le portail de la science politique française

rechercher

ST59

L’intérêt général : l’État à l’épreuve de la société

The “General Interest”: Civil Society testing the State

Responsables scientifiques
Chloé Gaboriaux (Sciences Po Lyon / Triangle) chloe.gaboriaux@sciencespo-lyon.fr
Martine Kaluszynski (CNRS / Pacte) martine.kaluszynski@umrpacte.fr

Pourquoi s’engage-t-on ? Pour répondre à cette question désormais classique, les acteurs sont aussi souvent portés à invoquer l’intérêt général que les chercheurs en sciences sociales à déconstruire une telle prétention, qui obscurcit plus qu’elle n’éclaire les véritables ressorts de l’action politique. Pourtant, si l’on considère l’intérêt général non plus comme un ensemble de finalités définies a priori, mais comme un mode de légitimation revendiqué par des individus ou des groupes, la notion peut constituer une entrée stimulante pour mieux comprendre certains modes de politisation et de participation, qui se déploient ou plutôt prétendent se déployer en marge des clivages politiques traditionnels comme à distance des rapports de force entre groupes d’intérêts.
Tel est l’objectif de cette section thématique : partir d’une analyse des justifications de ces acteurs qui affirment s’engager au nom de l’intérêt général pour étudier le rapport au politique qu’elles sous-tendent comme les effets qu’elles produisent sur le champ politique. Il s’agit en effet de penser une action que nous pouvons définir comme politique – parce que collective et visant explicitement la transformation de la société – mais qui se déploie en dehors des mandats et des motivations explicitement politiques sans pour autant rejeter la collaboration avec les institutions étatiques (ce qui la distingue également des projets et expériences autogestionnaires).
A cet égard, le questionnement peut porter sur des parcours individuels – des réformateurs de la fin du XIXe siècle (Topalov, 1999) aux carrières militantes contemporaines (Filleule, 2001) – comme sur les stratégies des groupes, y compris ceux qui, par définition, défendent des intérêts particuliers (syndicats, organisations patronales, lobbies, etc.) : pourquoi adoptent-ils à un moment donné le langage de l’intérêt général ? Dans quelle perspective ? Et avec quelles implications pour leur engagement comme pour les luttes dans lesquelles ils sont engagés ?
On s’interrogera notamment sur le sens de cet engagement au nom de l’intérêt général et sur son rapport à la politique traditionnelle : en quoi est-il politique, de quelle manière, sous quelles conditions ? Comment se dit-il, se justifie-t-il et dès lors quel type de « politique » est alors mis en œuvre ? Qu’est-ce que cette « politique apolitique » de l’intérêt général ? Ces registres d’action ne sont-ils pas à voir comme un moment d’apprentissage de la culture politique et de l’action politique, au-delà des mandats et de la nature des régimes politiques ?
De même, le rapport à l’État constituera une piste intéressante, en particulier dans les sociétés où l’État tend à s’arroger le monopole de la définition de l’intérêt général : y a-t-il ici volonté de contestation, de complémentarité, de substitution voire d’opportunité par rapport à l’État et ses modes d’organisation politique ? Quels sont les enjeux de ces luttes de définition pour dire l’intérêt général en lien ou en concurrence avec l’État ?
Dans cette perspective, les comparaisons entre périodes et entre pays seront utiles pour affiner nos catégories d’analyse et ouvrir la réflexion sur les enjeux épistémologiques et méthodologiques d’un tel questionnement : quelle est la portée heuristique de ce concept indigène ? Comment varietil dans le temps et l’espace ? Et quels sont les biais inhérents à sa traduction dans les termes classiques de la science politique : « argument technocratique », « apolitisme », « expertise » etc. ?
Nous nous demanderons donc aussi comment la notion d’intérêt général s’est construite au croisement de savoirs distincts ou en empruntant à d’autres domaines. Que s’est-il joué dans l’invention de cette notion, qu’apporte-t-elle au monde politique, aux fondements des principes politiques modernes ? Les notions employées dans d’autres pays – par exemple common good ou Gemeinnutz – relèvent-elles d’une signification analogue ? Comment ces notions sont-elles traduites à l’occasion de transferts internationaux et transnationaux (Saunier 2004 ; Hassenteufel 2005 ; Kaluszynski & Payre 2013) ? Et quels sont les effets de ces transferts et traductions (Werner & Zimmermann 2004 ; Christin 2010) ? Enfin, dans quels espaces professionnels et sociaux retrouve-t-on l’usage de ce terme ? Quels sont les acteurs, savants, scientifiques, politiques ou autres professionnels qui engagent cette notion et en font un argument fort de leur pratique ?
La section thématique sera organisée selon deux axes, qui permettront d’articuler les questionnements sur la notion indigène aux catégorisations des chercheurs :
• Quelles définitions pour l’intérêt général ? Science politique, droit, philosophie, histoire.
• Qui se réclame de l’intérêt général ? L’intérêt général comme mode de légitimation.

Why do people commit to a cause? To answer this now classic question, actors are often inclined to invoke the “general interest”, whereas researchers have deconstructed this claim, which obscures more than it illuminates the true motives behind political action. In this panel, we will consider the “general interest” as a type of justification claimed by individuals or group – not as a set of pre-defined objectives. This way, the concept can be a stimulating angle to approach some types of politicization and participation, which materialize (or are presented as materializing) outside traditional political divisions or conflicts between interest groups.
This panel discussion will examine the justifications of actors claiming that their commitment draws from the “general interest”. This will help study their relationship to politics and possible implications on the political field. This will allow analysing actions that we define as political – because they are collective and explicitly geared towards the transformation of the society. Nonetheless, these actions are carried out outside any political mandate or motivation even if they often involve collaboration with state institutions (implying that our discussion will not cover self-managed projects and experiments).
In this regard, our panel will deal with individual experiences – from reformers of the late nineteenth century (Topalov, 1999) to contemporary activists’ careers (Filleule, 2001) – as well as with collective strategies, including those of people who, by definition, support special interests (unions, employers’ organizations, lobbies, etc.): why and to which purpose do they adopt the narrative of general interest? And what does it imply for their commitment and for the conflicting relationships in which they are involved?
We will particularly consider the meaning of this commitment on behalf of the “general interest” and its relationship with traditional politics: to what extent can this commitment be defined as political? How is it presented, justified and therefore what kind of “politics” does it refer to? What does this “apolitical politics” (implied by the notion of general interest) mean? Could these types of actions be viewed as a way to learn political culture and political action, beyond political mandates and regimes?
Similarly, characterizing the relationships with the state will be an interesting issue to address, especially in societies where the state tends to monopolize the definition of the general interest: can these relationships be described as protestation, complementarity, substitution or opportunistic behaviour with respect to the state and its modes of organization? What is at stake in these struggles to define the general interest in connection or in competition with the state?
In this perspective, comparisons over time and between countries will be useful to refine our analytical categorizations and open the discussion on the epistemological and methodological issues of such a question: what is the heuristic value of this indigenous concept? How does it vary over time and space? And what are the biases inherent in the translation of “general interest” into the conventional terms of political science: “technocratic argument”, “apolitical”, “expertise” etc.?
We therefore also ask how the notion of general interest is constructed by combining distinct knowledge streams and by borrowing from other fields. How was the concept invented, what does it bring to politics and to the foundations of modern political principles? Do the concepts used in other countries – for example Common Good or Gemeinnutz – have a similar meaning? How are these concepts translated when they are subject to international and transnational transfers (Saunier 2004; Hassenteufel 2005; Kaluszynski & Payre 2013)? And what are the effects of such transfers and translations (Werner & Zimmermann 2004; Christin 2010)? Finally, which professional and social fields use this term? Which actors, scholars, scientists, politicians and other professionals use this notion and make it a strong argument in favor of their action?
The panel will be organized along two directions, which aim to combine issues on indigenous concept and on scientific categorizations:
• How to define the “general interest”? Political science, law, philosophy, history.
• Who claims to act on behalf of the “general interest”? The “general interest” as a type of justification.

REFERENCES

Buton B., L’administration des faveurs : l’Etat, les sourds et les aveugles, 1789-1885, Rennes, PUR, 2009.
Chevallier J. éd., Variations autour de l’idéologie de l’intérêt général, Paris, PUF, 1978.
Christin O. éd., Dictionnaire des concepts nomades en Sciences Humaines, Métailié, 2010.
Crétois P., Roza S. éd., « L’intérêt général », dossiers en préparation pour les revues Astérion et Klésis.
Engels X., Hély M., Peyrin A., Trouvé H. éd., De l’intérêt général à l’utilité sociale : la reconfiguration de l’action publique entre État, associations et participation citoyenne, Paris, L’Harmattan, 2006.
Fillieule O., « Propositions pour une analyse processuelle de l’engagement individuel. Post scriptum », Revue française de science politique 1/2001 (Vol. 51), p. 199-215.
Fourniau J.-M., « Amateurs de l’intérêt général. L’activité délibérative dans les dispositifs de participation citoyenne », in O. Piriou et P. Lénel éd., Les états de la démocratie. Comprendre la démocratie au-delà de son utopie, Paris, Éditions Hermann, 2011, p. 219-242.
Gaboriaux C., « La reconnaissance d’utilité publique au fil de la plume : mentions marginales, ratures et ajouts manuscrits dans les documents échangés entre le Conseil d’Etat et les ministères, 1901-1914 », communication au 12e Congrès de l’AFSP, ST 2, 9-11 juillet 2013.
Gaboriaux C., « Faire l’histoire des corps intermédiaires en France : quelques remarques sur Le modèle politique français (2004) », in S. Al-Matary et F. Guénard (dir.), La démocratie en travail : autour de l’œuvre de Pierre Rosanvallon, Paris, Seuil, 2015, p. 113-126.
Hassenteufel P., « De la comparaison internationale à la comparaison transnationale », Revue française de science politique, vol. 55, 1/2005, p. 113-132.
Kaluszynski M., Payre R. éd., Savoirs de gouvernement. Circulation(s), traduction(s), réception(s), Paris, Economica, 2013.
Kaluszynski M., Wahnich S. éd., L’Etat contre la politique ? Les expressions historiques de l’étatisation, Paris, L’Harmattan, 1998.
Mitsushima N., Des élites « reconnues d’utilité publique » : philanthropie réformatrice et revendications capacitaires autour de la réforme pénale (1815-1851), thèse de doctorat, Paris I, 2014.
Payre R., Pollet G., Socio-histoire de l’action publique, La Découverte, 2013.
Pupat Y., « ‘Services publics’ et ‘services d’intérêt général’ », Politique européenne 3/ 2010 (n° 32), p. 151-164
Rozier S., « La participation des citoyens à des projets d’intérêt public. Enquête sur le programme culturel d’une fondation », in S. Wojcik, T. Fromentin éd., Le profane en politique : compétences et engagements du citoyen, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 263-288.
Saunier P.-Y., « Circulation, connexions et espaces transnationaux », Genèses, (57), 2004, p. 110-126
Topalov C., Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1920, Paris, EHESS, 1999.
Truchet D., Les fonctions de la notion d’intérêt général dans la jurisprudence du Conseil d’Etat, Paris, LGDJ, 1977.

Chloé Gaboriaux (Sciences Po Lyon / Triangle) & Martine Kaluszynski (CNRS / Pacte) : Introduction

• Antoine Vernet (Université Lyon 2 / Triangle) & Nadège Vezinat (Université de Reims Champagne-Ardenne / Regards-CMH) discutent :

Nagisa Mitsushima (Université Lille II / CERAPS), Au nom de l’utilité publique. Gouverner par la philanthropie, 1815-1851

Sabine Rozier (Université de Paris-Dauphine / PSL-IRISSO), Du « particulier » au « général » : controverses, stratégies de grandissement de soi et construction de la cause du « mécénat d’entreprise » dans la France des années 1970-2000

• Pierre Bonnevalle (Université Lille II / CERAPS) & Sophie Béroud (Université Lyon 2 / Triangle) discutent :

Nicolas Duvoux (Université Paris 8 / Cresspa-LabToP), La construction d’un monopole thématique : la Fondation Caritas France et les conditions sociales et institutionnelles du développement d’une fondation philanthropique spécialisée sur la pauvreté et l’exclusion sociale dans la France des années 2000

Matthieu Hély (Université Versailles-Saint-Quentin / Laboratoire Printemps), De « l’intérêt général » à « l’utilité sociale » : au-delà ou en-deçà de l’opposition public / privé

• Sylvie Paquerot (Université d’Ottawa / CREDP-CEDIM) & Ana Luiza Melo Aranha (University of British Columbia) discutent :

Anne Monier (ENS-EHESS / ETT-CMH), De l’intérêt général à l’utilité sociale : Le plaidoyer des mécènes en faveur de la philanthropie : une remise en cause du rôle l’État ?

Cécile Robert (Sciences Po Lyon / Triangle), À qui appartient l’intérêt général européen ? Les stratégies de légitimation de la Commission européenne dans la construction de la « société civile organisée »

• Bertrand Magloire Ndongmo (Université de Douala / REJAC) & Annabelle Allouch (Université Picardie-Jules Verne / CURAPP-ESS) discutent :

Magali Della Sudda (CNRS / Centre Emile Durkheim) et Marie Balas (Université de Strasbourg / Dynamiques européennes), De la loi à la cause : défense de la famille comme forme universelle de l’intérêt général dans la Manif pour Tous (2012-2016)

Thomas Boccon-Gibod (Université Paris-Ouest Nanterre / Sophiapol), De l’intérêt général au service public, une institutionnalisation inaboutie

Antoine Vernet (Université Lyon 2 / Triangle)

L’intérêt général entre notion indigène et catégorie heuristique. Une application à la mise en place de la politique d’expansion économique à Saint-Étienne dans les années 1950
L’étude des politiques publiques impose quelques précautions quant à l’usage du concept d’intérêt général. La catégorie heuristique du chercheur ne correspond pas toujours à un usage indigène par les acteurs. Entre la volonté de légitimation de l’action publique d’un côté, l’expression collective des intérêts particuliers de l’autre, l’intérêt général impliquerait l’affirmation de la société civile sur le terrain des politiques publiques. Différentes conceptions de ce qui est l’intérêt général entrent alors en confrontation. Les acteurs publics doivent composer avec les propositions des groupes d’intérêt, notamment en matière économique. Ce schéma s’applique dans le cadre français même aux premières heures de l’État dirigiste post-1945. Certaines franges de la société civile ont en effet une influence certaine, que favorisent les politiques de planification économique et d’aménagement du territoire. L’institutionnalisation des comités d’expansion économique participe de ce mouvement, et permet de construire de véritables capacités locales d’expertise, à même de conseiller et renouveler l’action locale de l’État. Les promoteurs des comités d’expansion s’inscrivent dans l’héritage de la « nébuleuse réformatrice ». L’étude de la mise en place de l’expansion économique dans la région de Saint-Étienne permet de confirmer ce tableau, tout en soulignant les limites d’une application locale d’un modèle idéal de développement économique, et ainsi d’une conception de l’intérêt général qui ne relèverait pas d’un véritable « construit territorial ».

The “general interest” as an indigenous notion and a heuristic category. An application to the implementation of the economic expansion policy in Saint-Étienne (France) during the 1950s
The study of public policies imposes some precautions on the use of the concept of “general interest”. Scientific categorization may not correspond to indigenous use. From the will to legitimize public action to the collective expression of special interests, the “general interest” should imply the affirmation of civil society in the making of public policy. Different definition of the “general interest” then confront. Public actors have to deal with the views of interest groups, especially for economic issues. This pattern applies to the French context, even in the early years of the post-1945 dirigiste state. Some fringes of civil society were particularly influential, which was favored by economic and regional planning policies. The institutionalization of economic expansion committees was part of this movement. It fostered the making of local expertise capacities, in order to advise and renovate state policies on a local scale. Sponsors of expansion committees pursued the wake of the nébuleuse réformatrice (literally “reformist nebula”, which included modernizing elites and reformers since the late 19th century). The implementation of economic expansion policies in the Saint-Etienne region confirmed this model. It also highlighted the practical limits of such a pattern, and thus the inadequacy of any “general interest” which would not be the result of a genuine local achievement.

Nadège Vezinat (Université de Reims Champagne-Ardenne / Regards)

Des libéraux œuvrant à l’intérêt général ? La rhétorique professionnelle dans les maisons de santé entre obtention de mandat, cohésion sociale et engagement individuel
L’organisation de l’offre de soins primaire ambulatoire, en tant qu’accès aux soins et alternative à l’hospitalisation, constitue un enjeu important pour le système de protection sociale. Dans ce contexte, les professions de santé libérales, modèle archétypal des professions qui s’autogouvernent et sont très attachées à leur autonomie, font reconnaître leur utilité sociale en mobilisant la notion d’intérêt général. Développer un discours portant sur l’intérêt général des maisons de santé participe d’une légitimation de ces structures particulières d’organisation des soins. En se caractérisant par un altruisme et un souci d’intérêt général, réel ou affiché, les maisons de santé justifient ainsi la reconnaissance qui leur est conférée par l’État et la société. Le discours sur l’intérêt général agit donc comme une valeur normative en permettant à la fédération des maisons de santé d’obtenir, de la part de la société civile, un « mandat » (Hughes, 1996) pour accroître la légitimité de ce mode d’organisation des soins. Les rhétoriques sur l’intérêt général participent également en interne à la construction et à l’unité de la maison de santé afin de lui donner la robustesse nécessaire pour résister aux attaques ou critiques.

Liberal healthcare professions in favor of the Public Interest? Studying the Professional Rhetoric supporting the development of the Multidisciplinary Healthcare Facilities
Promoting both access to and continuity of patient care is an important feature of the Welfare State. In France, general practitioners are not employees, but self-employed professionals, (private practitioners). They constitute one of the most accomplished examples of a self-ruled professional group, and as such, they value their autonomy. They also work so as to have their social utility acknowledged, as they claim to practice medicine in the name of the public interest. A new kind of structure has recently emerged: the Multidisciplinary Healthcare Facilities (Maisons de santé pluridisciplinaires, hereafter referred to as MSPs). Private practitioners shape their arguments in favor of the MSP as a contribution to the public interest. By working together and interacting within these structures, they claim to care about others and about the society. This argument legitimizes their will to be acknowledged by the state. In this paper, I analyze the discourse of private practitioners in favor of the MSP as a normative claim that allows them to be provided with a « mandate » by public authorities. Furthermore, such a rhetoric of legitimization plays an important role on internal mobilization.

Nagisa Mitsushima (Lille II, Ceraps)

Au nom de « l’utilité publique ». Le plaidoyer des philanthropes pour une autre politique, ou comment gouverner sans mandat (1815-1848)
Notre communication porte sur les stratégies d’insertion politique menées, au nom de l’utilité publique, par les promoteurs de la philanthropie dans le premier XIXe siècle. Elle montre que la formation de ce référent est indissociable du processus de monopolisation par l’Etat de l’intérêt général, et des réactions que cette prétention a fait naître dans une frange des élites françaises. Bélier des philanthropes pour promouvoir une autre modernité politique, fondée non pas sur l’élection mais sur la capacité, le référent de l’utilité publique doit permettre de sanctuariser un espace politique, qualifié de philanthropique, où les « hommes capables » pourront gouverner à l’abri des versatilités électorales.
Mais comment accréditer un pouvoir qui ne s’autorise d’aucune procédure représentative ? Comment se faire reconnaître comme des hommes utiles ? Comment, enfin, protéger l’accès à un tel pouvoir ? Grands aristocrates, les pionniers de la philanthropie répondent à ces défis par une définition socialement exclusive de l’utilité. Par leur travail de codification du répertoire philanthropique, ajusté à leurs pratiques, ils posent les conditions de leur propre performance et protègent socialement l’accès à la philanthropie en en faisant une activité à vocation. Mais le label de l’utilité publique ne tarde pas à être convoité par de nouveaux aspirants philanthropes qui, issus de milieux patronaux et intellectuels, défendent des conceptions de la capacité ajustées à leurs ressources.

In the name of « public utility ». The advocacy of philanthropists for another polity, or how to govern without an électoral mandate (1815-1848)
Our paper deals with the strategies of political integration carried out in the name of « public utility » by the promoters of philanthropy in the first nineteenth century. It shows that the construction of this notion is inseparable from the process of monopolization of the « general interest » by the State, and from the reactions that this claim has induced in a fringe of the French elites. Battering ram of philanthropists to promote an alternative political modernity, founded not on election but on capacity, the reference to « public utility » aims to sanctuarize a political space – named « philanthropy » – where « capable men » will govern, protected from electoral versatility.
How to accredit a power that do not proceed from any representative procedure? How to be recognized as useful men? How, finally, to protect the access to such a power? Great aristocrats, the pioneers of philanthropy respond to these challenges by a socially exclusive definition of utility. Through their codification work of the philanthropic repertory, adjusted to their practices, they set the conditions for their own performance and socially protect access to philanthropy by making it a vocational activity. But the label of public utility is not long to be coveted by aspiring philanthropists, from industrial and intellectual circles, who defend a conception of capacity adjusted to their own resources.

Sabine Rozier (Université de Paris-Dauphine-PSL / IRISSO)

Du « particulier » au « général » : la construction de la cause du « mécénat d’entreprise » dans la France des années 1970-2000.
Si l’engagement des grandes entreprises dans des activités philanthropiques va aujourd’hui de soi, il n’en était pas de même dans la conjoncture des années 1970, où l’intérêt porté par ces dernières à des univers éloignés de leurs activités industrielles ou commerciales paraissait pour le moins intriguant, voire suspect. Une vingtaine d’années plus tard, ce qui apparaissait à bien des observateurs comme une mode passagère, s’est transformé en un univers de pratiques plus légitime, doté de règles, d’organisation dédiées et d’intermédiaires actifs. Les grandes entreprises se sont vues reconnaître leur contribution à « l’intérêt général ». Comment un tel retournement a-t-il pu avoir lieu ? Comment l’Etat en est-il venu à accorder un tel label aux entreprises, à accroître leurs avantages fiscaux et à assouplir le régime des fondations ? Cette communication s’appuie sur une enquête de terrain auprès des promoteurs du mécénat et sur l’exploitation d’archives privées et publiques. Elle montrera que ce retournement trouve sa source dans un triple mouvement : la quête de profits distinctifs par des entreprises publiques en voie d’être privatisées ; la recherche, par une administration désargentée (celle de la Culture), de ressources extra-budgétaires ; la domination croissante, au sein du pouvoir d’Etat, des segments les plus proches du pôle économique.

From “private interest” to “public good”: the social construction of “mécénat” companies’ activities in France during the 1970-2000’s.
If the commitment of transnational large companies in philanthropic activities is now quite common, it was not the case during the 1970’s. The fact that companies paid attention to spheres of activities distant from their industrial or commercial activities appeared at least intriguing, even suspect. Twenty years later, what appeared to many observers as a momentary fashion, began to be considered as a more legitimate practice, with common rules, specialized organizations, spokespersons and active intermediaries. These large companies have been recognized as contributors to “the public good”. How such a reversal has happened ? How the State did come to give such a label to companies engaged in « mécénat » activities, to provide a more flexible foundations regime and increase tax incentives? This communication is based on an field investigation among the interest groups encouraging philanthropic activities and on the exploitation of private and public archives. It will show that this reversal has its source in a triple movement : the search of distinctive profits by the public enterprises in line for privatization ; the search for extra-budgetary resources by the cultural public administration ; the increasing domination, within the State power, of the closest segments to the business community.

Pierre Bonnevalle (Université Lille II / CERAPS)

Les entrepreneurs sociaux contre l’État. Réformer le médico-social au nom de l’intérêt général.
Les années 2000 constituent pour le secteur médico-social un tournant dans la prise en charge des personnes handicapées ou encore des personnes âgées. On observe une multiplication des réformes étatiques (LOFL, loi 2002-2, loi 2005, RGPP, loi HPST) et l’arrivée à la tête des associations gestionnaires d’une nouvelle génération de dirigeants associatifs. Dans un contexte de restrictions budgétaires et de reprise en main managériale, ces nouveaux arrivants ont en charge l’adaptation des structures aux injonctions étatiques : efficience, objectivation chiffrée, professionnalisation, etc. Se revendiquant pour une partie d’entre eux de l’entrepreneuriat social, ces dirigeants s’inscrivent paradoxalement en opposition face aux pouvoirs publics, qu’ils jugent trop dépensier, inefficace, bureaucratique et méconnaissant le travail social, ainsi que face aux associations historiques du secteur, militantes, qu’ils perçoivent comme sclérosées et inefficaces. Ces entrepreneurs sociaux justifient leur action au nom de l’intérêt général, et visent à coupler efficience économique, entreprise et fait associatif avec pour objectifs de répondre aux besoins des usagers et aux déficits de l’État. Cette communication vise ainsi à appréhender la production discursive de l’intérêt général et sa mobilisation par ces acteurs entrepreneuriaux, en étudiant de quelle manière cette notion constitue à la fois un moyen de s’imposer dans le secteur et de se créer de nouvelles marges de manœuvre dans une période contrainte.

Social entrepreneurs against the state. Reforming the medical social sector in the name of general interest.
In medical social sector, the 2000s mark a turning point in the management of people with disabilities or of the elderly. We observe a series of reforms (LOLF, 2002-2 act, 2005 act, RGPP, HPST act) and the arrival at the head of associations of a new generation of associative leaders. In a context of budgetary restrictions and managerial control era, these new arrivals have the mission of adapting structures to the state injunctions : efficiency, numerical objectivation, professionalization, etc. Claiming for some of them to embody social entrepreneurship, these leaders produce a speech paradoxically against authorities, which are being judged as too spending, inefficient, bureaucratic and ignoring social work, and against oldest associations, activists, perceived as sclerotic and inefficient. These social entrepreneurs justify their action in the name of general interest, and aim to coupling economic efficiency, private enterprise and association with the objectives to meet the needs of the public and state weakness. This paper aims to understand the discursive production of the general interest and its mobilization by these entrepreneurial actors, studying how this notion constitute both a means of imposing themselves in the sector and a way of creating some autonomy in a constrained period.

Nicolas Duvoux (Université Paris 8 / Cresspa-LabToP)

La construction d’un monopole thématique : les conditions sociales et institutionnelles du développement d’une fondation philanthropique spécialisée sur la pauvreté et l’exclusion sociale en France
L’action publique contre la pauvreté s’est institutionnalisée au cours des dernières décennies et les acteurs associatifs ont été partie prenante de ce mouvement. En proposant une monographie d’une fondation créée à la fin des années 2000, dans le prolongement d’un mouvement de réforme interne de son fondateur, le Secours catholique, nous proposerons une réflexion sur la manière dont certaines politiques sectorielles, notamment celles qui concernent les questions sociales et la pauvreté, font l’objet d’une délégation par les pouvoirs publics et de la manière dont cette délégation est justifiée par l’expertise détenue par des acteurs spécifiques. Pour ce faire, des archives internes de la fondation, ainsi que des entretiens avec ses membres et des membres du Secours catholique seront mobilisées. Ces éléments seront mis en relation avec les aspects plus structurels de la construction des politiques publiques en matière de pauvreté d’une part et de structuration, par le biais de mécanismes de défiscalisation, du secteur de la philanthropie d’autre part.

Building a Sectorial Monopoly: The Social and Institutional Conditions of the Development of a Philanthropic Foundation specialized on Poverty and Social Exclusion in France
Public policy has addressed poverty directly in recent decades and the non-profit sector has been part of this movement. I propose a monographic study of a philanthropic foundation created at the end of the 2000s, following an internal reform of the non-profit organization (Catholic Relief) that initiated it. In doing so, I examine under which conditions some sectorial policies can be delegated to private actors. I will pay specific attention to this delegation is legitimized by the expertise of these actors. This conference paper draws on internal archival documents as well as interviews with all the employees of the foundation and with some key actors of the Secours Catholique. These elements are put in(to) the broader social and institutional context : the shaping and implementation of poverty policies on the one hand ; the structuration of the philanthropic sector via state-sponsored tax incentives on the other hand.

Matthieu Hély (Université Versailles-Saint-Quentin / Laboratoire Printemps UMR CNRS)

De « l’intérêt général » à « l’utilité sociale » : au delà ou en deçà de l’opposition public/privé ?
Cette communication revient sur les conditions d’émergence et l’institutionnalisation de « l’utilité sociale » comme notion concurrente de celle de « l’intérêt général » et portée essentiellement par les organisations de « l’économie sociale et solidaire » (ESS). En effet, ces organisations, bien que développant des activités économiques se situant fréquemment aux frontières du marché, s’en différencient par la nature spécifique des services qu’elles délivrent (en termes de tarifs ou de prestations) et le type de publics qui en sont bénéficiaires. Bien que pluriséculaire, cette « économie sociale et solidaire » a connu une seconde jeunesse à partir du début des années 1970. La loi de juillet 2014, centrale pour ce secteur, consacre ainsi la catégorie « d’entreprise de l’ESS » à laquelle sont éligibles aussi bien les organisations historiques (associations, coopératives, mutuelles) mais également les sociétés commerciales sous certaines conditions.
Cette réémergence de l’ESS remet en cause la croyance dans une division étanche entre un secteur public, composé d’agents fonctionnaires professionnellement dévoués à servir l’intérêt général, et un secteur marchand, gouverné par la recherche légitime de l’intérêt privé. Néanmoins, compte tenu de l’hétérogénéité des pratiques The rassemblées dans l’ESS et les formes de compatibilité avec l’idéologie néo-libérale, il demeure difficile d’affirmer qu’elle est en mesure de transcender cette opposition. Le concept unifiant ces pratiques autour, par exemple, de la notion de « commun » théorisée par Elinor Ostrom, est-il suffisant pour constituer une nouvelle utopie, à la hauteur de l’associationnisme ouvrier des années 1830-1848 comme l’invoquent certains ? Il me semble que pour pallier ces limites, la nature du travail réalisé dans ces entreprises de l’ESS doit être prise au sérieux.

From « general interest » to « social utility »: beyond or below public/private antagonism ?
This paper concerns about « utilité sociale » genesis as a public policy category, held by charities organizations, concurrent term for « intérêt général ». Hence, charities organizations, although their activites are often close to market rules, are nevertheless singulars according to the public beneficiaries or the nature of service. Born in the beginning of the nineteenth century, the « économie sociale et solidaire » is reborn during the 1970s. The Hamon act of july 2014 recognized officially the juridical concept of the « entreprise de l’économie sociale et solidaire » (ESS), merging the historical social economy organization, but also commercial companies which comply with regulations.
The reborn of ESS recompose public/private frontiers. Nevertheless, because ESS could be congruent with neoliberal ideology, it’s hard to affirm that it transcends public/private antagonism. Is the concept of “common”, forged by Elinor Ostrom, sufficient to foster the utopic aim to “democratize” market economy ? Labor in non-profit organizations must be examinated seriously.

Sylvie Paquerot (École d’études politiques/School of Political Studies, Université d’Ottawa / University of Ottawa

Du concept d’intérêt général à celui de bien commun : enjeu de vocabulaire ou de sens ?
Si l’appel de ce colloque semble considérer utile de s’interroger sur l’analogie de signification entre la notion d’intérêt général et celle de common good dans le monde anglo-saxon, nous posons, a contrario, que la notion de bien commun utilisée également de plus en plus dans plusieurs contextes et plusieurs cultures cherche à dire quelque chose de différent, qui se distingue, politiquement, de la notion d’intérêt général. Nous faisons ainsi l’hypothèse que la résurgence de ce concept de bien commun ou de commun, dans plusieurs cas, ne s’inscrit pas en synonymie mais en contestation de cette notion d’intérêt général dont les évolutions récentes sont entre autres marquées par le contexte institutionnel européen, où la notion de service d’intérêt général semble s’écarter sensiblement du sens traditionnel de ce concept en pensée politique, en exacerbant sa dimension utilitariste. Nous situant en contexte nord-américain (le Canada) où les deux traditions, anglo-saxonne et continentale, se rencontrent – ou s’affrontent –, nous avons, à travers nos recherches, exploré la polysémie de ce concept, que nous proposons de mettre en perspective de la notion d’intérêt général dans le contexte contemporain.

From the general interest to the common good concepts: vocabulary or meaning?
If the call of this colloquium seems to consider useful to question the analogy of meaning between the notion of general interest and that of common good in the Anglo-Saxon world, we argue, a contrario, that the notion of common good or commons, used more and more in several contexts and several cultures, seeks to say something different, which differs politically from the notion of general interest. We thus assume that the resurgence of this concept of common good in several cases is not a synonymous but a challenge to this notion of general interest, whose recent evolutions are marked by European institutional context, where the notion of service of general interest seems to deviate significantly from the traditional sense of this concept in political thought, exacerbating its utilitarian dimension. In a North American context (Canada) where the two Anglo-Saxon and continental traditions meet – or clash –, we have explored, through our research, the polysemy of this concept, which we propose to put into perspective with the notion General interest in the contemporary context.

Ana Luiza Melo Aranha (Universidade Federal de Minas Gerais, Brazil)

La Corruption, la Démocratie et L’intérêt Public: Une Question D’exclusion
L´article propose une mesure non triviale de la corruption, en préconisant un lien intrinsèque entre les principes démocratiques et le contrôle de la corruption – il est seulement possible d’atteindre des formes justes de la vie démocratique si les institutions de responsabilisation sont capables de contrôler la corruption. Ce phénomène est compris ici comme la rupture de la règle inclusive démocratique, par laquelle les décisions et les actions politiques sont prises en dépit de ceux potentiellement affectés par eux. L’argument principal soutient que la corruption est liée à la capacité de fournir une justification publique à la conduite politique. L’idée est que la corruption engendre un avantage privé qui est, d’un point de vue démocratique, illégitime, puisqu’il en profite à certains au détriment des décisions prises par la communauté politique. En conséquence, pour la corruption, il n’y a pas de justification plausible – parce que les fonctionnaires auraient à faire connaître les privilèges illégitimes et les avantages indus. De façon empirique, l´article utilise les rapports d’audit produits par l’agence brésilienne de lutte contre la corruption dans son programme Inspections pour illustrer comment il est possible de séparer les cas de corruption des irrégularités de mauvaise gestion. Afin de responsabiliser les fonctionnaires pour leurs actions, en les rendant responsables des exclusions qu’ils peuvent causer (comme la corruption), les institutions de responsabilisation jouent un rôle important de renforcement et d’autonomisation de la démocratie et de sa condition d’inclusion de base.

Corruption, Democracy and the Public Interest: A Matter of Exclusion
The paper proposes a non trivial measurement of corruption, by advocating an intrinsic connection between democratic principles and corruption control – it is only possible to achieve just forms of democratic life if accountability institutions are able to control corruption. This phenomenon is understood here as the breakdown of the democratic inclusive rule, whereby political decisions are made (and actions taken) in spite of those potentially affected by them. The main argument sustains that corruption is connected with the ability to provide public justification for the political conduct. The idea is that corruption generates a private benefit which is, from a democratic point of view, illegitimate, since it benefits some at the expense of the decisions made by the political community. Consequently, for corruption there is no plausible justification – because public officials would have to publicize illegitimate privileges and undue advantages. Empirically, the paper uses the audit reports produced by the Brazilian anti-corruption agency in its Inspections From Public Lotteries Program to exemplify how it is possible to separate corruption cases from mismanagement irregularities. In order to hold public officials accountable for their actions, making them responsible for the exclusions that they may cause (such as corruption), the accountability institutions fulfill an important role of reinforcing and empowering democracy and its basic inclusive condition.

Anne Monier (ENS-EHESS-CNRS / Centre Maurice Halbwachs)

De l’intérêt général à l’utilité sociale. Le plaidoyer des mécènes en faveur de la philanthropie : une remise en cause du rôle l’Etat ?
Cette présentation vise à comprendre la présence croissante des acteurs privés dans l’action publique et leur volonté d’agir au nom de l’intérêt général, en nous centrant sur le cas de la philanthropie. Pour ce faire, nous allons nous intéresser à une forme particulière de philanthropie – la philanthropie culturelle transnationale –, à travers l’exemple des associations d’American Friends des institutions culturelles françaises. Il s’agit de montrer comment, au-delà de la mobilisation philanthropique pour lever des fonds, les organisations philanthropiques se mobilisent pour leur propre cause : le développement de la philanthropie, jugée légitime à œuvrer pour l’intérêt général. Nous analyserons ainsi une forme particulière d’engagement, celui des élites françaises et américaines en faveur du développement de la philanthropie en France. En effet, des actions communes sont mises en place auprès des élites politiques françaises, centrées sur de véritables opérations de plaidoyer. L’objectif est là de faire adopter des lois favorisant le développement de la philanthropie et de convaincre plus largement les élites françaises du bien-fondé de l’action de la « société civile ». Cette opération de plaidoyer, menée de manière feutrée, va contribuer à renforcer l’enchevêtrement des acteurs publics et privés, participant ainsi aux transformations récentes de « l’Etat culturel », et de l’Etat plus largement.

From general interest to social utility. The advocacy of donors in favor of philanthropy: putting the role of the State into question?
This presentation aims to understand the increasing presence of private actors in public action and their desire to act in the name of general interest, focusing on the case of philanthropy. To do so, we will examine a particular form of philanthropy – transnational philanthropy for the arts – through the example of the American Friends groups of French cultural institutions. We will show how, beyond philanthropic mobilization to raise funds, philanthropic organizations are mobilizing for their own cause: the development of philanthropy, considered legitimate to work for the general interest. We will analyze a particular form of engagement, that of the French and American elites in favor of the development of philanthropy in France. Indeed, joint actions are organized, centered on advocacy operations. The aim is to pass laws promoting the development of philanthropy and to convince the French elites more widely of the merits of the action of « civil society ». This advocacy operations, carried out as “quiet politics”, contribute to reinforcing the links between public and private actors, thus participating in the recent transformations of the « cultural State » and of the State more widely.

Cécile Robert (Sciences Po Lyon / Triangle)

A qui appartient l’intérêt général européen ? Les stratégies de légitimation de la Commission européenne dans la construction de la « société civile organisée »
Cette communication propose d’observer comment la revendication par la Commission européenne d’un monopole à définir l’intérêt général européen a contribué à façonner ses relations avec un ensemble de groupes d’intérêt et, ce faisant, à produire et transformer « la société civile organisée ».
Dans cette perspective, elle revient d’abord sur la manière dont l’administration européenne et ses agents se sont historiquement saisis de la notion d’intérêt général européen : en revendiquant notamment le monopole de sa définition, au nom notamment de son « indépendance », ils travaillent à asseoir la légitimité propre de l’institution au sein du système politique européen notamment vis-à-vis des Etats membres.
Ces logiques conduisent l’administration européenne à s’investir dans la construction et la promotion d’une société civile organisée, dont elle revendique d’être l’interlocuteur privilégié et de faire seule la synthèse. Cette politique de consultation est marquée par des logiques d’indifférenciation (entre acteurs publics et privés) et de sectorisation et fait une place particulière à la légitimité représentative.
Ces dispositifs de consultation ont enfin des effets sur les organisations qu’ils invitent et/ou tiennent à distance des processus décisionnels européens. Ils ont participé à leurs communes transformations (convergence des répertoires d’action) mais suscitent aussi des résistances croissantes de certaines organisations qui revendiquent une place plus importante dans le débat politique européen au nom d’une définition concurrente de l’intérêt général.

To whom does the general interest belong? The European Commission‘s legitimization strategies and the European organized civil society
This paper proposes to observe how the European Commission’s claim to monopolize the definition of the European general interest has shaped its relations with interest groups and so “produced” and transformed organized civil society. First, it examines the way the European Commission has historically seized the notion of European general interest, using it to legitimize its role and keeping member states at a distance. We then show how the EC has tried to be recognized as the main interlocutor of organized civil society’s members and the only one capable of synthesizing their different positions. This Commission’s policy towards interest groups has been marked by a weak differentiation between public (NGO’s, associations) and private (business/corporate) actors, and the limited role given to representative legitimacy.
In the final section, we attempt to analyze the effects of EC’s consultation policy on interest organizations at the European level. We insist on the similarity of the collective-action repertoires which those organizations have developed. However we show that some of them (including NGO’s and trade unions) have recently tried to ask for a greater and more specific role in the policy process in the name of a new definition of the general interest.

Bertrand Magloire Ndongmo (Université de Douala / REJAC)

Organisations Non Gouvernementales et défense des intérêts collectifs des populations riveraines des zones d’exploitation minière au Sud-Cameroun : Une analyse constructiviste des processus de légitimation d’une action sociale.
Depuis la remise en cause d’une gouvernance minière marquée d’opacité au Cameroun, la société civile a été faite gardienne de la transparence des politiques minières, par tous les discours officiels, sous l’impulsion des institutions Financières Internationales. Ces discours mettent l’accent sur la défense par les Organisations Non Gouvernementales des intérêts collectifs des populations riveraines des zones d’exploitation minière. C’est dans cette logique que s’inscrivent de nombreuses ONG (CED, RELUFA, DMJ, Tic, etc.) de la Capitale politique (Yaoundé) qui se sont autoproclamées défenseurs de ces populations dans les zones d’exploitations minières au Sud-Cameroun ; un arrière-pays aux populations vulnérables, illettrées et sans moyens de se faire entendre sur l’autodéfense de leurs droits au développement dû à l’industrie minière. Cet article se consacre à mettre en exergue les mécanismes sociopolitiques de légitimations de ces organisations « venues d’ailleurs », pour justifier leur droit au chapitre dans les arènes décisionnelles des politiques minières et bénéficier du financement des bailleurs de fonds (Banque Mondiale, UE, etc.).

Non-governmental organizations and the defense of collective interests of the populations bordering on the mining zones in South Cameroon:A constructivist analysis of the processes of legitimizing social action.
Since questions started arising around the gouvernance standards in the mining sector in Cameroon, said governance being marked by opacity, the civil society has become the guardian of transparency in the mining policies according to official speeches. These discourses emphasize on the defense by the Non-Governmental Organizations of the collective interests of the populations bordering the mining zones. It is in this spirit that many NGOs (CED, RELUFA, DMJ, Tic, etc.) of the political capital (Yaoundé) became self-proclaimed defenders of these populations in the mining zones in the South- Cameroon; hinterland with vulnerable populations, illiterate and without the means to be heard on the self-defense of their rights to development due to the mining industry. This article aims at highlighting the socio-political mechanisms of legitimation of these organizations « coming from elsewhere », to justify their right to have a say in the decision-making process with regards to the mining policies and to benefit from the financing of the donors (World Bank, Etc.).

Annabelle Allouch (Université Picardie-Jules Verne / CURAPP-ESS)

La fabrique de l’intérêt général. Sciences Po et la production d’une « morale d’élite ».
Alors que les Grandes écoles tiennent un rôle central dans la formation du personnel politique et des hauts fonctionnaires, dans quelle mesure participent-elles à la construction et à la diffusion de la notion d’intérêt général ? Et comment cette construction se voit-elle affectée par la crise économique, le creusement des inégalités et la réforme de l’Etat ?
A partir du cas de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, notre intervention vise à éclairer le rôle de la socialisation institutionnelle fournie par l’enseignement supérieur sélectif dans la production d’une « morale d’élite ». On s’inscrit ainsi dans une lecture relationnelle de l’intérêt général, où la socialisation institutionnelle configure le rapport particulier des élèves au politique. Cette approche permet également de saisir les stratégies institutionnelles qui font de Sciences Po le producteur d’un discours à dimension universelle sur l’Etat (Bourdieu, 1976 ; 2012) et la société française en général (Allouch, 2013). Ce travail de production apparaît alors largement dépendant de la position de l’IEP dans l’espace de l’enseignement supérieur, mais également de son rapport à l’Etat (Dammame, 1988; Vanneuville, 1998) dans un contexte de réforme managériale de la fonction publique (Biland, 2010 ; Gally, 2013 ; Quéré, 2014).

Elite Universities and the making of a « Common good ». The case of Sciences Po Paris.
The role of selective universities in the making of a political and bureaucratic elites has been widely acknowledged by French political sociology (for instance, Dammame, 1988, Eymeri 2001, Vanneuville, 1998). However, little has been said on their role in the production and dissemination of social norms on the State and society.
In the context of a bureaucratic reform, an economic crisis of great intensity, and the increase of social inequalities, how do elites universities such as Sciences Po still get to produce, promote and disseminate a new idea of a « common good » ?

Magali Della Sudda (CNRS / Centre Emile Durkheim) et Marie Balas (Université de Strasbourg / Dynamiques européennes)

De la loi à la cause : défense de la famille comme forme universelle de l’intérêt général dans la Manif pour Tous (2012-2016).
Notre communication porte les modalités de mobilisation de catholiques dans l’espace public autour de la question de la famille et du genre. A partir de deux enquêtes menées concomitamment à Bordeaux et en région parisienne sur différents collectifs issus des manifestations de la Manif pour Tous (nov.2012-oct.2016), les autrices éclairent la manière dont l’intérêt général est porté. On observe un glissement d’une cause spécifique (la mise en cause d’un projet de loi) à un cadrage universel – la défense de la famille et d’un ordre anthropologique commun à l’humanité – et préventif. En effet, à partir de l’adoption de la loi Taubira ouvrant mariage civil et adoption aux couples de même sexe, la mobilisation vise ainsi à prévenir les évolutions juridiques concernant les droits reproductifs, la filiation et l’inaliénabilité du corps humain. Parallèlement, les mots d’ordres semblent évoluer d’une cause unique à un faisceau de revendications. A ces méthodes classiques de la sociologie des mobilisations, un dispositif inédit dans le cadre de la Manif pour Tous a été mis en place lors de la manifestation du 16 octobre 2016. Un questionnaire a été passé aux participantes et participants. L’analyse permettra ainsi de compléter avec d’avantage d’acuité les modalités de cadrage de la cause que les manifestants et organisateurs entendent porter dans l’espace public.

From law to cause: the defense of the family as a universal form of general interest in the ‘Manif pour tous’ (2012-2016).
Our communication deals with the ways in which Catholics are mobilized in the public arena on family and gender issues. On the basis of two surveys carried out concurrently in Bordeaux and in the Paris region (nov.1212-oct.2016), the investigatresses shed light on the way in which the « general interest » is carried. There is a shift from a specific cause to a universal framing – the defense of the family and an anthropological order common to humanity – and preventive claim. Indeed, from the adoption of the Taubira law opening civil marriage and adoption to same-sex couples, the mobilization aims to prevent legal changes concerning the reproductive rights, filiation and inalienability of the human body. At the same time, the moto seem to evolve from a single cause to a cluster of demands. We used classical methods of sociology of mobilizations, and a specific survey during the demonstration of October 16, 2016. A questionnaire was passed to the participants. The analysis will provide a more accurate view of the modalities of framing of the cause that the protesters and organizers intend to carry in the public space.

Thomas Boccon-Gibod (UMR PACTE)

Le service public ou l’ambiguïté de l’intérêt général
L’intérêt général demeure mal défini en droit public. Cependant, on peut considérer qu’il trouve une traduction au plan institutionnel dans le service public, concept en revanche extrêmement réfléchi et problématisé. En explorant la notion de service public, il semble donc qu’on puisse comprendre de manière à la fois plus précise et plus concrète ce que peut signifier une action effectuée en vue d’un intérêt général. Or précisément, l’indétermination persistante de la notion de service public ne peut que faire apparaître également, par contrecoup, l’ambiguïté fondamentale de l’intérêt général.
On montrera ainsi que la légitimation de l’action publique par le service public s’est opérée sur des bases proprement sociologiques, en rupture avec le paradigme volontariste et individualiste de la souveraineté hérité du droit naturel moderne, mais aussi du rousseauisme prêté aux Révolutionnaires par les penseurs du XIXe siècle. Au début du XXe siècle, l’idée de service répondant à des besoins sociaux avait ainsi l’avantage fournir une justification au développement du droit administratif naissant, tout en excluant la notion de souveraineté du peuple, et ce d’une manière qui, en continuant à promouvoir l’intérêt, correspondait formellement à la grammaire du libéralisme économique. Les ambiguïtés persistantes du service public et de l’intérêt général tiennent à la fragilité de ce compromis.

Public service, or the ambiguities of general interest
As a public law concept, general interest remains ill-defined. However, public service, which is by contrast a thoroughly elaborated notion, may be considered as its institutional equivalent. Exploring the notion of public service may therefore help to understand more accurately and concretely what an action driven by a general interest can mean at all. And precisely, it appears that the remaining indetermination of this notion reveals the fundamental ambiguity of this of general interest.
In this perspective, we will show that the promotion of public service as the true ground of public action entailed a properly sociological frame, which broke up with the voluntarist and individualist paradigm inherited from Modern Natural Law, and, more specifically, with the Rousseauism that XIXth century thinkers considered as the inspiration of French Revolutionaries. At the beginning of the XXth century, the idea of a service corresponding to social needs presented the advantage to legitimize the then new administrative law, while excluding all reference to people sovereignty, in a way that, promoting the notion of interest, corresponded formally with the grammar of economic liberalism. The remaining ambiguities of both public service and general interest rely on the frailty of this compromise.

Mercredi 12 juillet 2017 14h00-18h00

ALLOUCH Annabelle annabelle.allouch@sciencespo.fr
ARANHA Ana Luiza analuiza.aranha@outlook.com
BALAS Marie balas@unistra.fr
BEROUD Sophie sophie.beroud@univ-lyon2.fr
BOCCON-GIBOD Thomas thomas.bg@outlook.com
BONNEVALLE Pierre pierre.bonnevalle@gmail.com
DELLA SUDDA Magali m.dellasudda@sciencespobordeaux
DUVOUX Nicolas nicolas.duvoux@univ-paris8.fr
GABORIAUX Chloé chloe.gaboriaux@sciencespo-lyon.fr
HELY Matthieu matthieu.hely@uvsq.fr
KALUSZYNSKI Martine martine.kaluszynski@umrpacte.fr
MITSUSHIMA Nagisa nmitsushima@hotmail.com
MONIER Anne anne.monier@ens-lsh.org
NDONGMO Bertrand Magloire ndongmomag@yahoo.fr
PAQUEROT Sylvie spaquero@uottawa.ca
ROBERT Cécile cecile.robert@sciencespo-lyon.fr
ROZIER Sabine sabine.rozier@dauphine.fr
VERNET Antoine vernet.antoine@hotmail.fr
VEZINAT Nadège nadege.vezinat@univ-reims.fr