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Contributions et perspectives critiques des éthiques environnementales dans la pensée politique : théories, pratiques et activités politiques

Contributions and criticals perspectives of the environmental ethics in political thought: theories, practices and political activities

Responsables scientifiques
Caroline Lejeune (Centre d’Etudes et de Recherches Administratives Politiques et Sociales – CNRS/UMR 8026, Université de Lille 2, Sciences Po Lille) caroline.lejeune@sciencespo-lille.eu
Gérald Hess (Institut de géographie et de la durabilité, Faculté des Géosciences et de l’environnement, Université de Lausanne) gerald.hess@unil.ch

A partir des années 1990, l’environnement devient un sujet de recherche de la science politique française. Depuis, il est étudié à partir de sa construction sociale et politique et sous le prisme de l’action publique environnementale (Lascoumes, 1994), des partis politiques (Boy, 1995 ; Villalba, 1996), de la sociologie des mobilisations environnementales (Ollitrault, 2008) ou encore de la démocratie participative (Boy et al, 2012 ; Mermet, Salles, 2015). Cependant les enjeux environnementaux n’ont pas été soulevés sous l’angle de leurs implications morales et matérielles dans la science politique française (Villalba, 2006).
Pourtant au fur et à mesure de l’accélération des problématiques environnementales le courant de la Green Political Theory a depuis la fin des années 1980 la spécificité d’interroger la manière par laquelle la réalité écologique et matérielle amène à repenser le fonctionnement traditionnel de nos systèmes politiques actuels et bousculent les catégories d’analyse fondamentale de la citoyenneté (Dobson, Eckersley, 2006), de la justice (Dobson, 1998 ; Schlosberg, 2007), de la délibération politique (Dryzek, 2011). La crise environnementale a donc suscité des questionnements épistémologiques et théoriques inédits (Semal, Szuba, 2015). La reconnaissance des limites environnementales et l’élargissement de la communauté politique aux non-humains ont ainsi permis d’interroger la théorie politique à partir des contraintes environnementales.

Alors qu’outre-Manche les éthiques environnementales sont un champ de recherche structuré depuis le début des années 1960, ces réflexions font l’objet en France d’un vif débat depuis le milieu des années 1990. Cette discipline de la philosophie s’est d’abord construite aux Etats-Unis autour des débats théoriques sur le fait d’accorder ou non une valeur morale aux entités naturelles (Light, Rolston, 2002) et s’est concrétisée par la publication d’une revue « Environmental Ethics » depuis 1979. En France, les premières diffusions des éthiques environnementales ont écarté le fait d’envisager qu’elle puisse faire l’objet d’un débat scientifique et politique dans la théorie politique, considérant qu’elles constituaient une rupture avec le projet humaniste des Lumières (Ferry, 1992). Puis l’importation en France de ce champ de recherche a permis d’opérer une distinction entre deux éthiques environnementales, l’anthropocentrisme et l’écocentrisme (Larrère, Larrère, 1997). La traduction des textes fondateurs (Afeissa, 2007) a également permis de considérer leurs spécificités épistémologiques dans la pensée politique. Cependant, la diversité des éthiques environnementales et du pluralisme moral qu’elles supposent n’ont pas fait l’objet d’une analyse approfondie sur leurs implications politiques dans les registres de la citoyenneté, la justice ou encore de la démocratie participative.

La section thématique ouvre par conséquent un espace de débat sur les perspectives heuristiques que les éthiques environnementales pourraient amener au sein de la science politique française dans le contexte de la crise environnementale. En effet, la reconnaissance de limites environnementales (Rockström et al, 2009) interpelle fortement la communauté scientifique sur le rôle des non-humains dans la délibération politique (Bourg, Whiteside, 2010). L’accentuation des enjeux environnementaux soulève donc des questions sur la capacité du système démocratique à prendre la mesure de notre responsabilité politique et à formuler des dispositifs adaptés aux impératifs environnementaux. Les éthiques environnementales semblent y contribuer en posant la question du sens d’une politique non anthropocentrée (Hess, 2013) dans la perspective d’une démocratie écologique. Dans quelle mesure les éthiques environnementales peuvent-elle renouveler le sens de la responsabilité et des délibérations politiques au regard de la crise environnementale?

Cette section thématique aborde par conséquent les perspectives heuristiques des éthiques environnementales dans la théorie politique. Elle contribue à initier des réflexions collectives sur l’élargissement de la politique anthropocentrée à partir de l’histoire des idées politiques, de la sociologie de la mobilisation, de la sociologie de l’action publique, de la démocratie participative. Cette section s’inscrit dans la continuité des débats de la Green Political Theory et de l’Environmental Ethic. Cependant, ces courants disciplinaires étant restés à un niveau d’abstraction théorique, la section thématique encourage des contributions interdisciplinaires, sur un objet de recherche fécond, à l’appui de cas d’études concrets. Ces dernières peuvent être proposées en anglais ou en français.

L’hypothèse d’une heuristique des éthiques environnementales dans la théorie et les activités politiques nous amène ainsi à deux axes :
– Théories politiques non anthropocentrées : Cet axe invite à interroger l’élargissement de la communauté politique aux non-humains au sein du système démocratique. Il s’agira de questionner les valeurs, les principes de son élargissement afin d’entrevoir les enjeux théoriques inhérents à une communauté politique élargie. L’attention sera portée aux contributions dont l’objectif sera de proposer une analyse théorique de cette extension, de souligner les implications épistémologiques d’une telle approche. Une approche critique est encouragée afin de souligner les ressorts et les limites d’une théorie politique non anthropocentrée dans le système démocratique.

– Pratiques et activités politiques non anthropocentrées : Cet axe propose d’analyser les pratiques et les activités politiques sous l’angle des implications politiques des contraintes matérielles de l’environnement au sein du système démocratique. Les propositions pourront donc se concentrer sur l’analyse des instruments et des référentiels de l’action publique environnementales, de la démocratie participative (Lejeune, Villalba, 2015) et des mobilisations écologistes (mais pas de manière exclusive). Les contributions sont donc invitées à approfondir les mécanismes d’inclusion des entités naturelles et des limites environnementales dans la théorie des politiques publiques, de la démocratie participative et la sociologie des mobilisations.

In the 1990s, the environment has become an object of research within French political science. Since he is studied from the social and political construction and thanks to the analyse of environmental policies (Lascoumes, 1994), of political parties (Boy, 1995; Villalba, 1996), sociology of environmental mobilizations (Ollitrault, 2008) or studies on participative democracy (Boy and al, 2012; Mermet, Salles, 2016). However, environmental challenges were not raised through an analyse of their moral and material implications within french political science (Villalba,2006), and more generally, in social sciences in France (Kalaora, Vlassopoulos, 2013).

Nevertheless with the growth of the environmental problems the framework of Green Political Theory has since the end of 1980s the specificity to question the way by which the ecological and material reality brings to rethink the traditional functioning of our current political systems and develop the categories of fundamental analysis of the citizenship (Dobson, Eckersley, on 2006), of the justice (Dobson, on 1998; Schlosberg, on 2007), of the political deliberation (Dryzek, on 2011). Thus the environmental crisis involved epistemological and theoretical questionings (Semal, Szuba, on 2015) today. The recognition of the environmental limits and the extension of the political community to the non-human beings so allowed to question the political theory from environmental issues.

While across the Channel the environmental ethics are a field of research structured since the beginning of the 1960’s, these reflections are the object of a deep debate since the environment of the 1990s. Environmental ethics have become a structured scientific field since the 1990’s around the theoretical debates on the idea of giving or not a moral value to natural entities (Light, Rolston, 2002) and especially after the creation of the dedicated journal « Environmental Ethics » in 1979. In France, the first introduction of environmental ethics was received a break with the humanist project of the Lights (Ferry, on 1992), they have been thus excluded from scientific researches and political debates within political theory. Some years later, their importation in France of this frame allowed to make a distinction between two environmental ethics – anthropocentrism and ecocentrism (Larrère, Larrère, on 1997). the translation of founding texts (Afeissa 2007) so allowed to consider the epistemological specificities of this frame in the political thought. However, the implications of environmental ethics’ diversity and its moral pluralism on concepts such as citizenship, justice, deliberation and participative process…etc have not been thought through the study of political activities.

The thematic section opens consequently a space of debate on the heuristic perspectives that environmental ethics could bring within the French political science in environmental crisis. Indeed, the recognition of environmental limits (Rockström and al, on 2009) strongly calls for a thinking on the role of the non-human beings in the political deliberation (Bourg, Whiteside, 2010). The accentuation of the environmental challenges thus raises questions on the capacity of the democratic system to take the measure of our political responsibility and to formulate political answers and plans adapted to environmental imperatives. Environmental ethics seem to contribute to it by emphasizing the meaning of non anthropocentric’s policies (Hess, 2013) with the prospect of an ecological democracy. To what extent environmental ethic can renew the meaning of responsibility and political deliberations with regard to the environmental crisis?

This thematic section approaches consequently environmental ethics through political theory from the history of political ideas, the sociology of mobilization, the sociology of public action, participative democracy. It contributes to introduce collective reflections on the conditions of extension of anthropocentric politics. Thus this section fits in debates already led in the networks of Green Political Theory and the Environmental Ethic. However, as these questions have remained on the level of theoretical abstraction, the thematic section encourages interdisciplinary contributions, regarding non anthropocentric politics, supported by case studies. The latter can be proposed in English or in French.

The hypothesis of environmental ethics’ heuristic for political theory and activities brings us to two axes:
– non-anthropocentric Political theories: this point invites to question the extension of the political community to the non-human beings within the democratic system. It will aim to question the values, the principles of this extension to have a glimpse of the theoretical challenges regarding a widened political community. A specific attention will be given to contributions proposing a theoretical analysis of this extension, to underline the epistemological implications of such an approach. A critical approach is encouraged to underline the springs and limits of a non anthropocentric political theory in a democratic system.
– non anthropocentric practices and political activities: this point suggests to study the practices and the political activities taking into account the material constraints of the environment within the democratic system. Thus proposals can concentrate on the environmental public analysis of tools and reference tables of action, participative democracy (Lejeune, Villalba, 2015) and ecologist mobilizations (but no exclusive way). Contributors are thus invited to deepen the mechanisms of integration of natural entities and environmental limits within public policies theories, sociology of mobilizations and studies on participative democracy.

REFERENCES

Afeissa, H-S. (2007) Ethique de l’environnement : Nature, valeur, respect. Paris : Vrin. Collection Textes clés
Bourg, D. et Whiteside, K.H. (2010) Pour une démocratie écologique, le citoyen, le savant et la politique. Paris : Editions du Seuil. Collection La République des idées.
Boy, D., Brugidou, M. et Halpern, C. (2012) Le Grenelle de l’environnement : Acteurs, discours, effets. Paris : Armand Colin
Boy, D., Le Seigneur, V-J. et Roche, A. (1995) L’écologie au pouvoir. Paris : Presses de Sciences Po.
Dobson, A. (1998) Justice and the Environment: Conceptions of Environmental Sustainability and Dimensions of Social Justice. Oxford : Oxford University Press.
Dryzek, J. (2011) Foundations and Frontiers of Deliberative Governance. Oxford : University Press.
Eckersley, R et Dobson A. (2006) Political Theory and the Ecological Challenge. Cambridge: Cambridge University Press
Ferry, L. (1992), Le nouvel ordre écologique. L’arbre, l’animal, l’homme. Paris. Livres de poches. Collection Biblio Essai.
Hess, G. (2013) Éthiques de la Nature. Paris : Presses Universitaires de France
Larrère, C. et Larrère, R. (1997) Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de l’environnement. Paris : Editions Flammarion. Collection Champs Essai.
Lascoumes P. (1994) L’éco-pouvoir. Environnement et politiques. Paris : La découverte. Collection Ecologie et Société.
Lejeune, C. et Villalba, B. (2015) « Délibérer à partir de l’environnement. Une perspective théorique écocentrée de durabilité forte ». In : Mermet, L., Salles, D. (éd.) (2015) La concertation apprivoisée, contester, dépasser ? Paris : De Boeck. Collection ouvertures sociologiques
Light, A. et Rolston, H. III. (2003) Environmental Ethics. An Anthology. London : British Library.
Mermet, L., Salles, D. (éd.) (2015) La concertation apprivoisée, contester, dépasser ? Paris : De Boeck. Collection ouvertures sociologiques.
Ollitrault, S. (2008) Militer pour la planète : sociologie des écologistes. Rennes : Presses Universitaire. Collection Res Publica
Rockström, et al. (2009) « A safe operating space for humanity », Nature, Volume 461, pp. 472-475.
Schlosberg, D. (2007) Defining environmental justice, Theories, Movements, and Nature. Oxford: University Press
Semal, L. et Szuba, M. (2015) « Entrée « Théorie politique verte ». » In : Bourg, D. et Papaux, A. (2015) Dictionnaire de la pensée écologique. Paris : Puf. Collection Quadrige. pp. 988-990.
Villalba, B. (1996) La chaotique formation des Verts français à la profession politique (1984- 1994), Politix, n° 35, pp. 149-170
Villalba B. (2006), « La sociologie politique et l’environnement : questions sur un silence ». In. Beck C., Lughinbül Y., Muxart T. (dir.), Temps et espaces des crises de l’environnement, Paris, édition Quae, collection Indisciplines, 369-382

Axe 1 / Théories politiques non anthropocentrées

Kerry Whiteside (Franklin and Marshall College), Retour à Jonas : Le défi philosophico-politique des générations futures dans la pensée environnementale
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Bruno Villalba (Agroparistech, chercheur au CERAPS (- CNRS/UMR 8026 – Lille2), Les angles morts de la théorie de la démocratie écologique
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Alexander Federeau (IGD/FGSE, Université de Lausanne), Comment faut-il articuler éthiques environnementales et limites planétaires ?
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Rémi Beau (Laboratoire Sophiapol, Université de Nanterre La Défense), Éthique environnementale et politique climatique : convergence ou impasse ?
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Axe 2 / Activités politiques non anthropocentrées

Clémence Guimont (CERAPS – UMR 8026 – Lille 2), Politiques de gestion du vivant : le New Public Management au crible de la communauté écouménique
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Michel Bourban, Lisa Broussois (IGD/FGSE, Université de Lausanne), Souffrance animale et changement climatique
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Helen Ha (Université Lille 2, Ceraps – CNRS/UMR 8026 – Lille 2), Les non-humains et l’action publique : les impensés des politiques agricoles en matière d’élevage
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Gildas Renou (Laboratoire SAGE (UMR CNRS N° 7363), Université de Strasbourg), L’humain et le « plus qu’humain ». Les implications politiques de ‘l’éthique sauvage’ de David Abram

Kerry Whiteside (Franklin and Marshall College)

Retour à Jonas : Le défi philosophico-politique des générations futures dans la pensée environnementale
Alors que la prétention que nous avons des devoirs envers les « générations futures » est devenue omniprésente dans les discours environnementaux, on mesure mal le défi éthique créé par cette préoccupation morale si on ignore les œuvres de Hans Jonas. Philosophe allemand du premier rang, étudiant — et critique — de Husserl et Heidegger, Jonas relie la phénoménologie et l’existentialisme de la première moitié du vingtième siècle avec une sensibilité écologique toute nouvelle. Pour Jonas, la crise environnementale met l’humanité devant des défis sans précédent dans l’histoire de la pensée éthique. 30 années durant, Jonas a élaboré une philosophie dont le but était de définir la responsabilité humaine vis-à-vis d’une nature créatrice de la vie.
Pourtant, en dehors de l’Allemagne, les idées de Jonas ont eu une influence relativement restreinte. Pourquoi ? Ses spéculations sur l’éventuelle nécessité d’un régime autoritaire pour maîtriser la crise écologique et sa position épistémologique sur la réalité des valeurs dans la nature semblent l’éloigner des discussions contemporaines qui favorisent une démocratie écologique et regardent toute idée de valeurs naturelles objectives d’un œil fort sceptique.
A l’encontre de ces réactions, mon intervention soulignera la pertinence actuelle de Jonas à plusieurs niveaux.
Jonas a insisté, avec une clarté particulière, sur les caractéristiques inédites de la crise écologique. Ces caractéristiques mettent à mal diverses formes de raisonnement moral, qu’elles soient contractualistes, kantiens, utilitaristes, même post-modernes. Selon Jonas, il y a des tensions fortes entre nos suppositions éthiques, d’un côté, et la complexité des phénomènes écologiques, leurs effets à long terme, et l’emballement des choix technologiques de l’autre. Trop souvent ces tensions sont sous- estimées par les philosophes environnementaux contemporains.
Même si les spéculations ontologiques de Jonas peuvent sembler démodées, elles font ressortir une autre facette troublante de nos références aux « générations futures. » Personne ne peut prétendre les connaître. Leurs valeurs, leurs intérêts, leur identité nous restent en grande partie inconnus. Aucune consultation ne nous permet de vérifier leurs préférences. Nous sommes alors obligés de philosopher sur les conditions et valeurs qui seront importantes pour elles. Jonas a compris : Une philosophie libérale et pragmatique (et à plus forte raison, une perspective résolument constructiviste) n’a pas de repères pour répondre aux questions concernant le futur lointain. Expliquer nos responsabilités envers les générations futures rend inévitable une prise de position philosophique qui se rapproche d’un certain essentialisme par rapport à l’être humain et à la nature non-humaine.
Si une philosophie soutentant certaines valeurs devient incontournable, on ne peut pas en rester là. A la morale doit s’ajouter des réflexions d’ordre politique. Une nouvelle éthique de la responsabilité, sans un volet politique, serait totalement inadéquate, parce que le but est d’influer sur le monde physique et biologique, pas simplement de garder la pureté de nos belles âmes. D’où les opinions de Jonas sur la nécessité éventuelle d’un régime autoritaire. D’une certaine façon, Jonas a raison : Le pouvoir politique est forcément en jeu. Mais est-ce que nous pouvons concevoir nos responsabilités envers les générations futures sans tomber dans l’autoritarisme ?
Pour conclure, je prétendrai que, pour légitimer une politique visant à protéger les générations futures, certaines formes de consultation populaires sont non seulement possibles, mais nécessaires. Ces formes seraient plus inspirées par la théorie de la démocratie délibérative que par la démocratie représentative.

Back to Jonas: The Philosophical-Political Challenge of Future Generations in Environmental Thought
While the claim that we have duties towards « future generations » has become virtually omnipresent in environmental discourse, we risk underestimating the ethical challenge presented by such moral claims if we ignore the works of Hans Jonas. A top German philosopher, a student — and critic — of Husserl and Heidegger, Jonas links phenomenological and existential philosophies of the first half of the twentieth century with an entirely new, late twentieth century ecological sensibility. For Jonas, the environmental crisis is making humanity face challenges that are entirely new relative to all pre-twentiether century ethical thought. Over thirty years, Jonas developed a philosophy whose goal was to define human responsibility in relation to a life-creating and sustaining nature.
Outside of Germany, however, Jonas’s ideas have had quite limited influence. Why? His speculations on the possible necessity of an authoritarian regime to master the ecological crisis, and his epistemological position on the reality of natural values, seem to distance him from today’s prevalent form of environmental thought. The latter tends to favor ecological democracy and regards skeptically the idea of objective nature values.
Against those reactions, my paper emphasizes the contemporary relevance of Jonas at several levels.
Jonas was particularly clear in insisting upon the unprecedented characteristics of the environmental crisis. These characteristics undermine diverse types of moral reasoning, from that of contractualists, Kantians, utilitarians, and even post-moderns. According to Jonas, there are strong tensions between our ethical presuppositions, on the one hand, and the complexity of ecological phenomena, their long term effects, and the momentum of technological choices, on the other. Too often these tensions are downplayed by contemporary environmental philosophers.
Even if Jonas’s ontological speculations can seem outdated, they actually cast light on another troubling facet of our references to « future generations. » The fact is, no on can claim to have priviliged access to the values, interests, or identity of persons in the distant future. No consultation is possible that might allow anyone to verify their preferences and to speak in their name. We are therefore obliged to philosophize (and, I will suggest, deliberate) about the conditions and values that will be important to them. Jonas understood well: Liberal and pragmatic philosophies (and constructivist perspectives, as well) lack standards necessary to respond to questions concerning the distant future. To explain our responsibilities toward future generations, it is necessary to take a philosophical position that resembles essentialism in its assertions about nature, both human and nonhuman.
If a philosophy supporting certain values has become inevitable, still the matter cannot be left at the level of moral obligations. Reflections of a political order are necessary too. Without a political dimension, a new ethic of environmental responsibility would be completely inadequate, because the goal of human action in this area is to influence the physical and biological world — not just to preserve the purity of our souls. This is what pushes Jonas to speculate about the possible necessity of an authoritarian regime. In a certain way, Jonas is right: Political power is necessarily at stake in any serious environmental ethic. But can we conceive our responsibilities toward future generations without lapsing into authoritarianism?
I maintain that, to legitimate a politics aiming to protect future generations, certain forms of popular consultation are not only possible, but absolutely essential. These forms would be inspired more by the theory of deliberative democracy than electoral, representative democracy.

Bruno Villalba (Agroparistech, chercheur au CERAPS (- CNRS/UMR 8026 – Lille2)

Les angles morts de la théorie de la démocratie écologique
La communication souhaite soulever quelques conséquences de la proposition politique d’une démocratie écologique. Notre objectif est d’interroger la finalité du projet démocratique et les dimensions procédurales qui permettent sa réalisation. Ainsi, les objectifs de la démocratie –  tels que la réalisation de l’individu, son autonomie et sa réalisation personnelle, la quête de son bonheur – sont questionnés par l’existence de limites écologiques à la croissance (Goodin, 1992 ; Barry, 2002 ; Eckersley, Dobson, 2006). Les théories d’une politique écologique soulignent alors la difficile compatibilité du projet démocratique avec les finitudes et les irréversibilités posées par les frontières de l’écoumène. Les propositions de la démocratie écologique visent par conséquent à améliorer les procédures et dispositifs décisionnels en ajustant les pratiques et les instances représentatives afin d’élargir la délibération à des communautés d’acteurs (Salles, 2006 ; Latour, 1999 ; Bourg, Whiteside, 2010). Ce renouvellement entend donc faire converger une politique écologique avec des contraintes environnementales. Cependant, il laisse dans l’ombre quelques contradictions entre le souci normatif exprimé – de vouloir inclure de nouveaux acteurs dans la démocratie – et les conditions de sa réalisation.
La communication propose de soulever quatre angles-morts de la théorie de la démocratie écologique :
Les deux premiers concernent l’évolution du projet démocratique.
L’un porte sur la compatibilité du modèle démocratique, construit à partir de l’hypothèse d’une réalisation illimitée de l’autonomie individuelle, avec l’inclusion de nouveaux acteurs – souvent regroupés sous la catégorie de non-humains (Welzer, 2009) ; l’autre aborde l’hypothèse que l’attachement politique à cette autonomie peut conduire à des négociations permanentes sur ce que les contraintes environnementales impliquent sur la réduction du niveau de confort et de bien-être matériel des individus : les contraintes environnementales peuvent-elles conduire à atténuer le choix démocratique, et ne risquent-elles pas par conséquent d’aboutir à une politique plus restrictive des libertés individuelles ? (Riesel, Semprun, 2008 ; Ophuls 2011).
Les deux derniers questionnent les dimensions procédurales.
Le troisième est de revenir sur le présupposé participatif (Beetham, 2011) : le fait de négocier avec de nouveaux acteurs permettra-t-il de faire émerger des politiques plus favorables aux régulations environnementales (Piveteau, 2015) ? Il convient de contextualiser un tel présupposé au regard de l’évolution des offres politiques sur le marché électoral.
Le dernier angle-mort porte sur une contradiction entre le constat de l’urgence à décider à la hauteur des limites planétaires et l’intervalle de temps nécessaire à l’adoption de mesures adéquates (Anders, 2006 ; Villalba, 2016).

The blind spots within the theory of ecological democracy
This communication will discuss some of the consequences of political proposals for an ecological democracy. The aim is to question our democratic project’s purpose and its different means of implementation. The aims of such project – such as individual’s autonomy, personal fulfilment, the quest for happiness – are questioned by the existence of ecological limits (Goodin, 1992 ; Barry, 2002 ; Eckersley, Dobson, 2006). Green political theories underline the non-consistency of the democratic project with ecological finitude and irreversibilities, imposed by the ecumene’s boundaries. Proposals regarding ecological democracy aims to improve decisional processes and procedures such as representative bodies and practices, to enlarge the deliberation arena to new actors (Salles, 2006 ; Latour, 1999 ; Bourg, Whiteside, 2010). Such propositions thus intend to make ecological politics converge with environmental constraints. However, these latter leave some contradictions behind, notably between this expressed normative concern – the inclusion of new actors within democratic processes – and the conditions for it to happen.
This communication will raise four of these blind spots:
The first ones are related to the evolution of the democratic project :
The first point is linked to our democratic model’s capacities – built on the unlimited autonomy of individuals – to include new actors that are often described through the category of non-humans (Welzer, 2009): the second one will discuss the hypothesis that political attachment to this autonomy can lead to permanent negotiations about environmental constraints’ implications in terms of standard of livings and well-being comfort : can environmental constraints lead to a lessening of democratic choice ? Can it result in more restrictive policies regarding individual freedoms? (Riesel, Semprun, 2008 ; Ophuls 2011).
The two last blind spots will question procedural dimensions
The third point will address the participatory presupposition (Beetham, 2011): Will the negotiation with new actors allow for the emergence of politics more inclined to favour environmental regulations (Piveteau, 2015)? Such presupposed must be more contextualised with the evolution of political offers on the electoral market.
The last point regards the contradiction between the observed urgency for decisions that would live up to the planetary boundaries’ challenges, and the time needed to adopt appropriate measures (Anders, 2006 ; Villalba, 2016).

Alexander Federeau (IGD/FGSE, Université de Lausanne)

Comment faut-il articuler éthiques environnementales et limites planétaires ?
En défendant l’idée de donner aux entités naturelles une valeur morale, les éthiques environnementales ont ouvert la voie depuis un demi-siècle pour une meilleure prise en compte au niveau politique des êtres et des écosystèmes naturels. Plus récemment, certains scientifiques ont avancé qu’il existait un ensemble de limites planétaires au système Terre, limites à ne pas franchir par l’humanité si cette dernière entend conserver les conditions d’habitabilité de la Terre qui ont prévalu durant les derniers millénaires. Est-il possible de relier ces prescriptions planétaires aux éthiques environnementales, qui préconisent plutôt un meilleur respect de la nature ? Une articulation sera présentée, qui passe par une valorisation renouvelée du monde microbien. Souvent négligés, le plus souvent perçu comme une menace, les microbes sont pourtant à l’interface de nombreux cycles biogéochimiques et ce sont eux qui permettent aux autres formes de vie d’exister.

How is it necessary to articulate environmental ethics and planet boundaries?
In defending the idea of ​​giving natural entities a moral value, environmental ethics paved the way for half a century to better consider natural beings and ecosystems in political debates. Recently, scientists have argued that there are planetary boundaries to the Earth System that should not be crossed if humanity wants to keep enjoying the conditions of dwelling that prevailed on Earth during the last millennia. Is it possible to connect these planetary prescriptions to environmental ethics, which advocate a better respect for nature? An articulation will be presented, which asks for a renewed valorization of the microbial world. Often neglected, most often perceived as a threat, microbes are at the interface of many biogeochemical cycles and they alone allow other life forms to exist.

Rémi Beau (Laboratoire Sophiapol, Université de Nanterre La Défense)

Éthique environnementale et politique climatique : convergence ou impasse ?
Historiquement, l’éthique environnementale et l’éthique climatique se sont développées indépendamment l’une de l’autre. Alors que la première traite avant tout de la valeur morale des êtres non-humains et de nos devoirs à leur égard, la seconde (de part la spécificité spatiotemporelle du problème climatique) se concentre avant tout sur des questions de justice à l’égard des populations les plus pauvres de la planète et des générations futures. Ces deux domaines de la pensée écologique, aujourd’hui tout deux bien établis, sont restés jusqu’ici presque totalement imperméables l’un à l’autre ; l’un faisant son fond de commerce d’une critique souvent radicale du chauvinisme humain, et l’autre restant par choix méthodologique radicalement anthropocentré. Il n’en reste pas moins que chacun des deux domaines promeut à sa manière une extension de notre responsabilité morale et politique.
L’hypothèse de départ de cette contribution est la nécessité d’une conjonction de ces deux tendances, chacune de celles-ci étant indépendamment désirable. Elle s’intéresse donc aux enjeux et limites de politiques climatiques non-anthropocentrées. Compte tenu du peu de littérature existant sur cette question, les points abordés seront les suivants :
Y a-t-il convergence ou conflit entre la protection des humains (présents et futurs) et celle des non-humains (présents et futurs également) lorsqu’il s’agit d’élaborer des politiques climatiques ?
Les théories éthiques non-anthropocentriste sont-elles trop indéterminées pour informer les politiques climatiques ?
L’inclusion d’une perspective non-anthropocentriste conduit-elle à des politiques climatiques trop exigeantes ?
Les difficultés révélées par ces questions mèneront ensuite à quelques commentaires plus généraux sur le rôle des concepts éthiques en politique et sur la notion de faisabilité politique dans un cadre de démocratie écologique.

Environmental Ethics and Climate Policy: Convergence or Deadlock?
Historically, the fields of environmental ethics and climate ethics developed independently from each other. The former focuses primarily on the moral value of non-human nature and on our duties towards it, whereas the latter focuses primarily on questions of global and intergenerational justice. These two fields, now both well-established within Academia, have stayed almost totally disconnected so far. One finds its identity in a radical critique of human chauvinism, whereas the other stays, mainly for methodological reasons, resolutely anthropocentric. Nevertheless, each promotes in its own way an extension of our moral and political responsibilities.
The starting hypothesis of this contribution is the necessity to bring together these two lines of thought, each one being independently desirable. It will hence focus on the potential and limits of non-anthropocentric climate policies. Given that very little has been published on this issue so far, the questions that will be examined are the following:
Is there convergence or conflict between the protection of humans (present and future) and the protection of non-humans (present and future), when it comes to devising climate policies?
Are non-anthropocentric ethical theories too indeterminate to inform climate policies?
Does the inclusion of non-anthropocentric views lead to overdemanding climate policies?
The difficulties revealed by these questions will lead to a few general comments about the role of ethical concepts in politics and about the notion of political feasibility in the context of green political theory.

Clémence Guimont (CERAPS – UMR 8026 – Lille 2)

Politiques de gestion du vivant : le New Public Management au crible de la communauté écouménique
À partir d’une enquête empirique de politiques territoriales de biodiversité, nous analysons la conception de la perte de biodiversité par l’action publique. Celle-ci est façonnée par la montée en puissance du New Public Management : elle agit d’après des objectifs anthropocentrés et de court-terme. Nous souhaitons ainsi interroger le processus de décision publique dans un contexte de crise de biodiversité, qui menace le maintien de la vie et interpelle alors la responsabilité des acteurs publics. La notion de « communauté écouménique » (Hess, 2015) permet à l’action publique de repenser le rôle des hommes au sein de la communauté du vivant. Elle offre la possibilité d’intégrer les caractéristiques du vivant et les interdépendances entre milieux humains et naturels et elle propose d’agir selon des temporalités physiques et biologiques.

Management of biodiversity: New Public Management and ecoumenic community
Throughout my thesis research (50 semi structured interviews), I analyzed public action’s approach of biodiversity loss. Policies are shaped by New Public Management, thus being oriented towards anthropocentric and short-term goals. Hence, I wish to question public decision in a context of biodiversity crisis, which threatens human life: what does political responsibility become in such a context? The notion of “ecoumenic community” (Hess, 2015) allows the possibility to include characteristics both of biodiversity itself and of human and natural interdependencies into public action. It suggests acting in accordance with physical and biological time scales.

Michel Bourban, Lisa Broussois (IGD/FGSE, Université de Lausanne)

Souffrance animale et changement climatique
La présente communication propose d’étudier la convergence entre les arguments de l’éthique animale et ceux de l’éthique climatique pour critiquer la pratique actuelle de l’élevage des animaux de consommation. Notre premier objectif est de fonder un devoir moral individuel concernant à la fois le respect de la justice envers les animaux non-humains et celui de la justice climatique : un devoir d’adopter une alimentation végétarienne ou végétalienne. Un tel devoir sera analysé du point de vue de sa justification morale mais également du point de vue de sa justification politique. Nous nous demanderons en effet dans quelle mesure le végétarisme, le végétalisme, et de façon plus marquée, le mode de vie végan, représentent des actes de contestation et de protestation contre les systèmes politique et économique en place et contre le manque d’efficacité des institutions en vigueur pour agir sur les problèmes éthiques majeurs du changement climatique et de l’exploitation animale. Notre second objectif sera ainsi de développer une réflexion sur la possibilité d’identifier ces choix alimentaires et plus généralement, ceux du refus de la consommation de produits de source animale, comme des actes individuels de désobéissance civile, voire de résistance.

Animal Suffering and Climate Change
This presentation highlights the convergence between arguments in the fields of animal ethics and climate ethics in order to criticize the current practice of animal agriculture. Our first objective is to ground an individual moral duty regarding the respect of justice toward non-human animals and the respect of climate justice: A duty to adopt a vegetarian or a vegan diet. We try not only to find a moral justification for this specific duty, but also a political justification. We explain in what sense vegetarianism, and mostly the vegan lifestyle, represent actions of protest against a political and an economic system and the lack of efficiency of current institutions to deal with the pressing ethical issues of climate change and animal exploitation. Our second objective is therefore to identify these diet choices and, more generally, the refusal to consume products of animal exploitation, as individual actions of civil disobedience, or even resistance.

Helen Ha (Université Lille 2, Ceraps – CNRS/UMR 8026 – Lille 2)

Les non-humains et l’action publique : les impensés des politiques agricoles en matière d’élevage
Notre communication propose d’interroger la dimension politique des animaux non-humains et ses implications éthiques et matérielles dans les politiques agricoles nationales françaises liées à l’élevage. Après avoir montré, à partir de l’observation des « luttes définitionnelles » en cours (Gilbert et al., 2009), comment l’élevage industriel est construit comme un problème public par une diversité d’acteurs au sein d’espaces publics et d’autres plus « confinés » (Gilbert et al., 2009), notre communication analyse à la lumière des éthiques environnementales (Hess, 2013), les politiques agricoles actuellement mises en œuvre en matière d’élevage. Elle montre comment celles-ci sont à la fois la résultante et la condition de maintien d’une définition unique du problème qui s’inscrit dans un référentiel commun d’action publique productiviste, dualiste et anthropocentrée n’appréhendant ni les contraintes matérielles écologiques ni la valeur intrinsèque du vivant. Au delà du cas de l’élevage industriel, cette communication invite plus globalement à réinterroger les référentiels et catégories de l’action publique ainsi que les mécanismes d’inclusion politique des animaux non-humains et des limites environnementales dans un contexte de crise écologique.

Nonhuman entities and public action : the nonthoughts of livestock policies
This proposal aims at questioning the political dimension of nonhuman animals and its ethical and material impacts on French national livestock policies. First, based on the analysis of current “definition struggles” (Gilbert et al., 2009), we will explain how industrial livestock production acquires the features of social problem by different groups of actors in both public arenas and “confined spaces” (Gilbert et al., 2009); then, our proposal will analyze, through the environmental ethics (Hess, 2013), the current national livestock policies. The point is to explain how these policies are all at once the result and the condition to maintain a unique definition of the problem. This definition falls within a productivist, dualistic and anthropocentric policy framework neither considering ecological material reality nor the intrinsic value of life. Focusing on the industrial livestock production, we would like to re-examine cognitive frames and categories of public action, as well as mechanisms of political integration of nonhuman animals and environmental limits in a context of ecological crisis.

Gildas Renou (Laboratoire SAGE (UMR CNRS N° 7363), Université de Strasbourg), L’humain et le « plus qu’humain ». Les implications politiques de ‘l’éthique sauvage’ de David Abram

Mercredi 12 juillet 2017 9h00-13h00

BEAU Rémi remi.beau.legoff@gmail.com
BOURBAN Michel Michel.Bourban@unil.ch
BROUSSOIS Lisa Lisa.Broussois@unil.ch
FEDEREAU Alexander alexander.federau@unil.ch
GUIMONT Clémence clemence.guimont@hotmail.fr
HA Helen helenha.fr@gmail.com
RENOU Gildas renou.gildas@club-internet.fr
VILLALBA Bruno bruno.villalba@agroparistech.fr
WHITESIDE Kerry kerry.whiteside@fandm.edu