le portail de la science politique française

rechercher

ST60

L’engagement des supporters de football dans l’espace public. Une politisation de circonstance ?

The football fans intervention in public sphere: an opportune politicization?

Responsables scientifiques
William Gasparini (Chaire Jean Monnet en sociologie européenne du sport, laboratoire « Sport et sciences sociales » (EA 1342), SAGE (UMR 7363), Université de Strasbourg) william.gasparini@unistra.fr
Jean-François Polo (Institut d’Etudes Politiques de Rennes-CRAPE-ARENE) jean-francois.polo@sciencespo-rennes.fr

Ces dernières années, à l’occasion de mouvements de contestation politique de grande ampleur, des groupes de supporters de sport, le plus souvent de football, se sont fortement impliqués dans des manifestations et occupations d’espaces publics. Sur les places de Tahrir (au Caire), de Maïdan (à Kiev) ou de Taxim (à Istanbul), ces organisations ont su mobiliser et reconvertir des compétences traditionnelles de supporters (organisation de rassemblement de masse, préparation de banderoles et de slogans pour soutenir leur équipe ou conspuer l’adversaire, savoir-faire en matière de confrontation violente avec des supporters adverses ou les forces de l’ordre) en instruments au service d’une cause politique. Dans des contextes de crises politiques violentes, ces supporters sont apparus à l’avant-garde des affrontements avec les forces de l’ordre, ou bien face à d’autres groupes de manifestants.
L’anthropologie et la sociologie du sport se sont intéressées depuis longtemps à la violence des supporters (Mignon, 1998), aux logiques de leurs engagements et de leurs affiliations partisanes (Bromberger 1995). Plus récemment, certains auteurs ont analysé le supportérisme comme forme d’engagement militant (Busset, Besson, Jaccoud, 2014 ; Lestrelin, 2015). Mais il s’agissait avant tout ici de comprendre et d’expliquer les logiques du supportérisme, ses évolutions, sa gestion par les autorités publiques.
Ce que nous souhaiterions explorer dans cette Section Thématique, ce sont des formes de politisation des supporters au-delà du soutien à leur équipe. En effet, la question de la dimension politique du sport a donné lieu à de nombreux débats ou travaux qui trouvent leur place dans les réflexions plus large sur « La politique ailleurs » (CURAPP 1998), sur le dépassement des frontières du politique (Arnaud, Guionnet, 2005), voire « Le politique par le bas » (Bayart, Mbembe, Toulabor 2008). Contrairement à l’affirmation du monde sportif selon laquelle le sport serait apolitique (Defrance, 2001), celui-ci est une activité éminemment politique (Brohm, 1992), les acteurs politiques ayant compris depuis longtemps les bénéfices qu’ils peuvent retirer des équipes et athlètes, à tous les échelons de la scène politique, même si cela peut prendre des formes consensuelles (Sawicki 2013). Mais selon J. Lagroye, une autre forme de politisation, concerne la « tentative de dépassement des limites assignées par la sectorisation à certains types d’activités. Elle résulte alors généralement de la ‘prise de conscience’, chez des acteurs étrangers aux jeux ordinaires de l’espace politique et à ses enjeux spécifiques, de ce qu’ils appellent la ‘dimension’ ou la ‘portée’ politique de leurs activités » (2003: 365). Ce dépassement des limites résulte donc d’une stratégie de requalification par des groupes non politiques du caractère politique de leur prise de position. Les supporters de football qui expriment et mettent en scène dans le stade et ses environs (voire dans l’espace public) des appartenances sportives passionnelles pour soutenir leur équipe favorite (ou au contraire rabaisser l’adversaire), s’adressent parfois directement au pouvoir (Busset, Gasparini, 2016). Ils prennent alors conscience de la dimension politique potentielle de leurs paroles et actions. Leurs expressions politiques renvoient à trois types de politisation : une politisation idéologique qui peut être le signe d’une inféodation d’un groupe, d’une association ou d’un collectif à un parti politique, une idéologie, un mouvement politique, etc. (cf. Testa, Armstrong 2010) ; une politisation identitaire au travers de la revendication d’une appartenance identitaire (cf. Moroy 2000) ; enfin une politisation catégorielle pour faire inscrire sur l’agenda politique des professionnels de la politique ou des dirigeants sportifs une question relative au supportérisme (comme la dénonciation ou la critique des lois qui régissent le football, l’organisation des supporters, les questions de sécurité, la rénovation ou la construction d’un nouveau stade, son accessibilité, le prix des billets, les relations entre les organisations de supporters et les dirigeants du club ou les pouvoirs publics, etc.) (cf. Fitzpatrick 2013). Ces expressions politiques peuvent prendre des dimensions spectaculaires dans des contextes de crise et de contestations violentes où les supporters apparaissent comme des groupes organisés déployant des stratégies d’affrontement à l’égard des forces de l’ordre ou de ceux qui sont considérés comme leurs adversaires.
Cette Section Thématique invite donc à analyser et expliquer la politisation des supporters à partir de leur participation à certaines formes de mobilisations dans des contextes de crises majeures, politiques, voire économiques (cf. Zaimakis 2010). Plusieurs types de questionnements nous paraissent pertinents.
1) Il s’agira d’abord de se questionner sur facteurs et les contextes favorisant ce type de mobilisations. On pourra se demander si les situations de crise constituent un moment particulier propice à ce type de contestation. Ce phénomène est-il circonscrit aux situations de crise extrême que traversent ces pays, parfois dans des contextes autoritaires ? Sont-elles des formes alternatives de mobilisations de type « politique par le bas » dans des situations de domination hégémonique du pouvoir ? Permettent-elles des formes de résistance, d’adaptation ou au contraire de consolidation de la domination ?
2) La question du lien avec les autorités politiques méritent d’être posée. Comment celles-ci s’efforcent-elles de contrôler ou neutraliser ces organisations ? Dans quelle mesure ces groupes sont-ils autonomes vis-à-vis des acteurs politiques traditionnels ou leur sont-ils liés à travers des réseaux informels ou des liens personnels ?
3) On pourra s’interroger sur les ressources que peuvent mobiliser ces groupes. Leur savoir-faire et leur notoriété leur octroient-ils une place prépondérante dans ces protestations ? Comment parviennent-ils à reconvertir leurs compétences en matière de luttes physiques en ressources militantes ?
4) La question de l’après-mobilisation mérite aussi d’être questionnée. Ces engagements sont-ils circonstanciels ou parviennent-ils à s’inscrire dans la durée ? Les expériences acquises dans ces luttes sont-elles à leur tour reconvertibles dans les carrières de supporters ou dans d’autres secteurs ?

In recent years, we have seen, in the context of important political contesting, the interventions of sport fan organizations (most of the time of football) strongly involved in the demonstrations and in occupying public spaces. From Tahrir square (in Cairo) to Maïdan (in Kiev) or to Taxim (Istanbul), these organizations knew how to mobilize and to reconvert their traditional skills of sport fans (organization of mass meeting, preparation of banners and slogans to support their team or decry the opponents, the know-how regarding violent confrontation with opposite fans or security forces) in instruments to defend political causes. In contexts of violent political crises, sport fans stood at the forefront of clashes with the police, or with other politicized groups.
Sport anthropologists and sociologists have long been interested in fans violence (Mignon, 1998), the logic of their commitments and their affiliations (Bromberger, 1995). More recently, some authors have analyzed the fandom as a form of political activism (Busset, Besson & Jaccoud, 2014; Lestrelin, 2015). But this is primarily to understand and explain the logic of fandom.
In this panel, we would like to address the politicization of sport fans beyond the support to their favorite team. The issue of sport and politics relations has been broadly tackled by scholars through reflections upon the blurring of politics boundaries (Arnaud & Guionnet, 2005) or “politics from below” (Bayart, Mbembe, Toulador). Contrary to the sporting world assertion according to sport is apolitical (Defrance, 2001), this activity remains highly political (Gounot, Jallat and Koebel, 2012), as politicians have long understood the benefits they could draw from the success of teams and athletes at all levels of the political scenes (local, national or international). Another form of politicization, according to J. Lagroye concerns the « attempt to go beyond the limits assigned by the segmentation in certain types of activities. It usually results of the ‘awareness’ for actors outside of the traditional political space and its specific issues, what they call the ‘dimension’ or the ‘scope’ of their political activities » (2003: 365). Therefore the crossing of boundaries results of a strategy of re-qualification by non-political groups of the political nature of their position. Football fans who express and stage in the stadium and its surroundings (or even in public space) their passion to their favorite team or the provocations to ridicule their opponents, have sometimes addressed directly to political authorities. They then realized the potential political dimension of their words and actions. Political expressions can then refer to three types of politicization: Ideological politicization where political expressions are a sign of allegiance of a group or individuals to a political party, an ideology, a political movement, etc. (Testa, Armstrong 2010) ; An identity politicization through the claim of a community belonging (minorities, religious, ethnic) (Moroy 2000) ; Finally corporatist politicization put on the political agenda of political or sports actors questions relating to fandom activities (such as denunciation or criticism of laws that govern football, organizing supporters, questions of security, renovation or construction of new stadium, accessibility, ticket prices, relations between supporters organizations and club officials or public authorities, etc.) (Fitzpatrick 2013).
Focusing on politicization of supporters and on their participation to violent demonstrations in the context of multidimensional crisis, the abstract submissions should engage with one or several of the following themes:
1) What are the factors and causes of the commitment of fans in large demonstrations within political crisis contexts (and even economics) (see Zaimakis 2010). Are those mobilizations confined to situations of extreme crisis affecting the countries in which they occur? What are the effects of these forms of politics from below – do they fuel resistance, accommodation or consolidate domination?
2) To what extent are they autonomous from political actors or do they rely on informal or personal networks? How the authorities strive to control, manipulate or neutralize those organizations?
3) What are the resources mobilized by fans groups? Often resulting in direct confrontations with the police, the issue of violence of these fans also deserve to be analysed. Do their know-how and reputation grant them a prominent place in these protests? How can they succeed to convert their fandom competences to political militant resources?
4) The question of the post-mobilization can be also raised. Are those commitments incidental or the long term? To what extend the acquired experiences in these confrontation could be in their turn convertible in the fans’ careers or in other sectors?

REFERENCES

Armstrong G., Giulianotti R. (éd), Football Cultures and Identities, London: Macmillan, 1999.
Archambault F., Beaud S., Gasparini W., Le football des nations. Des terrains de jeu aux communautés imaginées, (préface de Gérard Noiriel) Paris, Publications de la Sorbonne, 2016.
Arnaud L., Guionnet C., Les frontières du politique, PUR, Rennes, 2005.
Bayart J-F., Mbembé A., Toulabor K., Le politique par le bas, Karthala, Paris, 2008.
Braud Philippe, « La violence politique : repères et problèmes », Cultures & Conflits [En ligne], 09-10 | printemps-été 1993. URL : http://conflits.revues.org/406
Brohm, J-M. Sociologie politique du sport, Nancy, Presses universitaire de Nancy, 1992 (1ère éd. 1976)
Bromberger C., Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin,Paris, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1995 (rééd.1996, 2001).
Busset T., Besson R., Jaccoud C. (dir.), L’autre visage du supportérisme. Autorégulations, mobilisations collectives et mouvements sociaux, Bern, Peter Lang, 2014.
Busset T., Gasparini W., Aux frontières du footabll et du politique. Supportérismes et engagement militant dans l’espace public, Bern, Peter Lang, 2016.
Crettiez X., Mucchielli L., Les violences politiques en Europe, La Découverte « Recherches », 2010.
Defrance, J., « La politique de l’apolitisme. Sur l’autonomisation du champ sportif », Politix, 50, 2000, p. 13-27.
Dunning Eric, Sport matters: sociological studies of sport, violence, and civilization. London New York: Routledge, 1999.
Kamaté A., Richard Banégas R., « Football, clivages identitaires et conflit politique en Côte d’Ivoire », Politique africaine 2010/2 (N° 118), p. 85-102.
Fitzpatrick C., “The struggle for grassroots involvement in football club governance: experiences of a supporter-activist”, Soccer & Society, 14:2, 201-214, 2013. DOI: 10.1080/14660970.2013.776468
Lagroye J., « Les processus de politisation », in Lagroye, J. (éd), La politisation, Paris: Belin, 2003, p. 359-372
Lestrelin L., « De l’avantage de comparer les carrières supportéristes à des carrières militantes », Sciences sociales et sport, 2015/1 (N° 8), p. 51-77.
Mignon P., « Supporters ultras et hooligans dans les stades de football », Communications, 67, 1998, p. 45-58.
Moroy Franck, « Le sport comme adjuvant à l’action politique. Le cas du Hezbollah à Beyrouth », Politix, Volume 13, Numéro 50, 2000 pp. 93-106
Sawicki, F., 2012: « La résistible politisation du football. Le cas de l’affaire du grand stade de Lille-Métropole », Sciences sociales et sport, 5: 193-241.
Testa A., Armstrong G., Football, Fascism and Fandom: The UltraS of Italian Football, Bloomsbury Publishing, London, 2010.
Zaimakis Y., “Football fan culture and politics in modern Greece: the process of fandom radicalization during the austerity era”, Soccer & Society, 2016, DOI: 10.1080/14660970.2016.1171214 .

Discutant : Christophe Traïni (IEP d’Aix en Provence, CHERPA)

Ekaterina Gloriozova (CEVIPOL, Université Libre de Bruxelles), Le football en URSS : une passion subversive ?
Télécharger la communication

Olga Ruzhelnyk (Université de Paris-Ouest Nanterre-La Défense), Le mouvement des fans de football en Ukraine à travers dimensions politiques et idéologiques
Télécharger la communication

Loïc Trégourès (Université Lille 2 – CERAPS), Politisation des supporters et violences politiques dans l’espace post-yougoslave : le cas de la Serbie
Télécharger la communication

Gökce Tuncel (EHESS, CEMS – Centre d’étude des mouvements sociaux), Construction de l’agir politique des ultras de Carsi en Turquie, 1980-2013
Télécharger la communication

Suzan Gibril (F.R.S-F.N.R.S Fellow, Université Libre de Bruxelles), Du stade à Tharir : libération et utilisation de l’espace public par les groupes de supporters en Égypte révolutionnaire et post-révolutionnaire
Télécharger la communication

Nicolas Maisetti (LATTS – UMR CNRS 8234), Le Red Star, c’est à Bauer ». Enquête auprès d’une mobilisation politisée pour la défense d’un stade de football

Lundi 10 juillet 2017 13h30-17h30

GASPARINI William william.gasparini@unistra.fr
GIBRIL Suzan sgibril@ulb.ac.be
GLORIOZOVA Ekaterina eglorioz@ulb.ac.be
GOKCE Tuncel gokcetuncel@gmail.com
MAISETTI Nicolas nicolas.maisetti@enpc.fr
POLO Jean-François jean-francois.polo@sciencespo-rennes.fr
RUZHELNYK Olga olga.ruzhelnyk@gmail.com
TRAINI Christophe christophe.traini@wanadoo.fr
TREGOURES Loïc loictregoures@yahoo.fr