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ST39

Etre représenté ? Sociologie du sentiment de représentation politique

To be represented? Sociology of the feeling of political representation

Responsables scientifiques
Lorenzo Barrault-Stella (CNRS, CRESPPA-CSU) lorenzo.barrault-stella@cnrs.fr
Julien Talpin (CNRS, CERAPS) julien.talpin@univ-lille2.fr

Au-delà des enquêtes quantitatives qui indiquent de façon convergente une forte défiance des citoyens à l’égard des élites politiques (par exemple Pharr, Putnam, 2000), l’étude des rapports que les gouvernés entretiennent avec leurs représentants demeure un champ peu exploré par la science politique. Si l’étude des rapports ordinaires au politique s’est fortement développée, celle-ci oscille entre l’analyse du rapport au politique en général (Duchesne, Haegel, 2004 ; Mayer, Braconnier, 2015) et l’observation de formes d’engagement dans des espaces labellisés comme politique (Lagroye, 2003 ; Hamidi, 2010). Les relations, pratiques et symboliques, qu’entretiennent les représentés à leurs représentants n’ont que rarement fait l’objet d’enquêtes spécifiques. On sait que la confiance est plus forte à l’égard des élus locaux que nationaux, la proximité (géographique) constituant un élément important (Le Bart, Lefebvre, 2005). On en sait moins sur la façon dont les propriétés sociales des représentants influent (ou non) sur leur perception par les représentés et la façon dont cela façonne leur sentiment d’être (bien) représenté. Si des débats sur ce qu’est un « bon représentant » animent la théorie politique (autour de l’alternative entre « politique des idées » et « politique de la présence », représentation substantive et descriptive ; Pitkin, 1995), les travaux sociologiques, notamment en langue française, sont plus rares (voir cependant Achin, 2001, Dutoya, Hayat, 2016). L’enjeu de cette section thématique est de participer à l’analyse du sentiment de représentation politique, autre manière de contribuer aux études relatives à la politisation et au consentement à la délégation. Il s’agit de porter la focale sur une variété de contextes historiques et politiques au sein desquels les citoyen.ne.s se sentent inégalement représenté.e.s, dans la perspective de cerner, par des régularités et des divergences empiriquement attestées, les conditions dans lesquelles des groupes s’estiment pris en charge politiquement et consentent éventuellement à un renouvellement de leur délégation. Cette ST s’articulera en ce sens autour de deux axes.

Les conditions sociales de l’identification au représentant
L’homologie sociale renforce-t-elle le sentiment de représentation ? Le fait de partager certains traits – et lesquels – avec son représentant renforce-t-il la confiance et le sentiment d’être représenté ? Au regard de la diversité des formes de domination et des processus hétérogènes de catégorisation qu’elles impliquent, quelles caractéristiques sociales apparaissent les plus saillantes de ce point de vue et pour quels groupes ? Le fait d’appartenir à la même fraction de classe ? Au même groupe religieux ou ethnique ? Appartenir au même quartier ? Pour le dire simplement, les femmes se sentent-elles mieux représentées par des femmes ? Les ouvriers par des ouvriers ? Les noirs par des noirs ? Quelle est la nature des mécanismes qui expliquent ce sentiment de représentation dans divers contextes ? Faut-il y voir un sentiment de « destin partagé » (Dawson, 1994), voire de conscience de groupe (de classe, raciale, etc.) ? La proximité sociale constitue-t-elle une condition de félicité des relations d’identification des représentés aux représentants ? Les citoyens ont-ils le sentiment qu’ils sont mieux compris ou que leurs intérêts sont mieux défendus par des représentants « comme eux » ? Ces processus d’identification se sont-ils transformés dans le temps et diffèrent-ils selon les contextes ? Quels sont en outre les conséquences de ces processus d’identification du point de vue des pratiques politiques (vote ou autres) ? On manque à ce jour de travaux fins sur ces questions.

« Remise de soi », « trahison »… Vers une sociologie de la relation de représentation
On peut en complément s’interroger sur les dynamiques de la relation de représentation au-delà de l’identification initiale. Ainsi, les gouvernés ont-ils davantage d’interactions (par écrit, de face à face, etc.) avec des élus dont ils se sentent proches socialement ? Si aux Etats-Unis les Africains-Américains se tournent davantage vers les élus noirs pour formuler des doléances (Mansbridge, 1999), qu’en est-il en France et dans d’autres contextes ? Par quels heuristiques, symboles, pratiques (langagière, vestimentaire, etc.) la confiance ou la défiance sont-elles entretenues ? Comment les performances des représentants sont-elles interprétées par les représentés ? Au-delà de l’extension géographique ici encouragée, des études de sociologie historique peuvent s’avérer particulièrement intéressantes (Offerlé, 2007). S’il existe de nombreux travaux sur le travail de représentation de « la classe ouvrière » par le Parti communiste, on en sait moins sur la façon dont cette prétention à la représentation était vécue par les intéressés. Quelle était la nature de cette relation de représentation et peut-on repérer des processus similaires sur les rapports des classes supérieures à leurs représentants ? La littérature évoque parfois une « remise de soi », notamment pour les classes populaires, mais celle-ci mériterait des enquêtes décrivant les ambiguïtés de tels mécanismes. Quelle part de soi (ses intérêts ? ses idées ? etc.) remet-on à son représentant (et à quelles conditions) ? Comment étudier empiriquement ces éléments sans construire artificiellement un discours rarement aussi élaboré quand il s’agit simplement de glisser un bulletin dans l’urne ou d’applaudir un discours ? Si certains travaux invitent à étudier les formes de « loyauté » à l’égard des représentants ou des dominants (Mariot, 2010), comment peut-on l’observer ? Une sociologie du consentement à la délégation, incluant l’étude de formes de résistance souvent cachées, est-elle possible ? Alors que la « loi d’airain de l’oligarchie » et l’autonomisation des représentants sont bien documentées, comment ces processus d’usurpation intrinsèques aux relations de délégation (Bourdieu, 1984) sont-ils vécus par les gouvernés ? On manque de travaux analysant un éventuel sentiment de « trahison » chez les représentés.

Cette section thématique constitue un espace de débat autour du sentiment de représentation politique. Elle réunira des travaux sociologiques ancrés empiriquement, relatifs à différentes situations historiques, contextes nationaux ou locaux, et conjonctures routinières ou critiques. Toutes les approches méthodologiques et théoriques sont les bienvenues, et les échanges permettront d’éprouver relationnellement les techniques d’enquête sur ces questions.

Beyond quantitative surveys showing a widespread distrust of the citizens towards political elites (Pharr, 2000), the study of the relationships between the governed and elected representatives remains an understudied field in political science. The practical and symbolic relationships between the citizenry and representatives have hardly ever been the subject of specific research. While geographical proximity is an important element in the trust citizens grant to politicians (Le Bart, Lefebvre, 2005), we still know little about how the social characteristics and identities of representatives shape (or not) the perceptions of the governed to be (well) represented. The goal of this panel is to pave the road for a sociological analysis of the feeling of political representation, thus contributing to the broader field of politicization processes and consent to delegation. The aim is to focus on a diversity of historical and political contexts, in order to better understand how these groups experience political representation and eventually consent to the renewal of delegation. This panel will be articulated around two questions.

The social conditions of the identification to the representative
To what extent social homology strengthens the feeling of representation ? Does sharing certain common features with one’s representative increases trust and the feeling of representation? Given the diversity of the forms of domination and the heterogeneous processes of categorization they imply, what social characteristics and categories appear the most salient from this perspective and for which groups? Is it related to belonging to the same sub-class? To the same religious or ethnic group? Coming from the same neighborhood? Do women feel better represented by other women ? Workers by other workers? Black people by other Blacks? What is the nature of the mechanisms explaining this feeling of representation in different contexts? Is social closeness a condition of felicity of the identification of the citizens with their representatives? Do citizens feel better understood or their interest better promoted by people « like themselves »? To what extent such identification processes have changed in the last decades and vary depending on the country or the political culture ? What are the consequences of such identification processes on political practices (vote, civic engagement, etc.)?

Delegation, « treason » … Towards a sociology of the representation relationship
We will also investigate the dynamics of the representation relationship. Have the governed more frequent relationships (by writing, face-to-face, etc.) with elected officials they feel close to? How are representatives performances experienced and interpreted by the citizens? Research based on the comparison between contrasted geographical and historical contexts are more than welcome. For instance, while many studies focus on the representation of the “working class” by the Communist Party, we still know little about how this representative claim was experienced by working people. In contrast, can similar processes be observed for the representation relationships of the ruling classes? The literature often mention the “total delegation” (remise de soi) of the represented, but this notion deserves further investigation describing the potential ambiguities of such mechanisms. Similarly, while some authors invite to analyze the forms of “loyalty” toward representatives, or even consent, how can such processes be observed subtly without ignoring the potential hidden resistance they also convey? While the autonomization of the delegates is well documented, how are such usurpation processes experienced by the citizens? We still lack research studying potential feelings of “treason” by the governed.

This panel will embody an arena of scientific deliberation on the feeling of political representation. It will gather sociological works empirically grounded in different historical, national or local contexts, in crisis or stable times. All methodological and theoretical perspectives are welcome. The discussion will allow assessing relationally the best methods and tools regarding these questions.

Axe 1 / Proximité sociale, représentation politique ?
Coordinateur de la séance : Julien Talpin (CNRS – CERAPS)
Discutant : Frédéric Sawicki (Université Paris 1 – CESSP)

Pierre Lefébure (Université Paris 13 – IRISSO), Institution et élus parlementaires au regard des citoyens. Approche compréhensive de la complexité des raisonnements sur la relation de représentation

Clémentine Berjaud (Université Paris 1- CESSP), « C’est son image qu’il a : Président du peuple pour le peuple […] moi, oui, j’en fais partie » Sentiment de représentation et identités sociales dans le Venezuela d’Hugo Chávez

Stéphane Cadiou (Université de Saint Etienne – TRIANGLE), La complainte des commerçants. Esquisse d’analyse des relations ambivalentes des commerçants avec les représentants politiques locaux

Axe 2 / Race et minorités dans les processus d’identification au représentant
Coordinateur de la séance : Lorenzo Barrault-Stella (CNRS – CRESPPA-CSU)
Discutant : Yves Sintomer (Université Paris 8 – CESPPA-CSU)

Juliette Ruaud (IEP de Bordeaux – LAM), Placer par vous-mêmes la couleur parmi les représentants européens

Camille Hamidi (Université Lyon 2 – TRIANGLE), Les représentations ordinaires de la représentation. Les minorités ethniques en politique

Stéphanie Guyon (Université Picardie Jules Verne – CURAPP-ESS), Se sentir bien représenté par le lointain. Le sentiment de représentation politique à l’intersection de la classe, des hiérarchies coloniales et du genre en Guyane

Pierre Lefébure (Université Paris 13 – IRISSO)

Institution et élus parlementaires au regard des citoyens. Approche compréhensive de la complexité des raisonnements sur la relation de représentation
L’étude des opinions des citoyens sur les institutions et les élus parlementaires est relativement peu développée et reste organisée autour d’enquêtes quantitatives. Les approches qualitatives sur les raisonnements des citoyens à l’égard du système de représentation sont beaucoup plus rares (Hibbing & Theiss-Morse 2002 ; Grill 2007 ; Rozenberg 2013). Cette contribution vise à compléter ce type de recherche à partir d’un des volets de l’enquête LEGIPAR (ANR 2009-2011) en France.
Des entretiens ont été menés auprès de douze groupes de citoyens dans une sélection diversifiée de six circonscriptions législatives selon les caractéristiques du député (cumul de mandat, ancienneté dans le mandat, appartenance partisane). Les entretiens abordent le rapport général au politique, la perception de l’Assemblée nationale, la perception du député de la circonscription et diverses configurations de représentation dans la vie sociale.
Les résultats montrent la diversité des raisons d’éprouver satisfaction ou frustration aussi bien à l’égard des principes que du fonctionnement de la représentation politique et permettent de comprendre l’attachement, en partie vécu comme une contrainte, à la division du travail politique entre représentés et représentants. Les performance attendues des représentants s’avèrent en partie éloignées de la stricte définition institutionnelle de leur mandat. Tout cela indique l’intérêt des travaux qualitatifs d’analyse sociologique du sentiment de représentation politique.

Parliament and MPs under citizens’ scrutiny. An interpretive study of mixed judgements about political representation
Research on citizens’ opinion about parliamentary institutions and elected officials is not much developed and most of it relies on survey data. There is therefore only a few qualitative works about citizens reasoning on representation (Hibbing & Theiss-Morse 2002 ; Grill 2007 ; Rozenberg 2013). This paper aims at back ing such an approach starting from one component of the French LEGIPAR project (ANR 2009-2011).
Data are taken from collective interviews with twelve groups of citizens conducted in a sample of six legislative constituencies selected according to various features of MPs profile and career (multiple office holding, seniority, party affiliation). Interviews address such topics as how citizens relate to politics, perceive the National Assembly as well as their own MP, and understand various kind of representation processes in social life.
Results show that there is a wide range of reasons why citizens feel satisfaction or frustration towards the principle of representation as well as its actual functioning. They also help explaining citizens’ acceptance of the division of political labor between representatives and their constituents though it is also partly experienced as a constraint. How representatives should perform their office is significantly conceived as distinct from its institutional definition. The qualitative analysis of how representation is experienced thus proves to be a fruitful perspective with further work needed.

Clémentine Berjaud (Université Paris 1- CESSP)

« C’est son image qu’il a : Président du peuple pour le peuple […] moi, oui, j’en fais partie » Sentiment de représentation et identités sociales dans le Venezuela d’Hugo Chávez
Dans le Venezuela d’Hugo Chávez, contexte marqué par l’effervescence politique et l’omniprésence médiatique de la figure du chef de l’Etat, la polarisation politique recouvre les polarisations sociales et les rapports de classe ordinaires. À partir de matériaux issus d’une enquête approfondie menée durant plusieurs années selon un dispositif multimodal, il est possible de se demander non seulement ce qui fonde, ou non, le sentiment de représentation des gouvernés envers les gouvernants, mais encore de démontrer que ces sentiments sont socialement ancrés. Ainsi, l’identification sociale (articulée autour de la reconnaissance d’une forme d’homologie sociale, « il est comme nous ») joue à plein sur notre terrain. Mais les catégorisations sociales permettent également de saisir et d’expliquer les différents types de représentation et d’identification ressenties : du sentiment de représentation nationale proprement politique à d’autres formes d’identifications plus personnalisées (la figure du mari ou de l’amant sont régulièrement convoquées par exemple). Celles-ci se comprennent alors et participent des rapports au politique ordinaires des citoyens. Les positions sociales, objectives et subjectives, c’est-à-dire attribuées, perçues, vécues, rejetées éventuellement avec force, apparaissent au cœur des mécanismes de représentation analysés ici. Cette proposition, enfin, se veut aussi méthodologique, elle montre l’intérêt de saisir cette thématique par le biais des discussions collectives ordinaires.

“It’s all about his image : President of the People for the People […] Me, yes, I’m part of it” Feeling of representation and social identities in Hugo Chávez’s Venezuela.
In Hugo Chávez’s Venezuela, under a context marked by political effervescence and a Head of State figure’s media omnipresence, political polarization covers social polarizations and ordinary class relations. Drawing from an in-depth enquiry led during several years based on a multimodal empirical plan, it’s possible to question what founds the feeling of representation between governed and political leaders and to demonstrate that such feelings are socially anchored. Thus, social identification (articulated around a form of reconnaissance of a social homology, “He’s like us”) is really important in our fieldwork. But social categorizations allow us also to apprehend and to explain different sorts of representations and identifications felt: from the feeling of properly political national representation to other kinds of more personalized identifications (the husband or the lover figures are regularly told for example). We can understand and analyze them under the frame of citizen’s ordinary relationships to politics. Social positions, objective and subjective ones, i.e. attributed, perceived, lived, rejected eventually violently, appear in the center of representation mechanisms. This proposition finally is as well methodological; it shows the interest to apprehend this theme through ordinary collective discussions.

Stéphane Cadiou (Université de Saint Etienne – TRIANGLE)

La complainte des commerçants. Esquisse d’analyse des relations ambivalentes des commerçants avec les représentants politiques locaux
Les petits commerçants font face aujourd’hui à de nombreux changements qui génèrent du mécontentement. Cette communication vise à analyser les stratégies d’expression d’un tel mécontentement. Elle montre que la représentation de ce segment professionnel est problématique. Elle rend compte alors des tensions dans lesquelles sont prises les relations des commerçants avec les élus locaux : d’un côté, les commerçants tend à déléguer aux élus la gestion des problèmes ; de l’autre, ils sont enclins à se plaindre d’un manque de considération. Cette analyse, menée à l’échelle d’un espace urbain (Nice), entend alors répondre à deux questions : qu’est-ce qui est attendu d’un représentant politique de la part des commerçants ? Comment les commerçants fixent les limites de l’acceptable dans le travail de représentation ?

The complaint of shopkeepers. An Attempt at Analysing ambivalent relationships between shopkeepers and local politicians
Local businesses were up against various changes that generate discontent. This communication seeks at analyze the expression strategies of such discontent. It shows the numerous difficulties in representing shopkeepers. It also accounts for tensions crossing the relationships with politicians : shopkeepers tend first to delegate to elected representatives the management of problems; they also claim a lack of regard for themselves. This analysis based on the scale of a urban space (Nice) should like to answer two questions : What’s wanted in an elective representative by local businesses? How do local businesses place the limits of what is acceptable by politicians?

Juliette Ruaud (IEP de Bordeaux – LAM)

Placer par vous-mêmes la couleur parmi les représentants européens
Dans cette communication, on reviendra sur la question de la représentation des colonisés au Sénégal à l’époque de la domination française. On résume souvent cette histoire à la succession de députés blancs et métis, jusqu’à l’élection de Blaise Diagne, le premier député noir, en 1914. Certains historiens présentent cet événement comme une « révolution », et beaucoup d’Européens l’ont perçu comme la montée dangereuse d’un « vote pour la couleur ». Pour nous, il s’agira de revenir plus en amont de cet événement, afin de tenter de dissiper un peu son caractère soudain et imprévu. Pour cela, on présentera un ouvrage méconnu, Le catéchisme des noirs, électeurs du Sénégal et des colonies qui est un manuel électoral publié en 1899 par un adjudant à la retraite, Hippolyte-Marie Moussa-Mangoumbel. Ce texte a été le premier à formuler aussi clairement au Sénégal l’exigence pour les noirs d’être représenté par un noir. Aussi, cette brochure propose une « science politique » afin d’apprendre à voter sans « trahir sa couleur ». On cherchera à faire voir les enjeux de ce texte, en le mettant en relation avec les débats de son époque sur les questions de représentation. On cherchera à resituer le vocabulaire et l’argumentation employés en les mettant en relation avec le contexte plus vaste des relations raciales et des pratiques de représentation politique dans la colonie. Aussi, à partir de l’étude du point de vue d’un colonisé, on espère contribuer à éclairer les enjeux plus larges liés à la question de la représentation des Africains en ce temps-là.

Put by yourself the color among the European representatives
In this paper, we will discuss the topic of the political representation of colonized people at the age of French domination in Senegal. That topic is often summed up by a series of white and “métis” deputies, until the election of Blaise Diagne (the first black deputy) in 1914. Some historians present this event as a « revolution », and at that time many Europeans perceived it as the dangerous rise of a « vote for color ». Looking upstream on this issue may allow us to reconsider this sudden and unexpected event. For this purpose, we will try to present a little-known book, Black people’s catechism, electors from Senegal and the colonial world, which is training manual for elections published in 1899 by a retired warrant officer called Hippolyte-Marie Moussa-Mangoumbel. In Senegal, this text was the first to articulate so clearly the need for black people to be represented by a black politician. For this end, this book offers a « political science » in a way to learn how to vote without « betraying its color« . We will try to consider the past issues of this text, with regard to the debates on political representation at that time. We expect to contextualize the vocabulary and the argumentation employed in the book, by relating them to the broader context of race relations and political representation in the colony. Thus, from the study of a native point of view, we hope to participate in the understanding of broader issues related to the political representation of Africans at that time.

Camille Hamidi (Université Lyon 2 – TRIANGLE)

Les représentations ordinaires de la représentation. Les minorités ethniques en politique 
La représentation des minorités ethniques en politique a longtemps été un sujet largement tabou en France. Depuis la fin des années 1990, elle attire toutefois une attention croissante (Geisser, 1997 ; Garbaye, 2005 ; Escafré-Dublet, Simon, 2010 ; Revue Française de Science politique, 2010). En revanche, la façon dont les individus représentés investissent eux-mêmes – ou non – cette question est encore peu investiguée. Est-ce qu’il leur importe d’être représenté par des individus ayant des caractéristiques similaires ? Sur quelles bases celles-ci sont-elles définies – en termes d’ethnicité, de classe, de territoire, une combinaison de ceci ? C’est ce que nous examinerons dans cette communication.
Pour ce faire, nous nous appuierons sur plusieurs enquêtes menées à Vaulx-en-Velin, au cours des années 2000 et 2010, portant sur le rapport au politique de jeunes gens, d’ascendance étrangère ou non, dans les quartiers populaires. Nous mènerons sur un travail de codage des données grâce au logiciel atlas-ti, afin de dégager les registres de justification des personnes interrogées. Nous mènerons cette analyse en comparant ces registres de justification à ceux élaborés par les théoriciens politiques qui débattent de ces questions (Pitkin, 1967 ; Benhabib, 2002 ; Gutman, 2003 ; Hochschild, 2003 ; Phillips, 1995 ; Williams, 1998) afin de contribuer ainsi à une étude des représentations ordinaires de la représentation, et à montrer l’intérêt de croiser les approches de sociologie politique et de théorie politique afin d’identifier les théories politiques ordinaires à l’œuvre dans le monde social.

The ordinary representations of representation. Ethnic minorities in politics
The political representation of ethnic minorities in France has long been a taboo. However, since the end of the 1990’ the body of literature on the matter has been largely growing (Garbaye, 2005 ; Escafré-Dublet, Simon, 2010 ; Revue Française de Science politique, 2010).
Nonetheless, the ways in which ethnic minorities do – or don’t – invest this question of representation are largely neglected. Does it matter to them to be represented by people who share similar traits? If so, how are these characteristics defined – is it a matter of ethnicity, of social class, of territorial belonging, or all of the above?
To answer this question, I will mobilize a series of semi-structured interviews conducted in Vaulx-en-Velin over the past ten years, with young people from lower classes, be they ethnic minorities or members of the ethnic majority. I will conduct a systematic analysis of the data with the use of Atlas-ti in order to identify the ordinary grammars of justification of the interviewees. I will compare them to that developed by political theorists who have worked on the issue of political representation of women and minorities (Pitkin, 1967; Benhabib, 2002; Gutman, 2003; Phillips, 1995; Williams, 1998), in order to contribute to the study of ordinary representations of political representation, and show the interest of combining political sociology and political theory so as to identify ordinary political theories at play in the social world.

Stéphanie Guyon (Université Picardie Jules Verne – CURAPP-ESS)

Se sentir bien représenté par le lointain. Le sentiment de représentation politique à l’intersection de la classe, des hiérarchies coloniales et du genre en Guyane
Les Amérindiens de Guyane française n’ont obtenu le droit de vote qu’à partir des années 1960 et dans la plupart des communes du littoral, il a fallu attendre les élections municipales de 1977 pour voir apparaître les premiers élus amérindiens. Encore aujourd’hui, à St-Laurent du Maroni, seconde ville de Guyane, la majorité des élus sont issus du groupe créole. A partir d’une enquête ethnographique réalisée pendant une décennie dans le village amérindien de Balaté situé dans cette commune, nous décrirons le rapport que les habitants de Balaté entretiennent avec les candidats et représentants issus de leur groupe et les représentants issus du groupe majoritaire créole. Les propriétés raciales des représentants semblent peser fortement sur leur perception par les électeurs amérindiens. La distance sociale des élus créole parait plus facilement acceptée que celle des candidats ou élus amérindiens sur lesquels plane constamment l’accusation de « trahison du groupe ». Toutefois, tous les élus créoles ne sont pas considérés par les habitants de Balaté comme de bons représentants ; il faut pour cela qu’il fasse la démonstration d’une proximité pratique au groupe amérindien (compréhension de la langue, connaissance des familles…) même s’ils n’y appartiennent pas. Cette communication s’intéressera ainsi à la manière dont se définit la bonne proximité sociale des représentants à l’intersection du genre, de la race et de la classe.

Feeling well represented by the distant. The feeling of political representation at the intersection of class, colonial hierarchies and gender in French Guiana
The Amerindians of French Guiana obtained the right to vote only from the 1960s and in most of the coastal communes, it was not until the municipal elections of 1977 that the first Amerindians were elected. Even today, in St-Laurent du Maroni, the second city of French Guiana, the majority of the elected representatives come from the Creole group. Based on an ethnographic survey carried out for a decade in the Amerindian village of Balaté located in this municipality, we will describe the relationship between the inhabitants of Balaté, the candidates and representatives of their group and the candidates and representatives of the Creole majority group. The racial properties of the representatives seem to weigh heavily on their perception by Amerindian voters. The social distance of the Creole elected representatives seems to be more easily accepted than that of the Amerindian candidates or elected representatives who are constantly laden with the charge of « treason of the group ». However, not all the Creole elected representatives are considered by the inhabitants of Balaté as good representatives; It is necessary to demonstrate a practical proximity to the Amerindian group (understanding of the language, knowledge of families …) even if they do not belong to it. This paper will so focus on the way in which the social proximity of representatives is defined at the intersection of gender, race and class.

Mercredi 12 juillet 2017 14h00-18h00

BARRAULT-STELLA Lorenzo lorenzo.barrault-stella@cnrs.fr
BERJAUD Clémentine clementine.berjaud@wanadoo.fr
CADIOU Stéphane stephane.cadiou@univ-st-etienne.fr‎
GUYON Stéphanie stephanie_guyon@hotmail.com
HAMIDI Camille camillehamidi@hotmail.com‎
LEFEBURE Pierre pierre.lefebure@univ-paris13.fr
RUAUD Juliette juliette-ruaud@hotmail.fr‎
SAWICKI Frédéric frederic.sawicki@univ-paris1.fr
SINTOMER Yves sy@cmb.hu-berlin.de
TALPIN Julien julien.talpin@univ-lille2.fr