (El Patrón del mal), un grand succès dans le pays juste trois ans avant la sortie de Narcos. L’objectif de cette présentation est donc de se questionner sur la forme narrative de Narcos car el dé-colombianise l’histoire de la Colombie sous deux aspects :
– sur la forme, les acteurs choisis pour jouer les personnages principaux ne sont pas crédibles car ils échouent à représenter les aspects locaux de la culture d’Escobar, tel son accent;
– sur le fond, Narcos est avant tout une histoire des deux officiers américains qui se présentent comme les émancipateurs de la Colombie.
Narcos déshistoricise l’histoire de la Colombie et en ce faisant il échoue à attirer l’admiration des colombiens.

Narcos, a dehistorized history of Colombia
Despite some inaccuracies, the Narcos series (in its first season of 2015) illustrates fairly truthfully the life of Pablo Escobar and his drug cartel in Medellin, Colombia. Thanks to its historical foundation, and also to advertising and marketing undertaken by Netflix, Narcos arrived very quickly to the top positions of the television series rankings. Narcos thus embodies the double success of a historical series where television allows to recall the history of a country, and where the (tragic) history of a country is an artistic canvas that sells.
However, Narcos‘s ambiguity is embodied in the double reception that the series has received. Within Colombia, the series is rejected and criticized for « publicizing and promoting » the life of a « criminal and murderer » such as Pablo Escobar. However, this criticism is contradictory when compared to the telenovela on Escobar (El Patrón del Mal), a great success in the country just three years before the release of Narcos. The objective of this presentation is to question the narrative form of Narcos because it takes Colombia away from the history of Colombia under two aspects:
– Regarding the style, actors chosen to play the main characters are not credible because they fail to represent the local aspects of the culture of Pablo Escobar, such as his accent;
– Concerning the content, Narcos is a story of the two American officers who present themselves as the emancipators of Colombia.
Narcos dehistoricizes the history of Colombia and in so doing it fails to attract the admiration of Colombians.

Lundi 10 juillet 2017 13h30-17h30

ESQUENAZI Jean-Pierre Jean-pierre.esquenazi9@orange.fr
FAURE Antoine afaure@uft.cl
FEREY Amélie amelie.ferey@gmail.com
GIANONCELLI Eve eve.gianoncelli@hotmail.fr
GONCALVES Cécile goncalvescecile1@gmail.com
RIVERA VELEZ Luis luis.riveravelez@sciencespo.fr
TAIEB Emmanuel emmnauel.taieb@sciencespo-lyon.fr